Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 2, 19 septembre 2019, n° 18/07244

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 6 - ch. 2, 19 sept. 2019, n° 18/07244
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 18/07244
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Paris, 19 mars 2018, N° 17/14913
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoires

REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 2

ARRET DU 19 SEPTEMBRE 2019

(n° , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/07244 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B5ORZ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Mars 2018 – Tribunal de Grande Instance de Paris – RG n° 17/14913

APPELANT

SYNDICAT SUD AFP pris en la personne de ses représentants légaux

13, place de la Bourse

[…]

Représenté par Me Julien RODRIGUE, avocat au barreau de PARIS, toque : R260

INTIMES

AGENCE PRESSE (AFP) prise en la personne de ses représentants légaux

13,15 place de la Bourse

[…]

Représentée par Me Grégory CHASTAGNOL, avocat au barreau de PARIS, toque : P0107

SYNDICAT NATIONAL DES JOURNALISTES ( SNJ )

pris en la personne de ses représentants légaux

N° SIRET : 775 658 354

[…]

[…]

Représenté par Me Rudy OUAKRAT de la SELARL 41 Société d’Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : K0137, substitué par Me Zoran ILIC

SYNDICAT SNE-CFDT pris en la personne de ses représentants légaux

[…]

[…]

Représenté par Me Rudy OUAKRAT de la SELARL 41 Société d’Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : K0137, substitué par Me Zoran ILIC

SYNDICAT UGICT-CGT pris en la personne de ses représentants légaux

[…]

[…]

Représenté par Me Rudy OUAKRAT de la SELARL 41 Société d’Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : K0137, substitué par Me Zoran ILIC

SYNDICAT GÉNÉRAL DU LIVRE ET DE LA COMMUNICATION ECRITE CGT pris en la personne de ses représentants légaux

[…]

[…]

Représenté par Me Rudy OUAKRAT de la SELARL 41 Société d’Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : K0137, substitué par Me Zoran ILIC

SYNDICAT SNJ CGT pris en la personne de ses représentants légaux

[…]

[…]

Représenté par Me Rudy OUAKRAT de la SELARL 41 Société d’Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : K0137, substitué par Me Zoran ILIC

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 20 juin 2019 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant

Monsieur François LEPLAT, Président

Monsieur Christophe ESTEVE, Conseiller

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur François LEPLAT, Président

Monsieur Christophe ESTEVE, Conseiller

Madame Monique CHAULET, Conseiller

GREFFIER : Madame FOULON, lors des débats

ARRET :

— contradictoire

— rendu par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Monsieur Christophe ESTEVE, Conseiller, en remplacement de Monsieur François LEPLAT, Président empêché et par Madame FOULON, Greffier

************

Statuant sur les appels interjetés les 6 et 18 avril 2018 par le syndicat SUD AFP, enregistrés sous les numéros de répertoire général 18/07244 et 18/08021, d’un jugement rendu le 20 mars 2018 par le tribunal de grande instance de Paris lequel, saisi par ce syndicat de demandes tendant essentiellement à l’annulation des articles 6.3.1.1 alinéa 2 et 6.9.1 de l’accord d’entreprise signé le 10 mars 2017 entre l’AFP et les organisations syndicales CFDT, CGT (syndicats UGICT-CGT, SNJ CGT et SYNDICAT GENERAL DU LIVRE ET DE LA COMMUNICATION ECRITE CGT) et SNJ, a':

— rejeté la demande d’annulation de l’assignation du 26 octobre 2017,

— déclaré recevable la demande d’annulation formée par le SYNDICAT SUD AFP en ce qui concerne l’article 6.9.1 alinéa 2 (en réalité sous-paragraphe 2) de l’accord collectif du 10 mars 2017,

— débouté le syndicat SUD AFP de l’ensemble de ses demandes principales d’annulation de l’article 6.3.1.1 alinéa 2 et de l’article 6.9.1 / 2e sous-paragraphe de l’accord collectif d’entreprise du 10 mars 2017,

