Cour d'appel de Toulouse, 4e chambre section 2, 22 janvier 2021, n° 18/05128

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Toulouse, 4e ch. sect. 2, 22 janv. 2021, n° 18/05128
Juridiction : Cour d'appel de Toulouse
Numéro(s) : 18/05128
Importance : Inédit
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Toulouse, 29 octobre 2018, N° F18/00476
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Date de dernière mise à jour : 9 décembre 2022
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Sur les parties

Texte intégral

22/01/2021

ARRÊT N° 21/133

N° RG 18/05128 – N° Portalis DBVI-V-B7C-MVNF

CAPA/VM

Décision déférée du 30 Octobre 2018 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de TOULOUSE ( F 18/00476)

[N] [Z]

[D] [J]

C/

SASU THALES ALENIA SPACE FRANCE

Syndicat CGT THALES SPACE [Localité 5]

INFIRMATION PARTIELLE

Grosse délivrée

le

à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 2

***

ARRÊT DU VINGT DEUX JANVIER DEUX MILLE VINGT ET UN

***

APPELANT

Monsieur [D] [J]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représenté par Me Pauline LE BOURGEOIS, avocat au barreau de TOULOUSE (postulant)

Assisté de Me Sophie KERIHUEL, avocat au barreau de PARIS (plaidant)

INTIMÉE

SASU THALES ALENIA SPACE FRANCE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Stéphane LEPLAIDEUR de la SELARL CAPSTAN SUD OUEST, avocat au barreau de TOULOUSE

INTERVENANT

Syndicat CGT THALES SPACE [Localité 5]

pris en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Me Pauline LE BOURGEOIS, avocat au barreau de TOULOUSE (postulant)

Assisté de Me Sophie KERIHUEL, avocat au barreau de PARIS (plaidant)

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 03 Décembre 2020, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant C. PARANT, présidente, et A. PIERRE-BLANCHARD, conseillère, chargées du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

C. PARANT, présidente

A. PIERRE-BLANCHARD, conseillère

F. CROISILLE-CABROL, conseillère

Greffière, lors des débats : E. LAUNAY

ARRET :

— CONTRADICTOIRE

— prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

— signé par C. PARANT, présidente, et par A. RAVEANE, greffière de chambre

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Thales Alenia Space France compte deux établissements situés à [Localité 6] et [Localité 4]. Elle conçoit, intègre, exploite et livre des systèmes spatiaux innovants pour le secteur privé, aux fins institutionnelles, scientifiques, de défense ou de sécurité dans le monde entier.

Du 2 juillet 2001 au 28 juin 2009, M. [D] [J] a été mis à disposition de la société Alcatel Space par la société d’intérim Force Intérim pour y exercer les fonctions de contrôleur mécanique .

M. [D] [J] a été embauché en contrat à durée déterminée à compter du 1er juillet 2002 par la société Gert, et a été missionné auprès de la société Alcatel Space devenue Thales Alenia Space en cette même qualité de contrôleur mécanique.

Il effectuait cette mission sur le site de [Localité 4].

Par contrat à durée indéterminée de chantier conclu à compter du 15 septembre 2003, M. [J] a été engagé en qualité de contrôleur par la société Gert Ingénierie, le chantier se situant sur le site de [Localité 4] de la société Alcatel Space, société devenue Thales Alenia Space.

Le 8 septembre 2010, en vue des élections des délégués du personnel prévues pour le mois suivant, le syndicat CGT de la société Thales Alenia Space a transmis à la direction de cette société la liste des candidats CGT sur laquelle figurait M. [J], travailleur mis à disposition sur le site. Le syndicat en a parallèlement informé la société Gert Ingénierie.

Par avenant du 13 octobre 2010, conclu à compter du 1er octobre 2010, le contrat de chantier conclu avec la société Gert Ingénierie a été transformé en contrat à durée indéterminée ordinaire.

Du 1er octobre 2010 au 3 janvier 2011, M. [J] a été détaché par société Gert Ingenierie et mis à la disposition de la société Thales Alenia Space, suivant contrat de travail à durée indéterminée.

Le 3 janvier 2011, la société Gert Ingénierie a informé M. [J] qu’il était mis fin à sa mission sur le site de Thales Alenia Space et qu’une solution de reclassement lui serait proposée.

Du 4 janvier au 30 juin 2011, M. [J] été placé en attente de reclassement par la société Gert Ingénierie.

