Cour d'appel de Toulouse, 2e chambre, 11 janvier 2023, n° 21/03537

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Toulouse, 2e ch., 11 janv. 2023, n° 21/03537
Juridiction : Cour d'appel de Toulouse
Numéro(s) : 21/03537
Importance : Inédit
Décision précédente : Tribunal de commerce de Toulouse, 28 juillet 2021, N° 2020F02325
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Date de dernière mise à jour : 16 janvier 2023
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Texte intégral

11/01/2023

ARRÊT N°30

N° RG 21/03537 – N° Portalis DBVI-V-B7F-OKJG

PHD/CO

Décision déférée du 29 Juillet 2021 – Tribunal de Commerce de TOULOUSE – 2020F02325

M. BOULOUS

[R] [D]

C/

S.E.L.A.R.L. BENOIT & ASSOCIES

infirmation partielle

Grosse délivrée

le

à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

2ème chambre

***

ARRÊT DU ONZE JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS

***

APPELANT

Monsieur [R] [D]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Gregory VEIGA de la SELARL ARCANTHE, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMEE

S.E.L.A.R.L. BENOIT & ASSOCIES Me AMIZET, Mandataire Judiciaire de la SAS YUMA,

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Frédéric BENOIT-PALAYSI de la SCP ACTEIS, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 19 Septembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant V.SALMERON Présidente, P. DELMOTTE, Conseiller chargé du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

V. SALMERON, présidente

P. DELMOTTE, conseiller

I. MARTIN DE LA MOUTTE, conseiller

Greffier, lors des débats : C. OULIE

MINISTERE PUBLIC:

Représenté lors des débats par M. JARDIN, qui a fait connaître son avis.

ARRET :

— CONTRADICTOIRE

— prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

— signé par V. SALMERON, présidente, et par C. OULIE, greffier de chambre.

Exposé du litige

La société Yuma, société par actions simplifiée, immatriculée le 1er décembre 2011, qui avait pour dirigeant de droit M. [R] [D], exerçait des activités de conception, de fabrication, de commercialisation, de mise en fonctionnement et d’exploitation de gros composants et d’autres équipements électroniques notamment des générateurs, des centrales, des panneaux photovoltaïques, des panneaux fonctionnant à l’énergie solaire et toutes énergies renouvelables.

Par acte d’huissier du 7 février 2018, l’Urssaf Midi Pyrénées a assigné la société Yuma devant le tribunal de commerce de Toulouse en ouverture d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire. L’affaire a été renvoyée à l’audience du 9 mars 2018.

Le 7 mars 2018, M. [D] a effectué au nom de la société Yuma une déclaration de cessation des paiements devant le même tribunal.

Ordonnant la jonction des deux instances, le tribunal a, par jugement du 13 mars 2018, ouvert la liquidation judiciaire de la société Yuma, fixé la date de cessation des paiements au 17 janvier 2018 et désigné la Selarl Benoît et associés(le liquidateur) en qualité de liquidateur judiciaire.

Par acte d’huissier du 28 octobre 2020, le liquidateur a assigné M. [D] devant le tribunal en responsabilité pour insuffisance d’actif sur le fondement de l’article L. 651-2 du code de commerce.

Par jugement du 29 juillet 2021, le tribunal de commerce de Toulouse a condamné M. [D] à payer au liquidateur

— la somme de 968 299€ avec intérêts au taux légal à compter du jugement, au titre de l’insuffisance d’actif,

— celle de 1500€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 4 août 2021, M. [D] a relevé appel de cette décision.

Vu les conclusions du 8 septembre 2022 de M. [D] demandant à la cour

— d’infirmer le jugement,

— de dire que le liquidateur ne rapporte pas la preuve d’une faute de gestion ayant concouru en tout ou partie à l’aggravation de l’insuffisance d’actif,

— à titre subsidiaire, de dire que le liquidateur ne rapporte pas la preuve du lien de causalité entre la prétendue faute de gestion et l’aggravation de l’insuffisance d’actif,

— de débouter le liquidateur de l’intégralité de ses demandes,

— à titre subsidiaire, de limiter toute condamnation qui serait prononcée à son encontre à la somme maximale de 14 148€,

— de condamner la Selarl Benoît et associés, ès qualités, à lui payer la somme de 10 000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

Vu les conclusions du 14 décembre 2021 du liquidateur demandant à la cour

— de débouter M. [D] de ses demandes,

— de confirmer le jugement,

— de condamner M. [D] à lui payer la somme de 10 000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Vu l’avis du 5 août 2022 du ministère public, transmis aux parties via le RPVA, estimant que le jugement déféré doit être confirmé en ce qu’il a condamné M. [D] en responsabilité pour insuffisance d’actif à concurrence du passif déclaré de la société Yuma.