— condamné le syndicat SUD AFP à payer au titre de l’article 700 du code de procédure civile une indemnité de 3 500 € à l’AFP et de 400 € à chacun des syndicats UGICT-CGT, SNJ CGT, SYNDICAT GENERAL DU LIVRE ET DE LA COMMUNICATION ECRITE CGT, SYNDICAT NATIONAL DES JOURNALISTES et SYNDICAT SNE-CFDT,

— débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

Vu la jonction des procédures sus-référencées par mention au dossier du 22 novembre 2018,

Vu les dernières conclusions transmises le 22 mai 2019 par le syndicat SUD AFP, appelant, qui demande à la cour de :

— le recevoir en son appel,

en conséquence,

— confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Paris en ce qu’il a rejeté l’exception de nullité de l’assignation et la fin de non-recevoir soulevées par l’AFP,

— le réformer en ce qu’il a :

— débouté le syndicat SUD AFP de l’ensemble de ses demandes principales d’annulation de l’article 6.3.1.1 alinéa 2 et de l’article 6.9.1 / 2nd sous paragraphe de l’accord collectif d’entreprise du 10 mars 2017,

— condamné le syndicat SUD AFP à payer au titre de l’article 700 du code de procédure civile une indemnité de 3 500 € au profit de l’Agence France Presse et 400 € au profit du syndicat UGICT-CGT, du syndicat SNJ-CGT, du syndicat Général du Livre et de la Communication écrite

CGT, du syndicat national des Journalistes (SNJ) et du syndicat SNE-CFDT chacun,

— débouté le syndicat SUD AFP de ses plus amples demandes,

statuant à nouveau,

— dire que l’astreinte avec veille éditoriale constitue du temps de travail effectif,

— dire que les journalistes de l’AFP ne disposent pas de l’autonomie organisationnelle leur permettant d’intégrer le dispositif de forfait jours mis en place par l’accord du 10 mars 2017,

en conséquence,

— annuler le second alinéa « astreinte avec veille éditoriale » de l’article 6.3.1.1 de l’accord du 10 mars 2017,

— annuler «'le second alinéa'» de l’article 6.9.1 de l’accord du 10 mars 2017,

— condamner l’Agence France Presse à lui verser la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile de première instance et d’appel,

— débouter l’AFP et les syndicats SNJ, CFDT et CGT de l’ensemble de leurs demandes,

— les condamner aux entiers dépens,

Vu les dernières conclusions transmises le 6 juin 2019 par l’organisme AGENCE FRANCE PRESSE (l’AFP), intimée, qui demande à la cour de :

— la recevoir en son appel incident,

in limine litis :

— infirmer la décision du tribunal de grande instance en ce qu’elle a déclaré recevables les demandes du syndicat SUD AFP,

— déclarer irrecevable la demande du syndicat SUD AFP tenant à l’annulation de l’article 6.9.1 alinéa 2 de l’accord d’entreprise AFP,

à titre principal :

— confirmer la décision du tribunal de grande instance de Paris en ce qu’elle a débouté le syndicat SUD AFP de sa demande d’annulation de l’alinéa 2 de l’article 6.9.1 de l’accord d’entreprise AFP du 10 mars 2017,

— confirmer la décision du tribunal de grande instance de Paris en ce qu’elle a débouté le syndicat SUD AFP de sa demande d’annulation de l’alinéa 2 de l’article 6.3.1.1 de l’accord d’entreprise AFP du 10 mars 2017,

en conséquence :

— débouter le syndicat SUD AFP de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

à titre subsidiaire :

— restreindre l’alinéa 2 de l’article 6.9.1 de l’accord d’entreprise AFP aux journalistes de production,

en tout état de cause :

— confirmer la décision du tribunal de grande instance en ce qu’elle a condamné le syndicat SUD AFP au paiement de la somme de 3 500 euros au profit de l’AFP sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

y ajoutant :

— condamner le syndicat SUD AFP au paiement de la somme de 4 000 euros au profit de l’AFP, au titre des frais irrépétibles en cause d’appel, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner le syndicat SUD AFP aux entiers dépens,