La société Gert Ingénierie a proposé deux postes de reclassement au salarié que M. [J] a refusés.

M. [J] a alors été licencié par la société Gert Ingénierie pour motif économique par lettre du 24 février 2011.

Il a accepté, le 19 avril 2011, l’annulation de ce licenciement en raison de l’absence d’autorisation de l’inspecteur du travail.

A compter du 1er juillet 2011, le contrat de travail de M. [J] a été transféré à la société Geci Services, cessionnaire de la société Gert Ingénierie.

Une procédure de licenciement a été engagée le 30 janvier 2012, l’autorisation de licenciement étant refusée par l’inspecteur du travail, décision annulée le 15 octobre suivant par le ministre du travail.

M. [J] ayant refusé les ordres de mission notifiés par la société Geci Systèmes, a été licencié par courrier du 12 décembre 2013 pour abandon de poste.

M. [J] avait saisi le conseil de prud’hommes de Toulon le 22 décembre 2011 de diverses demandes à l’encontre des sociétés Geci Services et Gert, estimant qu’il faisait l’objet d’une discrimination syndicale, en raison de sa candidature aux élections des délégués du personnel de la société Thales Alenia Space France présentée le 8 septembre 2010 par le syndicat CGT.

Par jugement du 11 décembre 2012, le conseil de prud’hommes de Toulon l’a débouté de ses demandes.

Par arrêt du 22 septembre 2015, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a’jugé discriminatoire la première tentative de licenciement de février 2011 et alloué à M. [J] la somme de 3 000 € à titre de dommages et intérêts pour discrimination et confirmé le jugement dont appel sur le surplus des demandes.

M. [J] s’est pourvu en cassation contre cet arrêt.

Par arrêt du 4 mai 2017, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel d’Aix- en-Provence du 22 septembre 2015 au motif qu’ « alors qu’il résultait de ses constatations que l’engagement syndical de M. [J] avait eu une incidence sur le choix par la société Gert ingénierie, puis la société Geci services, des salariés qu’elles mettaient à disposition de la société TAS, ce dont il résultait que ces sociétés avaient pris en compte son activité syndicale pour arrêter leurs décisions en matière de conduite et de répartition du travail, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

Par arrêt du 12 novembre 2019, la cour d’appel de Nîmes a, notamment, :

— déclaré M. [J] bien fondé en sa demande du chef de discrimination syndicale à l’encontre des sociétés Gert et Geci Services et de harcèlement moral à l’encontre de la société Geci Services,

— prononcé la nullité du licenciement du 12 décembre 2013

et alloué diverses indemnités à M. [J].

Parallèlement, M. [J] a saisi le conseil de prud’hommes de Toulouse, le 9 décembre 2015, de demandes formées contre la société Thales Aliena Space France. Le syndicat CGT Thales Space [Localité 4] est intervenu volontairement à l’instance.

Par jugement du 28 septembre 2017, le conseil de prud’hommes de Toulouse’s'est déclaré incompétent pour statuer sur le litige opposant M. [J] à la société Thales Alenia Space au profit du tribunal de grande instance de Toulouse.

Sur appel de ce jugement, par arrêt du 9 mars 2018, la cour d’appel de Toulouse a':

— infirmé le jugement du 28 septembre 2017,

— déclaré le conseil de prud’hommes de Toulouse compétent pour connaître du litige.

Par jugement du 30 octobre 2018, le conseil de prud’hommes de Toulouse a':

— débouté M. [J] et le syndicat CGT Thales Space [Localité 4] de l’ensemble de leurs demandes,

— débouté la SASU Thales Alenia Space France de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— mis à la charge de M. [J] et du syndicat CGT Thales Space [Localité 4] les dépens éventuels de l’instance.

