Cour d'appel de Toulouse, 4e chambre section 1, 3 mars 2023, n° 21/02294

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Chronologie de l’affaire

Commentaire1

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Me Vincent Raffin · consultation.avocat.fr · 12 mai 2023

Accident de travail – faute inexcusable – la rente ne répare pas le déficit fonctionnel permanent : Quelques décisions rendues par les juridictions du fond dans les suites des arrêts de la cour de cassation du 20 janvier 2023 Nous le savons, par deux arrêts du 20 janvier 2023, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation a opéré un véritable revirement de jurisprudence en jugeant que : « La rente ne répare pas le déficit fonctionnel permanent » ; « La rente versée à la victime, eu égard à son mode de calcul appliquant au salaire de référence de cette dernière le taux …

 
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Sur la décision

Référence :
CA Toulouse, 4e ch. sect. 1, 3 mars 2023, n° 21/02294
Juridiction : Cour d'appel de Toulouse
Numéro(s) : 21/02294
Importance : Inédit
Décision précédente : Tribunal judiciaire de Cahors, 22 avril 2021, N° 19/00204
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Date de dernière mise à jour : 10 mars 2023
Lire la décision sur le site de la juridiction

Sur les parties

Texte intégral

03/03/2023

ARRÊT N°2023/103

N° RG 21/02294 – N° Portalis DBVI-V-B7F-OFVZ

MD/NM

Décision déférée du 23 Avril 2021 – Pole social du TJ de CAHORS 19/00204

M. TOUCHE

S.A.S. [14]

S.C.P. [11]

S.C.P. [12]

S.E.L.A.S. [13]

S.E.L.A.R.L. [10]

C/

[E] [T]

Etablissement CPAM DU LOT

CONFIRMATION

Grosse délivrée

le 3/3/23

à Me BONTOUX,

FNATH, CPAM

ccc Pôle Emploi

le 3/3/23, M.[T]

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 1 – Chambre sociale

***

ARRÊT DU TROIS MARS DEUX MILLE VINGT TROIS

***

APPELANTS

S.A.S. [14]

[Adresse 17]

[Localité 1]

Représentée par Me Xavier BONTOUX de la SAS BDO AVOCATS LYON, avocat au barreau de LYON

S.C.P. [11]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Xavier BONTOUX de la SAS BDO AVOCATS LYON, avocat au barreau de LYON

S.C.P. [12]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Xavier BONTOUX de la SAS BDO AVOCATS LYON, avocat au barreau de LYON

S.E.L.A.S. [13]

[Adresse 6]

[Localité 5]

Représentée par Me Xavier BONTOUX de la SAS BDO AVOCATS LYON, avocat au barreau de LYON

S.E.L.A.R.L. [10]

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Xavier BONTOUX de la SAS BDO AVOCATS LYON, avocat au barreau de LYON

INTIMES

Monsieur [E] [T]

[Adresse 16]

[Localité 8]

Comparant en personne,

Assisté de Mme [I] [W] de la FNATH (en vertu d’un pouvoir spécial)

CPAM DU LOT

[Adresse 4]

[Localité 7]

Représentée par Mme [F] [D] (Représ. salariés) en vertu d’un pouvoir spécial

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l’article 945.1 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 Janvier 2023, en audience publique, devant, S.BLUM'', présidente et M. DARIES, conseillère chargées d’instruire l’affaire, les parties ne s’y étant pas opposées. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

S. BLUM'', présidente

M. DARIES, conseillère

N. BERGOUNIOU, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

Greffière, lors des débats : C. DELVER

ARRET :

— CONTRADICTOIRE

— prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile

— signé par S. BLUM'', présidente, et par C. DELVER, greffière de chambre.

FAITS ET PROCÉDURE:

M. [T] a été embauché le 26 septembre 1985 par la société [9] ([9]) aux droits de laquelle est venue la société [14], en qualité de régleur.

Le 22 juin 2015, M. [T] a déclaré une insuffisance respiratoire (pneumopathie interstitielle diffuse fibrosante) dont le caractère professionnel a été reconnu par la CPAM du Lot le 06 octobre 2015 au titre du tableau 36 des maladies professionnelles du régime général.

