Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 12, 19 février 2021, n° 18/08948

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 6 - ch. 12, 19 févr. 2021, n° 18/08948
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 18/08948
Décision précédente : Tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny, 21 mai 2018, N° 17/00483
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 12

ARRÊT DU 19 Février 2021

(n° , 10pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 18/08948 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B6EAG

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 22 Mai 2018 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BOBIGNY RG n° 17/00483

APPELANTE

Société […]

[…]

[…]

représentée par Me André DERUE, avocat au barreau de LYON, toque : 741 substitué par Me Etienne NICOLAS, avocat au barreau de LYON, toque : 1698

INTIMEES

Madame F Z

née le […] à […]

[…]

[…]

représentée par Me Charlotte HODEZ, avocat au barreau de PARIS, toque : E0028

CPAM 92 – HAUTS DE SEINE

Service contentieux

[…]

[…]

représenté par Mme X en vertu d’un pouvoir spécial

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 07 Janvier 2021, en audience publique et double rapporteurs , les parties ne s’y étant pas opposées,

devant M. Pascal PEDRON, Président de chambre, et M. Lionel LAFON, Conseiller chargés du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Pascal PEDRON, Président de chambre

M. Lionel LAFON, Conseiller

M. Gilles REVELLES, conseiller

Greffier : Mme Venusia DAMPIERRE, lors des débats

ARRET :

— CONTRADICTOIRE

— prononcé

par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Monsieur Pascal PEDRON, Président de chambre et par M. Fabrice LOISEAU greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur les appels interjetés par la société Xerox Technologie Services XTS CMS-TPS de jugements rendus le 22 mai 2018 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny puis le 29 juillet 2019 par le tribunal de grande instance de Bobigny dans un litige l’opposant à Mme F Z, en présence de la CPAM des Hauts de Seine .

FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Mme Y, née en 1970, a travaillé à partir de 1999 en qualité d’opératrice courrier puis d’opératrice numérique pour la société Xerox.

Le 17 avril 2014, elle a déclaré une maladie professionnelle pour une tendinopathie de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite. Elle y a joint un certificat médical initial du 20 février 2014 faisant état d’une «épaule droite douloureuse MP tableau 57 tendinopathie coiffe rotateur droite (supra épineux) ».

Le 17 octobre 2014, cette maladie (tendinopathie chronique non rompue non calcifiante objectivée par IRM (avec ou sans enthésopathies) droite inscrite au tableau 57) a été prise en charge par la caisse au titre de la législation sur les risques professionnels ; son état a été consolidé le 1er mars 2016 et son taux d’incapacité permanente fixé à 12% pour «des séquelles consistant en la persistance d’une gêne fonctionnelle douloureuse dans les mouvements de préhension en force et nécessitant un traitement permanent » justifiant l’attribution d’une rente à compter du 2 mars 2016.

Le 15 décembre 2015, Mme Z a déclaré une nouvelle maladie professionnelle faisant état d’une «tendinopathie non fissuraire et non calcifiante du supra épineux gauche ». Le 14 juin 2016, l’affection de l’épaule gauche a été prise en charge par la caisse au titre de la législation sur les risques professionnels (tendinopathie chronique de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche ). Son état a été déclaré consolidé au 5 octobre 2017 et son taux d’incapacité permanente fixé à 10%.

Entretemps, le 24 mars 2016, Mme Z a saisi la caisse en reconnaissance de la faute

inexcusable de son employeur au titre de sa maladie professionnelle portant sur l’épaule droite.

Le 10 septembre 2016, elle a saisi la caisse en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur au titre de la maladie professionnelle affectant son épaule gauche.

Après vaine tentative de conciliation, Mme Z a le 27 mars 2017, saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur à l’origine de chacune des deux maladies.

Par jugement du 22 mai 2018, le tribunal a notamment :

— dit que la société a commis une faute inexcusable à l’origine des deux maladies professionnelles de Mme Z ;

— constaté que Mme Z a droit à la majoration de la rente fixée à son taux maximum, dans la limite des dispositions de l’article L.452-2 alinéa 2 du code de la sécurité sociale;

— dit que la rente suivra le cas échéant l’évolution éventuelle de son taux d’incapacité permanente partielle et ordonné le versement des arrérages de la rente assortis des intérêts au taux légal à compter du jugement;

— donné acte à la caisse de son action récursoire;

— avant dire droit, tous droits et moyens des parties étant réservés,

ordonné une expertise médicale judiciaire confiée au Dr E I à l’effet de déterminer les éléments permettant d’apprécier la réparation du préjudice corporel de la victime,

— alloué à Mme Z une provision de 5 000 € avancée par la caisse,

— ordonné l’exécution provisoire.

