Cour d'appel de Versailles, 5ème chambre, 2 septembre 2010, n° 08/02823

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Versailles, 5e ch., 2 sept. 2010, n° 08/02823
Juridiction : Cour d'appel de Versailles
Numéro(s) : 08/02823
Sur renvoi de : Cour de cassation, 9 avril 2008
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 88G

H.L./J.M.

5e Chambre

Renvoi après cassation

ARRET N°

RÉPUTÉ

CONTRADICTOIRE

DU 02 SEPTEMBRE 2010

R.G. N° 08/02823

AFFAIRE :

S.A.R.L. BRISTOL MYERS SQUIBB en la personne de son représentant légal

C/

URSSAF DE PARIS/ REGION PARISIENNE venant aux droits de L’AGENCE CENTRALE DES ORGANISMES SECURITE SOCIALE (ACOSS)

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 Mai 2004 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de NANTERRE

N° RG : 05/5183

Copies exécutoires délivrées à :

Me Bernard andré GENESTE

Me Claire VANNINI

Me Olivier BILLARD

Copies certifiées conformes délivrées à :

S.A.R.L. BRISTOL MYERS SQUIBB en la personne de son représentant légal

URSSAF DE PARIS/ REGION PARISIENNE venant aux droits de L’AGENCE CENTRALE DES ORGANISMES SECURITE SOCIALE (ACOSS), UNION POUR LE RECOUVREMENT DES COTISATIONS DE SECURITE SOCIALE ET D’ALLOCATIONS FAMILIALES, DIRECTION REGIONALE DES AFFAIRES SANITAIRES ET SOCIALES PARIS

le :

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LE DEUX SEPTEMBRE DEUX MILLE DIX,

La cour d’appel de VERSAILLES, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

DEMANDERESSE ayant saisi la cour d’appel de Versailles par déclaration enregistrée au greffe social le 08 août 2008en exécution d’un arrêt de la Cour de cassation du 10 avril 2008 cassant et annulant l’arrêt rendu le 30 janvier 2007 par la cour d’appel de VERSAILLES (5e chambre A)

S.A.R.L. BRISTOL MYERS SQUIBB agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié de droit au siège social sis :

XXX

XXX

représentée par Me Bernard andré GENESTE, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : NAN712, Me Claire VANNINI, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE

****************

DÉFENDERESSES DEVANT LA COUR DE RENVOI

URSSAF DE PARIS/ REGION PARISIENNE venant aux droits de L’AGENCE CENTRALE DES ORGANISMES SECURITE SOCIALE (ACOSS)

XXX

XXX

représentée par Me Olivier BILLARD, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : T 12

UNION POUR LE RECOUVREMENT DES COTISATIONS DE SECURITE SOCIALE ET D’ALLOCATIONS FAMILIALES

Division des Recours Amiables et judiciaires

XXX

XXX

représentée par Me Olivier BILLARD, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : T 12

DIRECTION REGIONALE DES AFFAIRES SANITAIRES ET SOCIALES PARIS

XXX

XXX

non représentée

****************

Composition de la cour :

L’affaire a été débattue à l’audience publique du 30 Mars 2010, devant la cour composée de :

Madame Jeanne MININI, président,

Madame Catherine ROUAUD-FOLLIARD, Conseiller,

Madame Isabelle OLLAT, Conseiller,

et que ces mêmes magistrats en ont délibéré conformément à la loi,

dans l’affaire,

Greffier, lors des débats : Mme Christiane PINOT

EXPOSÉ DES FAITS ET DES RELATIONS ENTRE LES PARTIES

L’organisation de la distribution du médicament en France est soumise à une importante réglementation, les pouvoirs publics, pour faire respecter le principe de sécurité sanitaire, ayant établi des règles tant pour ce qui concerne la surveillance des produits au stade de leur fabrication, de leur distribution et de leur dispensation que pour ce qui concerne la fixation des prix des médicaments, la fixation des marges- c’est-à-dire la part revenant à chaque acteur du circuit- et même l’encadrement des politiques commerciales par le plafonnement des ristournes et des remises que peuvent octroyer les différents intervenants. Enfin l’Etat intervient en instituant des taxes spécifiques pour réguler le marché.

Au niveau de la distribution pharmaceutique de gros, on distingue en France trois profils d’opérateurs :

les laboratoires pharmaceutiques qui assurent eux-mêmes l’approvisionnement des différents circuits (dont les pharmacies d’officine) à partir de leurs unités de production,

les dépositaires qui sont des entreprises qui se livrent, d’ordre et pour compte d’un ou de plusieurs laboratoires fabricants, au stockage et à l’approvisionnement en produits pharmaceutiques des établissements hospitaliers publics et privés, des agences de distribution, des répartiteurs ainsi que des pharmacies d’officine. Ils ne sont pas propriétaires des stocks de produits qui transitent par leurs sites de stockage,

les grossistes-répartiteurs qui exercent une activité d’achat et de revente des médicaments en s’approvisionnant auprès des dépositaires et des laboratoires pharmaceutiques. Contrairement aux dépositaires, ils sont propriétaires de leurs stocks. Par contre, eux seuls sont tenus à des obligations de service public définies à l’article R.5115-13 du code de la santé publique (devenu l’article R.5124-59) qui leur imposent sur un territoire de répartition :

de disposer d’un assortiment de médicaments comportant au moins les neuf dixièmes des présentations effectivement exploitées en France,

d’être en mesure de satisfaire à tout moment la consommation de la clientèle habituelle durant au moins deux semaines, de livrer dans les 24 heures suivant la réception de la commande tout médicament faisant partie de leur assortiment et de livrer tout médicament exploité en France à toute officine qui le leur demande.

Dans les années 1996/1997 les pouvoirs publics ont été sensibilisés par une évolution plus importante des ventes directes réalisées par les laboratoires pharmaceutiques auprès des pharmacies d’officine par rapport aux ventes directes réalisées par les grossistes-répartiteurs [ la part relative des ventes réalisées par les grossistes-répartiteurs ayant baissé entre 1990 et 1997 passant de 81,7% à 74,5% alors que dans le même temps, les ventes directes réalisées par les laboratoires pharmaceutiques progressaient de 6,7% à 10,2% ].

C’est dans ce contexte qu’a été instaurée la taxe additionnelle sur les ventes directes par l’article 12 de la loi n° 97-1164 du 19 décembre 1997, de financement de la sécurité sociale pour 1998 devenu l’article L.245-6-1 du code de la sécurité sociale, ainsi rédigé dans sa version originale:

« une contribution assise sur le chiffre d’affaires hors taxes réalisé en France auprès des pharmacies d’officine, des pharmacies mutualistes et des pharmacies de sociétés de secours minières, au titre des ventes en gros de spécialités inscrites sur la liste mentionnée à l’article L.162-17, à l’exception des spécialités génériques définies à l’article L.601-6 du code de la santé publique, est due par les entreprises assurant l’exploitation d’une ou plusieurs spécialités pharmaceutiques au sens de l’article L.596 du code de la santé publique. Le taux de cette contribution est fixé à 2,50% (à partir du 1er janvier 2002 ce taux s’est appliqué aux spécialités qui ne peuvent être délivrées que sur prescription médicale et le taux de 1,5% s’est appliqué aux autres spécialités pharmaceutiques) ».

Cette même loi a prévu que la totalité du produit de cette nouvelle contribution serait affectée au financement de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS).

Cette contribution, entrée en vigueur le 1er janvier 1998, était donc due par les laboratoires pharmaceutiques sur les ventes directes de spécialités remboursables réalisées par eux auprès des pharmacies d’officine. Elle a eu directement pour effet de ralentir la croissance des ventes directes par les laboratoires pharmaceutiques et de permettre aux grossistes-répartiteurs, qui n’étaient pas soumis à la taxe, de voir leurs parts de marché passer à 75,6 % en 1998 et à 75,5 % en 1999 puis se stabiliser à 74,2 % en 2001 pendant que les ventes directes réalisées par les laboratoires pharmaceutiques étaient réduites au cours de la même période à 9,1 % en 1998, puis à 8,6 % en 1999 avant de se stabiliser à 9,3 % en 2001.

