Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 13, 11 juin 2021, n° 19/05140

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 6 - ch. 13, 11 juin 2021, n° 19/05140
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 19/05140
Décision précédente : Tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris, 11 juin 2015
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 13

ARRÊT DU 11 Juin 2021

(n° , 7 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 19/05140 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B72HE

Décision déférée à la Cour, d’un jugement rendu le 12 juin 2015 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris

APPELANTE

Madame Q-R Y

née le […] à […]

[…]

[…]

comparante en personne, assistée de Me Géry WAXIN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0395 substitué par Me Stéphane APPIETTO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1632

INTIMEE

CPAM DE PARIS

Direction du contentieux et de la lutte contre la fraude

Pôle contentieux général

[…]

représentée par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 08 Avril 202, en audience publique et double rapporteur, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Laurence LE QUELLEC, Présidente de chambre, et Madame Bathilde CHEVALIER, Conseiller, chargées du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Laurence LE QUELLEC, Présidente de chambre

Madame Bathilde CHEVALIER, Conseillère

Monsieur Lionel LAFON, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier : MadameAlice BLOYET, lors des débats

ARRÊT :

— CONTRADICTOIRE

— prononcé

par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Madame Laurence LE QUELLEC, Présidente de chambre et Madame Alice BLOYET, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur saisine de Mme Q-R Y dans un litige l’opposant à la caisse primaire d’assurance maladie de Paris (la caisse), après cassation de l’arrêt RG S15/08536 rendu le 19 octobre 2017 par la cour d’appel de Paris, sur appel d’un jugement rendu le 12 juin 2015 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris.

FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

N Y a été engagé à compter du 24 septembre 2007 en qualité de surveillant de nuit qualifié par l’association Protection sociale de Vaugirard et a été affecté au foyer F G P.

Le vendredi 20 avril 2012 vers 16h45, alors qu’il finissait une période de congé et devait reprendre son poste le jour même à 22h00, Mme X chef de service l’a contacté téléphoniquement pour lui signifier de ne pas se présenter à son poste en lui indiquant qu’un entretien serait organisé avec la directrice le lundi suivant.

Dans la nuit du 22 au 23 avril 2012, N Y a mis fin à ses jours à son domicile en se défenestrant après s’être entaillé le corps avec un couteau.

Le 17 mars 2014, sa veuve Mme Q-R Y a adressé à la caisse une lettre portant pour objet ' déclaration d’accident de travail', puis le 6 mai 2014 elle a établi une déclaration d’accident du travail faisant état des circonstances suivantes : 'suicide au domicile la cause travail, suite à l’appel téléphonique de la chef de service le 20 avril 2012 à 16h45, interdiction de prendre son service le 20, 21 et 22 avril 2012 à 22 heures'.

Après enquête, la caisse a notifié le 23 juin 2014 à Mme Y sa décision de refus de prise en charge du décès au titre de la législation sur les risques professionnels, au motif que : 'Le décès survenu en dehors du temps et du lieu de travail ne peut bénéficier de la présomption d’imputabilité, par ailleurs les événements recueillis ne permettent pas d’établir l’origine professionnelle du décès'.

Après vaine saisine de la commission de recours amiable qui a rejeté son recours le 6 octobre 2014, Mme Y a porté le litige devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris qui, par jugement du 12 juin 2015, l’a déboutée de sa demande.

Par arrêt du 19 octobre 2017, la cour d’appel de Paris a confirmé le jugement entrepris.

Mme Y a formé un pourvoi contre cette décision.

Par arrêt du 24 janvier 2019, la Cour de cassation a 'cassé et annulé dans toutes ses dispositions l’arrêt rendu le 19 octobre 2017, entre les parties, par la cour d’appel de Paris; a remis en conséquence la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d’appel de Paris, autrement composée'.