M. [T] a été placé en arrêt de travail du 23 juin 2015 au 16 octobre 2016, puis du 14 septembre 2017 au 4 janvier 2019.

L’état de santé de M. [T] a été consolidé le 4 janvier 2019 et un taux d’IPP de 15% lui a été attribué.

Le 14 février 2019, M. [T] a sollicité auprès de la CPAM du Lot la reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur et le 04 mars 2019, la mise en place d’une procédure de conciliation qui n’a pas abouti.

Par décision en date du 2 juillet 2019, la commission de recours amiable d’Occitanie a sur recours de l’employeur, ramené pour l’employeur le taux d’IPP à 10% .

Par décision du 10 décembre 2019 du tribunal de commerce de Toulouse, la Sas [14] a fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire.

Le 27 février 2020, la CPAM du Lot a pris en charge une rechute de la maladie professionnelle de M. [T].

Le salarié a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Cahors le 5 novembre 2019 pour voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur à l’origine de sa maladie professionnelle.

Le pôle social du tribunal judiciaire de Cahors, par jugement du 23 avril 2021, a :

— jugé que la maladie professionnelle de M. [T] est opposable à son employeur la société [14],

— jugé que la maladie professionnelle de M. [T] est imputable à une faute inexcusable de son employeur la société [14],

— dit que le présent jugement est opposable à la CPAM du Lot,

— ordonné en conséquence, la majoration au taux maximal de l’indemnité en capital ou de la rente qui sera servie à l’assuré, et dit que la majoration suivra l’évolution éventuelle du taux d’incapacité attribué,

— dit que le montant sera avancé par la CPAM du Lot, à charge de recours pour elle contre l’employeur, dans les limites du seul taux d’incapacité de 10% rendu opposable à l’employeur par décision de la CMRA d’Occitanie du 2 juillet 2019,

— alloué à M. [T] la somme de 2 000 euros à titre de provision à valoir sur l’indemnisation de ses préjudices et dit que cette somme sera avancée par la CPAM du Lot à charge de recours pour elle à l’encontre de son employeur,

— condamné la société [14] à verser à M. [T] une somme de 1500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

et avant dire droit:

— ordonné une expertise judiciaire pour déterminer les préjudices subis par M. [T],

— désigné pour ce faire le docteur [R] [L], médecin expert pneumologue au service pneumologie de l’hôpital [15] : [Adresse 18], avec pour mission de :

1. Entendre contradictoirement les parties et leurs conseils dans le respect des règles de

déontologie médicale ou relatives au secret professionnel ;

2. Recueillir les renseignements nécessaires sur l’identité de la victime et sa situation familiale, son niveau d’études ou de formation, sa situation professionnelle antérieure et postérieure à la maladie professionnelle, les conditions de son activité professionnelle, son statut exact, son mode de vie antérieur la maladie professionnelle et sa situation actuelle ;

3. Se faire communiquer par la victime tous documents médicaux la concernant notamment ceux consécutifs à sa maladie et à son état de santé antérieur,

4. A partir des déclarations de la victime et des documents médicaux fournis, décrire en détail les lésions initiales, les modalités du traitement, en précisant autant que possible les durées exactes d’hospitalisations et pour chaque période d’hospitalisation, la nature et le nom de l’établissement le ou les services concernés et la nature de soins ;

5. Décrire un éventuel état antérieur en interrogeant la victime et en citant les seuls antécédents qui peuvent avoir une incidence sur les lésions ou leurs séquelles ;

6. Procéder dans le respect du contradictoire à un examen clinique détaillé en fonction des lésions initiales et des doléances exprimées par la victime ;

7. Décrire, en cas de difficultés particulières éprouvées par la victime, les conditions de reprise de l’autonomie et, lorsque la nécessité d’une aide temporaire est alléguée, la consigner et émettre un avis motivé sur sa nécessité et son imputabilité ; indiquer si des dépenses liées à la réduction de l’autonomie sont justifiées, si le logement ou le véhicule de la victime ont nécessité une adaptation et si l’assistance constate ou occasionnelle d’une tierce personne (étrangère ou non à la famille) a été nécessaire avant la consolidation ;