Par une décision n° 97-393 DC en date du 18 décembre 1997, le Conseil constitutionnel a validé l’article 12 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998. En réponse à l’argument dont il était saisi par les parlementaires et selon lequel une telle taxe, dès lors qu’elle ne frappait qu’un seul des circuits de distribution des médicaments, était constitutive d’une violation du principe constitutionnel d’égalité devant les charges publiques, le Conseil constitutionnel a écarté la contestation après avoir considéré « qu’il ressort des travaux préparatoires que la taxe critiquée a pour objet non seulement de contribuer au financement de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, mais également de rééquilibrer les conditions de concurrence entre circuits de distribution des médicaments, au motif que les grossistes-répartiteurs sont soumis à des obligations de service public qui ne s’imposent pas aux laboratoires pharmaceutiques ».

Cette contribution sur les ventes directes a été supprimée par la loi n° 2002-1487 du 20 décembre 2002, de financement de la sécurité sociale pour 2003, à compter du 1er janvier 2003.

Jusqu’à cette date, en tant que laboratoires pharmaceutiques exploitant de spécialités pharmaceutiques se livrant à des ventes directes auprès des pharmacies d’officine, la société UPSA et la société Bristol-Myers Squibb ont donc été soumises à l’article L.245-6-1 du code de la sécurité sociale et assujetties à cette contribution.

Ces deux sociétés (la société Bristol-Myers Squibb ayant absorbé la société UPSA) ont versé au titre de cette contribution la somme totale de 14 786 801 euros au titre des années 1998 à 2001.

XXX

La société Bristol-Myers Squibb a introduit devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nanterre le 12 juin 2003 un recours tendant à obtenir de l’ACOSS (agence centrale des organismes de sécurité sociale en charge initialement du recouvrement de la taxe) le remboursement de l’intégralité de la somme versée au titre de la contribution sur les ventes directes de médicaments en invoquant l’irrégularité des bordereaux de mise en recouvrement et en faisant observer que cette taxe, dont sont exonérés les grossistes-répartiteurs, constitue une aide d’Etat illicite au regard des articles 87 et 88 du Traité CE pour n’avoir pas été déclarée préalablement à la Commission des Communautés européennes. Se fondant par ailleurs sur un rapport établi le 21 mai 2002 par M. X, expert-comptable – à la demande d’un autre laboratoire pharmaceutique placé dans la même situation – la société Bristol-Myers Squibb a estimé qu’elle apportait la preuve de ce que la taxe excédait en totalité les coûts engendrés par les obligations de service public mises à la charge des grossistes-répartiteurs, ce qui justifiait le remboursement de l’intégralité des sommes versées indûment à concurrence de la somme de 14 786 801 euros. De son côté, l’ACOSS a soulevé l’incompétence de la juridiction au profit du tribunal administratif concernant les irrégularités affectant les bordereaux de mise en recouvrement et a invoqué sur le fond du litige l’irrecevabilité de la demande en remboursement des sommes acquittées et en toute hypothèse l’absence de tout fondement à la demande.

Par jugement en date du 10 mai 2004, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nanterre a déclaré la société Bristol-Myers Squibb recevable en son action mais mal fondée en son recours et en conséquence a débouté la société de sa demande de remboursement. Par ailleurs le tribunal a dit que les moyens tirés de la nullité des actes administratifs sont de la compétence des tribunaux administratifs et a invité la société à mieux se pourvoir. Enfin il a condamné la société Bristol-Myers Squibb à verser à l’ACOSS la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Sur l’appel relevé par la société Bristol-Myers Squibb et l’appel incident formé par l’ACOSS qui soulevait en outre pour la première fois l’irrégularité de la saisine de la juridiction du contentieux de la sécurité sociale et la prescription de la demande à hauteur de la somme de 2 446 718,50 euros, la cour d’appel de Versailles, 5e chambre A, par arrêt en date du 30 janvier 2007, a :

— écarté le moyen tiré de l’irrecevabilité de l’Urssaf en sa défense,

— déclaré la demande de remboursement présentée par la société Bristol-Myers Squibb recevable à hauteur de la somme de 12 350 082,40 euros en l’état de la prescription acquise sur un montant déterminé,

— écarté le moyen tiré de l’irrecevabilité de la saisine du tribunal des affaires de sécurité sociale,

— rejeté l’ensemble des moyens tirés de l’irrégularité des bordereaux de recouvrement,

— confirmé le jugement en ce qu’il a déclaré recevable en son principe la société Bristol-Myers Squibb en sa demande de restitution et en ce qu’il a déclaré son recours non fondé,

— dit n’y avoir lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile.

Sur pourvoi formé par la société Bristol-Myers Squibb, la Cour de cassation, deuxième chambre civile, par arrêt en date du 10 avril 2008, a cassé et annulé en toutes ses dispositions l’arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles. La Haute juridiction, après avoir :

— rappelé les interprétations données par la Cour de justice des Communautés européennes de l’article 12 de la loi n° 97-1164 du 19 décembre 1997, de financement de la sécurité sociale pour 1998, au regard de l’article 92, paragraphe 1 du Traité CE (devenu après modification article 87 CE),

— rappelé la nécessité pour la juridiction nationale de vérifier la réunion des conditions précisées dans l’arrêt rendu le24 juillet 2003 par la Cour de justice des Communautés européennes : arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg,

a considéré que la cour d’appel de Versailles n’avait pu valablement débouter la société Bristol-Myers Squibb de sa demande de remboursement de la contribution litigieuse en retenant essentiellement que la société n’apportait aucun élément de fait anéantissant la thèse de l’ACOSS développée à partir de l’étude réalisée par l’institut Eurostaf après avoir objectivement analysé les problématiques et l’économie de la distribution pharmaceutique en France alors qu’il lui appartenait au besoin par une mesure d’instruction de rechercher sur des bases de calcul préalablement établies de façon objective et transparente, sur la base d’une analyse des coûts qu’une entreprise moyenne aurait encourus pour exécuter ses obligations de service public en tenant compte des recettes et d’un bénéfice raisonnable, si la compensation résultant de l’exonération de la taxe ne dépassait pas ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l’exécution de ces obligations.

La société Bristol-Myers Squibb a régulièrement saisi le 8 août 2008 la présente cour, autrement composée, désignée comme cour de renvoi.

I- Les observations et les demandes présentées par la société Bristol-Myers Squibb au cours de l’audience du 30 mars 2010 complétées par une note transmise (après notification à l’Urssaf ) en cours de délibéré avec l’autorisation de la juridiction :

La société Bristol-Myers Squibb précise tout d’abord qu’elle renonce à se prévaloir de tout moyen tiré de l’illégalité des actes sur la base desquels la taxe litigieuse a été recouvrée. Qu’ainsi toute l’argumentation développée par l’Urssaf de Paris-région parisienne, venant aux droits de l’ACOSS, sur l’absence d’irrégularités affectant les bordereaux de recouvrement émis au titre de la taxe sur les ventes directes, est devenue sans objet. De même la société Bristol-Myers Squibb ne conteste plus la prescription de la demande à hauteur de la somme de 2 446 718,60 euros.

La société Bristol-Myers Squibb demande à la cour d’écarter l’exception d’irrecevabilité à nouveau soulevée par l’Urssaf devant la cour de renvoi en faisant observer qu’en ayant saisi dès le 20 septembre 2000 le directeur de l’ACOSS (qui a répondu à sa contestation par courrier en date du 29 septembre suivant) de la contestation sur la validité de la taxe sur les ventes directes au regard du droit communautaire, elle a satisfait à l’obligation imposée par l’article R.142-1 du code de la sécurité sociale et a valablement saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nanterre le 12 juin 2003 faute de réponse donnée à sa contestation par l’organisme social.