Pour se déterminer ainsi, la Cour de cassation a retenu, au visa de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, que :

— Il résulte de ce texte qu’un accident qui se produit alors que le salarié ne se trouve plus sous la subordination juridique de l’employeur constitue un accident du travail, si l’intéressé établit qu’il est survenu par le fait du travail ;

— Pour rejeter le recours de Mme Y, l’arrêt retient que le vendredi 20 avril 2012 le salarié a reçu un appel téléphonique de son chef de service qui l’informait qu’il ne devait pas venir travailler les trois nuits du week-end jusqu’à un entretien avec la directrice qui rentrait de congés, et ce « pour un problème avec une résidente » ; qu’aucune faute ne peut être reprochée à la direction qui a pris une mesure élémentaire de protection des pensionnaires du foyer en urgence le vendredi en fin de journée, tout en organisant un entretien dès le lundi, que même si le ton du chef de service aurait été, selon les témoins familiaux, peu aimable, il pouvait être justifié par les faits, et que si les différents témoins attestent de l’état d’angoisse de M. Y après l’appel téléphonique, rien ne permet d’imputer celui-ci au travail plutôt qu’à la crainte d’avoir à se justifier de son propre comportement personnel ; que le salarié s’est suicidé deux jours après cet appel, et ne l’a fait que dans la nuit, la veille d’un entretien avec la directrice dont il connaissait le motif « incident avec une pensionnaire » ;

— En statuant ainsi, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé.

Mme Y a saisi la présente cour désignée comme juridiction de renvoi le 28 mars 2019.

Elle fait déposer et soutenir oralement par son représentant des conclusions aux termes desquelles elle demande à la cour de :

— La déclarer recevable et bien fondée en ses demandes,

Y faisant droit,

— Infirmer le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris en date du 12 juin 2015 en ce que ce jugement l’a déboutée de sa demande tendant à voir dire et juger que le suicide de Monsieur Y constitue un accident du travail relevant des articles L.411-1 et suivants du code de la sécurité sociale et condamner la caisse primaire d’assurance maladie de Paris à prendre en charge l’accident au titre de la législation professionnelle, et en ce que ce jugement l’a déboutée de sa demande formulée au titre de l’article 700 du code de procédure civile à l’encontre de la caisse primaire d’assurance maladie de Paris à hauteur de la somme de 3.000 euros ;

Et statuant à nouveau,

— Déclarer que le suicide de M. Y constitue un accident du travail relevant des articles L.411-1 et suivants du code de la sécurité sociale,

— Condamner la caisse primaire d’assurance maladie de Paris à prendre en charge l’accident au titre de la législation professionnelle,

— Condamner la caisse primaire d’assurance maladie de Paris à payer à Madame Y la somme de 3.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— Condamner la caisse primaire d’assurance maladie de Paris aux dépens.

Elle fait essentiellement valoir que :

— L’exposé par la cour d’appel des circonstances ayant entouré le geste suicidaire de M. Y faisait clairement ressortir son lien patent avec son activité professionnelle, comme l’a relevé la Cour de cassation ;

— La faute de l’employeur, écartée par la cour d’appel dans la motivation de son arrêt, n’est pas une condition de la reconnaissance du caractère professionnel d’un accident ;

— Elle établit par les pièces qu’elle produit qu’avant l’incident particulier survenu avec sa supérieure hiérarchique, le contexte général de travail au sein du foyer O G P était déjà difficile et que M. Y se plaignait déjà du comportement de Mme X à son égard ;

— L’appel téléphonique du 20 avril 2012 à 16h45 est directement à l’origine du suicide de M. Y ; Mme X lui a alors subitement ordonné, de manière particulièrement agressive, de ne pas se présenter à son poste de travail pour les trois prochaines nuits et l’a informé de sa convocation par la directrice de l’établissement le lundi suivant ; qu’il l’a alors rappelée pour demander davantage d’explications et il lui a été répondu qu’il avait rencontré 'un problème’ avec l’une des résidentes ; après avoir tenté de rencontrer sa supérieure en se rendant immédiatement au foyer O G P avec son épouse, il est revenu à son domicile où il s’est trouvé dans un état d’angoisse et d’abattement particulièrement aigu qui s’est dégradé au fil des heures ; il n’a pas dormi les deux nuits suivantes ne pouvant surmonter cet état d’angoisse extrême et s’est finalement suicidé dans la nuit du 22 au 23 avril, soit un peu plus de 48 heures après les entretiens téléphoniques avec sa supérieure ;

— M. Y a mis fin à ses jours de manière particulièrement violente en s’automutilant avec un couteau puis en se défenestrant ce qui démontre le caractère désespéré et incontrôlable de son acte ;

— Les conversations avec Mme X se sont déroulées en présence de Mme Y, de Mme Z une amie de la famille et de Mme A sa belle-fille qui témoignent de l’agressivité de la supérieure hiérarchique ; cet entretien a été confirmé par Mme X lors de l’enquête administrative ; d’autres membres de son entourage ont témoigné de l’état de détresse psychologique dans lequel il se trouvait les deux jours précédant son suicide alors que son caractère est habituellement enjoué et rieur ;