8. Déterminer la durée du déficit fonctionnel temporaire, période pendant laquelle, pour des raisons médicales en relation certaine et directe avec les lésions occasionnées par la maladie professionnelle, la victime a dû interrompre totalement ses activités professionnelles ou habituelles, si l’incapacité fonctionnelle n’a été que partielle, en préciser le taux ;

9. Lorsque la victime allègue une répercussion dans l’exercice de ses activités professionnelles, recueillir les doléances et les analyser,

10. Dégager en les spécifiant, les éléments propres à justifier une indemnisation au titre des souffrances physiques et morales endurées résultant des lésions, de leur traitement, de leur évolution et des séquelles de la maladie professionnelle, en distinguant avant et après la consolidation, en évaluant ces préjudices selon l’échelle de 7 degrés ;

11. Déterminer, dans les mêmes conditions les éléments constitutifs d’un préjudice esthétique tant avant qu’après consolidation ; évaluer selon l’échelle de sept degrés ;

12. Lorsque la victime allègue l’impossibilité de se livrer à des activités spécifiques sportives ou de loisir, donner un avis médical sur cette impossibilité en distinguant avant et après la consolidation et son caractère définitif, en donnant les éléments propres à constituer ce chef

de préjudice, sans prendre position sur l’existence ou non d’un préjudice afférent à cette allégation ;

13. Dire s’il existe un préjudice sexuel; le décrire en précisant s’il recouvre l’un ou plusieurs des trois aspects pouvant être altérés séparément ou cumulativement, partiellement ou totalement : la libido, l’acte sexuel proprement dit (impuissance ou frigidité) et la fertilité (fonction de reproduction) ;

14. Dire si des soins postérieurs à la consolidation seront nécessaires ; dans l’affirmative en indiquer la nature, la quantité, la nécessité éventuelle de leur renouvellement et sa périodicité (frais occasionnels ou frais viagers) ;

15. Dire si l’état de la victime semble susceptible d’aggravation ou d’amélioration, dans le cas où un nouvel examen lui paraîtrait nécessaire, indiquer le délai dans lequel il devra y être procédé ;

16. Dire s’il existe sur le plan médical un préjudice exceptionnel, lequel est défini comme un préjudice atypique directement lié aux séquelles de la maladie, dont resterait atteint Monsieur [E] [T] ;

17. Etablir un état récapitulatif de l’ensemble des postes énumérés dans la mission ;

— Dit que l’expert désigné pourra, en cas de besoin, s’adjoindre le concours de tout spécialiste de son choix, dans un domaine distinct du sien, après en avoir simplement avisé les conseils des parties et le magistrat chargé du contrôle des expertises ;

— Dit que l’expert adressera un pré-rapport aux conseils des parties qui, dans les quatre semaines de la réception, lui feront connaître leurs observations auxquelles il devra répondre dans son rapport définitif ;

— Dit que l’expert devra déposer son rapport au greffe du tribunal dans les quatre mois à compter de l’acceptation de sa mission, sauf prorogation dument sollicitée auprès du président du pôle social du Tribunal Judiciaire de cahors, et en adresser une copie aux conseils des parties ;

— Dit que la CPAM du Lot fera l’avance des frais d’expertise ;

— Dit que l’expert devra accompagner le dépôt de son rapport de sa demande de rémunération dont il devra adresser un exemplaire aux parties par tout moyen permettant d’en établir la réception ;

— Dit qu’en cas d’empêchement, l’expert sera remplacé par ordonnance sur requête du président de ce tribunal ;

— Réservé les droits des parties pour le surplus

Par déclaration du 18 mai 2021, la sas [14], la société [11], ès qualités d’administrateur judiciaire, la société [12] ès qualités d’administrateur judiciaire, la selas [13] ès qualités de mandataire judiciaire, la selarl [10] ès qualités de mandataire judiciaire ont interjeté appel de ce jugement qui avait été notifié le 29 avril 2021, dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas contestées.

Le 16 septembre 2021, la Sas [14] a été déclarée en liquidation judiciaire et la Selas [13] et la Selarl [10] ont été désignées en qualité de liquidateurs.