La société Bristol-Myers Squibb rappelle ensuite que la recevabilité de son action a définitivement été admise par la Cour de justice des Communautés européennes dans son arrêt en date du 7 septembre 2006 Laboratoires Y/ Urssaf de Lyon.

Sur le fond du litige, la société Bristol-Myers Squibb, après avoir rappelé les décisions rendues par la Cour de justice des Communautés européennes les 22 novembre 2001 (arrêt Ferring/ ACOSS), 24 juillet 2003 (arrêt Altmark Trans) et 7 septembre 2006 (arrêt Laboratoires Y/Urssaf de Lyon), fait valoir qu’il ne suffit pas que l’intervention étatique se borne à une stricte compensation du surcoût résultant de l’exécution d’obligations de service public mises à la charge d’un opérateur pour que celle-ci échappe à la qualification d’aide d’Etat au sens du Traité communautaire. Elle affirme qu’il ne peut en être ainsi que si les trois conditions, autres que celle liée à la compensation, posées par l’arrêt Altmark sont remplies. Elle en déduit donc que la qualification d’aide d’Etat ne saurait être exclue que si la compensation alléguée des surcoûts supportés par les grossistes-répartiteurs pour l’accomplissement de leurs obligations de service public a été définie sur des bases de calcul préalablement établies de façon objective (deuxième condition posée dans l’arrêt Altmark), et si cette compensation ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour couvrir les coûts occasionnés par l’exécution des obligations de service public (troisième condition), étant précisé que ces coûts doivent être ceux qu’une entreprise moyenne aurait encourus pour exécuter ces obligations de service public (quatrième condition) en tenant compte des recettes et d’un bénéfice raisonnable (troisième condition). Elle estime en conséquence qu’il lui appartient seulement, en tant que laboratoire pharmaceutique, de démontrer que l’une des conditions posées par l’arrêt Altmark n’est pas remplie.

La société Bristol-Myers Squibb estime au cas particulier que ni la condition d’équivalence, ni les autres conditions pour qu’une compensation d’obligations de service public échappe à la qualification d’aide d’Etat ne sont remplies dès lors :

— s’agissant de la deuxième condition : qu’il est démontré, notamment par les travaux préparatoires à l’adoption de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998 que la taxe additionnelle n’a pas été conçue pour compenser le surcoût des obligations de service public à la charge des grossistes-répartiteurs mais pour rétablir la concurrence sur les marchés concernés. A cet égard, la société relève que les termes mêmes de la décision du Conseil constitutionnel confirment qu’il s’agissait de « rééquilibrer les conditions de concurrence entre circuits de distribution des médicaments », c’est-à-dire de taxer plus lourdement un circuit et ainsi de le défavoriser par rapport à celui de la vente par l’intermédiaire des grossistes-répartiteurs. Par ailleurs, la société rappelle que le taux de 2,5 % fixé par le législateur n’a fait l’objet d’aucun calcul préalable déterminant le montant du financement en fonction du coût des obligations de service public mises à la charge des grossistes-répartiteurs et qu’il n’est fondé sur aucune méthode répondant à un critère d’objectivité garantissant une mise en oeuvre effective et non discriminatoire et à un critère de transparence. Enfin, la société observe qu’il n’est pas sans intérêt de souligner que cette taxe a été supprimée à compter du 1er janvier 2003 alors même que les obligations de service public n’ont été ni abrogées ni même modifiées, ce qui suffit à établir clairement l’absence de corrélation entre la mesure de taxation litigieuse et le surcoût résultant prétendument, pour les grossistes-répartiteurs, de l’exécution de leurs obligations de service public.

— s’agissant de la quatrième condition : qu’il est évident que le niveau de la compensation, c’est-à-dire le taux de la taxe additionnelle sur les ventes directes, n’a pas été déterminé sur la base d’une analyse des coûts qu’une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises, aurait encourus pour exécuter ces obligations, en tenant compte des recettes y relatives ainsi que d’un bénéfice raisonnable.

— s’agissant de la troisième condition : qu’il ne peut résulter de l’étude Eurostaf la preuve de la réalisation de la condition d’équivalence dès lors que cette étude ne cherche pas à démontrer quel est le 'surcoût’ résultant des obligations de service public en comparaison avec les coûts de manutention, prise de commandes, livraison, gestion des retours, entreposage, stockage……..qui existeraient, de toute façon, en l’absence d’obligations de service public. Par contre, la société fait observer que la mission confiée à M. X, expert-comptable, a permis de calculer les coûts que les grossistes-répartiteurs n’auraient pas eu à supporter s’ils n’avaient pas été astreints aux obligations de service public et de conclure que les exigences posées par le code de la santé publique sont aujourd’hui en deçà de ce qui découle simplement des bonnes pratiques en matière de logistique, eu égard aux exigences de la clientèle et que dans ces conditions il ne saurait y avoir de surcoût lié aux exigences réglementaires. La société en déduit donc qu’il ne saurait y avoir de compensation dès lors qu’il n’existe pas de surcoût résultant du respect par les grossistes-répartiteurs des obligations de service public.

La société Bristol-Myers Squibb demande donc en conclusion à la cour de constater que les conditions posées par l’arrêt Altmark n’étant pas réunies, et en particulier la troisième condition, la taxe additionnelle sur les ventes directes en ce qu’elle ne pèse pas sur les grossistes-répartiteurs est constitutive d’une aide d’Etat octroyée à ces derniers, aide d’Etat qui est illégale faute d’avoir été préalablement notifiée à la Commission des communautés européennes et d’infirmer par voie de conséquence le jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nanterre. Elle demande donc le remboursement de la somme acquittée de 1998 à 2001 tant par elle-même que par la société UPSA, soit la somme totale de 12 350 082,40 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du versement de chacune des trimestrialités de la taxe et capitalisation desdits intérêts conformément à l’article 1154 du code civil. Enfin elle a sollicité l’octroi d’une indemnité de 15 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

En ce qui concerne la demande subsidiaire présentée par l’Urssaf et portant sur l’étendue du droit à remboursement que cet organisme social entend voir limiter à la partie de la taxe correspondant à la surcompensation, la société Bristol-Myers Squibb entend faire observer que la demande n’est pas fondée dès lors que l’illégalité de l’aide octroyée affecte l’illégalité des mesures nationales en cause qui sont invalides dans leur intégralité et dès lors que le droit à remboursement n’est pas lié au montant de l’avantage retiré de l’aide illégale par son bénéficiaire.

II- Les observations et demandes présentées par l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales de Paris-région parisienne, venant aux droits et obligations de l’ACOSS :

L’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales de Paris-région parisienne, venant aux droits et obligations de l’ACOSS, demande tout d’abord à la cour

de déclarer irrecevable la demande en remboursement présentée par la société Bristol-Myers Squibb dès lors que la saisine du tribunal des affaires de sécurité sociale de Nanterre n’a pas été opérée conformément aux règles applicables, à savoir la nécessité de saisir préalablement la commission de recours amiable. En effet elle fait observer que la société Bristol-Myers Squibb s’est contentée d’adresser des observations au directeur de l’ACOSS sans aucune référence à une quelconque saisine de la commission de recours amiable.

Sur le fond du litige, l’Urssaf demande à la cour de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a considéré que la mesure ayant institué la taxe sur les ventes directes ne constituait pas une aide publique au sens de l’article 87 du Traité CE et qu’en conséquence cette taxe n’étant pas illégale la société Bristol-Myers Squibb devait être déboutée de sa demande de remboursement des sommes versées au titre de cette taxe.