Vu les dernières conclusions transmises le 7 septembre 2018 par les syndicats UGICT-CGT, SNJ CGT, SYNDICAT GENERAL DU LIVRE ET DE LA COMMUNICATION ECRITE CGT, SYNDICAT NATIONAL DES JOURNALISTES et SYNDICAT SNE-CFDT, autres intimés, qui demandent à la cour de :

— confirmer intégralement le jugement entrepris,

— débouter le syndicat SUD AFP de l’ensemble de ses demandes,

— condamner le syndicat SUD AFP à verser la somme de 1 000 euros à chacune des organisations syndicales assignées au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner le syndicat SUD AFP aux entiers dépens,

La cour faisant expressément référence aux écrits susvisés pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties,

Vu l’ordonnance de clôture en date du 13 juin 2019,

SUR CE, LA COUR

EXPOSE DU LITIGE

L’article 1er de la loi n° 57-32 du 10 janvier 1957 portant statut de l’agence France-Presse (l’AFP) définit celle-ci comme «' (') un organisme autonome doté de la personnalité civile et dont le fonctionnement est assuré suivant les règles commerciales'», ayant pour objet de rechercher, tant en France et dans l’ensemble de l’Union française qu’à l’étranger, les éléments d’une information complète et objective et de mettre, contre paiement, cette information à disposition des usagers.

Employant environ 4 000 salariés en France et à l’étranger, son statut collectif «'est déterminé par référence aux conventions collectives qui régissent les personnels des entreprises de presse'», suivant l’article 9 de la loi précitée du 10 janvier 1957.

Différents accords d’entreprise régissent donc en son sein les conditions de travail et de rémunération des salariés selon la catégorie professionnelle à laquelle ils appartiennent :

— pour les ouvriers, la convention collective des ouvriers des transmissions AFP du 1er juin 1971,

— pour les employés, la convention d’entreprise pour les employés de presse de l’AFP du 6 juin 1974,

— pour les cadres techniques, la convention d’entreprise pour les cadres techniques de l’AFP du 25 janvier 1974,

— pour les cadres administratifs, la convention d’entreprise pour les cadres administratifs du 29 octobre 1976,

— pour les journalistes, la convention collective de travail des journalistes du 1er novembre 1976.

A compter de la fin de l’année 2013, l’AFP a étudié avec les organisations syndicales représentatives la possibilité d’une renégociation de son statut collectif en vue d’unifier celui-ci dans le cadre d’un accord d’entreprise unique.

Dans ce contexte, l’AFP a dénoncé le 21 juillet 2015 aux organisations syndicales représentatives et aux organisations syndicales signataires 117 sources conventionnelles internes.

Le 10 mars 2017, l’AFP et les organisations syndicales CFDT, CGT (syndicats UGICT-CGT, SNJ CGT et SYNDICAT GENERAL DU LIVRE ET DE LA COMMUNICATION ECRITE CGT) et SNJ ont signé un accord d’entreprise ayant notamment pour objet de doter l’AFP d’un socle conventionnel unique et stable qui comporte en particulier les clauses suivantes':

— l’article 6.3.1.1 définit l’astreinte et l’astreinte avec veille éditoriale en ces termes':

«' * Astreinte

L’astreinte s’entend comme une période de disponibilité du salarié en dehors de son horaire normal de travail.

Sur le plan légal, elle est définie comme une période pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l’employeur, doit être en mesure d’intervenir pour accomplir un travail au service de l’AFP (C. trav. Art. L. 3121-9).

En période d’astreinte, le salarié peut être contacté pour résoudre un problème relevant de son activité ou pour répondre aux exigences liées à l’actualité. Le salarié peut être amené à traiter le problème à distance ou à se déplacer. Le salarié doit donc être joignable et se trouver dans un lieu de son choix compatible avec une intervention à distance et permettant, en cas de besoin, un déplacement vers l’AFP. En tout état de cause, il ne peut pas y avoir d’astreinte sur le lieu de travail.

La période d’astreinte n’est pas considérée comme du temps de travail effectif, elle est assimilée à du temps de repos.

Pour les cadres dirigeants, l’astreinte est intégrée aux responsabilités inhérentes à leurs fonctions (membres directeurs COMEX).