Par jugement du 25 mars 2022, le tribunal judiciaire de Cahors, suite à contestation par le salarié du taux d’IPP ( incapacité permanente partielle) de 15% attribué par la commission médicale de recours amiable et à expertise, a porté ce taux à 20%.

PRETENTIONS DES PARTIES:

Par conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 06 janvier 2023, reprises oralement à l’audience, la sas [14], la selas [13] et la selarl [10] demandent à la cour de :

*infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Cahors,

*statuant à nouveau:

à titre principal,

— juger que le recours formé par M. [T] à l’encontre de la société [14] se heurte à la prescription,

— déclarer en conséquence le recours de M. [T] irrecevable,

à titre subsidiaire,

— juger que la maladie déclarée par M. [T] n’est pas la conséquence d’une faute inexcusable de la société [14],

— débouter M. [T] de l’ensemble de ses demandes,

à titre infiniment subsidiaire,

— ordonner, avant dire droit, une expertise judiciaire et désigner tel médecin expert qu’il lui plaira, avec pour mission de :

Convoquer l’ensemble des parties et leurs conseils, se procurer tous les documents, médicaux ou autres, relatifs à la présente affaire et procéder à l’examen clinique du patient ;

— Fixer la date réelle de consolidation c’est-à-dire la date à partir de laquelle les lésions ne sont plus rattachables à la maladie professionnelle ;

— Décrire les lésions consécutives à l’accident survenues avant la date réelle de consolidation et préciser si ces lésions et les soins subséquents sont bien en relation directe, certaine et exclusive avec la maladie professionnelle ;

— Examiner la victime et décrire son état psychologique ;

— Etablir le parcours professionnel et médical de Monsieur [T] avant sa maladie, et déterminer les éventuelles lésions ou affections antérieures à la maladie professionnelle,

— Dire si les lésions constatées à ce jour sont en lien direct et exclusif avec cette maladie

— Dire si les lésions actuelles peuvent trouver leur origine dans d’autres causes, et notamment dans un état antérieur à la maladie ;

— Déterminer la perte de capacité en lien avec la maladie professionnelle ;

— Dire si le taux d’IPP retenu par la Caisse indemnise uniquement la perte de capacité liée à l’accident ou s’il englobe des pertes de capacités ayant d’autres origines ;

— Si le taux d’IPP retenu par la Caisse n’indemnise pas uniquement la perte de capacité liée à l’accident, ventiler le taux d’IPP entre ce qui est imputable à la maladie, et ce qui ne l’est pas.

Évaluer le préjudice de souffrances physiques et morales endurées par Monsieur [T] après la consolidation, le préjudice esthétique, le préjudice d’agrément concernant les activités spécifiques sportives ou de loisirs dont Monsieur [T] pourra rapporter la preuve d’une pratique régulière antérieurement à la maladie, le déficit fonctionnel temporaire avant consolidation, la nécessité éventuelle d’adapter son véhicule ou son logement.

en tout état de cause,

— condamner M. [T] à la société [14], à la selas [13] et la selarl [10] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie postale reçues le 14 novembre 2022, reprises oralement à l’audience, M. [E] [T] représenté par l’association FNATH Grand Sud en la personne de Mme [W] ayant pouvoir spécial à cet effet, demande à la cour de :

— rejeter toutes conclusions contraires comme étant mal fondées,

— confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré,

— y ajouter la condamnation de l’employeur au paiement de 3000 euros au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

Par ses dernières conclusions N° 3 communiquées au greffe par mail du 06 janvier 2023 et par courrier, reprises oralement à l’audience, la CPAM du Lot représentée par Mme [D], ayant pouvoir à cet effet, demande à la cour de :

— confirmer le jugement quant au rejet de la fin de non-recevoir tirée de la prescription,

— la cpam du Lot s’en remet à la justice concernant la détermination de la faute inexcusable de l’employeur et des préjudices en découlant.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des prétentions et moyens des parties, il convient de se référer à leurs écritures déposées et soutenues à l’audience.