L’Urssaf rappelle tout d’abord qu’il appartient à la société Bristol-Myers Squibb, sur laquelle pèse la charge de la preuve, de démontrer que les conditions de l’article 87 paragraphe 1 du Traité CE sont remplies en l’espèce et en particulier que l’avantage que retirent les grossistes-répartiteurs du non-assujettissement à la taxe excède, dans une mesure qu’il lui appartient d’ailleurs de préciser, le surcoût que ces derniers supportent au titre des obligations de service public qui leur sont imposées. Elle fait valoir à cet égard que le droit communautaire ne s’oppose pas à l’application des règles de droit national en matière de charge de la preuve incombant à l’auteur de la demande de remboursement et que ce n’est que dans le cas où l’application de ces règles conduirait à rendre impossible en pratique l’administration de la preuve que le juge serait tenu d’avoir recours à une mesure d’instruction.

Ensuite l’Urssaf expose que la Cour de justice des Communautés européennes, dans l’arrêt Ferring comme dans l’arrêt Y, a délibérément employé, dans son dispositif, une formule négative pour bien marquer, de la manière la plus claire qui soit, que la taxe litigieuse ne constituait pas, en principe, une aide d’Etat et que ce n’est que dans la mesure où l’avantage que retirent les grossistes-répartiteurs du non-assujettissement à la taxe excéderait le surcoût des obligations de service public qu’ils supportent que la taxe serait constitutive, pour la partie qui excéderait ce surcoût, d’une aide. Or l’Urssaf relève que la société Bristol-Myers Squibb ne rapporte aucunement une telle preuve puisqu’elle se contente de remettre en cause l’étude produite et établie par l’institut Eurostaf qui a été réalisée par un tiers indépendant, sans aucun lien avec le présent litige, et qui démontre sans contestation possible l’absence de surcompensation.

L’Urssaf précise qu’en instaurant la contribution litigieuse, l’Etat, garant et responsable du système de distribution des médicaments, a entendu assurer la pérennité de ce système fragilisé et menacé par un déséquilibre résultant du développement considérable des ventes directes par les laboratoires pharmaceutiques. Ainsi, la contribution litigieuse est indissociable du système de distribution et est inhérente à la nature et à l’économie même de ce système. L’Urssaf considère que la société Bristol-Myers Squibb fait volontairement une application inexacte des principes posés par la Cour de justice des Communautés européennes dans l’affaire Ferring alors que cette juridiction a précisé de manière explicite que « pour autant que la taxe sur les ventes directes imposées aux laboratoires pharmaceutiques correspond aux surcoûts réellement supportés par les grossistes-répartiteurs pour l’accomplissement de leurs obligations de service public, le non-assujettissement de ces derniers à ladite taxe peut être regardé comme la contrepartie des prestations effectuées et, dès lors, comme une mesure ne constituant pas une aide d’Etat au sens de l’article 87 du Traité. Au demeurant, lorsque cette condition d’équivalence entre l’exonération accordée et les surcoûts exposés est remplie, les grossistes-répartiteurs ne bénéficient pas, en réalité, d’un avantage au sens de l’article 87, paragraphe 1, du Traité, car la mesure concernée aura comme seul effet de mettre ceux-ci et les laboratoires pharmaceutiques dans des conditions de concurrence comparables ».

L’Urssaf ajoute que ce principe de « compensation » a été ultérieurement confirmé par la Cour de justice des Communautés européennes dans son arrêt du 24 juillet 2003 (Altmark). En conséquence, tant qu’il n’est pas démontré que l’avantage en question excède le surcoût des obligations de service public, il n’y a pas d’aide d’Etat. Or, l’Urssaf rappelle que la société Bristol-Myers Squibb ne rapporte aucunement la preuve d’une quelconque surcompensation en produisant le rapport du cabinet CDL dont les conclusions ne sont pas crédibles en raison de ses nombreuses incohérences, d’une méthodologie très discutable et d’une logique totalement erronée. En effet l’Urssaf entend rappeler que la mission de service public des grossistes-répartiteurs est le coeur de leur activité et que, contrairement à ce que prétend l’étude produite par le laboratoire, les coûts résultant des exigences réglementaires constituent de toute évidence l’essentiel des charges des grossistes-répartiteurs et que dans un tel système il est évident que la part des coûts que supporteraient les grossistes et qui ne serait pas liée aux exigences de service public serait extrêmement faible.

L’Urssaf en conclut qu’il est manifeste que l’avantage que retirent les grossistes-répartiteurs du non-assujettissement à la taxe litigieuse n’excède en aucun cas le surcoût résultant des obligations de service public qu’ils supportent. Pour elle il suffit pour s’en convaincre de constater que la taxe litigieuse, dont le taux n’est que de 2,5 % (voire 1,5 % pour certains médicaments) ne représente environ que le quart de la marge dont disposent les grossistes-répartiteurs au titre de la distribution des médicaments, soit 10,74 % et qu’il est donc impossible de soutenir sérieusement que le quart de cette marge excéderait les coûts de logistique, de personnel, de stockage, de transport, de véhicules, de trésorerie ……… nécessaires pour exécuter les obligations de service public. Enfin, elle relève que l’étude réalisée par Eurostaf permet de démontrer que le coût relatif aux obligations de service public supporté par les grossistes-répartiteurs excède manifestement le taux de la taxe litigieuse (2,5 % ou 1,5 % selon les médicaments) puisqu’il oscille en réalité entre 2,86 % et 3,76 %.

L’Urssaf en conclut donc qu’en l’absence de toute surcompensation aux obligations de service public, le non-assujettissement des grossistes-répartiteurs à la taxe litigieuse ne saurait donc leur conférer un quelconque avantage. S’agissant ici de l’une des quatre conditions cumulatives prévues par l’article 87 du Traité CE pour constituer une aide d’Etat et cette condition faisant défaut, l’Urssaf demande à la cour de constater l’absence d’aide d’Etat et de débouter la société Bristol-Myers Squibb de sa demande de remboursement.

A titre surabondant, l’Urssaf relève que la démonstration doit porter cumulativement et non alternativement sur les quatre conditions de l’article 87 du Traité et les quatre conditions posées par l’arrêt Altmark. Aussi, dès lors que la première partie du standard de preuve (à savoir les quatre conditions de l’article 87 § 1 du Traité CE) n’est pas rapportée par le demandeur au remboursement, il n’est pas nécessaire de rechercher si la seconde partie du standard de preuve (à savoir les quatre conditions posées par l’arrêt Altmark) serait ou non satisfaite. Pour l’Urssaf, il résulte par conséquent de ce qui précède que la taxe litigieuse ne peut et ne saurait être qualifiée d’aide d’Etat, l’une des quatre conditions d’application de l’article 87 § 1 du Traité (l’existence d’un avantage) n’étant pas remplie. Tirant les conséquences de droit des jurisprudences Ferring et Y, l’Urssaf demande à la cour de dire pour droit que la taxe sur les ventes directes n’est pas une aide d’Etat.

De même l’Urssaf entend également soumettre l’examen des conditions fixées par le juge communautaire à la lumière de l’arrêt rendu le 12 février 2008 par le tribunal de première instance de la communauté européenne – arrêt British United Provident Association Ltd c/ Commission des Communautés européennes – arrêt dit BUPA portant sur l’étendue du contrôle de la Commission sur les mesures étatiques – qui fait preuve d’ouverture et de souplesse dans l’examen des critères Altmark, cherchant en quelque sorte un équilibre entre l’approche compensatoire affirmée dans l’arrêt Ferring et la rigidité de l’approche formaliste de l’arrêt Altmark invitant dès lors à une recherche adaptée des critères à chaque cas d’espèce et laissant aux Etats membres une large appréciation non seulement quant à la notion de service d’intérêt économique général mais également concernant la détermination de la compensation des coûts qui dépend d’une appréciation de faits économiques souvent complexes.