La société a interjeté appel (précisant les chefs de décision critiqués) le 19 juillet 2018 de ce jugement qui lui avait été notifié le 12 juillet 2018.

Le Dr E-I a déposé son rapport le 10 août 2018.

Par jugement du 29 juillet 2019, le tribunal de grande instance de Bobigny a :

— fixé comme suit l’indemnisation de Mme Z :

Déficit fonctionnel temporaire: 7424,40 €

Souffrances endurées: 7000 €

Préjudice esthétique temporaire: 1 200 €

Assistance tierce personne: 6660,64 €

sommes dont sera déduite la provision de 5 000 € ;

— débouté Mme Z de sa demande présentée au titre du préjudice d’agrément;

— débouté Mme Z de sa demande présentée au titre du préjudice sexuel;

— dit que le versement des sommes allouées à Mme Z au titre de la réparation de ses préjudices sera avancé par la caisse ;

— accueilli la caisse en son action récursoire;

— condamné la société à rembourser à la caisse les sommes attribuées à Mme Z dont elle aura fait l’avance ainsi que le capital représentatif de majoration de rente;

— dit que les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter du jugement, soit le 29 juillet 2019 ;

— mis les frais d’expertise à la charge de la société, soit 1 200 € ;

— dit que la caisse pourra récupérer à l’encontre de la société les sommes avancées par elle au titre des frais d’expertise;

— condamné la société à payer à Mme Z la somme de 2000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile;

— rejeté la demande présentée par la société au titre de l’article 700 du code de procédure civile;

— condamné la société au paiement des dépens, y compris les éventuels dépens d’exécution.

La société a interjeté appel (précisant les chefs de décision critiqués) le 30 août 2019 de ce jugement qui lui avait été notifié le 05 août 2019.

Par ses conclusions écrites soutenues oralement et déposées à l’audience par son conseil, la société demande à la cour de :

— juger, par voie d’infirmation du jugement déféré, que Mme Z ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de ce que son employeur aurait commis une faute inexcusable;

— subsidiairement, sur le jugement du 29 juillet 2019 :

ramener à de plus justes proportions les sommes allouées au titre de la réparation du déficit fonctionnel temporaire, des souffrances endurées et du préjudice esthétique temporaire;

confirmer les sommes allouées au titre de la réparation de l’assistance par une tierce personne temporaire, ainsi que concernant le rejet des prétentions de Mme Z.

juger que la CPAM devra faire l’avance des sommes qui pourront être allouées à Mme Z ;

déduire la provision de 5 000 euros déjà perçue par Mme Z de l’indemnisation du préjudice allouée;

juger que la procédure est gratuite et sans frais et que les dépens ne peuvent donc être mis à la charge de l’employeur;

ramener la demande de Mme Z au titre de l’article 700 du code de procédure civile à de plus justes proportions ;

— en conséquence, débouter Mme Z de ses demandes et condamner cette dernière, outre aux dépens, à lui payer une somme de 2 000 € au titre des frais irrépétibles d’appel.

La société fait valoir pour l’essentiel que :

— l’employeur est réputé avoir satisfait à son obligation de sécurité s’il a pris les mesures de prévention nécessaires, et elle apporte la preuve de multiples éléments établissant qu’elle s’est pleinement acquittée de son obligation de sécurité ; la préoccupation majeure que constitue pour elle la sécurité de son personnel est d’ailleurs amplement établie par la densité des procès-verbaux du comité d’hygiène et de sécurité et des conditions de travail.

— depuis son embauche intervenue en 2000, Mme Z a été constamment déclarée médicalement apte à son emploi par la médecine du travail pendant près de 14 ans de l’année 2000 jusqu’à un avis du 3 novembre 2014 ; si le 24 mai 2004, le médecin du travail a effectivement recommandé à l’entreprise de limiter le port de charges par Mme Z à 5kg, aucun des avis médicaux postérieurs jusqu’au 3 novembre 2014 ne fait une nouvelle fois état de cette limite au port de charge, ce qui démontre qu’elle a respecté cette préconisation.