MOTIVATION:

I/ Sur la prescription biennale de l’article L 431-2 du code de la sécurité sociale en matière de faute inexcusable soulevée par l’employeur:

Aux termes de l’article L 431-2 du code de la sécurité sociale, la prescription en matière de faute inexcusable est de deux ans. Elle court :

— Soit du jour de l’accident ou de la première constatation médicale de la maladie ;

— Soit de la cessation du travail ;

— Soit du jour de la clôture de l’enquête ;

— Soit du jour de la cessation du paiement des indemnités journalières ;

— Soit du jour de la reconnaissance de l’origine professionnelle de l’accident ou de la maladie.

L’action en reconnaissance de la faute inexcusable a été introduite par M. [T] devant le Tribunal Judiciaire de Cahors le 5 novembre 2019.

* Les mandataires liquidateurs soulèvent la fin de non recevoir tirée de la prescription biennale de l’article L. 431-2 du code de la sécurité sociale, au motif que:

. M. [T], lequel a été arrêté pour maladie professionnelle du 23 juin 2015 au 14 octobre 2016, avait 2 ans à compter de cette date soit jusqu’au 13 octobre 2018 pour saisir le Tribunal d’un recours en reconnaissance de faute inexcusable,

. le 17 octobre 2016, le salarié a repris son travail à temps complet et a été déclaré apte par le médecin du travail le 26 octobre 2016,

. il n’a plus perçu d’indemnités journalières de sécurité sociale à compter du 14 octobre 2016,

. il a été de nouveau arrêté du 14 septembre 2017 au 04 janvier 2019 après avoir repris son emploi pendant un an, ce qui n’est pas une durée brève.

Les appelants considèrent que le point de départ du délai de prescription est la date effective de cessation de paiement des indemnités journalières et non la date de consolidation.

* M. [T] conclut à la recevabilité de son action et à l’absence de prescription.

Il expose qu’à la suite de l’arrêt de travail initial du 23 juin 2015 prolongé jusqu’au 16 octobre 2016, il a tenté de reprendre une activité professionnelle ce qui n’a pas abouti. Il n’y a pas eu rechute, l’arrêt de travail initial a été renouvelé du 14 septembre 2017 au 04 janvier 2019.

Aussi il soutient que la prescription biennale a commencé à courir à compter de cette date, à laquelle les indemnités journalières perçues au titre de la maladie professionnelle ont cessé d’être versées.

* La CPAM du Lot conclut également à l’absence de prescription de l’action, précisant qu’il n’y a pas eu de rechute à la date du 13 septembre 2017 de prolongation de l’arrêt de travail et que M. [T] a perçu des indemnités journalières jusqu’au 04 janvier 2019, correspondant à la date de consolidation, avec une interruption par une reprise de travail de quelques mois.

Sur ce:

La prescription court à compter de la cessation des paiements des indemnités journalières.

M. [T], à la suite d’une maladie professionnelle, a été en arrêt de travail du 23 juin 2015 au 16 octobre 2016 et du 14 septembre 2017 au 04 janvier 2019, après avoir repris son emploi dans la période intermédiaire.

Des éléments médicaux sont versés à la procédure:

. lors de la visite de reprise du 26 octobre 2016, le médecin du travail a déclaré apte M. [T] à la reprise à l’essai sur le poste d’électro-mécanicien proposé, sous réserve de contre-indications précisées,

. M. [Z], médecin généraliste, a établi un certificat médical de prolongation maladie professionnelle avec date de première constatation au 22 juin 2015, portant une date de reprise du travail au 14 octobre 2016, avec des soins sans arrêt de travail jusqu’au 30 septembre 2017,

. un certificat médical du Docteur [Z] du 13 septembre 2017 portant en référence la maladie professionnelle, d’arrêt de travail de prolongation jusqu’au 15 octobre 2017,

. un certificat médical final du Docteur [Z] en date du 04 janvier 2019, avec les mentions de première constatation de la maladie professionnelle au 22 juin 2015 et d’une consolidation avec séquelles au 04 janvier 2019,

. une décision du médecin conseil du 31 janvier 2019 notifiée à M. [T] de consolidation de son état à la date du 04 janvier 2019.

Il n’y a donc pas eu de rechute de la maladie professionnelle pendant toute la période susvisée, la consolidation n’ayant été prononcée qu’en janvier 2019.

Une rechute n’est intervenue qu’ultérieurement à compter du 28 janvier 2020, prise en charge le 27 février 2020.