Enfin, pour le cas où la cour constaterait l’existence d’une aide d’Etat, l’Urssaf demande à la juridiction de dire et juger que seule la partie des sommes versées par la société Bristol-Myers Squibb qui excéderait les surcoûts supportés par les grossistes-répartiteurs au titre de leurs obligations de service public pourrait faire l’objet d’un remboursement.

En toute hypothèse, l’Urssaf sollicite l’indemnisation par la société Bristol-Myers Squibb des frais de procédure qu’elle a exposés à hauteur de la somme de 20 000 euros.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l’exposé plus complet des moyens des parties, aux conclusions qu’elles ont déposées et soutenues oralement à l’audience du 30 mars 2010.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1- sur l’exception d’irrecevabilité soulevée par l’Urssaf

Considérant qu’en application de l’article R.142-1 du code de la sécurité sociale, toute réclamation contre une décision relevant du contentieux général (application des législations et réglementations de la sécurité sociale) prise par un organisme de sécurité sociale doit être portée devant la commission de recours amiable composée et constituée au sein du conseil d’administration de chaque organisme ; qu’en application de l’article R.142-18 du même code, le tribunal des affaires de sécurité sociale ne peut être saisi d’une réclamation contre un organisme de sécurité sociale qu’après que celle-ci a été soumise à la commission de recours amiable ;

Considérant que l’Urssaf soulève à nouveau devant la présente cour de renvoi l’irrecevabilité de la saisine par la société Bristol-Myers Squibb du tribunal des affaires de sécurité sociale de Nanterre en invoquant l’absence de saisine préalable de la commission de recours amiable de l’ACOSS;

Considérant qu’il convient toutefois de relever que dans le cadre du recouvrement de la contribution additionnelle sur les ventes directes aux pharmacies de spécialités remboursables (article L.245-6-1 du code de la sécurité sociale) l’ACOSS, qui a été chargée du recouvrement de cette taxe lors de son instauration, a informé tant la société UPSA que la société Bristol-Myers Squibb que toute réclamation concernant cette contribution devrait être adressée au conseil d’administration de l’Agence centrale;

Considérant qu’il est établi et non contesté :

— que par lettre en date du 20 septembre 2000 la société Bristol-Myers Squibb, comme la société UPSA, ont sollicité de l’ACOSS, en s’adressant à son directeur, le remboursement des sommes versées au titre de la taxe sur les ventes directes à compter du mois de septembre 1998 en invoquant l’absence de validité de cette contribution au regard du droit communautaire, faisant en cela observer que la Cour de justice des Communautés européennes était déjà saisie de questions préjudicielles tendant aux mêmes fins,

— que le directeur de l’ACOSS, par courriers en date du 29 septembre 2000, prenant acte de la réclamation, a précisé :

* qu’il était effectivement informé de la saisine de la Cour de justice des Communautés européennes concernant le même litige,

* qu’il ne manquerait pas d’informer les requérantes des suites réservées au dossier dès que des éléments nouveaux seraient intervenus,

Considérant que la Cour de justice des Communautés européennes a rendu le 22 novembre 2001 une décision – arrêt Ferring – statuant sur les conditions de validité de la taxe litigieuse au regard des dispositions du Traité CE ; que postérieurement au prononcé et à la diffusion de cette décision, l’ACOSS n’a adressé aucune réponse à la société Bristol-Myers Squibb et à la société UPSA qui ont dès lors saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nanterre le 12 juin 2003 faute de réponse à la contestation élevée;

Considérant qu’en contestant le recouvrement par l’ACOSS de la taxe sur les ventes directes opérée depuis septembre 1998 et en sollicitant le remboursement des sommes déjà versées à ce titre, la société Bristol-Myers Squibb, comme la société UPSA avant absorption, ont satisfait aux obligations imposées par les articles R.142-1 et R.142-18 du code de la sécurité sociale dès lors que :

— les courriers des requérantes en date du 20 septembre 2000 ont été réceptionnés par l’ACOSS comme constituant une contestation des décisions antérieures de recouvrement de la taxe litigieuse,

— le directeur de l’ACOSS, par ses courriers en date du 29 septembre 2000, a sursis à statuer sur la contestation élevée par les laboratoires pharmaceutiques dans l’attente de la décision de la Cour de justice des Communautés européennes saisie dans le cadre du même litige (litige opposant l’ACOSS au Laboratoire Ferring) relatif à la validité de la taxe au regard du droit communautaire,

Considérant en conséquence que l’Urssaf ne peut à ce jour reprocher à la société Bristol-Myers Squibb de n’avoir pas formellement adressé sa contestation à la commission de recours amiable, nommément désignée en tant que telle, par les courriers en date du 20 septembre 2000, alors que le directeur de l’ACOSS qui a accusé réception de la contestation n’a aucunement attiré l’attention de la société sur son incompétence pour statuer sur la réclamation ou inviter celle-ci à saisir une autre formation, étant en outre observé qu’au sens des dispositions de l’article R.122-3 du code de la sécurité sociale le directeur de l’ACOSS assure le fonctionnement du conseil d’administration de cet organisme social qui, en toute hypothèse, était le seul organisme désigné pour recevoir la contestation;

Considérant qu’il convient donc de rejeter l’exception soulevée par l’Urssaf et de déclarer recevable l’action en remboursement engagée par la société Bristol-Myers Squibb tant en son nom qu’au nom de la société UPSA qu’elle a absorbée;

2- sur le fond du litige

Considérant qu’il convient de rappeler que l’article 92, paragraphe 1, du Traité instituant la Communauté européenne (Traité CE), devenu après modification l’article 87, dispose que 'sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d’Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions';

Considérant que l’article 12 de la loi n° 97-1164 du 19 décembre 1997, de financement de la sécurité sociale pour 1998, devenu l’article L.245-6-1 du code de la sécurité sociale, a crée une taxe sur les ventes directes réalisées par les laboratoires pharmaceutiques dans les termes suivants:

«  une contribution assise sur le chiffre d’affaires hors taxes réalisé en France auprès des pharmacies d’officine, des pharmacies mutualistes et des pharmacies de sociétés de secours minières, au titre des ventes en gros de spécialités inscrites sur la liste mentionnée à l’article L.162-17, à l’exception des spécialités génériques définies à l’article L.601-6 du code de la santé publique, est due par les entreprises assurant l’exploitation d’une ou plusieurs spécialités pharmaceutiques au sens de l’article L.596 du code de la santé publique. Le taux de cette contribution est fixé à 2,50%';

Considérant que la société Bristol-Myers Squibb affirme que le non-assujettissement des grossistes-répartiteurs à cette contribution qui ne pèse que sur les laboratoires pharmaceutiques doit être qualifié d’aide publique au sens de l’article 92 du Traité CE et que cette aide, non préalablement notifiée à la Commission des Communautés européennes conformément à l’article 88 § 3 du Traité CE, est de ce fait illégale et rend donc recevable sa demande en remboursement des sommes qu’elle a dû acquitter au titre de cette contribution au cours des années 1998 à 2001;

Considérant qu’il n’est plus contesté que le droit communautaire ne s’oppose pas à ce qu’un laboratoire pharmaceutique, redevable de la contribution telle que ci-dessus définie, excipe de ce que l’absence d’assujettissement des grossistes-répartiteurs à cette contribution constitue une aide d’Etat, pour obtenir la restitution des sommes versées qui correspondent à l’avantage économique injustement obtenu par les grossistes-répartiteurs ;

Considérant que la qualification d’aide requiert tout d’abord que toutes les conditions visées par l’article 92, § 1, du Traité CE, soient remplies, à savoir :

— qu’il doit s’agir d’une intervention de l’Etat ou au moyen de ressources d’Etat,

— que cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entres Etats membres,

