Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 9, 16 décembre 2021, n° 21/13505

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Chronologie de l’affaire

Commentaires4

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Caroline Coupet · Bulletin Joly Sociétés · 1er mars 2024
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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 5 - ch. 9, 16 déc. 2021, n° 21/13505
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 21/13505
Décision précédente : Tribunal judiciaire de Paris, 5 juillet 2021, N° 20/04453
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 9

ARRET DU 16 DECEMBRE 2021

(n° , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/13505 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CECVD

Décision déférée à la Cour : Ordonnance rendue le 06 Juillet 2021 par le juge de la mise en état du Tribunal Judiciaire de PARIS – RG n° 20/04453

APPELANTES

S.A. RENAULT

RCS de NANTERRE n° 441 639 465

[…]

[…]

S.A.S. RENAULT

RCS de NANTERRE n° 533 941 113

[…]

[…]

Représentées par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477, avocat postulant et plaidant

Représentées par Me Yves SCHMIDT et Me François GAGEY, avocat au barreau de PARIS, toque R.145, avocats plaidants

INTIMES

Monsieur B X A

né le […] à […]

Résidence X – 9 rue du Liban – Achrafieh

[…]

Représenté par Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018, avocat postulant et plaidant

Représenté par Me Frank MARTIN LAPRADE, avocat au barreau de PARIS, toque : T04, avocat plaidant

S.A. GENERALI VIE

[…]

[…]

Représentée par Me Emmanuel JARRY de la SELARL RAVET & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0209, avocat postulant

Représentée par Me Frank WISMER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0107, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 04 novembre 2021, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Sophie MOLLAT, Présidente

Madame Isabelle ROHART, Conseillère

Madame Déborah CORICON, Conseillère

qui en ont délibéré

GREFFIER : Madame FOULON, lors des débats

ARRET :

— contradictoire

— rendu par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Madame Sophie MOLLAT, Présidente et par Madame FOULON, Greffière .

**********

Exposé des faits et de la procédure

Monsieur X né en 1954 était PDG de Renault lorsqu’il a été arrêté et détenu au Japon à compter du 19.11.2018 pour des motifs de poursuite pénale et a été contraint de cesser toutes ses fonctions de dirigeant au sein de la SA RENAULT et de la SAS RENAULT.

Monsieur X considérant que cette brusque cessation de fonctions intervenue pour des raisons indépendantes de sa volonté s’est traduite par une admission à la retraite à l’âge de 64 ans, a demandé à percevoir les régimes de retraite supplémentaire contractés à son profit par les sociétés RENAULT SA et RENAULT SAS auprès de la SA GENERALI VIE s’agissant:

— d’un régime de retraite à cotisation définie pour un montant annuel de 15.000 euros environ

— d’un régime de retraite à prestations définies additif pour un montant annuel de 770.000 euros environ qui est soumis à diverses conditions dont celle d’achèvement de la carrière du bénéficiaire

éventuel dans l’entreprise.

Le groupe RENAULT a refusé la liquidation des deux régimes de retraite, contestant la thèse du départ à la retraite de Monsieur X A s’agissant du régime de retraite à cotisations définies et contestant les conditions de départ de l’entreprise de Monsieur X s’agissant de la liquidation du régime de retraite à prestations définies.

Monsieur X a fait assigner les sociétés RENAULT SA et RENAULT SAS ainsi que la SA GENERALI VIE devant le tribunal judiciaire de PARIS pour voir enjoint aux sociétés RENAULT d’accomplir auprès de GENERALI VIE les formalités nécessaires au versement de la rente viagère annuelle afférente à chacun des deux régimes de retraite supplémentaire et pour obtenir les sommes correspondantes avec effet rétroactif à compter du 1er juin 2019.

Il y a lieu de préciser que Monsieur X a également saisi d’autres juridictions afin de liquider l’ensemble des conséquences financières de ce qu’il considère comme sa mise à la retraite pour des raisons indépendantes de sa volonté s’agissant:

— du tribunal de commerce de NANTERRE pour obtenir la condamnation de RENAULT SA à lui payer deux éléments de sa rémunération en qualité de PDG s’agissant de sa part différée de rémunération variable annuelle payable en actions RENAULT SA pour les exercices 2014 à 2017 et de sa rémunération variable à long terme différée versée sous forme d’actions dites de performance au titre des plans d’attribution d’actions RENAULT SA dont il se dit bénéficiaire pour les exercices 2015 à 2018

— le conseil des prud’hommes de Boulogne Billancourt pour obtenir le versement d’une indemnité de départ en retraite d’un montant de 249.999 euros au titre de la rupture de son contrat de travail.

