Cour d'appel de Versailles, 1ère chambre 1ère section, 4 avril 2013, n° 11/03051

  • Journaliste·
  • Auteur·
  • Ouvrage·
  • Contrefaçon·
  • Édition·
  • Notaire·
  • Meurtre·
  • Enquête·
  • Droit patrimonial·
  • Sociétés

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CA Versailles, 1re ch. 1re sect., 4 avr. 2013, n° 11/03051
Juridiction : Cour d'appel de Versailles
Numéro(s) : 11/03051
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Nanterre, 6 avril 2011, N° 08/11385
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Texte intégral

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 79A

1re chambre 1re section

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 04 AVRIL 2013

R.G. N° 11/03051

AFFAIRE :

M. H I dit H M

C/

Z A

Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 07 Avril 2011 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE

N° Chambre : 1

N° Section :

N° RG : 08/11385

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Patricia MINAULT

Me N RICARD

SCP LISSARRAGUE DUPUIS & ASSOCIES,

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATRE AVRIL DEUX MILLE TREIZE,

La cour d’appel de VERSAILLES, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur M. H I dit H M

né le XXX à XXX

de nationalité Française

XXX

XXX

Représentant : Me Patricia MINAULT de la SELARL MINAULT PATRICIA, Postulant (avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 – N° du dossier 00039713)

Représentant : Me Grégoire HALPERN, Plaidant (avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0593) -

APPELANT

****************

Z A

XXX

XXX

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me N RICARD, Postulant (avocat au barreau de VERSAILLES – N° du dossier 2011277 )

Représentant : Me Dominique DE LEUSSE DE SYON, Plaidant (avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2129)

SA TELEVISION FRANCAISE 1 'TF1"

TF1

XXX

XXX

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : la SCP LISSARRAGUE DUPUIS & ASSOCIES (Me Bertrand LISSARRAGUE), Postulant (avocats au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 – N° du dossier 1148998 )

Représentant : Me Olivier SPRUNG, Plaidant (avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R139)

INTIMES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 786 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 28 Février 2013 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame V-Gabrielle MAGUEUR, Présidente chargée du rapport et Monsieur Dominique PONSOT, conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame V-Gabrielle MAGUEUR, Présidente,

Madame Dominique LONNE, Conseiller,

Monsieur Dominique PONSOT, Conseiller

Greffier, lors des débats : Madame Bernadette RUIZ DE CONEJO,

Vu l’appel interjeté par H I, dit H M, du jugement rendu le 7 avril 2011 par le tribunal de grande instance de Nanterre qui a :

— déclaré irrecevable l’action de H I, dit H M, en ce qu’elle concerne les droits patrimoniaux détenus sur l’oeuvre 'Le Fou de Bruay',

— déclaré H M recevable en son action pour le surplus,

— condamné in solidum la société par actions simplifiée Z A et la société anonyme TF1 à payer à H M la somme d’un euro de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,

— condamné in solidum la société par actions simplifiée Z A et la société anonyme TF1 à payer à H M la somme de 1.500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— dit que la société par actions simplifiée Z A devra garantir la société anonyme TF1 de toutes les condamnations prononcées à son encontre dans le cadre de la présente instance, y compris celle au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

— condamné in solidum la société par actions simplifiée Z A et la société anonyme TF1 aux dépens ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 4 février 2013 par lesquelles H I, dit H M, poursuivant l’infirmation du jugement entrepris, demande à la cour de :

— le dire recevable à agir en l’ensemble de ses prétentions, notamment en ce qui concerne ses droits patrimoniaux,

— dire que le téléfilm 'Bruay-en -Artois : l’impossible vérité’constitue une adaptation sous format audiovisuel de son livre publié sous le pseudonyme H M, 'Le fou de Bruay', non autorisée par son auteur,

— dire que les sociétés TF1 et Z A ont commis des actes de contrefaçon du livre 'Le fou de Bruay’ par lui écrit sous le pseudonyme H M,