* Astreinte avec veille éditoriale

La période d’astreinte telle que définie ci-dessus peut être renforcée pour les journalistes par une période de veille éditoriale. Dans ce cas, les journalistes d’astreinte assurent un suivi de l’actualité (mails, réseaux sociaux…)'».

— l’article 6.6.1 fixe les principes généraux applicables à l’aménagement et à la réduction du temps de travail (ARTT) comme suit':

«'Pour les cadres (hors salariés relevant du forfait jours)':

35 heures par semaine et attribution de 4 jours ouvrés de repos annuel supplémentaires liés au fonctionnement en continu et à l’organisation spécifique du travail au sein de l’AFP.

Pour les journalistes en production ou assimilés (encadrement des desks et rédactions en chef) (hors salariés relevant du forfait jours)':

39 heures par semaine et attribution de 7 jours ouvrés de repos annuel supplémentaire au titre de l’Aménagement et la Réduction du Temps de Travail.

Pour les autres journalistes':

35 heures par semaine et attribution de 4 jours ouvrés de repos annuel supplémentaire au titre des jours d’Aménagement du Temps de Travail compte tenu des contraintes spécifiques liées à l’organisation du travail du desk.

Pour les employés de presse et les ouvriers des transmissions':

35 heures par semaine et attribution de 4 jours ouvrés de repos annuel supplémentaires liés au fonctionnement en continu et à l’organisation spécifique du travail au sein de l’AFP.'»

— l’article 6.9.1 relatif aux bénéficiaires du forfait annuel en jours est rédigé de la façon suivante':

«'Les spécificités inhérentes à certaines activités et à certaines catégories de salarié ne permettent pas de déterminer avec précision les horaires et durées de travail des salariés qui les exercent. Sont ainsi concernés':

— les cadres qui disposent d’une autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein du service ou de l’équipe auxquels ils sont intégrés';

— l’ensemble des journalistes, compte tenu de l’autonomie qui est propre à l’exercice de leur métier.'»

Considérant d’une part que le type d’astreinte «'avec veille éditoriale'» instauré par l’accord d’entreprise du 10 mars 2017 devait s’analyser comme un temps de travail effectif et que d’autre part les journalistes de l’AFP ne disposent pas de l’autonomie permettant de les soumettre à un dispositif de forfait jours, le syndicat SUD AFP a saisi le tribunal de grande instance de Paris par assignation à jour fixe délivrée le 26 octobre 2017 de la procédure qui a donné lieu le 20 mars 2018 au jugement entrepris.

MOTIFS

Sur la recevabilité de la demande du syndicat SUD AFP tendant à l’annulation de l’article 6.9.1 alinéa 2 de l’accord d’entreprise AFP':

Il n’est pas discuté que le syndicat SUD AFP n’exerce pas l’action dite de substitution sur le fondement de l’article L 2262-9 du code du travail.

Le syndicat AFP, qui n’est pas signataire de l’accord d’entreprise du 10 mars 2017, poursuit l’annulation du sous-paragraphe 2 de l’article 6.9.1 dudit accord désignant l’ensemble des journalistes de l’entreprise comme étant bénéficiaires du forfait annuel en jours.

Dès lors, il agit nécessairement sur le fondement de l’article L 2132-3 du code du travail aux termes

duquel les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice et peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent.

Contrairement à l’argumentation de l’AFP, l’action ne tend pas à remettre en cause l’appréciation de l’autonomie de certains journalistes ayant conclu en son sein une convention de forfait en jours et par voie de conséquence la validité des conventions individuelles de forfait en jours conclues par certains d’entre eux.

En effet, s’il est exact que la signature d’une convention individuelle de forfait en jours est subordonnée légalement à la conclusion préalable d’un accord collectif fixant le cadre du forfait et ses limites et déterminant les catégories de salariés susceptibles d’en bénéficier ainsi que les garanties qui leur sont offertes, au cas présent le syndicat SUD AFP remet en cause l’autonomie organisationnelle de l’ensemble des journalistes de l’entreprise, et pas seulement de certains d’entre eux, pour obtenir l’annulation de la disposition conventionnelle litigieuse, sans distinguer entre ceux qui ont conclu une convention individuelle de forfait en jours et ceux qui n’ont pas conclu une telle convention.