M. [J] a interjeté appel de ce jugement le 10 décembre 2018 dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas discutées.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 30 octobre 2020 auxquelles il est expressément fait référence, M. [J] demande à la cour de':

— réformer le jugement entrepris,

— dire et juger que M [J] a fait l’objet d’une discrimination en raison de son engagement syndical,

En conséquence :

A titre principal :

— ordonner l’intégration de M. [J], au 1er juillet 2020, au sein des effectifs de Thales Alenia Space comme technicien non cadre forfaité niveau V.3 coefficient 365 avec un salaire correspondant au salaire moyen d’un salarié appartenant à cette catégorie et de la même tranche d’âge (né entre 1968 et 1974) et bénéficiant de la même ancienneté (17 ans entre juillet 2001 et juillet 2020) que M. [J],

— condamner la SASU Thales Alenia Space France à lui verser la somme de 80 000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice économique subi du fait de la discrimination syndicale,

A titre subsidiaire:

— condamner la Sasu Thales Alenia Space France à verser à M. [J] la somme de 140 000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice économique subi du fait de la discrimination syndicale (en l’absence d’intégration de M. [J] dans les effectifs de Thales Alenia Space au 1er juillet 2020),

En tout état de cause :

— condamner la Sasu Thales Alenia Space France à lui verser la somme de 20 000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral subi du fait de la discrimination,

— condamner la SASU Thales Alenia Space France à verser à M. [J] la somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts pour la violation de l’accord sur le dialogue social, le droit syndical et l’évolution de carrière des représentants en vigueur au sein de l’entreprise,

— ordonner la capitalisation des intérêts conformément à l’article 1343-2 du code civil,

— condamner la Sasu Thales Alenia Space France à lui verser la somme de 6 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et 3 000 € au titre de la procédure d’appel ainsi qu’aux entiers dépens, y compris les frais d’exécution éventuels.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 17 novembre 2020 auxquelles il est expressément fait référence, la société Thales Alenia Space France demande à la cour de':

— confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

— dire et juger que M. [J] n’a pas fait l’objet d’une éviction ou d’un refus d’embauche discriminatoire de la part de la Société Thales Alenia Space France,

— débouter M. [J] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

— débouter le syndicat CGT Thales Space [Localité 4] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

— condamner M. [J] à lui verser la somme de 2 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et 3 000 € au titre de la procédure d’appel,

— condamner M. [J] aux entiers dépens.

Par dernières conclusions du 13 mai 2020, le syndicat CGT Thales Space [Localité 4] demande à la cour de:

— réformer le jugement entrepris,

— déclarer recevable son intervention volontaire,

— condamner la société Thales Alenia Space France à lui payer la somme de 5 000 € en réparation de son préjudice et financier, direct ou indirect ainsi que la somme de

1 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et de 800 € au titre de la procédure d’appel.

MOTIFS

Sur la discrimination reprochée à la société Thales Alenia Space France lors de l’éviction du site de Thales Alenia Space France en janvier 2011

Par application de l’article L.1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par l’article 1er de la loi du 27 mai 2008, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L.3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m’urs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

Et l’article 1er de la loi du 27 mai 2008 définit comme suit les différentes formes de discrimination :

— constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non appartenance , vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation sexuelle ou de son sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre, ne l’est, ne l’a été, ou ne l’aura été, dans une situation comparable,

— constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique, neutre en apparence, mais susceptible d’entraîner, pour l’un des motifs précités, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d’autres personnes, à moins que cette disposition ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires ou appropriés,

— la discrimination inclut tout agissement lié à l’un des motifs précités et tout agissement à connotation sexuelle, subis par une personne et ayant pour objet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement hostile, dégradant, humiliant ou offensant .

L’article L. 1134 – 1 du code du travail prévoit qu’en cas de litige relatif à l’application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte telle que définie par l’article 1er de la loi du 27 mai 2008.

Au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination .

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Et, s’agissant de la discrimination syndicale, l’article L. 2141-5 du code du travail prévoit qu’il est interdit à l’employeur de prendre en considération l’appartenance à un syndicat ou l’exercice d’une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d’avancement, de rémunération et d’octroi d’avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail.

En l’espèce, M. [J] reproche à la société Thales Alenia Space France deux manquements de nature discriminatoire : le premier consiste à avoir participé à son éviction du site de Thales Alenia Space France en janvier 2011 en raison de sa candidature aux élections de délégué du personnel transmise le 8 septembre 2010 par le syndicat CGT de la société Thales Alenia Space à la direction de cette dernière et le second, à avoir, pour le même motif de discrimination syndicale, refusé de l’embaucher malgré ses nombreuses candidatures.

La cour estime, comme le soutient justement la société Thales Alenia Space France, que le premier manquement qui a été retenu par la cour de Nîmes à l’encontre des sociétés Gert et Gert Ingénierie ne peut être valablement invoqué à l’encontre de la société Thales Alenia Space France.