— condamner solidairement les sociétés TF1 et Z A à lui payer la somme de 30.000 € en réparation du préjudice causé par la violation de son droit moral d’auteur,

— interdire, sous astreinte de 5.000 € par infraction constatée aux sociétés TF1 et Z A de diffuser, faire diffuser, vendre, permettre l’accès du téléfilm 'Bruay-en-Artois : l’impossible vérité’ sans indication au générique, en pleine page, de la mention suivante : 'adapté du livre de Monsieur H M 'Le fou de Bruay’ paru aux Editions Privé par décision judiciaire en date du…', écrite dans le même corps de lettre que le nom du metteur en scène,

— condamner, sous la même solidarité, les sociétés TF1 et Z A à lui payer la somme de 60.000 € à titre de réparation du préjudice causé par la violation de ses droits patrimoniaux d’auteur,

— interdire, sous astreinte de 5.000 € par infraction constatée aux sociétés TF1 et Z A de diffuser, faire diffuser, vendre, permettre l’accès du téléfilm 'Bruay-en-Artois : l’impossible vérité’ tant qu’un accord sur les modalités de rémunération de l’auteur pour chaque mode d’exploitation du téléfilm n’aura pas été conclu entre les parties,

— ordonner la publication de la décision de la cour dans son intégralité sur la première page d’accueil du site TF1.fr, sous l’intitulé 'Publication judiciaire', sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter de la signification de la décision de la cour, pour une durée de 90 jours,

— à titre subsidiaire, condamner, sous la même solidarité, les sociétés TF1 et Z A à lui payer la somme de 90.000 € en réparation du préjudice causé par l’appropriation fautive du résultat de 30 ans de travail,

— ordonner la publication de la décision de la cour dans son intégralité sur la première page d’accueil du site TF1.fr, ainsi que sur ses sites de vidéo à la demande, sous l’intitulé 'Publication judiciaire', sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter de la signification de la décision de la cour, pour une durée de 90 jours et dans un corps de lettre d’une taille égale au nom du metteur en scène,

— en tout état de cause, condamner les sociétés TF1 et Z A à lui payer chacune la somme de 10.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner les sociétés TF1 et Z A aux dépens ;

Vu les dernières écritures signifiées le 2 janvier 2013 aux termes desquelles la société Z A conclut à la confirmation du jugement déféré sauf en ce qu’il a :

— dit que les scènes suivantes du téléfilm 'Bruay-en-Artois : l’impossible vérité’ étaient constitutives d’actes de contrefaçon de certains passages de l’ouvrage de H M :

* la scène dans laquelle le juge d’instruction évoque le témoignage de Madame Y,

* la scène au cours de laquelle est évoquée la rumeur des rabatteurs sévissant au sein des corons,

* la scène de la rencontre entre la journaliste N O et France l’entraîneuse,

et prie la cour, en conséquence, de :

— débouter H M de l’ensemble de ses demandes,

— condamner H M à lui verser la somme de 10.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens ;

Vu les uniques conclusions signifiées le 6 janvier 2012 par lesquelles la société TF1 demande à la cour de confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu’il a partiellement fait droit aux demandes de H M et en toute hypothèse, de condamner tout succombant à lui payer la somme de 10.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens ;

SUR QUOI, LA COUR

Considérant que H I a écrit sous le pseudonyme H M, sous lequel il a exercé la profession de grand reporter, un ouvrage intitulé 'Le fou de Bruay', publié aux Editions Privé, le 27 avril 2006 ; que cet ouvrage est consacré à l’enquête qu’il a menée sur le meurtre de P E, commis le 6 avril 1972 ;