Les sociétés RENAULT ont soulevé devant le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de PARIS, par des conclusions d’incident, une exception d’incompétence du tribunal judiciaire au profit du tribunal de commerce de NANTERRE et subsidiairement que soit prononcé un sursis à statuer dans l’attente de l’issue de la procédure pénale en cours devant le tribunal judiciaire de NANTERRE ouverte le 12.02.2020.

Par ordonnance en date du 6.07.2021 le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de PARIS a rejeté l’exception d’incompétence soulevée en retenant que la juridiction était exclusivement compétente pour connaitre du litige de retraites complémentaires sous forme de rentes viagères annuelles relevant d’un régime d’assurances collectives, que dans le cas soumis au tribunal l’assuré avait un droit d’action direct de nature contractuelle vis à vis de l’assureur dans le cadre d’un mécanisme de stipulation pour autrui, que ledits droits ne pouvaient relever du seul pouvoir d’appréciation de l’employeur et ne relever que de clauses conventionnelles avec celui ci, qu’il importait peu que les droits de l’assuré proviennent de délibérations de conseils d’administration de sociétés commerciales, que le litige est relatif à des conventions d’assurance collective qui constituent des contrats d’assurance-vie reposant sur la notion de prévoyance et dépourvus de touts critères de commercialité, qu’enfin les dispositions de l’article L 721-3 3° sont inapplicables à ces contrats qui ont été souscrits en application de la règle de la stipulation pour autrui au profit d’un interlocuteur contractuel ayant le statut de salarié, et non de commerçant, les contrats ne pouvant donc constituer par nature des actes de commerce.

Le juge de la mise en état a rejeté la demande de sursis à statuer indiquant que l’adage suivant lequel 'le criminel tient le civil en l’état’ ne s’applique que pour l’action civile adossée à l’action publique, et donc ne s’applique pas en l’espèce, que la demande de sursis à statuer doit s’apprécier en application des articles 378 et 379 du code de procédure civile, que cette demande repose sur une procédure pénale venant d’être engagée et dont le terme est très incertain, ne permettant pas que la cause soit entendue de manière équitable dans un délai raisonnable.

Les sociétés RENAULT ont formé appel de l’ordonnance du conseiller de la mise en état par déclaration d’appel du 30.07.2021.

Par ordonnance en date du 2.08.2021 le délégué de Monsieur le Premier Président a fixé l’affaire pour être plaidée à jour fixe à l’audience du 4.11.2021.

Aux termes de leurs conclusions les sociétés RENAULT demandent à la cour au principal de les déclarer recevables et bien fondées dans leur appel, d’infirmer l’ordonnance et que la cour déclare le tribunal judiciaire de PARIS matériellement incompétent pour statuer sur les demandes dont l’a saisi Monsieur X au profit du tribunal de commerce de NANTERRE.

Elles demandent sa condamnation à leur verser la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

A titre subsidiaire elles demandent à la cour de surseoir à statuer dans l’attente de l’issue de la procédure pénale en cours.

En réponse aux exceptions de caducité et d’irrecevabilité de la déclaration d’appel elles indiquent contester les moyens développés au soutien de cette demande par l’intimé exposant qu’elles ont parfaitement respecté les formes spéciales prévues dans le cas d’un appel d’une décision statuant sur la compétence et devant passer par le circuit d’une assignation à jour fixe.

Les sociétés RENAULT soutiennent que c’est à tort que le premier juge a retenu que le litige relevait du droit des assurances alors que le litige porte exclusivement sur le régime de retraite supplémentaire à prestations définies.

Elles précisent en effet qu’elles ne contestent pas les demandes de Monsieur X concernant la liquidation du régime de retraite à cotisations définies, que GENERALI a simplement besoin d’informations complémentaires afin de finaliser la constitution du dossier de liquidation des droits à la retraite de Monsieur X, information que lui seul peut communiquer à l’assureur, et exposent que ces demandes n’auraient pas du être portées devant un tribunal.

Elles indiquent, s’agissant de la liquidation du régime de retraite à prestations définies, que le litige oppose une société commerciale à son ancien dirigeant, porte sur les conditions d’exécution d’un engagement conditionnel de retraite supplémentaire pris par RENAULT à l’égard de son dirigeant social et ne porte pas sur la convention d’assurance conclue entre RENAULT et GENERALI.