Dans ces conditions, la demande du syndicat SUD AFP a pour objet la défense de l’intérêt collectif de la profession qu’il représente et non celle des intérêts propres des journalistes, quand bien même l’annulation de la disposition critiquée est susceptible d’avoir des conséquences sur la situation individuelle de certains d’entre eux.

Il s’ensuit que le syndicat SUD AFP a qualité et intérêt à agir.

C’est donc à juste titre que les premiers juges ont déclaré recevable sa demande tendant à l’annulation de l’article 6.9.1 sous-paragraphe 2 de l’accord d’entreprise du 10 mars 2017, le jugement entrepris étant confirmé sur ce point.

Sur la demande tendant à l’annulation du second alinéa «'astreinte avec veille éditoriale'» de l’article 6.3.1.1 de l’accord du 10 mars 2017':

L’article L 3121-1 du code du travail dispose':

«'La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.'»

L’article L 3121-9 du même code dispose':

«'Une période d’astreinte s’entend comme une période pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l’employeur, doit être en mesure d’intervenir pour accomplir un travail au service de l’entreprise.

La durée de cette intervention est considérée comme un temps de travail effectif.

La période d’astreinte fait l’objet d’une contrepartie, soit sous forme financière, soit sous forme de repos.

Les salariés concernés par des périodes d’astreinte sont informés de leur programmation individuelle dans un délai raisonnable.'»

Le syndicat SUD AFP soutient que l’astreinte avec veille éditoriale telle qu’elle est définie par l’accord du 10 mars 2017 doit être assimilée à du temps de travail effectif dans la mesure où les missions des journalistes concernés consistent à devoir suivre le cours de l’ensemble de l’actualité à

travers les différents outils de communication à leur disposition, de sorte que selon lui les actions demandées aux journalistes dans le cadre de leurs astreintes avec veille éditoriale renforcée correspondraient à leur mission habituelle.

Toutefois, si l’astreinte avec veille éditoriale recoupe en partie leur mission habituelle ainsi qu’il ressort également de certaines fiches de poste produites, elle ne saurait pour autant être assimilée à une période de temps de travail effectif alors qu’il s’agit d’une veille passive, l’indication de suivi actif de l’actualité à domicile évoquée au cours des négociations des partenaires sociaux n’ayant pas été maintenue lors de la finalisation de l’accord d’entreprise, et que les journalistes concernés n’exercent pas cette astreinte sur leur lieu de travail mais à leur domicile ou en tout autre lieu de leur choix au moyen de leur téléphone portable.

Dans ces conditions qui ne placent pas les intéressés à la disposition permanente et immédiate de leur employeur, il n’est pas établi qu’ils ne peuvent pas vaquer à leurs occupations personnelles durant la période de veille éditoriale.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a débouté le syndicat SUD AFP de sa demande tendant à l’annulation du second alinéa «'astreinte avec veille éditoriale'» de l’article 6.3.1.1 de l’accord du 10 mars 2017.

Sur la demande tendant à l’annulation du second sous-paragraphe de l’article 6.9.1 de l’accord du 10 mars 2017':

L’article L 2262-13 du code du travail dispose':

«'Il appartient à celui qui conteste la légalité d’une convention ou d’un accord collectif de démontrer qu’il n’est pas conforme aux conditions légales qui le régissent.'»

En vertu de cette règle de preuve applicable au litige, il appartient au syndicat SUD AFP de démontrer que la disposition conventionnelle critiquée n’est pas conforme aux dispositions légales qui la régissent.

Le syndicat SUD AFP soutient que la disposition en cause de l’accord du 10 mars 2017 prévoyant pour l’ensemble des journalistes le bénéfice du forfait annuel en jours est illicite, du fait qu’ils ne disposent pas de l’autonomie requise pour être éligibles au dispositif du forfait en jours, ce que contestent l’AFP et les syndicats signataires de l’accord.

L’article L 3121-53 du code du travail dispose que «'la durée du travail peut être forfaitisée en heures ou en jours dans les conditions prévues aux sous-sections 2 et 3 de la présente section'», l’article L 3121-54 du même code précisant en particulier que le forfait en jours est annuel.