— que cette intervention doit accorder un avantage à son bénéficiaire,

— qu’enfin cette intervention doit fausser ou menacer de fausser la concurrence,

Considérant que la présente cour de renvoi doit donc procéder à l’examen des conditions sus-énoncées pour qualifier la taxe sur les ventes directes d’aide d’Etat ou au contraire pour écarter une telle qualification;

Considérant, concernant la première condition, que la taxe sur les ventes directes imposées au laboratoires pharmaceutiques a été instaurée par une loi : la loi n° 97-1164 du 19 décembre 1997, de financement de la sécurité sociale pour 1998 ; qu’ainsi l’élément d’imputabilité à l’Etat est constitué ; qu’enfin le renoncement des pouvoirs publics à certaines rentrées fiscales ou autres (au cas présent le non-assujettissement à la taxe des grossistes-répartiteurs) est assimilable au sens de l’article 92, §1, du Traité CE à une intervention au moyen d’une ressource d’Etat;

Considérant, concernant la seconde condition, que cette taxe est à l’évidence susceptible d’affecter les échanges intra-communautaires puisque les grossistes-répartiteurs comme les laboratoires pharmaceutiques sont des entreprises ou appartiennent à des entreprises de stature internationale intervenant sur le marché européen des médicaments ou disposent de succursales et de filiales chargées de distribuer les mêmes produits, en sorte que l’avantage octroyé à une catégorie d’intervenants sur le territoire français est de nature à renforcer sa position face aux entreprises établies dans d’autres Etats membres de la Communauté européenne placées dans une situation d’exporter les mêmes produits;

Considérant, concernant la troisième condition, que cette taxe qui ne frappe que les laboratoires pharmaceutiques effectuant des ventes directes et exonère les grossistes-répartiteurs qui sont leurs concurrents dans la distribution des mêmes produits aux pharmacies d’officine place les grossistes-répartiteurs dans une situation plus favorable en leur accordant un avantage indirect sans qu’il puisse être démontré que cette taxe, mise en place par la loi de financement de la sécurité sociale est justifiée, comme l’affirme l’Urssaf, par la nature et l’économie du système de distribution des médicaments ; qu’en effet, si le produit de la contribution est effectivement affecté exclusivement et intégralement à la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés, pour autant, cette mesure, qui assujettit les laboratoires pharmaceutiques et exonère corrélativement les grossistes-répartiteurs, n’a pas été définie en fonction des capacités contributives de ces diverses entreprises au financement de la sécurité sociale à l’opposé d’autres taxes, telle celle fixée par l’article L.138-2 du code de la sécurité sociale qui est acquittée par les grossistes-répartiteurs et les laboratoires pharmaceutiques sur la vente en gros des médicaments remboursables en fonction de la progression du chiffre d’affaires réalisé;

Considérant enfin, qu’en ce qui concerne la quatrième condition, que cette taxe qui s’applique aux laboratoires pharmaceutiques en exonérant les grossistes-répartiteurs a pour effet de placer ces derniers dans une situation financière plus favorable entraînant dès lors une distorsion de la concurrence;

Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ces constatations que la contribution instituée par l’article L.245-6-1 du code de la sécurité sociale en ce qu’elle exonère l’activité des grossistes-répartiteurs de son application, constitue une aide relevant du champ d’application de l’article 92, §1, devenu l’article 87, §1, du Traité CE;

Considérant toutefois que la Cour de justice des Communautés européennes, par sa décision rendue le 22 novembre 2001 (arrêt Ferring) a dit pour droit que : ' l’article 92 du Traité CE (devenu, après modification, article 87 CE) doit être interprété en ce sens qu’une mesure telle que celle prévue à l’article 12 de la loi n° 97-1164 du 19 décembre 1997, de financement de la sécurité sociale pour 1998, en ce qu’elle grève uniquement les ventes directes de médicaments réalisées par les laboratoires pharmaceutiques, ne constitue une aide d’Etat aux grossistes-répartiteurs que dans la mesure où l’avantage qu’ils tirent du non-assujettissement à la taxe sur les ventes directes de médicaments excède les surcoûts qu’ils supportent pour l’accomplissement des obligations de service public qui leur sont imposées par la réglementation nationale';

Considérant que cette même juridiction a déterminé les règles pour qu’une telle compensation puisse échapper à la qualification d’aide d’Etat dans l’arrêt rendu le 24 juillet 2003 (affaire Altmark Trans GmbH – Regierungspräsidium Magdeburg / Nahverkehrsgesellshaft Altmark GmbH) en demandant aux juridictions saisies des litiges de vérifier la réunion des conditions suivantes :

— premièrement : l’entreprise bénéficiaire a effectivement été chargée de l’exécution d’obligations de service public et ces obligations ont été clairement définies,

— deuxièmement : les paramètres sur la base desquels est calculée la compensation ont été préalablement établis de façon objective et transparente,

— troisièmement : la compensation ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l’exécution des obligations de service public, en tenant compte des recettes y relatives ainsi que d’un bénéfice raisonnable pour l’exécution de ces obligations,

— quatrièmement : lorsque le choix de l’entreprise à charger de l’exécution d’obligations de service public n’est pas effectué dans le cadre d’une procédure de marché public, le niveau de la compensation nécessaire a été déterminé sur la base d’une analyse des coûts qu’une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée en moyens de transport afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises, aurait encourus pour exécuter ces obligations, en tenant compte des recettes y relatives ainsi que d’un bénéfice raisonnable pour l’exécution de ces obligations,

Qu’il convient donc d’analyser successivement ces quatre conditions :

1- sur la première condition : l’entreprise bénéficiaire, en l’espèce les grossistes-répartiteurs, a t-elle été chargée de l’exécution d’obligations de service public et ces obligations ont -elles été clairement définies :

Considérant que comparé à d’autres pays européens (Allemagne, Pays-Bas, et Angleterre notamment) le secteur de la répartition pharmaceutique se caractérise en France par un environnement réglementaire contraignant ; qu’ainsi le décret du 5 avril 1960, l’arrêté ministériel du 3 décembre 1962 puis le décret n° 98-79 du 11 février 1998 relatif aux obligations des grossistes-répartiteurs en ce qui concerne l’approvisionnement des officines en médicaments, ont défini les missions et obligations de service public imposées aux grossistes-répartiteurs, obligations reconnues au niveau européen (directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001) ; qu’ainsi l’ancien article R.5115-13 du code de la santé publique (applicable au présent litige et modifié à partir de 2004 dans le cadre de la recodification opérée par l’article R.5124-59) a prévu que seuls les grossistes-répartiteurs sont astreints à des obligations de service public en étant essentiellement tenus :

— de disposer d’un assortiment de médicaments comportant au moins les neuf dixièmes des présentations effectivement exploitées en France,

— d’être en mesure :

* de satisfaire à tout moment la consommation de la clientèle habituelle durant au moins deux semaines,

* de livrer dans les 24 heures suivant la réception de la commande tout médicament faisant partie de leur assortiment,

* de livrer tout médicament …… exploité en France à toute officine qui le leur demande,

Considérant que les obligations de service public mises à la charge des grossistes-répartiteurs par l’article R.5115-13 du code de la santé publique ont donc un contenu précis;

Considérant en conséquence que la première condition est remplie puisque les grossistes-répartiteurs, bénéficiaires du non-assujettissement à la taxe sur les ventes directes de médicaments aux pharmacies d’officine, sont soumis effectivement à des obligations de service public qui ont été clairement définies avant la mise en oeuvre de la taxe frappant les seuls laboratoires pharmaceutiques ;

2- sur la deuxième condition : les paramètres sur la base desquels est calculée la compensation ont été préalablement établis de façon objective et transparente :

Considérant que l’examen des travaux parlementaires (Assemblée nationale et Sénat) relatifs à la création de la contribution sur les ventes directes par l’insertion dans le code de la sécurité sociale de l’article L.245-6-1, après adoption de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, permet de constater que cette taxe devait :