— Il résulte de ces éléments que le décès de M. Y est bien survenu par le fait de son activité professionnelle au sens de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale ;

— M. Y ne souffrait d’aucun antécédent dépressif ou psychiatrique comme le démontrent les témoignages de son entourage ;

— L’employeur a violé les règles de protection du salarié en matière de mesure disciplinaire en prononçant verbalement une mise à pied disciplinaire immédiate par téléphone et en lui interdisant de se rendre sur son lieu de travail durant trois jours ; cette mesure disciplinaire a été prise sur la base d’un simple appel téléphonique d’un éducateur informant la direction d’une difficulté avec une résidente ; aucune vérification préalable n’a été effectuée sur le caractère fondé ou non des faits reprochés au salarié avant de le mettre à pied à titre conservatoire ;

— Cette violation de ses droits a renforcé le trouble psychologique subi par M. Y et confirme l’origine professionnelle de son décès.

Par ses conclusions écrites déposées et soutenues oralement à l’audience par son conseil, la caisse primaire d’assurance maladie de Paris demande à la cour de confirmer le jugement du 12 juin 2015 et

en conséquence de débouter Mme Y de toutes ses demandes, exposant en substance que :

— Le suicide de M. Y s’est produit à son domicile de sorte que la présomption d’imputabilité n’a pas vocation à s’appliquer ; aucun événement ne s’est produit le 22 avril 2012 qui aurait pu entraîner son passage à l’acte alors qu’il n’avait pas travaillé depuis une semaine ;

— Il a été porté à la connaissance de Mme X, chef de service, le 20 avril 2012 qu’une résidente du foyer, qui accueille des personnes en situation de handicap mental, avait fait part de ses craintes d’être enceinte suite à des relations sexuelles qu’elle avait eues avec le veilleur de nuit s’avérant être M. Y ; pour assurer la sécurité de sa résidente, Mme X a pris en urgence les mesures qui s’imposaient en demandant à M. Y de ne pas prendre son poste de travail dans l’attente du retour de congé de la directrice du foyer le 23 avril 2012 ;

— L’employeur n’a fait qu’exercer son pouvoir d’organisation et de direction de l’entreprise ; la qualification de mise à pied et la question du respect de la procédure disciplinaire ressortent de la compétence du conseil des prud’hommes ;

— S’agissant d’une conversation téléphonique brève, les témoins qui attestent dans la procédure ne peuvent l’avoir entendue ;

— L’état de détresse psychologique résultant de cette conversation téléphonique n’a pas été médicalement constaté et n’est justifié que par les dires de sa famille et de ses amis; il apparaît excessif d’imputer le suicide du salarié à une simple conversation téléphonique d’autant que celui-ci ne présentait aucun antécédent psychiatrique ou dépressif ;

— L’inspection du travail saisie par Mme Y a mené une enquête et a conclu qu’elle ne pouvait établir de lien entre le suicide de l’assuré et ses conditions de travail.

Il est fait référence aux écritures visées à l’audience du 8 avril 2021 pour plus ample exposé des moyens développés.

SUR CE :

Il résulte de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale que constitue un accident du travail un événement ou une série d’événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l’occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle, que celle-ci soit d’ordre physique ou psychologique.

Il appartient au salarié qui prétend avoir été victime d’un accident du travail d’établir par tous moyens les circonstances exactes de l’accident et son caractère professionnel par des éléments objectifs autres que ses seules allégations.

Un accident qui se produit à un moment où le salarié ne se trouve plus sous la subordination de l’employeur constitue un accident du travail dès lors qu’il est établi qu’il est survenu par le fait du travail.

La qualification d’accident du travail peut être retenue en cas de lésion psychologique (2e Civ., 1er juillet 2003, n°02-30.576, Bull. n°218'; 2e Civ., 2 avril 2015, n° 14-11-512), notamment si celle-ci est imputable à un événement ou à une série d’événements survenus à des dates certaines (2e Civ., 24 mai 2005, n°03-30.480, Bull. N°132).

En l’espèce, il est constant qu’N Y a mis fin à ses jours à son domicile le 22 avril 2012, alors qu’il ne se trouvait pas sous la subordination de son employeur. Il est décédé le 23 avril 2012.