Aux termes des dispositions de l’article L 3121-63, les forfaits annuels en heures ou en jours sur l’année doivent, préalablement à toute signature de convention individuelle en ce sens, être mis en place par un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche.

En application des dispositions de l’article L 3121-64, l’accord prévoyant la conclusion de conventions individuelles de forfait en heures ou en jours sur l’année doit notamment déterminer «'les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, dans le respect des articles L 3121-56 et L 3121-58'».

A cet égard, l’article L 3121-58 dispose':

«'Peuvent conclure une convention individuelle de forfait en jours sur l’année, dans la limite du

nombre de jours fixé en application du 3° du I de l’article L 3121-64':

1° Les cadres qui disposent d’une autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou de l’équipe auquel ils sont intégrés';

2° Les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps pour l’exercice des responsabilités qui leur sont confiées.'»

L’AFP souligne à plusieurs reprises le terme «'susceptibles'» figurant dans le 1° de l’article L 3121-64 précité pour en conclure que l’accord collectif instituant les conventions de forfaits en jours «'doit mentionner, notamment, les catégories de personnels susceptibles de pouvoir recourir à un tel forfait. Et non les catégories remplissant effectivement la condition d’autonomie'» et que «'les stipulations de l’accord collectif peuvent valablement recouvrir des catégories non autonomes, le contentieux ne pouvant porter que sur la validité des conventions individuelles'».

Mais contrairement à cette argumentation, le terme «'susceptibles'» est employé par le législateur pour rappeler qu’indépendamment même des dispositions de l’accord collectif instituant le forfait en jours, chaque salarié reste libre de conclure ou non une convention individuelle en ce sens. Une telle formulation ne dispense nullement les partenaires sociaux de respecter les dispositions d’ordre public de l’article L 3121-58 qui définissent les catégories de salariés pouvant conclure une convention individuelle de forfait en jours sur l’année.

Par ailleurs, s’il est exact qu’à l’article 29 de la convention collective nationale des journalistes «'les parties reconnaissent que les nécessités inhérentes à la profession ne permettent pas de déterminer la répartition des heures de travail'», le nombre de ces heures ne pouvant «'excéder celui que fixent les lois en vigueur sur la durée du travail'», néanmoins la spécificité des missions de l’AFP, définies par la loi, quant à la nature de l’information recherchée et transmise, son champ géographique et surtout son caractère continu, spécificité dont découle l’organisation du travail au sein de l’entreprise, ne peut être niée.

Enfin, il ne saurait être soutenu ni jugé que la distinction entre les journalistes de production et les journalistes des desks n’est pas pertinente dès lors qu’elle est faite par les partenaires sociaux tout au long des négociations qui ont conduit à la signature de l’accord d’entreprise du 10 mars 2017 et qu’elle ressort des termes mêmes dudit accord dans la mesure où l’article 6.6.1 fixant les principes généraux applicables à l’aménagement et à la réduction du temps de travail distingue les journalistes en production ou assimilés et les autres journalistes, ces derniers bénéficiant d’un dispositif d’ARTT tenant compte «'des contraintes spécifiques liées à l’organisation du travail du desk'».

S’agissant des journalistes de production, il ressort suffisamment des pièces versées aux débats que par-delà les directives de l’employeur et les fiches de poste les concernant, ils bénéficient en raison de la nature même des missions qui leur sont habituellement confiées d’une autonomie suffisante dans l’organisation de leur emploi du temps pour être éligibles au forfait en jours, peu important qu’ils soient également soumis aux obligations de veille et d’astreinte.

En revanche, s’agissant des journalistes travaillant dans les desks, il est amplement établi par les productions qu’ils sont obligés de respecter des plannings stricts, l’AFP reconnaissant elle-même page 40 de ses écritures que les journalistes des desks sont soumis à un planning de 7 heures de travail quotidien incluant une pause de 30 minutes rémunérée.