En effet, à l’exception de la protection du candidat à une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation, l’article L. 1132-1 du code du travail ne prévoit de mesure de protection contre la discrimination qu’au bénéfice du salarié et l’article L. 2141-5 renvoie à l’obligation de l’employeur, ce qui suppose que l’existence d’un contrat de travail soit établie entre la partie qui se prétend discriminée et celle poursuivie sur le fondement de la discrimination syndicale.

En l’espèce, à l’exception de la première année d’exercice professionnel au sein de la société Alcatel Space au cours de laquelle M. [J] était mis à la disposition de cette société utilisatrice dans le cadre d’un contrat d’intérim, à compter du 1er juillet 2002, M. [J] a été le salarié de la société Gert puis de la société Gert Ingénierie, toutes deux, non pas sociétés de travail temporaire mais sociétés de prestations de services ayant envoyé M. [J] en mission au sein de la société Alcatel Space, devenue Thales Alenia Space France, aux fins d’exécuter des prestations de contrôleur.

C’est en conséquence à bon droit que la société Thales Alenia Space France demande à la cour de dire que les demandes de M. [J] relatives à son éviction du site de Thales Alenia Space de janvier 2011 ne peuvent être valablement dirigées contre la société Thales Alenia Space France qui n’était pas l’employeur de M. [J] à la date de cette éviction, la cour rappelant que M. [J] a obtenu des dommages et intérêts réparant son préjudice lié à des actes de discrimination contre ses anciens employeurs, les sociétés Gert et Gert Ingénierie, lors des instances dirigées contre elles par arrêts de la cour d’Aix-en-Provence et de Nîmes.

M. [J] sera en conséquence débouté de sa demande de dommages et intérêts de 80 000 € intitulée 'préjudice économique passé'.

Sur la discrimination à l’embauche reprochée à la société Thales Alenia Space France

Il appartient à M. [J] de présenter à la cour, par application de l’article L. 1134-1 du code du travail, des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte à l’embauche en raison de sa candidature aux élections de délégué du personnel présentée en septembre 2010 par le syndicat CGT de Thales Alenia Space.

M. [J] verse aux débats les pièces démontrant que le syndicat CGT de Thales Alenia Space a bien informé la société Thales Alenia Space de sa candidature au poste de titulaire aux élections de délégué du personnel d’octobre 2010 et il n’indique pas qu’il ait été élu.

Il établit également par l’arrêt de la cour de Nîmes du 12 novembre 2019 la réalité de faits de discrimination syndicale commis envers lui par ses anciens employeurs les sociétés Gert et Gert Ingénierie en raison de cet engagement syndical et l’arrêt en janvier 2011 de la prestation de travail exécutée par M. [J] au sein de la société Alcatel Space, devenue Thales Alenia Space, en qualité de contrôleur de façon ininterrompue depuis 10 ans, soit juillet 2001.

M. [J] a établi dans ses conclusions un récapitulatif de ses demandes d’emploi formulées auprès de la société Thales Alenia Space à compter de mars 2011

—  7 mars 2011 : poste de technicien polyvalent avec spécialisation 3D,

—  13 mai 2011 : poste de mécanicien ajusteur sur produits micro mécaniques et générateurs solaires,

—  20 décembre 2012 : poste de contrôleur polyvalent expérimenté,

—  30 mai 2013 : poste d’illustrateur rédacteur de notices techniques,

—  2016 : poste de technicien procédés câblage cartes,

—  2016 : poste de technicien méthodes composites,

—  2020 : poste de technicien contrôle qualité et validation essais,

—  2020 : poste de technicien tests électroniques.

Il soutient qu’il avait les compétences lui permettant d’occuper ces postes et explique pour chacun des postes que les explications de l’employeur, quand elles existent, n’objectivent pas les refus, rappelant la longue durée de ses missions au sein de la société Thales sans difficulté dans l’exercice du travail.

La cour estime que M. [J] présente à la cour des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination à l’embauche en raison de ses activités syndicales dans la mesure où, à compter de 2011, et alors qu’il avait exécuté pendant 9 ans, et sans difficulté, ses missions de contrôle technique au sein de la société Thales, aucune de ses nombreuses demandes d’emploi n’a été satisfaite alors que la société Thales Alenia Space avait eu connaissance de sa candidature aux élections de délégués du personnel en septembre 2010.