Qu’estimant que le téléfilm ayant pour titre 'Bruay-en-Artois : l’impossible vérité’ produit par la société Z A, diffusé d’abord en mars 2008 sur une chaîne de télévision belge RTBF1, puis sur TF1 le 22 septembre 2008, reproduit des passages de son livre et reprend mot à mot certains dialogues, H M a, par acte du 12 septembre 2008, assigné les sociétés TF1 et Z A aux fins de voir dire que ce téléfilm constitue une adaptation non autorisée sous format audiovisuel de son ouvrage et que ce faisant, elles ont commis des actes de contrefaçon ;

Que le jugement entrepris a fait partiellement droit à ses demandes au titre d’une violation de son droit moral d’auteur ;

— Sur la recevabilité de H M à agir en réparation d’une atteinte à ses droits patrimoniaux d’auteur

Considérant qu’au soutien de son recours, pour conclure à la recevabilité de son action en réparation de l’atteinte à ses droits patrimoniaux, H M fait valoir qu’il est resté titulaire des droits d’adaptation audiovisuelle de son oeuvre après la signature du contrat d’édition du 20 octobre 2004, en l’absence de cession de ceux-ci par un contrat distinct ; qu’il ajoute que le contrat d’édition a été résilié, le 21 décembre 2009 ;

Que la société Z A et la société TF1 répliquent que, d’une part, le contrat d’édition conclu par l’appelant fait explicitement référence à un contrat de cession des droits audiovisuels et que seul le cessionnaire de ces droits pouvait agir à l’époque des faits argués de contrefaçon, d’autre part, la résiliation du contrat intervenue le 21 décembre 2009 ne saurait avoir d’effet rétroactif ;

Considérant qu’aux termes de l’article L.131-3 du code de la propriété intellectuelle, la transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession…

Que selon l’alinéa 3 de ce texte, les cessions portant sur les droits d’adaptation audiovisuelle doivent faire l’objet d’un contrat écrit sur un document distinct du contrat relatif à l’édition proprement dite de l’oeuvre imprimée ;

Considérant, en l’espèce, qu’il ressort de l’article 4 du contrat d’édition conclu le 20 octobre 2004 entre H M et la société Editions PRIVE intitulé 'Etendue de la cession’que l’auteur cède expressément à l’éditeur, outre le droit d’édition graphique, l’intégralité des droits patrimoniaux d’adaptation, de reproduction et de représentation afférents à l’oeuvre, à l’exception toutefois des droits d’adaptation audiovisuelle qui font l’objet d’un contrat écrit sur un document distinct ;

Que la conjugaison au temps présent du verbe 'faire’ par l’emploi des mots 'font l’objet’ signifie de manière non équivoque qu’un contrat de cession des droits d’adaptation audiovisuelle a été conclu, peu important qu’il ne soit pas produit aux débats ;

Que si par lettre datée du 21 décembre 2009, la société Editions PRIVE écrit à H M en ces termes : 'nous vous confirmons que nous ne voyons aucun inconvénient à ce que vous repreniez l’intégralité de vos droits sur votre ouvrage 'le fou du Bruay’publié aux éditions Privé en avril 2006 et considérons à compter de ce jour le contrat d’édition signé le 20 octobre 2004 comme résilié', la résiliation intervenue ne saurait avoir d’effet rétroactif, les faits argués de contrefaçon résultant de la diffusion du téléfilm intervenue le 22 septembre 2008 ;

Qu’il s’ensuit que H M n’étant plus titulaire des droits d’adaptation audiovisuelle au jour de l’assignation en contrefaçon, son action en contrefaçon de ses droits patrimoniaux d’auteur comme celle fondée sur le parasitisme sont irrecevables ;

— Sur l’atteinte au droit moral d’auteur de H M

Considérant que pour caractériser l’originalité de l’ouvrage en cause, H M soutient qu’il constitue une narration romancée de l’enquête qu’il a conduite pendant plus de 30 ans sur le meurtre de P E par laquelle il a porté à la connaissance du public des éléments jusqu’alors inconnus relatifs à cette affaire, en leur apportant un éclairage qui leur a conféré une approche personnelle et littéraire justifiant leur protection par le droit d’auteur ;