Elles concluent que le litige relève de la seule compétence du tribunal de commerce en application de l’article L 721-3 2° du code de commerce et excluent l’existence d’une stipulation pour autrui en relation avec le contrat conclu avec GENERALI, celui ci au regard des termes du contrat ne donnant aucunement à Monsieur X un droit de créance direct vis à vis de l’assureur.

Elles exposent qu’au moment de son départ Monsieur X ne remplissant pas la condition d’achèvement de sa carrière au sein de l’entreprise, le conseil d’administration a constaté lors de sa séance du 3.04.2019 qu’aucune rente ne pouvait lui être versée au titre de ce régime de retraite.

Elles soutiennent que les délibérations sociales par lesquelles une société commerciale nomme, révoque, octroie ou dénie des éléments de rémunération ou des avantages de toute nature à son dirigeant social sont des actes de commerce justifiant ainsi de plus fort la compétence du tribunal de commerce.

Enfin elles exposent que le renvoi devant le tribunal de commerce de Nanterre évitera une contrariété de décision puisque la question posée est relative aux conditions dans lesquelles les fonctions de mandataire social de Monsieur X ont pris fin.

Sur le sursis à statuer elles exposent qu’une condamnation pénale de Monsieur X pour des malversations financières au préjudice de RENAULT pourrait justifier le prononcé de la nullité ou de la caducité des obligations dont Monsieur X demande aujourd’hui l’exécution, pour erreur ou dol ayant vicié le consentement de la société au moment où elle a accordé à son dirigeant le bénéfice d’une retraite supplémentaire ou pour absence de cause, que les faits révélés par la procédure pénale sont susceptibles d’exercer une influence décisive sur la solution de l’action engagée par Monsieur X devant le tribunal judiciaire de PARIS, qu’en outre en l’absence d’un tel sursis elles seraient privées du droit d’invoquer par voie d’action la nullité des engagements litigieux du fait de l’écoulement de la prescription.

Elles contestent l’argument du délai raisonnable en soulignant que c’est Monsieur X lui même qui est à l’origine de l’allongement de la durée de la procédure pénale puisqu’il refuse de se rendre aux convocations des juges d’instruction dans la mesure où il est recherché par Interpol.

Aux termes de ses conclusions signifiées par voie électronique le 29.10.2021 la SA GENERALI VIE demande à la cour:

— de la dire recevable et bien fondée en son appel incident

— y faisant droit

— d’infirmer l’ordonnance du juge de la mise en état du 6 juillet 2021 en ce qu’elle a motivé le rejet de l’exception d’incompétence d’attribution sur l’existence d’une stipulation pour autrui entre GENERALI, RENAULT et Monsieur X et d’un droit d’action direct de nature contractuelle au règlement des prestations convenues vis à vis de l’assureur, conduisant à ce que les motifs donnés, de droit ou de fait, sont impropres à justifier légalement la solution adoptée au regard du droit applicable, aboutissant à la violation de la loi et la dénaturation des termes du contrat conclu entre GENERALI et RENAULT

— et statuant à nouveau

— de substituer la motivation critiquée en se prononçant sur la compétence matérielle du tribunal judiciaire de Paris au regard de l’article L 721-3- 2° et 3° du code de commerce

— de lui donner acte qu’elle s’en rapporte à l’appréciation souveraine de la cour quant à la détermination du tribunal compétent sur le fondement exclusif des dispositions de l’article L 721 3 2° et 3° du code de commerce

— de rejeter toute demande de condamnation au titre des frais et dépens.

Elle expose que la retraite supplémentaire à prestations définies ne constitue pas une stipulation pour autrui dans la mesure où aucune prestation n’est convenue entre l’organisme assureur et les bénéficiaires, l’objet du contrat étant uniquement de garantir l’engagement pris par l’entreprise envers des bénéficaires une fois que celle ci le leur a octroyé, que l’entreprise peut à tout moment modifier ou supprimer son engagement unilatéral, qu’il n’existe donc pas un droit d’action direct pour Monsieur X de nature contractuelle au règlement des prestations convenues vis à vis de l’assureur.

Elle précise que le bénéficiaire du régime ne dispose d’une créance contre l’organisme assureur qu’à compter de l’émission par celui-ci d’un titre de rente viagère supposant au préalable que l’entreprise ait validé le principe du versement d’une rente.