— ce n’est donc qu’ à compter de l’avis du 3 novembre 2014 qu’elle a véritablement été alertée par le médecin du travail, de restrictions portant sur l’aptitude de la salariée ; il en résulte qu’elle ne pouvait véritablement avoir conscience du danger auquel était éventuellement exposée Mme Z que depuis la fin de l’année 2014.

— l’étude de poste réalisé suite à une visite réalisée le 15 novembre 2006 se situait dans le cadre de la formation des membres du CHSCT, et en aucun cas n’est visé dans cette étude le poste de Mme Z, pas plus d’ailleurs que dans le compte-rendu du CHSCT du 30 novembre 2006 qui rendait compte de cette étude. Le Président du CHSCT a d’ailleurs décidé de mettre alors en place les solutions préconisées et de dispenser à l’opératrice concernée et à son manager une formation gestes et postures, en associant à cette démarche les membres du CHSCT ; elle n’est donc pas restée inactive.

— le rapport de visite du CHSCT du 28 mars 2008 relève que « les opérateurs d’imaging semblent satisfaits de leurs nouvelles conditions de travail », M. A atteste d’ailleurs qu’entre 2012 et 2014, il n’a jamais eu de plainte émanant de Mme Z liée à une souffrance physique au poste de travail et cette dernière n’a formulé aucune observation sur ses conditions de travail lors de ses entretiens «Appréciation et fixation des objectifs » de 2015 et 2016.

— les mesures prises par l’entreprise ont été particulièrement nombreuses et en ce qui concerne tout particulièrement la prévention des risques liés aux troubles musculosquelettiques (TMS), elle procède à des communications régulières de sensibilisation du personnel à leur sujet en termes de gestes et postures, notamment en 2010 et 2013.

— une étude du poste de la salariée a été réalisée en septembre 2009 assortie de diverses recommandations qui furent immédiatement mises en 'uvre comme en attestent MM. B, A et J K.

Par ses conclusions écrites soutenues oralement et déposées à l’audience par son conseil, Mme Z demande à la cour de :

— ordonner la jonction des procédures RG n°18/08948 et 19/08677 ;

— confirmer le jugement du 22 mai 2018;

— confirmer le jugement du 29 juillet 2019 en ce qu’il a mis les frais d’expertise à la charge de la société et condamné la société , outre aux dépens, à lui verser une somme de 2000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile;

— l’infirmer pour le surplus, et condamner la société à lui verser l’indemnisation suivante:

o Tierce-personne temporaire:

' A titre principal: 10.278 euros (épaule droite) + 9.943,71 euros (épaule gauche)

' A titre subsidiaire: 3.429 euros (épaule droite) + 5.793,42 euros (épaule gauche)

o Déficit fonctionnel temporaire: 4.592 euros (épaule droite) + 4.446,40 euros (épaule gauche)

o Souffrances endurées (2/7) : 10.000 euros (épaule droite) + 10.000 euros (épaule gauche)

o Préjudice esthétique temporaire (0,5/7) : 1.000 euros (épaule droite) + 1.000 euros (épaule gauche)

o Préjudice sexuel: 10.000 euros (épaule droite + épaule gauche)

o Préjudice d’agrément: 10.000 euros (épaule droite + épaule gauche)

— condamner la société à lui verser la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles comprenant notamment les frais d’assistance à expertise par son avocat ;

— condamner la caisse à faire l’avance des sommes allouées et assortir les condamnations de l’intérêt au taux légal à compter du prononcé de la décision à intervenir.

L’intimée fait valoir en substance que :

— ses maladies professionnelles ont été reconnues le 17 octobre 2014 (épaule droite) et le 14 juin 2016 (épaule gauche).