Qu’il fait valoir que le sujet, la trame du scénario, la reprise de scènes entières et de dialogues du livre, au nombre de 10, représentant près de 25 minutes dans le téléfilm établissent l’existence de la contrefaçon ;

Que la société Z A objecte que les informations, les expressions imposées par le contexte local, la relation de propos tenus par des tiers ne peuvent faire l’objet d’une appropriation, que la trame du récit suit le déroulement chronologique de l’affaire criminelle et est dépourvue d’originalité alors que le téléfilm est centré sur la personne du juge d’instruction, dont les réflexions personnelles ponctuent en voix off certaines scènes du film ;

Qu’il convient donc d’examiner les différents griefs formulés par H M ;

* Sur le sujet du téléfilm 'Bruay-en-Artois : l’impossible vérité'

Considérant que l’ouvrage écrit par H M et le téléfilm incriminé traitent du même sujet, le meurtre de la jeune P E, commis le 6 avril 1972 à Bruay-en-Artois, le début de la procédure criminelle ouverte en vue de rechercher l’auteur des faits et traduisent l’émoi médiatique qu’elle a suscité dans la France entière ;

Considérant que l’ouvrage de H M a fait l’objet d’un dépôt légal en avril 2006 ;

Que dès le 11 mars 2004, la société Z A a conclu avec la société TF1 et une autre société de production une convention littéraire ayant pour objet d’établir un dossier de développement dans le cadre de l’écriture d’un Docu Drama de 1x 120' basé sur le fait divers de 'L’affaire de Bruay-en-Artois’ ; qu’il est précisé que le dossier sera composé d’une enquête journalistique à partir de laquelle sera élaborée une note d’intention détaillant le fil conducteur du 'Docu Drama’ ;

Qu’après que les parties aient renoncé à ce projet suivant avenant du 13 décembre 2005, il a été repris, par contrat de pré-achat de droits d’une série intitulée 'Autopsie d’un crime’ conclu, le 22 octobre 2007, entre la société TF1 et la société Z A, faisant référence à une convention littéraire du 2 janvier 2007 ;

Mais considérant que l’ouvrage de H M relate l’enquête journalistique qu’il a conduite sur place et qu’il narre en employant la première personne du singulier, enquête couvrant toute la période de l’enquête de gendarmerie, de l’instruction ainsi que les investigations qu’il a menées personnellement jusqu’en 2003 et la relation amicale qu’il a nouée avec D E, père de la victime ;

Que si l’éditeur informe le lecteur sous forme d’avertissement avant la préface qu’un certain nombre de noms ont été changés par souci de protéger les proches et leurs familles, les premiers juges ont estimé, à juste titre, que cet ouvrage, présenté par l’auteur au chapitre 148 comme l’enquête de sa vie, était dénué d’ambition romanesque, étant relevé que la relation des faits et des informations par lui recueillies est chronologique ;

Que le téléfilm en cause est consacré aux quatre premiers mois de l’instruction menée par le juge B C qui en est le personnage central, le téléspectateur suivant l’enquête à travers ses investigations qu’elles aient lieu dans son cabinet ou à l’extérieur, les impressions, interrogations du juge étant rapportées par une voix off ;

Considérant que H M ne peut se prévaloir d’un droit d’auteur sur l’information brute provenant de sources judiciaires, largement diffusée par la presse, seule une réécriture personnelle des propos recueillis témoignant de l’empreinte de sa personnalité serait de nature à présenter le caractère d’originalité requis pour être éligible à la protection ; que si la sélection et l’ordonnancement de données ou d’informations peuvent être protégés, le grief de contrefaçon ne peut être retenu que dans la mesure où les emprunts reprochés reproduiraient ces éléments, sous une forme identique ;

Que le sujet commun aux deux oeuvres en cause conduisaient nécessairement à la reprise du lieu de commission du crime, des noms de rues et de l’identité des protagonistes dans leurs fonctions, éléments qui ne résultent pas de l’effort créatif de H M ;