Si la circonstance que les journalistes des desks peuvent se voir ponctuellement confier des missions de production est avérée tout comme le souhait de l’employeur de favoriser la mobilité ' cependant peu développée dans les faits au regard des statistiques communiquées ' entre les missions desks et

celles de production, il n’en reste pas moins que durant la majeure partie de leur temps de travail sur l’année, les journalistes des desks, exerçant leurs missions en travail posté, sont astreints à des plannings incluant le temps de pause qui ne leur laissent quasiment aucune autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps.

A titre d’exemple, les journalistes du «'DeskFrance'», qu’ils aient choisi le forfait jours ou qu’ils soient au décompte horaire, voient en 2017 leurs vacations d’une durée identique pour tous de 7 heures fixées par le chef du desk, la pause d’une demi-heure étant à prendre «'au cours de la vacation et au plus tard 6 heures après le début'» (pièces n° 44 à 47 de l’appelant). Il en est de même pour ces journalistes en 2018, les horaires de prise et de fin de service étant «'ceux indiqués sur le tableau de service'» (pièce n° 137 de l’appelant).

Bien qu’elle procède du pouvoir de direction de l’employeur auquel sont soumis tous les salariés de l’entreprise, une telle contrainte dans l’organisation du travail est incompatible avec l’exigence d’autonomie des salariés bénéficiaires du forfait annuel requise par l’article L 3121-58 susvisé.

Dès lors, la disposition conventionnelle en cause n’est pas conforme à ce texte d’ordre public en ce qu’elle désigne en tant que bénéficiaires du forfait annuel en jours l’ensemble des journalistes de l’entreprise alors que parmi ceux-ci les journalistes des desks ne disposent pas de l’autonomie nécessaire dans l’organisation de leur emploi du temps.

Il importe peu à cet égard que la disposition conventionnelle critiquée recueille l’assentiment de la majorité des journalistes de l’entreprise, étant observé en tout état de cause qu’aucune corrélation sérieuse ne peut être faite entre l’application par voie d’accord du forfait jours aux journalistes et le résultat des élections de 2018 ou encore les réponses aux diverses enquêtes «'forfait jours'» effectuées au sein de l’AFP auxquelles la grande majorité des journalistes n’a pas participé.

En conséquence, infirmant sur ce point le jugement entrepris, il convient d’annuler le second sous-paragraphe de l’article 6.9.1 de l’accord d’entreprise AFP du 10 mars 2017, rédigé comme suit': «'l''ensemble des journalistes, compte tenu de l’autonomie qui est propre à l’exercice de leur métier'».

Enfin, il ne saurait être fait droit à la demande subsidiaire de l’AFP tendant à voir «'restreindre l’alinéa 2 de l’article 6.9.1 de l’accord d’entreprise AFP aux journalistes de production'», la cour ne pouvant se substituer aux partenaires sociaux pour modifier l’accord considéré.

Sur les frais irrépétibles et les dépens':

Les parties succombant toutes partiellement, chacune d’elles conservera la charge de ses propres dépens et il ne sera pas fait application de l’article 700 du code de procédure civile, la décision de première instance étant réformée en ce sens.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré recevable la demande du syndicat SUD AFP tendant à l’annulation du second sous-paragraphe de l’article 6.9.1 de l’accord du 10 mars 2017 et en ce qu’il a débouté le syndicat SUD AFP de sa demande tendant à l’annulation du second alinéa « astreinte avec veille éditoriale » de l’article 6.3.1.1 de l’accord du 10 mars 2017';

L’infirme pour le surplus de ses dispositions frappées d’appel';

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Annule le second sous-paragraphe de l’article 6.9.1 de l’accord d’entreprise AFP du 10 mars 2017, rédigé comme suit': «'l''ensemble des journalistes, compte tenu de l’autonomie qui est propre à l’exercice de leur métier'»';

Déboute l’AFP et les syndicats intimés de leurs demandes contraires';

Déboute l’AFP de sa demande subsidiaire tendant à voir «'restreindre l’alinéa 2 de l’article 6.9.1 de l’accord d’entreprise AFP aux journalistes de production'»';

Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel';

Laisse à chacune des parties la charge de ses dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

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Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 2, 19 septembre 2019, n° 18/07244