Selon les attestations de paiement de la CPAM du Lot, des indemnités journalières ont été versées à M. [T] à la suite de la maladie professionnelle du 22 juin 2015 pour les périodes du 01-01-2016 au 16-10-2016, du 14-09-2017 au 31-12-2017 , du 01-01-2018 au 31-12-2018, puis du 01-01-2019 au 04-01-2019, jour de la consolidation.

M. [T] ayant repris le travail du 16 octobre 2016 au 13 septembre 2017 à la suite d’une déclaration d’aptitude par le médecin du travail, sous réserve de respecter des contre-indications et sans qu’il y ait eu prononcé d’une consolidation de son état, le versement des indemnités journalières a effectivement été interrompu pour cette période de plusieurs mois.

Mais le salarié a été rétabli dans ses droits à indemnités journalières à compter du 14 septembre 2017, dans le cadre d’une prolongation d’arrêt de travail en référence à la maladie professionnelle du 22 juin 2015.

Aussi l’interruption du versement des indemnités journalières concernant une même maladie professionnelle ne peut être retenue comme point de départ de la prescription biennale de l’action en reconnaissance de la faute inexcusable.

Le point de départ sera donc fixé à la date de cessation effective du paiement des dites indemnités au 04 janvier 2019, laquelle correspond en l’espèce à la date de consolidation.

Aussi l’action de M. [T] n’est pas prescrite et est recevable, par confirmation du jugement entrepris.

II/ Sur la faute inexcusable:

Dans le cadre de l’obligation de sécurité pesant sur l’employeur destinée, notamment, à prévenir les risques pour la santé et la sécurité des salariés, les dispositions des articles L. 4121-1 et suivants du code du travail lui font obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

L’employeur a, en particulier, l’obligation d’éviter les risques et d’évaluer ceux qui ne peuvent pas l’être, de planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions du travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants.

Les articles R. 4121-1 et R. 4121-2 du code du travail lui font obligation de transcrire et de mettre à jour au moins chaque année, dans un document unique les résultats de l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs.

Le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable au sens de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

Il suffit que la faute inexcusable de l’employeur soit une cause nécessaire de l’accident du travail pour engager sa responsabilité.

La maladie dont souffre M. [T] est inscrite au tableau 36 des maladies professionnelles concernant les affections provoquées par les huiles et graisses d’origine minérale ou de synthèse.

L’appelant soutient en premier lieu que la faute inexcusable de la société, qui n’a pris aucune mesure de sécurité, est présumée en application de l’article L 4131-4 du code du travail, car les risques liés aux vapeurs de métaux sont communs et connus et l’employeur ne peut opposer qu’il n’était pas au courant de ce risque dont il a été alerté.

En second lieu, au visa de l’article L 452-1 du code de la sécurité sociale, il affirme que l’employeur, professionnel averti, avait nécessairement conscience des risques encourus, de par le caractère d’évidence du risque et de l’information de dysfonctionnements et insuffisances.

La CPAM s’en remet à justice sur la détermination de l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur et des préjudices en découlant.

Sur la présomption de faute inexcusable:

L’article L. 4131-4 du code du travail prévoit que la reconnaissance de la faute inexcusable est de droit pour le ou les travailleurs qui seraient victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle alors qu’eux-mêmes ou un représentant du personnel au comité social et économique avaient signalé à l’employeur le risque qui s’est matérialisé.

Cette présomption n’exonère pas le salarié d’apporter la preuve que cette alerte a été émise.

M. [T] expose qu’il a été employé 30 ans dans l’entreprise, spécialisée dans la conception et la fabrication de composants de haute technicité, moulés sous pression et usinés Alliages d’aluminium pour l’industrie automobile et pour lesquelles de nombreux produits sont utilisés. Les salariés étaient exposés à des fumées et poussières de matériaux dont l’inhalation est à l’origine de sa maladie professionnelle. Il occupait le poste de régleur dans la fonderie.

Il indique que la pathologie inscrite au tableau 36 est reconnue d’origine professionnelle dès lors que le travailleur y a été exposé dans les 6 mois de l’apparition de la maladie.