— avoir pour objet de tendre vers l’égalité les conditions de concurrence entre les laboratoires pharmaceutiques effectuant des ventes directes de médicaments remboursables auprès des pharmacies d’officine et les grossistes-répartiteurs de médicaments en créant une contribution à charge des premiers au motif qu’ils ne sont pas soumis aux mêmes obligations de service public que les seconds (situation différente de celle relatée dans l’arrêt BUPA invoqué par l’Urssaf qui fait référence à un système d’égalisation des risques entre opérateurs privés et non au système de compensation des coûts liés à des obligations de service public visé par le législateur français),

— que le taux de cette taxe, initialement fixé à 6,63 % du chiffre d’affaires réalisé au titre des ventes directes, a été réduit à 2,5 % afin de ne pas entraîner une disparition du système des ventes directes par les laboratoires pharmaceutiques du fait d’une réduction trop grande de leurs marges,

— que cette taxe devait rapporter la première année (1998) 300 millions de francs destinés au financement de la branche maladie de la sécurité sociale,

— que les discussions ont permis d’écarter l’application de la taxe aux médicaments génériques tout en la maintenant sur les spécialités homéopathiques malgré de fortes oppositions de certains parlementaires,

Considérant que pendant toute la durée des échanges entre membres du gouvernement, parlementaires et rapporteurs des projets successifs, aucune discussion n’a été engagée aux fins de définir l’étendue de la nouvelle taxation par rapport aux coûts supportés par les grossistes-répartiteurs au titre des obligations de service public mises à leur charge alors pourtant que la contribution envisagée avait justement pour but de compenser de telles dépenses que les laboratoires pharmaceutiques n’avaient pas à supporter ; qu’ainsi seule a été prise en considération l’inquiétude manifestée par les grossistes-répartiteurs devant l’évolution rapide des ventes directes enregistrée au cours des dernières années par les laboratoires pharmaceutiques, évolution de nature à réduire le volume de leurs propres ventes auprès des pharmacies d’officine et risquant d’entraîner une baisse de leurs marges ; que l’un des rapporteurs du projet a même envisagé, par l’effet de la mise en oeuvre de la taxe ne s’appliquant qu’aux laboratoires pharmaceutiques, de permettre une récupération a posteriori d’un éventuel surcoût de marge que les grossistes-répartiteurs pourraient réaliser du fait de l’augmentation de leurs chiffres d’affaires du fait de l’augmentation des ventes directes imputable à la baisse concomitante des ventes directes par les laboratoires pharmaceutiques avec possibilité soit de baisser le taux de marge des grossistes-répartiteurs soit d’augmenter le taux de la taxe sur les ventes en gros de médicaments;

Considérant que le rapport de l’IGAS sur le 'bilan des circuits de distribution des médicaments’ établi en juin 1998 précise, après avoir rappelé les dispositions réglementaires en matière d’organisation et de distribution des médicaments (notamment issues du décret n° 98-79 du 11 février 1998), qu’à l’époque, c’est-à-dire en 1997 et 1998, aucun service (ni même le Comité économique du médicament) n’était en mesure d’évaluer le coût ou le prix de revient global des obligations de service public imposées par la réglementation aux grossistes-répartiteurs ;

Considérant en conséquence qu’à la date d’élaboration de la taxe sur les ventes directes et à la date d’entrée en vigueur de celle-ci (c’est-à-dire le 1er janvier 1998) les paramètres de compensation (équivalence entre exonération accordée et surcoûts exposés) tels qu’ils seront postérieurement fixés par la Cour de justice des Communautés européennes par l’arrêt Altmark et qui auraient dû permettre de justifier du non-assujettissement des grossistes-répartiteurs à la contribution étaient inexistants;

Considérant que ces paramètres n’étaient toujours pas définis lorsque l’Assemblée nationale a modifié le taux de la taxe lors de l’adoption en première lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 (maintien à 2,5 % du taux pour les spécialités pharmaceutiques qui ne peuvent être délivrées que sur prescription médicale et réduction à 1,5 % pour les autres spécialités) sans pour autant apporter une quelconque modification aux obligations de service public imposées aux grossistes-répartiteurs;

Considérant enfin que la taxe sur les ventes directes a été supprimée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003 à compter du 1er janvier 2003 alors pourtant que son rendement n’était pas négligeable (25,6 millions d’euros en 1999 – 29,8 millions d’euros en 2000 et 28,4 millions d’euros en 2001) en raison de l’impossibilité pour le gouvernement comme pour les parlementaires de disposer d’estimations à caractère économique permettant de justifier de la réalité d’une compensation avec les surcoûts liés au respect par les grossistes-répartiteurs de leurs obligations de service public, alors qu’à cette date les parlementaires avaient connaissance de la première décision rendue par la Cour de justice des Communautés européennes le 22 novembre 2001 (arrêt Ferring) qui définissait les conditions de validité de la taxe au regard des surcoûts imposés à ceux qui en étaient exclus;

3- sur les troisième et quatrième conditions : étendue de la compensation qui ne doit pas dépasser ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l’exécution des obligations de service public – détermination du niveau de la compensation :

Considérant que pour satisfaire à l’examen de ces deux conditions il convient de rechercher si l’avantage que retirent les grossistes-répartiteurs du non-assujettissement à la taxe sur les ventes directes n’excède pas ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l’exécution des obligations de service public ; que pour répondre à cette question il convient d’analyser les coûts qu’aurait dû supporter une entreprise pour exécuter de telles obligations en tenant compte des recettes relatives à l’exploitation commerciale ainsi développée et d’un bénéfice raisonnable;

Considérant qu’en se fondant sur les conclusions du rapport établi par Z X, expert-comptable, la société Bristol-Myers Squibb indique apporter la preuve d’une absence de surcoût lié au respect par les grossistes-répartiteurs des exigences réglementaires, ce qui a pour effet de conférer à la contribution litigieuse la qualification d’aide d’Etat ; que de son côté l’Urssaf, à partir des données recueillies par l’institut Eurostaf, établissant notamment un surcoût de distribution lié à l’obligation de respect des contraintes réglementaires, en déduit qu’en l’absence de toute surcompensation aux obligations de service public, le non-assujettissement des grossistes-répartiteurs à la taxe sur les ventes directes ne leur a conféré aucun avantage, ce qui démontre l’absence d’aide d’Etat lors de la mise en place de la contribution litigieuse;

Considérant que les investigations effectuées en 2002 par l’institut Eurostaf ont permis de constater que l’approvisionnement des pharmacies d’officine constitue l’essentiel de l’activité des grossistes-répartiteurs, la distribution aux établissements hospitaliers publics et privés étant marginale ; qu’ainsi à cette date les grossistes-répartiteurs assuraient en valeur la distribution de 74,2 % des ventes pharmaceutiques totales en France, les 25,8% restant se répartissant à hauteur de 9,3 % pour les ventes directes aux officines et de 16,5% pour les ventes aux établissements hospitaliers publics et privés ; que ce même rapport a mis en évidence qu’en raison d’une concurrence importante sur le marché de la répartition, les opérateurs de la distribution s’étaient déjà regroupés à des niveaux d’envergure européenne (groupe allemand Gehe – groupe italo-britannique Alliance Unichem – groupe allemand Phoenix Pharma Handel) avec également pour objectif de faire face à la concurrence nouvelle des groupements de pharmaciens;