La présomption d’imputabilité au travail du décès survenu le 23 avril 2012 ne trouve donc pas à

s’appliquer.

Pour établir que le décès de son époux est survenu par le fait du travail, Mme Y verse aux débats les attestations des personnes témoins de l’état psychologique de son époux lors de l’appel téléphonique et dans les jours qui ont suivi :

— L’attestation de Mme H Z (pièce n°15) amie de la famille qui se trouvait à leur domicile au moment de l’appel téléphonique de Mme X et qui témoigne que :

'Le vendredi 20 avril 2012 dans l’après-midi je me trouvais au domicile des époux Y, l’ambiance était très chaleureuse, conviviale et remplie de rires comme toujours.

Soudain à 16h40, 16h45, un appel téléphonique a perturbé cette ambiance. N Y a reçu sur son portable un appel émanant de sa chef de service. (…)

L’appel téléphonique a été de lui dire de ne pas prendre son service à 22 heures ce 20 avril ainsi que le 21 et 22 avril 2012 soit disant un changement de planning.

Surpris de ce changement de planning 5 heures avant sa prise de poste, il demanda Pourquoi’ La personne ne laissait pas s’exprimer N Y.

On entendait une voix agressive, un ton brutal et fort qui résonnait. La communication a duré à peine 5 minutes puisque la personne a raccroché.

Souhaitant en savoir plus, choqué, N Y dit à son épouse Je rappelle. Aussitôt il a de nouveau sa chef de service au téléphone. Il demanda d’avoir plus de précisions. Sur un ton violent et fort elle lui a répondu 'ce changement de planning est dû à un problème que vous avez eu avec une résidente. Je vous redis il vous est interdit de venir sur les lieux et de prendre contact avec vos collègues et résidents et résidentes du foyer. Au revoir.'

'A partir de là j’ai constaté que N Y était accablé par les dures accusations de la chef de service.

Quand j’ai quitté le domicile des époux Y, j’étais soucieuse de voir N Y accablé, détruit moralement' ;

— L’attestation de Mme I A, (pièce n°16), fille de Mme Y qui était également présente lors de l’appel téléphonique de Mme B ordonnant M. Y de ne pas se présenter le soir-même à son travail et qui précise que son beau-père 'était sans voix, étonné et ne comprenait pas ce qui arrivait', qu’après l’appel il 'était dans l’incompréhension de l’ordre qui lui avait été donné de ne pas venir au travail. Ses mots: 'Je ne comprends pas… pourquoi '… vous croyez que j’ai oublié de me présenter à mon travail une fois ' C’est la première fois dans toute ma carrière professionnelle que mon employeur appelle à la maison… je ne comprends pas'. Elle ajoute qu’il a cherché toute la soirée et le week-end ce qui lui était reproché. Elle précise qu’N Y avait pu lui confier les mauvaises relations qu’il entretenait avec Mme B dont les propos déplacés et les reproches exprimés en public à son égard lui faisaient honte.

— L’attestation de Mme J K (pièce n°18), amie de la famille qui déclare avoir rendu visite à N Y le 21 avril 2012 et avoir constaté à cette occasion sa détresse, indiquant qu’il 'était effondré et dans l’incompréhension totale suite à l’appel qu’il avait reçu de son employeur qui lui interdisait de travailler. Sans même le convoquer pour lui donner des explications. Il était désemparé' ;

— L’attestation de Mme L Y (pièce n°19), belle soeur de M. Y qui déclare l’avoir reçu à son domicile avec Mme Y le 22 avril et l’avoir trouvé ' anéanti, les traits fatigués, dans une grande souffrance morale et physique et dans un grand désarroi ce qui n’était pas le reflet de sa personnalité habituelle.' Elle indique qu’N Y lui a expliqué avoir reçu l’appel téléphonique de sa chef de service le 20 avril à 16h45 lui indiquant de ne pas prendre son poste de travail le soir même et qu’il ne comprenait pas ce qui lui était reproché ' alors qu’il aimait son travail, en parlait avec beaucoup d’éloges respectueux envers tout le monde' ;

— L’attestation de Mme M E (pièce n°17), la soeur de Mme Y qui a parlé au téléphone à N Y le 22 avril à 21 heures et qui lui est alors apparu fort contrarié et choqué. Il lui a expliqué la teneur de l’appel téléphonique reçu le 20 avril 2012 qu’il ne comprenait toujours pas et qu’il vivait comme une humiliation. Elle indique qu’N Y se plaignait du comportement de sa chef de service à son égard depuis quelques temps, évoquant ses réflexions désobligeantes et ses humiliations en public.