— au principal, la reconnaissance de plein droit de la faute inexcusable prévue à l’article L 4131-4 du Code du travail trouve à s’appliquer. En effet, en 2006 une étude de son poste a été réalisée par les membres du CHSCT alors en formation, lesquels ont conclu que ce poste de numérisation présentait de graves anomalies en terme d’ergonomie. Dans un rapport de juin 2007, le cabinet Technologia, saisi à la suite d’une expertise déclenchée par le CHSCT a relevé « des risques TMS très importants ». Ainsi, l’employeur avait bien été alerté par le CHSCT sur le risque qui s’est réalisé et la faute inexcusable doit être en l’espèce reconnue de plein droit.

— au subsidiaire, elle fait sienne la motivation des premiers juges ayant retenu qu’elle prouve la faute inexcusable de l’employeur qui connaissait les facteurs de risques et les symptômes dès 2004-2006, mais n’a pris au delà de considérations générales aucune mesure de prévention et de formation effectives la concernant ;

— l’expert a sous évalué certains postes de préjudice.

Par ses conclusions écrites soutenues oralement et déposées à l’audience par son conseil, la caisse sollicite la jonction des deux recours, s’en rapporte à justice sur l’existence de la faute inexcusable, et demande à la cour, en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, de confirmer le jugement du 29 juillet 2019 en toutes ses dispositions, faisant valoir que l’expert a correctement évalué les postes de préjudice.

Pour un exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour renvoie à leurs conclusions écrites visées par le greffe à l’audience du 07 janvier 2021 qu’elles ont respectivement soutenues oralement.

SUR CE, LA COUR

Sur la jonction des instances

Les instances RG n°18/08948 et 19/08677 étant issues d’appels contre deux jugements, le premier statuant sur la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, le second sur la liquidation des préjudices en découlant, il est de l’intérêt d’une bonne administration de la justice d’en ordonner la jonction.

Sur la faute inexcusable

Il résulte de l’application combinée des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail que le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident survenu au salarié ou de la maladie l’affectant; il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire, même non exclusive ou indirecte, pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, étant précisé que la faute de la victime, dès lors qu’elle ne revêt pas le caractère d’une faute intentionnelle, n’a pas pour effet d’exone’rer l’employeur de la responsabilite’ qu’il encourt en raison de sa faute inexcusable.

Par ailleurs, l’article L 4131-4 du Code du travail, dans sa version applicable à l’espèce, dispose que « Le bénéfice de la faute inexcusable de l’employeur prévue à l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale est de droit pour le ou les travailleurs qui seraient victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle alors qu’eux-mêmes ou un représentant du personnel au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail avaient signalé à l’employeur le risque qui s’est matérialisé. »

En l’espèce Mme Z se prévaut au principal de ce dernier texte pour retenir la faute inexcusable de l’employeur.

Mme Z produit une étude de poste réalisée le 15 novembre 2006 sur le poste d’opérateur de numérisation par les membres du CHSCT alors en formation, document soulignant « cet exercice nous ayant permis de détecter un certain nombre de problèmes à traiter, nous avons décidé de réaliser un rapport afin de partager les risques identifiés avec la direction et d’y remédier rapidement (') 22 000 à 28 000 documents sont traités chaque jour (')

Approche et prise en main des documents :

(.. .) Prise de paquets de documents à une hauteur plus élevée que le niveau des épaules (risque « épaule ») (')

Travail sur la machine de numérisation :

Chargement des documents de face, en hauteur {risques « dos» et « épaule »). Débourrage de la machine (effort « épaules» et risque de pincement) » et portant en conclusions :

« ceposte de numérisation présente de graves anomalies en terme d’ergonomie. L’opératrice travaille assise et ne cesse de manipuler les documents à des hauteurs différentes, subissant par là de multiples contraintes. Elle travaille aussi difficilement de manière latérale pivotant tantôt à droite, tantôt à gauche. Il conviendrait d’étudier précisément une organisation plus harmonieuse de ces gestes et postures, ainsi que les différentes hauteurs de travail. La machine de numérisation doit être mieux réglée, adaptée aux exigences des documents à scanner (…) » (pièce n°12 de l’intimée).

Mme C, membre du CHSCT à 'époque, confirme que l’étude de poste concernait Mme Z (pèce n°13 de l’intimée).