Elle souligne qu’en l’espèce Monsieur X ne tire aucun droit du contrat d’assurance qui lie RENAULT et GENERALI s’agissant des contrats de retraite à prestations définies, que RENAULT

doit expressément stipuler que le bénéficiaire entre dans le champ d’application du contrat d’assurance, ce qui n’est pas le cas en l’espèce et ce qui est le motif du litige, et conclut que le juge de la mise en état a dénaturé les stipulations contractuelles dans la motivation de sa compétence matérielle en retenant l’existence d’une stipulation pour autrui.

Aux termes de ses conclusions Monsieur X demande à la cour:

— à titre principal de déclarer irrecevables les moyens soulevés par les sociétés RENAULT SA et RENAULT SAS dans le cadre de leurs conclusions d’appel en date du 30.07.2021 et les pièces versées à leur soutien ainsi que les prétentions élevées par ces sociétés au sein de leur requête aux fins d’être autorisées à assigner à jour fixer en date du 30.07.2021

— de déclarer caduc ou à défaut irrecevable l’appel interjeté par les sociétés RENAULTS SA et RENAULT SAS à l’encontre de l’ordonnance du juge de la mise en état du Tribunal Judiciaire de PARIS en date du 6 juillet 2021

— de déclarer n’être valablement saisie d’aucune demande et en conséquence de rejeter l’appel

— à titre subsidiaire

— de confirmer l’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de PARIS en date du 6 juillet 2021 en toutes ses dispositions et plus particulièrement en ce qu’elle a:

* rejeté l’exception d’incompétence d’attribution ainsi que la demande de sursis à statuer formées par les sociétés RENAULT SAS et RENAULT SA

* condamné la société RENAULT SAS et la société RENAULT SA à payer au profit de Monsieur B X une indemnité de 2500 euros en dédommagement de ses frais irrépétibles prévues à l’article 700 du code de procédure civile

* rejeté le surplus des demandes des parties,

* condamné la société RENAULT SAS et la société RENAULT SA aux entiers dépens de la procédure d’incident contentieux de mise en état

* réservé les autres dépens de l’instance

— dans tous les cas

* de rejeter toutes autres demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires soulevées par les sociétés RENAULT SA, RENAULT SAS et GENERALI VIE

* de condamner les sociétés RENAULT SA, RENAULT SAS et GENERALI VIE chacun au paiement de la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

— de condamner les sociétés RENAULT SA, RENAULT SAS et GENERALI VIE aux entiers dépens.

Il soulève la caducité ou à défaut l’irrecevabilité de l’appel en application des articles 83 à 85 du code de procédure civile et de l’article 918, exposant que selon cet article relatif à la procédure à jour fixe la requête présentée doit contenir les conclusions sur le fond et viser les pièces justificatives, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Subsidiairement il demande la confirmation de l’ordonnance du juge de la mise en état en exposant

que le tribunal judiciaire est compétent compte tenu du fait qu’il est saisi de la seule mise en oeuvre d’une convention d’assurance groupe dont lui même est bénéficiaire, compte tenu de la stipulation pour autrui découlant du contrat de retraite conclu par les sociétés Renault avec la société Generali qui lui donne un droit de créance direct sur l’assureur.

Il fait valoir que sa demande portée devant le tribunal judiciaire ne porte pas sur l’exécution des délibérations du conseil d’administration de Renault ayant autorisé l’octroi du bénéfice conditionnel d’une retraite supplémentaire à prestations définies puis ayant constaté qu’il ne remplissait pas les conditions pour en bénéficier, mais sur la seule mise en oeuvre de la convention d’assurance groupe à raison de la stipulation pour autrui conclue par Renault avec Generali et dont il est bénéficiaire.

Il conteste que l’acte litigieux soit un acte de commerce et souligne que lui même n’a pas la qualité de commerçant de telle sorte que la compétence du tribunal de commerce ne peut lui être opposée, puisqu’il dispose d’une option de compétence, et soutient qu’aucun des arguments soulevés par les sociétés RENAULT SA et SAS ne permet d’établir le caractère commercial de la décision prise par elles aux fins de lui refuser le bénéfice du régime collectif de retraite supplémentaire à prestations définies.

Il fait valoir que la jurisprudence est constante en matière de contrats d’assurance collective conclus par les entreprises au profit de leurs cadres dirigeants laquelle confie le règlement des litiges y afférents à la juridiction de droit commun à l’exclusion des juridictions d’exception.

Il s’oppose au sursis à statuer.