Il s’appuie sur les comptes-rendus du CHSCT entre décembre 2009 et janvier 2013 faisant état de problèmes récurrents d’évacuation des fumées ( pièces 8 à 11).

L’employeur réfute toute faute inexcusable et toute contrevenance à son obligation de sécurité. Il oppose que M. [T] a été suivi régulièrement par le médecin du travail qui l’a déclaré apte, également après déclaration de sa maladie professionnelle, à reprendre son poste à temps complet.

A la lecture des comptes-rendus de réunions des délégués du personnel des 03 décembre 2009, 12 janvier 2010, 01 juin 2010, 05 avril 2011 et 15 janvier 2013, la cour relève comme l’a fait précisément le premier juge, que les institutions représentatives ont informé l’employeur, à plusieurs reprises, de dysfonctionnements des extracteurs dans les halls de travail de la société et notamment au bâtiment de certains fours, jusqu’à leur absence de fonctionnement et de l’existence d’importants problèmes d’évacuation des fumées dont les salariés étaient exposés à l’inhalation.

Ainsi en 2009, les délégués du personnel soulignaient que les salariés devaient travailler soit en respirant les fumées soit avec le froid, puisqu’il fallait attendre une heure trente pour l’évacuation des fumées en laissant tout ouvert.

Si l’employeur ne conteste pas l’existence de problèmes d’évacuation des fumées en raison des dysfonctionnements des extracteurs, il réplique qu’ils concernaient le hall de la 1350T2 et de la 1350T3 et que M. [T] n’était pas affecté à ces machines, mais au hall des 900T1, 900T2, 700T6 et 700T3.

L’employeur produit un plan du site (pièce 29) ne permettant pas d’appréhender facilement la position numérotée des machines ni l’agencement intérieur, un plan des halls numérotés de 1001 à 1013 sans correspondance aux numéros des halls concernés et un document intitulé 'répartition des surfaces SAM 2020".

Il indique que M. [T] a été principalement affecté à 3 halls dont la volumétrie était importante et telle que l’impact des produits sur l’air était moindre:

. les halls 1350T et 900 T d’une superficie de 7010 m3 chacun, trois salariés étant affectés au sein de chacun de ces halls,

. le hall 700T d’une superficie de 11926 m3 au sein duquel travaillaient 4 salariés.

M. [T] décrit, sans être sérieusement démenti, qu’il n’existe pas de séparation hermétique entre les machines mais que la séparation se fait par des 'murets’ ( servant à fixer les cabines électriques) qui ne couvrent pas la totalité de la surface, les machines étant par ailleurs plus hautes que les murets, ce qui laisse circuler les fumées dans l’ensemble du hangar.

Il verse à cet effet, une photographie d’une machine identifiée du hall 1350T2 ( ayant fait l’objet de plusieurs signalements quant à l’extraction des fumées) séparée par une allée et une cloison d’une hauteur nettement inférieure au plafond du hangar, proche d’une autre machine identifiée du hall 900 T, où M. [T] travaillait tel que l’indique l’employeur.

Une autre photographie montre des machines et des murets peu élevés sur lesquels sont apposés des cabines électriques.

L’ensemble de ces éléments démontre que la société, en tant que professionnelle, avait connaissance et conscience des risques encourus d’exposition et d’inhalation des fumées, auxquelles étaient exposés les salariés du fait de la proximité des machines et du temps nécessaire à leur évacuation en cas de dysfonctionnement par l’ouverture des portes du hangar.

Les termes des procès-verbaux produits soulignent la récurrence des dysfonctionnements sur plusieurs années, à laquelle l’employeur répondait en invoquant des problèmes de coûts.

Si l’employeur oppose avoir affiché des consignes de sécurité aux postes ( dont le port d’équipements de protection individuelle) et des procédures concernant l’introduction de nouveaux produits chimiques, il ne justifie pas avoir apporté, au regard des dysfonctionnements constatés, des mesures précises et durables pour préserver la santé des salariés dont celle de M. [T] dont la maladie professionnelle a été reconnue en 2015.

Le médecin du travail, lors de la reprise en octobre 2016, rappelait qu’était contre-indiquée pour M. [T] l’exposition aux poussières de métaux et aux aérosols/fumées d’huile et qu’il ne devait pas, sauf occasionnellement, réaliser des tâches de soudure ou générant des poussières de métaux et que des protections respiratoires adaptées devaient être impérativement mises à sa disposition.