Au vu de ces éléments, il incombe à la société Thales Alenia Space France de prouver que ses refus d’embauche sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

La société Thales Alenia Space France conteste formellement avoir refusé d’embaucher M. [J] en raison de sa candidature aux élections de délégués du personnel, expliquant qu’elle respecte le dialogue social et a mis en place un accord sur le dialogue social et le droit syndical au sein de l’entreprise en décembre 2018.

Elle indique dans ses conclusions les raisons pour lesquelles elle n’a pas donné suite aux candidatures suivantes de M. [J] :

—  7 mars 2011 : poste de technicien polyvalent avec spécialisation 3D : les rapports d’entretien de recrutement mentionnent des réserves sur son expérience, ses aspirations, sa polyvalence, le travail en équipe et la formation longue et nécessaire et à l’inverse les qualités de M. [A], autre candidat préféré sur le poste, avant que ce dernier ne refuse le poste qui a été confié à un salarié de Thales Alenia Space France par mutation interne ;

—  13 mai 2011 : poste de mécanicien ajusteur sur produits micro mécaniques et générateurs solaires : la candidature de M. [J] sur ce poste de niveau CAP ou Bac professionnel n’était pas recevable ;

—  20 décembre 2012 : poste de contrôleur polyvalent expérimenté : la société Thales renouvelle les réserves exprimées par la direction des ressources humaines sur ses aspirations, son manque d’expérience en métrologie et sur sa capacité limitée à développer sa polyvalence ;

—  30 mai 2013 : poste d’illustrateur rédacteur de notices techniques : ce poste n’était pas ouvert au sein de la société Thales Alenia Space France mais d’une autre entité du groupe Thales, la société Thales Underwater Systems ;

—  2016 : poste de technicien procédés câblage cartes : il s’agissait d’un poste ouvert sur le site de [Localité 6] et le candidat retenu, M. [P], intérimaire sur le site, disposait de la formation pour être opérationnel sur ce poste ;

—  2016 : poste de technicien méthodes composites : ce poste a été supprimé et fermé suite à une réduction du nombre d’embauches sur le site de [Localité 4] ;

—  2020 : poste de technicien contrôle qualité et validation essais : l’offre d’emploi émanait de la société Thales Systèmes Mission de Défense et M. [J] n’établit pas que sa candidature ait été écartée ;

—  2020 : poste de technicien tests électroniques : la société Thales explique que le processus de recrutement est toujours en cours.

La société Thales ajoute que M. [J] ne justifie pas avoir candidaté sur les postes occupés par MM [V] et [B] et elle explique que M. [J] avait des qualifications professionnelles inférieures à celle de Mme [G] [O].

L’examen des pièces et des explications des parties permet à la cour de relever que la société Thales Alenia Space France n’objective pas les motifs du refus d’embauche de M. [J] sur le poste de technicien polyvalent avec spécialisation 3D sollicité en 2011 refusé par le candidat M. [A] ; en effet les réserves émises par la direction des ressources humaines sur son caractère bavard et peu polyvalent sont contredites par la fiche de matrice de compétence de décembre 2010 et par l’exercice par M. [J] de ses fonctions de contrôleur technique pendant 9 ans sans difficultés liées à sa personnalité alors qu’au contraire, le contrat de chantier exécuté au sein de la société Thales a duré 7 ans sans interruption. La société Thales Alenia Space France ne justifie pas que le poste proposé aurait été occupé par un salarié en mutation interne.

Les explications sur le refus d’embauche sur le poste de contrôleur polyvalent expérimenté ne sont pas plus objectives alors que M. [J] a occupé ce poste de contrôleur technique pendant près de 10 ans sans difficulté à une période proche de la demande de recrutement (deux ans).

Le poste offert à M. [P] l’a été pour des raisons objectives de diplôme et d’expérience récente au sein de Thales Alenia Space France.

En revanche, la société Thales ne justifie pas de la réalité de la suppression du poste de technicien méthodes composites au sein du site de [Localité 4].

Les autres refus d’embauche sont valablement justifiés, soit par la qualification qui n’est pas celle de M. [J], soit par l’identité du recruteur qui n’est pas la société intimée, soit en raison de l’actualité du processus d’embauche.

La cour estime en conséquence que la société Thales Alenia Space France ne justifie pas par des éléments objectifs 3 refus d’embauche de sorte que la discrimination à l’embauche invoquée pour des raisons de discrimination syndicale sera retenue.