Il demande en conséquence la confirmation de l’ordonnance rendue.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la caducité et l’irrecevabilité de la déclaration d’appel

Lorqu’il est fait appel d’une décision statuant sur la compétence l’article 84 prévoit dans son dernier alinéa qu' en cas d’appel l’appelant doit à peine de caducité de la déclaration d’appel, saisir dans le délai d’appel, le premier président en vue, selon le cas, d’être autorisé à assigner à jour fixe ou de bénéficier d’une fixation prioritaire de l’affaire.

L’article 85 dispose qu' outre les mentions prescrites selon le cas par les articles 901 ou 933 la déclaration d’appel précise qu’elle est dirigée contre un jugement statuant sur la compétence et doit, à peine d’irrecevabilité, être motivée, soit dans la déclaration elle-même, soit dans des conclusions jointes à cette déclaration.

Nonosbant toute disposition contraire l’appel est instruit et jugé comme en matière de procédure à jour fixe si les règles applicables à l’appel des décisions rendues par la juridiction dont émane le jugement frappé d’appel imposent la constitution d’avocat ou, dans le cas contraire, comme il est dit à l’article 948.

L’article 918 dispose que la requête doit exposer la nature du péril, contenir les conclusions sur le fond et viser les pièces justificatives. Une expédition de la décision ou une copie certifiée conforme par l’avocat doit y être jointe.

Copie de la requête et des pièces doit être remise au premier président pour être versée au dossier de la cour.

En l’espèce les sociétés RENAULT ont:

— formé appel le 30.07.2021 à 14h42 en joignant à leur déclaration d’appel et en application des dispositions de l’article 85 le texte de la déclaration d’appel précisant qu’elle était dirigée contre un jugement statuant sur la compétence, et leurs conclusions

— et ont saisi le même jour à 14h48 le premier président d’une requête afin d’être autorisées à assigner à jour fixe en joignant les conclusions au fond visant les pièces justificatives, outre une copie de la décision conformément aux dispositions de l’article 918.

La requête a été également déposée sous format papier devant le premier président et était accompagnée des conclusions et des pièces justificatives dont la décision de première instance.

En conséquence la déclaration d’appel est recevable comme ayant respectée les formes prévues tant par l’article 85 que par les articles 901 et 918 du code de procédure civile et il convient de rejeter tant le moyen de caducité que le moyen d’irrecevabilité soulevés par Monsieur X.

Sur la compétence

L’article L 721-3 2° du code de commerce dispose que les tribunaux de commerce connaissent des contestations relatives aux sociétés commerciales.

Il est de jurisprudence constante que le tribunal de commerce est compétent concernant les litiges relatifs aux relations entre la société commerciale et son dirigeant, que ce soit à l’occasion de la rupture des relations, ou concernant d’éventuelles fautes de gestion ou s’agissant des litiges concernant le versement des rémunérations, peu important que le dirigeant n’ait pas eu la qualité de commerçant (Cour de cassation chambre commerciale 27.10.2009).

En l’espèce les parties s’accordent sur le déroulement de la carrière de Monsieur X s’agissant:

— d’un recrutement de Monsieur X en qualité de directeur général adjoint salarié en 1996

— d’une nomination de Monsieur X en qualité de directeur des opérations de NISSAN puis d’une nomination en qualité de directeur général en 1999 puis de président-directeur général en 2001

— d’une nomination en qualité d’administrateur de RENAULT SA le 26.04.2002

— d’une nomination en qualité de directeur général de RENAULT SA et de président de RENAULT SAS le 29.04.2005.

Les parties s’opposent sur l’existence d’un contrat de travail: Monsieur X soutient qu’il a conservé un statut de salarié sans cependant verser aux débats son contrat de travail, alors que RENAULT soutient qu’il a été mis fin audit contrat de travail lorsqu’il a été nommé directeur général de NISSAN.

Cependant cette discussion n’a pas d’incidence sur la décision à prendre dans la mesure où il ressort des éléments versés aux débats que c’est dans le cadre de son mandat de dirigeant social des sociétés du groupe RENAULT que le bénéfice des contrats de retraite aujourd’hui discutés lui a été octroyé et non dans le cadre d’un contrat de travail salarié.

En effet cette preuve résulte du procès verbal du conseil d’administration de RENAULT (SA et SAS) en sa séance du 26.10.2004 et des documents de référence pour 2017 et 2018 qui constituent les pièces 17-3 et 17-4 des appelants qui font état du rapport du Comité des Rémunérations s’agissant des principes, et des montants de la rémunération du dirigeant mandataire social qu’est Monsieur X.

Le point 3 du conseil d’administration du 26.10.2004 est l’adoption d’un dispositif de retraite supplémentaire pour les dirigeants.