Que, comme H M dans son ouvrage, le téléfilm représente les six meurtres de jeunes filles commis dans la région, sur une carte sur laquelle sont apposées les photographies des visages des victimes ; que l’idée de rapprocher de l’enquête en cours des meurtres non élucidés est de libre parcours et n’est pas susceptible d’appropriation par le droit d’auteur ; qu’en outre, la société Z A fait valoir à juste titre que les enquêteurs recourent fréquemment à cette approche dans leur tentative d’élucider une affaire et produit, à cet effet, un article du magazine 'Détective’publié le 4 mai 1972, intitulé 'Détective a entendu tous les témoins des 5 affaires de jeunes femmes découvertes nues étranglées la poitrine marquée’ et un article paru dans le journal Nord Eclair daté du 19 avril 1972 faisant état d’un rapprochement avec d’autres meurtres commis dans la région ;

Que le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point ;

* Sur la trame du scénario

Considérant que le téléfilm met en scène une journaliste, N O, qui entre en contact avec le juge d’instruction, personnage central du scénario ;

Que H M, tout en reconnaissant qu’il n’a pas été le seul journaliste à enquêter sur le meurtre de P E, relève des similitudes avec sa propre enquête dans les rencontres qu’elle a faites, son dîner avec le juge ;

Considérant que H M ne peut revendiquer de droit privatif sur la présence d’une journaliste dans le téléfilm alors qu’il ressort des articles parus dans la presse que le juge d’instruction entretenait des relations privilégiées avec les nombreux journalistes qui couvraient cette affaire, attitude qui faisait l’objet d’une polémique car incompatible avec le secret de l’instruction contre lequel il militait ; que la société Z A justifie que les journalistes présents tentaient d’obtenir des informations en interrogeant la population locale et même en se rendant chez les parents de la victime, ainsi qu’il ressort de l’article paru dans le magazine PARIS MATCH daté du 20 mai 1972, sous la signature de J K ;

Considérant que H M soutient plus précisément, en premier lieu, que la première scène du film dans laquelle est évoquée la disparition de la bague de la victime, les scènes faisant état des services rendus par la victime et l’une de ses camarades à la maîtresse du notaire, faits qui ne figuraient pas dans le dossier pénal et dont il avait seul connaissance, reproduisent des passages de son ouvrage ;

Mais considérant que la reprise de ces informations, à supposer même qu’elles n’aient pas été relatées par d’autres médias, ne peut être constitutive de contrefaçon dès lors qu’il ne ressort pas de la comparaison des deux oeuvres que les dialogues du téléfilm les reproduisent dans la forme sous laquelle H M les a présentées ; qu’ainsi s’agissant de la disparition de la bague, H M rapporte entre guillemets une conversation qu’il a eu avec la mère de la victime qui opère un rapprochement avec un autre crime ; que H M évoque les courses effectuées par P E pour la maîtresse du notaire sous la forme d’un entretien avec l’une de ses amies, contexte qui n’est pas celui du téléfilm ;

Considérant, en deuxième lieu, que H M fait grief aux intimés d’avoir retenu dans le téléfilm l’horaire de 19H 50 comme étant l’heure du crime, en relevant qu’il l’a déterminé avec précision grâce aux multiples investigations, entretiens et recoupements qu’il a effectués au cours de ses années d’enquête sur le terrain ; qu’il ajoute que le témoin dénommé U-V Y dans le téléfilm reprend la même formulation et les mêmes mots que ceux qu’il prête dans son livre à Madame X ;

Mais considérant que les premiers juges ont exactement relevé qu’un article paru dans le journal NORD ECLAIR daté du 15 avril 1972 relatait la déclaration d’un témoin qui affirmait avoir aperçu la voiture vide du notaire à XXX et estimé à juste titre que l’heure présumée du crime ne peut faire l’objet d’une appropriation par quiconque ;