La clôture de l’instruction du dossier est intervenue le 12 septembre 2022.

Motifs

Il est constant et non contesté que le passif déclaré à la liquidation judiciaire de la société Yuma s’élève à 1 056 544, 97€ (liste des créances, pièce n° 6 du liquidateur) tandis que l’actif immobilier, mobilier ou incorporel est nul.

L’insuffisance d’actif est donc égale en l’espèce au montant du passif social, soit 1056 544, 97€ .

Le liquidateur reproche, en premier lieu, à M. [D] d’avoir fait supporter par la société [D] Groupe, dont il était également le dirigeant , laquelle avait cédé depuis le 19 décembre 2014 les parts qu’elle détenait dans la société Yuma, le coût de travaux d’étude d’ingénierie, de frais de personnel, de fournisseurs et des loyers.

Cependant, si ces faits pouvaient éventuellement caractériser des relations financières anormales constitutives d’une confusion des patrimoines ou ressortir, comme le souligne le ministère public, à un abus de biens sociaux, le liquidateur n’explique pas en quoi ces éléments ont contribué à l’insuffisance d’actif de la société Yuma.

Mais, en second lieu, l’examen des comptes sociaux révèle qu’au 31 décembre 2015, la situation nette de la société Yuma était positive à concurrence de 147 475€ ; au 31 décembre 2016, la société Yuma accusait des pertes de 714 881€ et au 31 décembre 2017 de 820 824€.

Comme l’a relevé le jugement attaqué, cette dégradation était imputable au fait que les frais de recherche et de développement ont été passés en charge tandis que l’activité de la société était insuffisante avant de cesser au mois de novembre 2017.

Pour justifier de cette situation, M. [D] expose dans ses conclusions que 'durant sa phase de recherche et de développement, la société Yuma ne pouvait qu’engager des dépenses au service de son programme de recherche et développement, qui se traduiraient nécessairement par une insuffisance d’actif en cas d’échec du projet puisqu’elle ne disposait d’aucun actif matériel ou immatériel. C’est malheureusement ce qui se produira début 2018 sans que cet échec ne puisse lui être sérieusement imputé…' Un accord 'prévoyait le versement à la SAS Yuma de plusieurs millions d’euros en vue de permettre l’industrialisation et la commercialisation du système développé depuis 2011 par la société. Pour des raisons propres aux investisseurs, les sommes prévues n’ont pu être versées, empêchant la SAS Yuma de concrétiser les dernières phases de développement de son projet et conduisant de fait la société à sa liquidation. Ce risque était cependant connu dès l’initiation du projet Yuma… L’insuffisance d’actif de la société Yuma ne résulte donc pas de prétendues fautes de gestion de son dirigeant mais de l’échec du projet innovant de cette start-up en phase de recherche et développement'.

Cependant si le projet de 'start-up’ repose sur un pari entrepreneurial dont les investisseurs ont connaissance, le risque pris par le dirigeant social ne peut l’exonérer de toute responsabilité, M. [D] ne pouvant s’abstraire de toutes les règles applicables à la gouvernance d’une société commerciale.

Or, à deux reprises, le commissaire aux comptes a déclenché la procédure d’alerte en signalant à M. [D].

— le 25 avril 2016, l’absence des solutions nécessaires pour assurer la continuité de l’exploitation en raison, notamment :

+ du risque de manque de trésorerie, si une levée des fonds ne se concrétisait pas, malgré la recherche d’investisseurs

+ du fait que le manque de liquidités ne permettait pas d’engager des dépenses éligibles au titre des contrats de financement acquis et en cours de déblocage auprès de la BPI et la Région Languedoc Roussillon Midi Pyrénées et ne permettait donc pas à la société Yuma de poursuivre ses développements

— le 5 décembre 2017, le constat de la difficulté à lever des fonds, de l’impossibilité de faire face au passif exigible avec l’actif disponible et de la capacité d’autofinancement négative de sorte que la continuité de l’exploitation de la société.