A ce titre le CA a voté la mise en place un dispositif de retraite supplémentaire au profit des salariés dirigeants de la société, membres du Comité Excutif Groupe en prévoyant deux dispositifs (qui sont les dispositifs en litige):

— un régime à cotisations définies

— un régime additif à prestations définies.

Le CA a en outre en point 4, visé la situation personnelle et la retraite du président qui était alors Monsieur Z, dont il est indiqué qu’il perçoit une rémunération fixe et variable qui fait l’objet des mêmes déclarations et traitements sociaux et fiscaux que les salaires versés dans l’entreprise.

Le conseil d’administration étend ainsi les dispositifs de retraite supplémentaire au PDG alors en exercice, rémunéré en qualité de mandataire social et non de salarié.

Monsieur X ayant pris la suite de Monsieur Z en 2005, a bénéficié des décisions prises au titre de la retraite du dirigeant mandataire social.

Il ressort par ailleurs du document de référence 2017 le descriptif des principes relatifs à la rémunération du dirigeant mandataire social, ainsi que le descriptif de la politique de rémunération du dirigeant mandataire social au titre de l’exercice 2018 et de la politique de rémunération et engagements pris au bénéfice du dirigeant mandataire social au titre de 2017, le rapport ayant établi par le Comité des Rémunérations présidé par un administrateur indépendant.

Le document de référence pour l’année 2018 présente les choses de façon identique : principes de rémunération et politique de rémunération pour 2019 et 2018.

Il résulte de ces deux documents que la politique de rémunération du président-directeur général qu’était alors Monsieur X est arrêté par le conseil d’administration et soumise à la ratification de l’assemblée générale mixte de la société avant que le versement des éléments de rémunération variables et exceptionnels du PDG soit soumis à l’approbation de l’assemblée générale ordinaire.

Les éléments de rémunération du PDG sont ainsi décrits, dans les documents de référence, comme se décomposant en:

— une rémunération fixe

— une rémunération variable annuelle

— une rémunération à long terme

— des jetons de présence

— un avantage en nature s’agissant du système d’assurance complémentaire santé

— une indemnité de non concurrence en cas de départ du dirigeant

- un régime de retraite supplémentaire.

Il est indiqué que le PDG bénéficie du régime collectif de retraite supplémentaire mis en place au

profit des membres du comité exécutif du Groupe, approuvé par le conseil d’administration lors des séances du 28.10.2004 (sic) et du 31.10.2006, approuvé par l’AG du 30.04.2010, régime confirmé ensuite, et maintenu dans le cadre du renouvellement des fonctions de PDG de Monsieur X par le conseil d’administration du 15.02.2018.

Ledit régime de retraite comprend (page 291 et page 298 du document de référence 2017):

— un régime à cotisations définies (L 242-1 du code de la sécurité sociale)

— un régime à prestations définies de type additif (article L 137-11 du code de la sécurité sociale).

Il résulte donc de ces éléments que les régimes de retraite aujourd’hui discutés entre les parties relèvent de la rémunération du PDG qu’était alors Monsieur X, rémunération qui est de la compétence du tribunal de commerce puisqu’étant la rémunération du dirigeant de la société.

Comme il a été rappelé ci dessus le fait que le dirigeant social ne soit pas commerçant importe peu, et en tout état de cause ne lui accorde aucune option de compétence et ne remet donc pas en cause la compétence du tribunal de commerce.

A ce titre il convient de rejeter le moyen soulevé par Monsieur X s’agissant du fait qu’il n’a pas la qualité de commerçant.

S’agissant de la nature des contrats d’assurance retraite Monsieur X soutient qu’il s’agit d’une stipulation pour autrui et qu’en conséquence, il est bien fondé à demander à GENERALI la liquidation des deux contrats devant le tribunal judiciaire, seul compétent pour connaitre de ce contentieux.

Cependant les deux régimes de retraite supplémentaire relèvent de modalités contractuelles différentes et entrainent des conséquences juridiques différentes.

Le contrat qui est basé sur un régime de cotisations définies relevant de l’article L 242-1 du code de la sécurité sociale est un régime dans lequel le salarié acquiert progressivement des droits. L’obligation de l’employeur se limite au paiement des cotisations à et à la date de liquidation des droits à la retraite, l’organisme assureur convertit le capital constitué en rente viagère. A ce titre chaque salarié devient personnellement et immédiatement, c’est à dire dès le premier euro versé pour son compte par l’entreprise, titulaire d’une créance sur l’organisme assureur.