Considérant que l’activité habituelle des grossistes-répartiteurs impose la prise en considération des coûts de stockage et des coûts afférents à la prise de commande et à la livraison des produits; que le surcoût lié au respect des obligations de service public doit donc s’apprécier à ces mêmes niveaux dès lors que ces obligations sont susceptibles d’avoir pour conséquence un surcoût de stockage dû à la nécessaire disponibilité de 15 jours de stocks pour les neuf dixièmes des médicaments ainsi qu’un surcoût logistique lié à la nécessité de livrer dans les 24 heures les médicaments inclus dans les présentations de l’assortiment des grossistes-répartiteurs ; qu’il convient de relever que les rapports Eurostaf et X font référence à ces mêmes éléments et comparent la situation des grossistes-répartiteurs exerçant sur le territoire français avec celle de sociétés réalisant des activités de grossistes en produits pharmaceutiques dans l’Union européenne;

Considérant qu’en clôturant son rapport en mai 2002, l’expert-comptable X, après avoir analysé les charges d’exploitation de onze grossistes-répartiteurs sur la période courant de 1995 à 2000 (échantillon représentatif de plus de 98 % du chiffre d’affaires réalisé par les grossistes-répartiteurs au cours de l’année 2000), a précisé que le surcoût lié au respect des obligations de service public est très vraisemblablement nul car les modalités d’exploitation des grossistes-répartiteurs répondent à des impératifs commerciaux (21 jours de chiffre d’affaires en stock excédant la contrainte réglementaire de 15 jours – livraisons des pharmacies d’officine de 2 à 3 fois par jour pour des raisons essentiellement commerciales dépassant les obligations réglementaires) dont les implications logistiques sont plus lourdes que les contraintes budgétaires (alors par ailleurs que le coût de financement des stocks est toujours assuré par voie de négociations avec les fournisseurs) ;

Considérant que de son côté l’étude 'sur les coûts de la distribution pharmaceutique et les obligations de service public’ réalisée par l’institut Eurostaf en décembre 2002 avec le concours de plusieurs grossistes-répartiteurs, en formulant l’hypothèse d’un coût de la distribution (manutention-livraison-transport) relatif aux obligations de service public s’établissant entre 2,86% et 3,56 % du chiffre d’affaires 'répartition', a tenu avant tout à souligner que l’évaluation des coûts de distribution induits par les obligations de service public se heurtait à plusieurs obstacles très importants rendant quasiment impossible une approche réaliste compte tenu:

— de la confidentialité de certaines données de comptabilité analytique,

— du fait que le coût logistique global recouvre l’ensemble des activités de distribution qui intègrent pour certains grossistes-répartiteurs une activité de distribution export (s’agissant d’un commerce parallèle) ainsi que la distribution des produits non médicamenteux (parapharmacie- produits vétérinaires- matériels médicaux…),

— du fait que dès 2002 et même avant cette date la notion même de service public paraissait dépassée dans la mesure où, en raison de la concurrence très vive au niveau de la répartition et de la nécessité pour chaque grossiste-répartiteur de se positionner comme 'répartiteur principal d’officine', les grossistes-répartiteurs offrent des services qui vont bien au-delà des obligations qui leur sont assignées (avec notamment la volonté affichée de capter la clientèle des pharmacies en promettant, du moins en ville, la livraison des médicaments en moins de 3 heures),

Considérant que les résultats de ces deux études (résultats rejoignant d’ailleurs certaines conclusions déjà émises par l’IGAS dans un rapport déposé en juin 1998), en l’état des réserves très importantes affectant chacune des données concourant à la détermination du coût définitif des dépenses liées au respect des obligations de service public, interdisent de conclure qu’en 1998 et au cours des années suivantes les grossistes-répartiteurs, qui étaient et qui sont toujours des entreprises privées libres d’organiser les services offerts à la clientèle en étant soumises à la concurrence du marché de la répartition, ont supporté des surcoûts ayant imposé l’obligation pour les pouvoirs publics d’envisager une compensation voire une protection par rapport aux autres concurrents et notamment les laboratoires pharmaceutiques qui assuraient par ailleurs à la même période moins de 10% des ventes directes de leurs fabrications aux mêmes pharmacies d’officine;

Considérant que l’impossibilité, révélée par ces deux études très complètes qui ne sont pas susceptibles d’être complétées par d’autres investigations que la cour pourrait ordonner plus de dix années après la mise en oeuvre de la taxe et plus de sept années après sa suppression, d’établir avec certitude la réalité et l’importance de surcoûts liés à l’accomplissement d’obligations de service public tant lors de l’élaboration en 1997 de la contribution sur les taxes directes frappant les laboratoires pharmaceutiques que tout au long de la période de sa mise en oeuvre (1998 à 2002) fait que cette contribution au taux arrêté en 1998 de 2,5% puis réduit en 2002 pour certains médicaments doit s’analyser en une aide d’Etat aux grossistes-répartiteurs dans la mesure où l’avantage qu’ils ont retiré du non-assujettissement à la taxe sur les ventes directes de médicaments a nécessairement excédé les dépenses qu’ils ont éventuellement pu supporter pour l’accomplissement des obligations de service public imposées depuis de très nombreuses années (et bien avant l’instauration de la taxe litigieuse) et qui subsistent encore à ce jour malgré une modeste modification de la réglementation nationale alors que la taxe litigieuse a été supprimée depuis janvier 2003;

Considérant en conclusion qu’en ne remplissant pas la totalité des conditions imposées par le juge communautaire, la taxe sur les ventes directes de médicaments telle que prévue par l’article 12 de la loi du 19 décembre 1997, de financement de la sécurité sociale pour 1998, devenu l’article L.245-6-1 du code de la sécurité sociale applicable jusqu’au 1er janvier 2003, constitue une aide d’Etat qui, en l’absence de notification préalable à la Commission des Communautés européennes, est illégale au sens de l’article 92, § 1, du Traité CE (devenu l’article 87);

Considérant qu’il convient donc d’ordonner le remboursement intégral par l’Urssaf de la taxe sur les ventes directes acquittée de 1998 à 2001 par la société Bristol-Myers Squibb, agissant tant en son nom propre qu’au nom de la société UPSA, société absorbée, soit la somme totale, déduction faite de la somme atteinte par la prescription, de 12 350 082,40 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter de la saisine de la juridiction de première instance avec capitalisation des intérêts, le point de départ des intérêts moratoires étant ainsi fixé conformément à l’article 1153 du code civil en l’absence de toute autre précision concernant des sommations de payer ou tout autre acte équivalent adressés par la société UPSA et la société Bristol-Myers Squibb à l’organisme social dont la bonne foi lors du recouvrement de la taxe litigieuse ne fait pas l’objet de contestation;

Considérant qu’il n’est pas inéquitable de laisser supporter aux parties la totalité des frais exposés pour la défense de leurs intérêts ; qu’ainsi aucune indemnité n’est attribuée au sens des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile;

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par décision réputée contradictoire et sur renvoi après cassation de l’arrêt rendu le 30 janvier 2007,

ÉCARTE l’exception d’irrecevabilité soulevée par l’Urssaf de Paris-région parisienne,

CONFIRME le jugement rendu le10 mai 2004 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nanterre en ce qu’il a déclaré recevable l’action engagée par la société Bristol-Myers Squibb mais l’INFIRME en ce qu’il a débouté cette société de sa demande et mis une indemnité à sa charge sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

STATUANT à nouveau sur les demandes présentées par les parties :

ORDONNE le remboursement de la taxe sur les ventes directes acquittée de 1998 à 2001 par la société Bristol-Myers Squibb, agissant tant en son nom propre qu’au nom de la société UPSA, société absorbée, à concurrence de la somme de 12 350 082,40 euros augmentée des intérêts au taux légal courant à compter de la saisine de la juridiction de première instance avec capitalisation des intérêts conformément à l’article 1154 du code civil,

DÉBOUTE les parties de toutes autres demandes et DIT n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé publiquement par Madame Jeanne MININI, Président.

Arrêt signé par Madame Jeanne MININI, Président et Madame Sabrina NIETRZEBA-CARLESSO, Greffier présent lors du prononcé.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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Cour d'appel de Versailles, 5ème chambre, 2 septembre 2010, n° 08/02823