L’intimée produit également le compte rendu de réunion CHSCT du 30 novembre 2006 (sa pièce n°14 ) reprenant et détaillant ce rapport sur le poste d’opérateur numérisation sur Imaging, Mme C insistant « sur la nécessité de rendre ce poste plus ergonomique, sachant que tous les gestes répétitifs exigeant un effort brusque ouune position non naturelle génèrent des risques de TMS importants. », L M, responsable des ressources humaines de la société, concluant à la « nécessité de travailler sur les questions, d’une part de manipulations pénibles et d’ergonomie des postes de travail … » « propose de mettre en place les solutions préconisées, et de dispenser, à l’opératrice concernée et à son manager, une formation gestes et postures» « d’associer le docteur D».

Mme Z produit également (sa pièce n°15)un rapport de juin 2007 du cabinet Technologia, saisi à suite d’une expertise déclenchée par le CHSCT qui relève « on constate des risques TMS très importants:

Les gestes sont répétitifs et impliquent des positionnements traumatisants pour l’organisme:

Multiples sollicitations des épaules et avant-bras (risques de tendinites, épicondylites, atteinte de la coiffe des rotateurs de l’épaule .. .), multiples extensions du bras souvent aggravées par un positionnement inadapté, au-dessus de l’épaule, en dessous de la taille du bassin (. .. .)

Pour toutes ces raisons, nous demandons au CHSCT d’être très attentif à ce que des aménagements de postes soient réalisés sur le poste …. » , Mme C confirmant que l’étude de poste en cause concerne Mme Z.

Elle produit aussi (sa pièce n°16) un rapport de visite du CHSCT du 28 mars 2008 des postes de numérisation indiquant « les opératrices qui travaillent sur le scan souffrent de douleurs à l’épaule et aux mains. Les gestes répétitifs et le fait de devoir soulever le capot du scan très souvent génèrent des douleurs chroniques. »

Mme Z établit ainsi que des représentants du personnel au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail avaient signalé à l’employeur courant 2006, 2007 et 2008 le risque de TMS, notamment au niveau des épaules, qui s’est matérialisé par la survenance les 20 février 2014 puis 15 décembre 2015 des deux maladies professionnelles du tableau n° 57 dont elle a été victime pour s’être retrouvée exposée aux risques visés au tableau, peu important que l’étude de poste concernant entre autre Mme Z réalisée en 2006 se situait dans le cadre de la formation des membres du CHSCT.

Le bénéfice de la faute inexcusable de l’employeur prévue à l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale au profit de Mme Z est donc de droit au regard de chacune des deux maladies professionnelles, l’employeur ne renversant nullement par ses productions la présomption de faute inexcusable issue de l’article L 4131-4 du Code du travail. En effet, la société ne justifie pas par ses productions, et notamment par ses pièces n°4 à 13, 17 à 40, avoir pris des mesures efficaces d’adaptation du poste de travail de la salariée à l’effet de prévenir concrètement le risque auquel était exposé la salariée, les attestations de MM. A, B et J K étant insuffisantes à y pourvoir comme n’invoquant que des mesures prises très tardivement au regard de la date de signalement, tout comme les factures d’achat de sièges ne permettant pas d’en identifier les bénéficiaires, ainsi que les programmes et guides de prévention déclinés de façon uniquement générale.

Par ailleurs et surabondamment, au delà même du mécanisme de la présomption, Mme Z établit d’évidence par ses pièces, comme l’ont retenu les premiers juges au terme d’une motivation

claire et précise, l’existence de la faute inexcusable de l’employeur à l’origine de chacune des deux maladies professionnelles dont elle a été victime, l’employeur ayant exposé sa salariée à un danger ou risque dont il avait conscience sans prendre toutes les mesures nécessaires pour l’en préserver, étant précisé que:

— seule titulaire et débitrice à l’égard de son salarié d’une obligation générale de sécurité dont elle doit assurer l’effectivité , il appartenait à la société, au delà de l’intervention de la médecine du travail, de prendre par elle-même toutes les mesures de prévention et de protection efficaces qu’imposait la situation dans laquelle elle faisait intervenir sa salariée,

— les premiers juges ont rappelé à juste titre que l’employeur a une obligation de prévention et ne doit pas attendre que la maladie professionnelle se réalise pour prendre des mesures de protection et de prévention.

Le jugement du 22 mai 2018 ayant retenu la faute inexcusable de l’employeur sera donc confirmé.