En l’espèce, s’agissant d’un dirigeant mandataire social la société, en l’espèce les sociétés RENAULT SA et SAS ont pour seule obligation, comme rappelée dans le document de référence de 2017 page 291, de verser leur quote-part de cotisation auprès de la compagnie d’assurance qui gère le régime, GENERALI VIE, et celle ci doit, lorsque le bénéficiaire, Monsieur X, fait valoir ses droits à la retraite, liquider la rente viagère sur la base des cotisations versées.

En conséquence les mécanismes de la stipulation pour autrui définis dans les articles 1203 et suivants du code civil s’appliquent à ce contrat, les droits du bénéficiaire existant dès l’ouverture du contrat et Monsieur X dispose d’un droit direct à l’encontre de GENERALI s’agissant de demander la liquidation de sa retraite et le versement de celle ci, pour autant qu’il rapporte la preuve qu’il a fait valoir ses droits à la retraite, condition de la liquidation.

RENAULT a indiqué qu’il n’y avait pas de difficultés concernant la liquidation de ce régime de retraite qui n’était pas contestée par le groupe RENAULT.

Il n’en demeure pas moins qu’en l’état d’un litige sur la liquidation du régime de retraite à cotisations définies toujours existant puisqu’engagé par Monsieur X qui ne s’en est pas désisté, il convient

de retenir la compétence du tribunal judiciaire au regard du droit direct de Monsieur X à l’égard de GENERALI VIE.

Le régime à prestations définies de type additif relève de règles juridiques très différentes du contrat à cotisations définies.

Il s’agit dans ce cas d’un engagement de la société d’attribuer un avantage de retraite sous forme de rente viagère à son dirigeant sous certaines conditions qui devront être respectées lors du départ du bénéficiaire de l’entreprise.

Dans ce cadre la société souscrit un contrat d’assurance pour couvrir tout ou partie de son engagement. Il s’agit à la fois, de la constitution d’une garantie et de la délégation à un tiers, professionnel dans la gestion de capitaux, de la gestion du fonds ainsi constitué.

L’organisme assureur n’est engagé que dans la limite du fonds collectif et si celui ci s’avère insuffisant l’employeur est tenu de compléter financièrement la rente.

En l’espèce le document de référence 2017 stipule que le Président-Directeur général (Monsieur X) bénéficie également d’un régime de retraite supplémentaire à prestations définies de type additif, mis en place et financé par la Société (le groupe RENAULT SA et SAS) dont la gestion est externalisée auprès d’une compagnie d’assurance (la SA GENERALI).

L’utilisation du terme 'gestion externalisée’ démontre que la mission de la SA GENERALI consiste à gérer administrativement et financièrement ce fonds pour le compte du groupe RENAULT.

Le contrat signé entre RENAULT et GENERALI qui a fait l’objet deux avenants les 19.03.2007 et 2.11.2015 et qui constitue la pièce 20 des appelants, établit ainsi l’étendue des obligations contractuelles de la société GENERALI puisqu’il stipule:

— que les cotisations versées par le souscripteur sont affectées au fonds de constitution des engagements liés à la présente convention, qui est géré financièrement par GENERALI selon des conditions décrites concernant les supports d’investissement

— qu’au moment de la liquidation du supplément de retraite le capital constitutif de la rente est prélevé sur le fonds de constitution des suppléments de retraite propre au Souscripteur et affecté au fonds des rentes propre au Souscripteur, que si le solde du fonds de constitution des suppléments de retraite propre au Souscripteur se révélait insuffisant au jour de la liquidation un complément de cotisation serait exigible immédiatement, qu’à défaut de paiement de ce complément de cotisation le montant du supplément de retraite sera réduit et recalculé sur la base des sommes disponibles (pages 4 et 5 du contrat)

— que le droit au supplément de retraite est défini par le règlement du dispositif de retraite supplémentaire RENAULT SAS du 26.10.2004 (page 6: paragraphe Départ à la retraite)

— que l’assureur ouvre le règlement des prestations dues à réception du dossier complet de retraite de l’assuré constitué par le Souscripteur comprenant les pièces suivantes (entre autres):

— une demande de RENAULT SAS France de mise en place du supplément de retraite en précisant la date d’effet et le montant annuel

— une attestation de RENAULT SAS France précisant les anciennetés telles que définies à l’article 2.d du Titre I du règlement du dispositif de retraite supplémentaire RENAULT SAS France du 26.10.2004

— une attestation de RENAULT SAS France précisant la rémunération de référence telle que définie à l’article 2.f du Titre I du règlement du dispositif de retraite supplémentaire RENAULT SAS France du 26.10.2004.