Sur la réparation de la discrimination à l’embauche

La cour n’a pas le pouvoir d’imposer à la société Thales Alenia Space France d’intégrer dans ses effectifs M. [J] à titre de sanction de la discrimination à l’embauche dont il a été la victime. Cette demande sera rejetée par confirmation du jugement déféré.

Ces refus d’embauche ont fait perdre à M. [J] la chance de poursuivre sa carrière au sein d’une société importante dans laquelle il avait fait ses preuves et d’y occuper un poste pour lequel il avait des compétences. L’importance de la différence de salaire entre les postes auxquels il aurait pu prétendre , d’après M. [J], un salaire mensuel de 2 600 € environ, au vu de la fiche des salaires de base chez Thales qu’il verse aux débats, et le salaire qu’il perçoit chez Vibratech, société qui l’a embauchée en qualité de technicien en électronique puis de chef d’atelier en avril 2014 après une fin d’emploi chez Geci Services en décembre 2013, n’est pas celle prétendue par M. [J] qui a perçu au sein de la société Vibratech un salaire annuel moyen de 30 000 € brut, soit 2 500 € par mois. M. [J] a également subi un préjudice moral du fait de ces refus d’embauche répétés.

La cour lui allouera la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de ces préjudices, le jugement entrepris étant infirmé de ce chef.

Cette condamnation portera intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition de l’arrêt, avec capitalisation des intérêts dus au moins pour une année entière.

Sur le surplus des demandes de M. [J]

M. [J] ne caractérise pas de préjudice distinct résultant de la violation de l’accord sur le dialogue social et le droit syndical de l’entreprise qui n’aurait pas été réparé par les dommages et intérêts alloués au titre de la discrimination à l’embauche de sorte qu’il sera débouté de ce chef de demande par confirmation du jugement dont appel.

La société Thales Alenia Space France qui succombe sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel par infirmation du jugement déféré et à payer à M. [J] la somme de 3 000 € en remboursement des frais irrépétibles d’appel, le jugement déféré étant confirmé sur l’article 700 du code de procédure civile.

Sur les demandes du syndicat CGT Thales Space [Localité 4]

La discrimination syndicale à l’embauche dont a été victime M. [J] justifie que la société Thales Alenia Space France soit condamnée à indemniser le syndicat CGT Thales Space [Localité 4] du préjudice subi par l’intérêt collectif des salariés qu’il représente à hauteur de 1 500 € à titre de dommages et intérêts et à verser au syndicat la somme de 1 000 € au titre des frais irrépétibles de l’appel, le jugement déféré étant confirmé sur les frais irrépétibles de première instance.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement entrepris en ce qu’il n’a pas retenu de discrimination à l’embauche de M. [D] [J] par la société Thales Alenia Space France et en ce qu’il a rejeté les demandes de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel et moral subi du fait de la discrimination et l’infirme sur les dépens,

Infirme le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté les demandes du syndicat CGT Thales Space [Localité 4],

Confirme le jugement déféré en ce qu’il a rejeté la demande d’intégration de M. [D] [J] au sein des effectifs de la société Thales Alenia Space France et sur l’article 700 du code de procédure civile,

statuant à nouveau des chefs infirmés, et, y ajoutant,

Dit que M. [D] [J] a été victime de la part de la société Thales Alenia Space France de discrimination à l’embauche,

Condamne la société Thales Alenia Space France à lui payer la somme de 10 000 € en réparation de ces faits de discrimination à l’embauche et celle de 3 000 € en remboursement des frais irrépétibles d’appel,

Dit que la condamnation au paiement de dommages et intérêts portera intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition du présent arrêt et autorise la capitalisation des intérêts dus au moins pour une année entière,

Condamne la société Thales Alenia Space France à payer au syndicat Thales Space [Localité 4] la somme de 1 500 € à titre de dommages et intérêts et celle de 1 000 € au titre des frais irrépétibles d’appel,

Déboute M. [J] du surplus de ses demandes,

Condamne la société Thales Alenia Space France aux dépens de première instance et d’appel.

Le présent arrêt a été signé par Caroline PARANT, présidente, et par Arielle RAVEANE, greffière.

LA GREFFIÈRE,LA PRÉSIDENTE,

Arielle RAVEANECaroline PARANT.

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Cour d'appel de Toulouse, 4e chambre section 2, 22 janvier 2021, n° 18/05128