Sur les conséquences de la faute inexcusable

C’est à juste titre que les premiers juges ont fixé la majoration de rente à son taux maximum.

Au regard de la fixation des préjudices, le Dr E-I (pièce n°52 de l’intimée) a conclu à l’existence:

— d’un déficit fonctionnel temporaire partiel:

Épaule droite :

50 % du 6 mars 2014 au 6 mai 2014

20 % du 7 mai 2014 au 1er mars 2016

Épaule gauche

50 % du 5 novembre 2015 au 5 janvier 2016

20 % du 6 janvier 2016 au 5 octobre 2017

— Tierce-personne temporaire avant consolidation:

Épaule droite

du 6 mars 2014 au 6 mai 2014 : lh30 par jour

du 7 mai 2014 au 1er mars 2016 : lh30 par semaine

Épaule gauche

du 5 novembre 2015 au 5 janvier 2016: lh30 par jour

du 6 janvier 2016 au 5 octobre 2017 : 3 heures par semaine

— Souffrances endurées (pour chaque épaule) : 2/7

— Préjudice esthétique temporaire (pour chaque épaule) : 0,5/7

L’expert a par ailleurs conclu à l’absence de préjudice esthétique après consolidation, à l’absence de préjudice sexuel, à l’absence de préjudice d’agrément et à l’absence de nécessité d’aménager le véhicule et le domicile.

Mme Z, née en 1970, a été victime de tendinopathies chroniques de la coiffe des rotateurs de l’épaule droitedu 20 février 2014 ée le 1er mars 2016 au taux de 12% et de l’épaule gauche du décembre 2015 consolidée au 5 octobre 2017 au taux de 10%.

Au titre du déficit fonctionnel temporaire, le tribunal a retenu une indemnisation à hauteur de 7424,40 € (sur la base de 23 € par jour) ; Mme Z sollicite une indemnisation sur la base de 28 € par jour, la société sollicitant une réduction sur la base de 20 € par jour.

C’est à juste titre que les premiers juges ont fixé à 7424,40 € l’indemnisation réparant intégralement le préjudice lié au déficit fonctionnel temporaire subi par Mme Z.

Au titre des souffrances endurées, le tribunal a retenu une indemnisation à hauteur de 7 000 € (3 500 € par épaule) ; Z sollicite une indemnisation sur la base de 10 000 € pour chaque épaule, la société sollicitant une réduction sur la base de 3 200 € maximum par épaule.

C’est là encore à juste titre que les premiers juges ont fixé à un total de 7 000 € l’indemnisation réparant intégralement les souffrances endurées au titre des deux épaules.

Au titre du préjudice esthétique temporaire, le tribunal a retenu une indemnisation à hauteur de 1 200 € (600 € par épaule) ; Z sollicite une indemnisation sur la base de 1000 € pour chaque épaule, la société sollicitant une réduction à de plus justes proportions.

C’est par des motifs pertinents que les premiers juges ont fixé à un total de 1 200 € l’indemnisation réparant intégralement le préjudice esthétique temporaire subi par Mme Z.

Le préjudice d’agrément réparable en application de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale est constitué par l’impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs, ce poste de préjudice incluant la limitation de la pratique antérieure comme l’a rappelé la Cour de cassation (Civ. 2, 10 octobre 2019, n°18-11.791).

Le tribunal a rejeté l’existence d’un tel préjudice ; Mme Z fait valoir qu’elle n’a pas pu reprendre la natation et la gymnastique compte tenu de ses limitations et douleurs et sollicite une indemnisation à hauteur de 10 000 €, la société et la caisse sollicitant le rejet d’une telle demande au motif que la pratique de telles activités ne lui est pas rendue impossible par ses maladies.

L’expert a précisé que la pratique des deux activités n’est pas médicalement contre-indiquée dans le cas de Mme Z ; cependant, cette dernière établit par ses productions (ses pièces n°44 et 49) la pratique antérieure régulière des activités de gymnastique et de natation limitée suite aux maladies professionnelles ; Mme Z établit ainsi l’existence d’un préjudice d’agrément qui sera intégralement réparé par l’octroi d’une somme de 2 000 € par voie d’infirmation du jugement déféré.