La société ayant donc manqué à son obligation de sécurité, malgré les alertes et la conscience du risque qui s’est réalisé, il y a lieu de faire bénéficier M. [T] du régime de la faute inexcusable en application de l’article L 4134-1 du code du travail, par confirmation du jugement entrepris.

II/ Sur les conséquences de la faute inexcusable:

Lorsque l’accident du travail ou la maladie professionnelle est dû à la faute inexcusable de l’employeur, la victime a droit, en application des dispositions des articles L.452-1 et suivants du code de la sécurité sociale, indépendamment de la majoration de rente qui sera fixée au maximum prévu par l’article L 452-2, à une indemnisation complémentaire du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétique et d’agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle, et depuis la décision du conseil constitutionnel en date du 18 juin 2010, à une réparation de son préjudice au-delà des dispositions du livre IV du code de la sécurité sociale.

L’assemblée plénière de la cour de cassation retient, dans deux arrêts rendus le 20 janvier 2023, que la rente ne répare pas le déficit fonctionnel permanent. Il en résulte notamment qu’il n’y a pas lieu de distinguer les souffrances temporaires ou permanentes, l’ensemble des douleurs physiques et morales endurées par la victime devant faire l’objet de l’indemnisation complémentaire prévue par l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale

Il résulte de l’article L.452-3 du code de la sécurité sociale que la caisse primaire d’assurance maladie dispose d’une action récursoire contre l’employeur dont la faute inexcusable est reconnue dans l’accident du travail ou la maladie professionnelle du salarié, pour les sommes dont elle a été amenée à faire l’avance au titre de la réparation des préjudices ainsi qu’au titre de la majoration de la rente.

Par application des dispositions de l’article L.452-3-1 du code de la sécurité sociale, quelles que soient les conditions d’information de l’employeur par la caisse au cours de la procédure d’admission du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte obligation pour celui-ci de s’acquitter des sommes dont il est redevable.

Il résulte donc de ces dispositions cumulées que lorsque la faute inexcusable de l’employeur est reconnue, ce dernier doit rembourser à la caisse la totalité des sommes dues à la victime, liées à la reconnaissance de la faute inexcusable, y compris la majoration de la rente.

Sur ce:

* Du fait de la reconnaissance de la faute inexcusable, la majoration de la rente sera fixée à son maximum en application de l’article L 452-2 du code de la sécurité sociale.

L’employeur rappelle, qu’ayant contesté le taux d’IPP notifié à M. [T], la CMRA a fait droit à sa demande en réduisant le taux de 15% à 10% et sollicite la confirmation de la demande du salarié de ce que la majoration de la rente se fera dans les limites du taux d’IPP opposable à l’employeur soit 10% .

La CPAM n’a pas formé d’observation contraire sur ce point.

Il sera donc prononcé confirmation de la décision du pôle social du tribunal judiciaire sur ce chef tel qu’ordonné ainsi:

' ordonne en conséquence, la majoration au taux maximal de l’indemnité en capital ou de la rente qui sera servie à l’assuré, et dit que la majoration suivra l’évolution éventuelle du taux d’incapacité attribué,

— dit que le montant sera avancé par la CPAM du Lot, à charge de recours pour elle contre l’employeur, dans les limites du seul taux d’incapacité de 10% rendu opposable à l’employeur par décision de la CMRA d’Occitanie du 2 juillet 2019".

* L’expertise médicale nécessaire et ordonnée par le Tribunal judiciaire sera confirmée, de même que le montant de la provision fixé.

Sur les demandes annexes:

L’équité commande de ne pas faire application de l’article 700 du code de procédure civile.

Les dépens sont réservés.

PAR CES MOTIFS:

Statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant:

Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,

Réserve les dépens en fin de cause.

Le présent arrêt a été signé par S. BLUME,présidente et par C.DELVER, greffière.

LA GREFFI’RE LA PR''SIDENTE

C.DELVER S. BLUM''

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Cour d'appel de Toulouse, 4e chambre section 1, 3 mars 2023, n° 21/02294