La matérialité de l’appel téléphonique de Mme X à N Y le 20 avril 2012 est établie par l’audition de Mme C, directrice de l’établissement lors de l’enquête de police (pièce n°3 de la caisse) et lors de l’enquête de la caisse (pièce n°14 de l’appelante).

Lors de cette enquête, Mme X a également confirmé avoir contacté N Y le 20 avril par téléphone pour lui demander de ne pas se présenter sur son lieu de travail le soir même ainsi que le lendemain et le surlendemain soir et pour l’informer qu’il devrait se présenter au foyer de la fondation O G le lundi 23 avril 2012 à 13h30 pour être reçu par la directrice Mme C, 'en raison d’un problème soulevé par l’une des résidentes'.

L’enquêteur conclut que :

'Il apparaît que l’assuré s’est volontairement blessé dans le but de mettre fin à ses jours, le 22 avril 2012, en fin de journée, alors qu’il se trouvait à son domicile, en dehors de ses heures de travail.

Il est décédé des suites de ses blessures le 23 avril 2012, à l’hôpital Georges Pompidou de Paris.

Il est toutefois nécessaire de préciser que cet événement s’est produit après que l’assuré ait été informé, par sa responsable hiérarchique directe, le 20 avril 2012 (soit deux jours avant les faits), qu’il était dispensé d’activité jusqu’au 23 avril inclus, jour où il devrait se présenter sur son lieu de travail, pour un entretien avec la directrice du foyer de la fondation O G, afin de s’expliquer sur 'un problème’ qu’il aurait eu avec l’une des résidentes du foyer.'

Cet appel téléphonique de Mme X survenu le 20 avril 2012 est un événement soudain qui est survenu à une date certaine.

Il résulte des divers témoignages produits par l’appelante que l’état psychologique d’N Y s’est dégradé dans les suites immédiates de cet appel, qui a généré chez lui un état d’anxiété très important, le laissant alors 'accablé, détruit moralement' selon Mme Z, 'dans l’incompréhension', le poussant à ' chercher toute la soirée et le week-end ce qui lui était reproché' selon Mme A.

Cette détresse psychologique sera encore constatée le 21 avril par Mme D qui le décrit comme, ' désemparé', 'effondré et dans l’incompréhension totale suite à l’appel qu’il avait reçu de son employeur qui lui interdisait de travailler'.

Le 22 avril, sa belle-soeur Mme Y constate qu’il est 'anéanti, les traits fatigués, dans une grande souffrance morale et physique et dans un grand désarroi', ce qui est confirmé par Mme E qui lui parlera au téléphone le 22 avril à 21 heures et le décrit comme 'fort contrarié et choqué' quand il lui explique la teneur de l’appel téléphonique reçu le 20 avril 2012.

Il résulte ainsi de ces éléments convergents que l’élément déclencheur du suicide d’N Y a été l’appel téléphonique de sa responsable lui demandant de ne pas se présenter sur son lieu de travail et le convoquant à un entretien avec la directrice le lundi suivant, de sorte que son décès présente un lien certain avec son travail et que Mme Y établit que le décès de son époux est survenu par le fait du travail, justifiant ainsi la reconnaissance de son caractère professionnel.

En conséquence, et par infirmation du jugement déféré, il y a lieu de dire que le suicide d’N Y survenu dans la nuit du 22 au 23 avril 2012 constitue un accident du travail et que son décès doit être pris en charge au titre de la législation professionnelle.

La caisse primaire d’assurance maladie de Paris qui succombe en ses prétentions sera condamnée à verser à l’appelante une somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

Vu l’arrêt de la Cour de cassation en date du 24 janvier 2019, pourvoi n° D 17-31.282,

INFIRME le jugement déféré

Statuant à nouveau :

DIT que le suicide d’N Y survenu dans la nuit du 22 au 23 avril 2012 constitue un accident du travail ;

DIT que cet accident doit être pris en charge au titre de la législation professionnelle ;

CONDAMNE la caisse primaire d’assurance maladie de Paris à payer à Mme Q-R Y la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNE la caisse primaire d’assurance maladie de Paris aux dépens d’appel.

La greffière, La présidente

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