Que si dans le téléfilm, avant de procéder à l’inculpation du notaire, le juge d’instruction lui rappelle la teneur du témoignage d’Anna Y, en des termes quasi-identiques à ceux que H M prête à Madame X : la femme au landau, cet entretien est cité entre guillemets dans son ouvrage en sorte qu’il ne peut prétendre à un droit d’auteur sur les propos ainsi rapportés, sans invoquer une réécriture personnelle de ce texte ;

Considérant, en troisième lieu, que H M soutient que, dans le téléfilm, la première convocation du notaire devant le juge reproduit l’ambiance décrite dans son ouvrage tel qu’il l’a vécu, notamment le fait qu’il croise un avocat le saluant en lui serrant chaleureusement la main, qu’il se cure les ongles alors que le juge le fait attendre ;

Mais considérant que ni la salutation adressée par un avocat à un notable, ni l’attente devant le cabinet d’un juge d’instruction, ni la manie de se curer les ongles en situation de désoeuvrement, détails de la mise en scène, à supposer même qu’ils aient été puisés dans l’ouvrage de H M, ne sont protégeables au titre du droit d’auteur, faute de révéler un effort créatif ;

Considérant, en quatrième lieu, que H M reproche aux intimés d’avoir mentionné à plusieurs reprises dans le téléfilm l’existence d’un scalpel qui aurait appartenu au notaire, élément qui n’a pas été révélé par le dossier pénal et dont il a eu connaissance lors de sa propre enquête ;

Et considérant que les premiers juges ont justement retenu que l’évocation d’un scalpel dans le téléfilm ne pouvait donner prise à un droit d’auteur, relevant au surplus que le médecin légiste qui a examiné la victime avait constaté une blessure peu profonde faite par un objet pointu, sorte de stylet ou de scalpel ;

Considérant, en sixième lieu, que si le téléfilm reprend l’information selon laquelle les vêtements de la victime étaient secs alors qu’il avait plu toute la nuit, cet indice était dévoilé dans l’article consacré à cette affaire par le magazine PARIS MATCH daté du 17 juillet 1997 ;

Considérant, enfin, que H M soutient que l’épilogue du téléfilm sous forme de dialogue intérieur du juge d’instruction convaincu que la victime a été tuée en raison d’informations qu’elle aurait détenues et qui auraient pu compromettre l’Etat, reprend la conclusion à laquelle conduit son ouvrage ;

Mais considérant que dans son monologue intérieur qui sert d’épilogue au téléfilm, le juge d’instruction s’interroge sur la mystérieuse disparition des pièces à conviction et poursuivant sa réflexion, constate la fragilité d’un Etat que le meurtre d’une jeune fille de 16 ans a fait trembler en émettant le souhait qu’il est révolu le temps où le mensonge d’Etat prime sur la vérité ;

Que cet épilogue ne reprend pas la thèse développée par H M, aux pages 377 à 379 de son livre, selon laquelle P E aurait été assassinée parce qu’elle détenait des informations gênantes ;

Qu’il convient de relever au surplus que les éléments épars qui viennent d’être examinés ne sont pas simplement transposés tels quels dans le téléfilm mais se fondent dans l’architecture du scénario en sorte que l’on ne retrouve pas l’empreinte de l’oeuvre littéraire préexistante ; qu’enfin, nombre de ressemblances constatées sont inhérentes au sujet commun traité par les deux oeuvres ;

* Sur les scènes du téléfilm

Considérant que H M fait valoir que trois scènes du téléfilm sont la transmission sur support audiovisuel des scènes de son livre ; qu’il y a donc lieu de procéder à l’examen comparatif de l’ouvrage et des scènes en cause ;

1) la bagarre au club

Considérant qu’en pages 27 et 28 de son livre, H M décrit une bagarre qui s’est déclenchée dans une brasserie proche de la gare de Béthune entre quatre journalistes, dont l’auteur, et des membres du Rotary Club qui festoyaient bruyamment et les traitaient de menteurs et d’aventuriers ;