Le préjudice sexuel, qui comprend tous les préjudices touchant à la sphère sexuelle, n’est pas au nombre des dommages couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

Le tribunal a rejeté l’existence d’un tel préjudice ; Mme Z fait valoir que les incapacités aux deux épaules « entrainent une gêne positionnelle constitutif d’un préjudice sexuel » et sollicite une indemnisation à hauteur de 10 000 €, la société et la caisse sollicitant le rejet d’une telle demande.

L’expert a rejeté tout préjudice sexuel issu des maladies professionnelles et Mme Z ne justifie pas de l’existence d’un tel préjudice par ses productions ; le jugement ayant rejeté sa demande à ce

titre sera donc confirmé.

Au titre de l’assistance tierce personne avant consolidation, le tribunal a retenu une indemnisation à hauteur de 6 660,64 € (sur la base des préconisations de l’expert et de 13 € par « heure active ») ; Mme Z fait valoir que l’expert a mal évalué ses besoins réels en aide humaine temporaire d’une part en ne les retenant que partiellement, d’autre part en quantifiant sans raison de façon différente l’aide nécessaire au delà des 2 premiers mois au titre de chaque épaule alors que sa situation était identique ; elle sollicite en conséquence une indemnisation à hauteur de 20 221,71 € sur la base de 3 heures puis 5 heures par jour pour un taux horaires de 18 €. La société et la caisse sollicitent la confirmation du jugement, conforme aux préconisations de l’expert, l’employeur ajoutant que Mme Z a pu bénéficier de l’assistance d’une aide ménagère dans le cadre de l’assurance de son employeur.

L’expert a détaillé dans son rapport les types de besoins (aide à la toilette, …) en aide d’une tierce personne nécessités pour Mme Z par périodes, au titre de chacune des épaules ; Mme Z ne justifie pas par ses productions (et notamment ses pièces n° 44 à 48, 39 à 43) d’une appréciation erronée de l’expert en la matière.

Elle ne justifie pas non plus par ses productions d’une appréciation erronée comme illogique ou contradictoire de l’expert quant à la quantification, au regard de chacune des périodes excédant les 2 premiers mois (du 7 mai 2014 au 1er mars 2016 pour l’épaule droite ; 6 janvier 2016 au 5 octobre 2017 pour l’épaule gauche) d’un besoin en tierce personne d’lh30 par semaine retenu par l’expert au titre de l’épaule droite et de 3 heures par semaine au titre de l’épaule gauche ; en effet, le contenu des besoins détaillé sur ces deux périodes par l’expert n’est pas strictement identique, les nécessités de conduite auprès d’un « thérapeute » sur la première période ne recouvrant pas quantitativement celles auprès du « kinésithérapeute » sur la seconde période.

Dans ces conditions, c’est à juste titre que les premiers juges ont fixé à 6 660,64 € l’indemnisation réparant intégralement le préjudice total lié à 'assistance tierce personne temporaire par Mme Z au titre des deux épaules.

Le jugement du 29 juillet 2019 sera par ailleurs confirmé en ses dispositions condamnant la société au titre de l’action récursoire de la caisse et en ce qu’il a mis à la charge de l’employeur les frais d’expertise.

Succombant en son appel, la société sera condamnée à verser à Mme Z une somme suplémentaire de 2 000 € au titre des frais irrépétibles d’appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

ORDONNE la jonction des affaires enrôlées sous les numéros 18/08948 et 19/08677

DECLARE les appels recevables.

CONFIRME le jugement du 22 mai 2018.

INFIRME le jugement du 29 juillet 2019 en ce qu’il a rejeté la demande de Mme Z au titre du préjudice d’agrément;

ET statuant à nouveau de ce seul chef:

— Fixe l’indemnisation de Mme Z du chef du préjudice d’agrément à la somme de 2 000 € dont

la caisse devra également faire l’avance.

CONFIRME le jugement du 29 juillet 2019 pour le surplus.

DEBOUTE la société Xerox Technologie Services XTS CMS-TPS de sa demande en frais irrépétibles.

CONDAMNE la société Xerox Technologie Services XTS CMS-TPS à payer à Mme Z une somme de 2000 € au titre des frais irrépétibles d’appel.

CONDAMNE la société Xerox Technologie Services XTS CMS-TPS aux dépens d’appel.

Le greffier Le président

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Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 12, 19 février 2021, n° 18/08948