En dépit de ces alertes, M. [D], a poursuivi sciemment l’exploitation déficitaire et n’a pris aucune mesure pour reconstituer les capitaux propres en procédant, par exemple, à une augmentation du capital en numéraire ou en procédant à des apports en comptes courants pour alimenter la trésorerie de la société. Il n’a pas davantage, dès 2016, saisi le président du tribunal de commerce d’une demande de conciliation ou d’ouverture d’un mandat ad hoc ni n’a effectué une demande d’ouverture d’un redressement judiciaire qui aurait pu permettre l’élaboration d’un plan pour sauver l’entreprise. Ce n’est qu’après la délivrance d’une assignation de l’Urssaf en ouverture d’une procédure collective, qu’il a lui-même, le 7 mars 2018, effectué une déclaration de cessation des paiements en vue de l’ouverture, d’emblée, d’une liquidation judiciaire.

La seule réponse aux alertes du commissaire aux comptes réside dans le rapport du comité de direction présenté à l’assemblée générale de la société Yuma du 16 février 2018 où l’on lit, en page 3, in fine : 'en résumé, il est vrai qu’en l’absence de levée de fonds, la situation économique et financière de la Société demeure fragile. Nous tentons aujourd’hui par tous moyens de privilégier la voie de la levée de fonds qui reste la seule solution pour assurer le redressement de notre société. Nous sommes conscients que la situation actuelle ne saurait perdurer et qu’il est vital de déboucher, à très court terme, sur des solutions concrètes.'

Les termes de ce rapport, établi alors que la société est déjà en état de cessation des paiements, témoignent de l’aveuglement de l’équipe de direction et de M. [D] poursuivant l’idée d’un hypothétique levée de fonds alors que la société n’a plus de’activité depuis le mois de novembre 2017.

C’est donc par des motifs que la cour adopte, que le jugement a retenu que M. [D] avait commis une faute de gestion, en poursuivant une exploitation déficitaire pendant deux exercices, en faisant abstraction des alertes du commissaire aux comptes et sans prendre de mesures adaptées à l’intérêt social, faute de gestion qui a contribué à l’insuffisance d’actif.

En revanche, le montant de la condamnation prononcée par le tribunal contre M. [D] apparaît disproportionné.

Celui-ci se déclare, dans ses conclusions, dirigeant d’entreprise mais on ignore le montant de sa rémunération. Il n’est plus propriétaire de l’immeuble, situé à l’Union(31) qui a été attribué, à titre de prestation compensatoire à son épouse, dans le cadre de leur divorce .

Il est propriétaire d’un terrain situé en Corse, acquis moyennant la somme de 154 200€, sur lequel a été édifié une maison d’habitation et financé au moyen d’un prêt dont les échéances mensuelles s’élèvent à 885, 30€.

Le présent litige s’inscrit dans le cadre d’un conflit familial aigu opposant M. [R] [D] à son frère et son père, et relatif, notamment, à la gouvernance du groupe [D]. Ce conflit d’associés d’une même famille n’est pas sans lien avec les difficultés de la société Yuma puis à sa liquidation judiciaire, M. [D] s’appesantissant longuement dans ces écritures sur ce contexte.

Au regard de ces circonstances, de la situation de M. [D], de la gravité des faits reprochés et du principe de proportionnalité, il y a lieu de condamner M. [D] à payer au liquidateur la somme de 200 000€ à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement en ce qu’il a condamné M. [D] à supporter l’insuffisance d’actif de la société Yuma et à payer au liquidateur la somme de 1500€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile;

L’infirmant quant au montant de la condamnation prononcée au titre de la responsabilité pour insuffisance d’actif, condamne M. [D] à payer à la Selarl Benoît et associés, ès qualités, la somme de 200 000€ à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

Condamne M. [D] aux entiers dépens de première instance et d’appel ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. [D], le condamne à payer à la Selarl Benoît, ès qualités, la somme de 2000€.

Le greffier La présidente.

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Textes cités dans la décision

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  2. Code de procédure civile
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