Il résulte donc des termes de ce contrat que celui ci est passé entre la société et la compagnie d’assurance, les relations contractuelles entre la société et le bénéficiaire étant fondées sur les conditions votées par le conseil d’administration dans sa séance du 26.10.2004.

L’obligation de l’assureur est limitée par les fonds qui lui ont été versés par le souscripteur et le règlement par l’assureur au bénéficiaire est conditionnée par l’autorisation du souscripteur au versement de la rente.

Enfin les conditions de liquidation ne sont pas établies au moment de la souscription du contrat mais au moment de sa liquidation.

L’ensemble de ces élements concernant le fonctionnement du régime de retraite à prestations définies ne permet pas de retenir que le bénéficiaire, Monsieur X disposerait d’un droit de créance dès l’ouverture du contrat auprès de l’assureur lui permettant d’actionner celui en paiement dans le cadre d’une action directe.

En effet dans le contrat de retraite à prestations définie il n’existe pas un contrat tripartite mais d’une part un contrat entre la société et le bénéficiaire s’agissant de l’engagement de la société de verser une retraite à prestations définies dans certaines conditions, et d’autre part un contrat entre la société et une compagnie d’assurance pour garantir l’engagement, gérer les fonds affectés à cet engagement et sur accord donné par la société, verser au bénéficiaire la rente. L’assureur n’est présent que pour mettre en oeuvre les directives de la société dans la liquidation du contrat (ou la décision de justice tranchant le différent entre bénéficiaire et société). Il n’existe donc pas de mécanisme de stipulation pour autrui permettant au bénéficiaire de revendiquer un droit de créance direct à l’égard de l’assureur.

Dans la mesure où ce contrat de retraite à prestations définies est un élément de la rémunération du dirigeant mandataire social, le litige entre le bénéficiaire et la société relatif à la mise en oeuvre dudit régime relève de la compétence du tribunal de commerce.

La présence à la procédure de la société GENERALI ne s’explique que par la nécessité de pouvoir lui opposer la décision qui sera prise concernant le litige principal existant entre la société et le bénéficiaire sur le droit de ce dernier à demander à la société la liquidation, à son profit, du contrat de retraite. Cette présence ne peut mettre en échec la compétence du tribunal de commerce à trancher le litige entre la société et son dirigeant concernant un des aspects de sa rémunération en faisant prévaloir la compétence du tribunal judiciaire.

La jurisprudence qu’avance Monsieur X est inopérante s’agissant de l’arrêt du 12.01.2017 qui relève d’un litige entre le bénéficiaire et l’assureur, dans le cas d’un contrat de retraite à prestations définies, après la liquidation de celui ci concernant les modalités de calcul de la rente versée appliquée par l’assureur, litige qui concernait alors uniquement les rapports entre bénéficiaire et l’assureur.

Il convient donc de renvoyer le litige concernant la liquidation du contrat de retraite à prestations définies devant le tribunal de commerce de NANTERRE.

Sur la demande de sursis à statuer

S’agissant du contrat à cotisations définies pour lequel le renvoi devant le tribunal de commerce n’est pas ordonnée il ne convient pas d’y faire droit dans la mesure où l’instance pénale en cours ne peut

avoir aucune incidence sur la liquidation dudit contrat.

Concernant le contrat à prestations définies cette demande était articulée de façon subsidiaire si l’exception d’incompétence n’était pas accueillie. Dans la mesure où celle ci l’a été il n’y a pas lieu de statuer dessus.

Sur les autres demandes

Il ne convient pas de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit de l’une ou l’autre des parties.

Les dépens sont mis à la charge de Monsieur X.

PAR CES MOTIFS

Rejette les exceptions de caducité et d’irrecevabilité de la déclaration d’appel

Infirme l’ordonnance du juge de la mise en état en date du 6 juillet 2021 en ce qu’elle a rejeté l’exception d’incompétence concernant le contrat de retraite à prestations définies

Et statuant à nouveau

Dit que le tribunal de commerce de NANTERRE est compétent pour connaitre du litige concernant la liquidation du contrat de retraite à prestations définies

Et y ajoutant

Dit n’y avoir lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit de l’une ou l’autre des parties

Condamne Monsieur X aux dépens de l’instance d’appel.

La greffière La présidente

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Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 9, 16 décembre 2021, n° 21/13505