Que le téléfilm comporte une scène de bagarre dans un bar entre un groupe de journalistes et de notables qui éclate lorsque les journalistes évoquent des rumeurs circulant sur la bourgeoisie locale qui utiliserait des 'rabatteurs’ pour recruter des jeunes filles en vue de les 'livrer’ aux notables ;

Considérant que, par des motifs pertinents que la cour fait siens, les premiers juges ont exactement relevé que compte tenu du climat de tension créé dès la mise en cause du notaire par le juge d’instruction, de la constitution par les ouvriers des mines d’un 'Comité pour la Vérité et la Justice’ évoqué dans le téléfilm, la narration d’une bagarre entre journalistes et notables, trouvant sa source dans un échauffement dû à l’alcool, s’avère d’une grande banalité ;

Que dans ce contexte, l’utilisation de ce ressort dramatique ne saurait constituer un acte de contrefaçon ;

Considérant que H M reproche également aux intimés d’avoir repris le terme 'rabatteur’ dans la même terminologie pour désigner les personnes chargées par les houillères de ramener des femmes d’ouvriers pour les ingénieurs de la mine ;

Considérant que H M rapporte à la page 274 de son livre, l’entretien qu’il a eu dans un café avec un mineur qui lui parle de Romain, le rabatteur de belles filles en ces termes :

'Ce type était payé par les houillères pour ramener des belles femmes de mineurs pour les ingénieurs. Il les repérait, les abordait quand le mari était à la fosse. Evidemment la femme refusait et alors on changeait le mari de poste, plus dur, plus dégueu, on le mettait dans l’eau. Il devenait dépressif, plus de morale. Il dérouillait. Alors Romain revenait voir la femme qui acceptait ses conditions pour sauver son mari. Mais elle n’était pas assez propre pour ces messieurs, alors on la baignait dans une baignoire de lait, quand elle couchait … D’un seul coup, le mineur devenait porion. Sans comprendre ! Le porion, c’est un chef mineur, un contremaître qui supervise, il exécute les ordres et gagne plus’ ;

Que le téléfilm montre un journaliste attablé, un verre à la main, qui expose :

'Le pire c’est que les rabatteurs font aussi les corons. Ils trouvent une fille, lui proposent de coucher, la fille refuse. Eh ben ils envoient aussitôt son mec au fin fond de la mine là où il risque le plus gros, et au bout d’une semaine elle craque et elle accepte tout. Et son mari est aussitôt promu porion ou chef d’équipe, comme par magie!

Et ça profite à qui… Ouais aux ingénieurs des houillères’ ;

Mais considérant que dans un article intitulé 'Bruay messes noires ballets roses’ paru dans le magazine DETECTIVE daté du 10 août 1972, le rédacteur relate avoir assisté à une messe noire organisée dans une maison isolée par une secte pour se livrer à des jeux libertins en poursuivant 'Mais on m’a affirmé que beaucoup de ces fausses sectes recherchaient de jeunes proies pour les plier à leurs caprices avec l’aide de véritables rabatteurs'… Mais il reste à prouver qu’il pourrait y en avoir dans la région de Bruay-en-Artois. Là aussi, nous avons essayé de serrer la vérité au plus près et malgré les recherches que nous avons effectuées dans toute la région, nous n’avons réussi qu’à glaner des rumeurs sur certaines soirées libertines à la mode dans la contrée… l’hypothèse selon laquelle on aurait pu vouloir mêler l’innocente P à quelque chose qu’elle réprouvait reste donc évidemment possible’ ;

Que cet article établit que cette rumeur circulait dans la région ; que l’emprunt reproché du mot 'rabatteur’ porte donc sur l’information telle qu’elle a été dévoilée ;

Que si l’évocation de cette rumeur n’apporte rien à l’enquête judiciaire, H M ne peut prétendre à un droit privatif sur les propos tenus par une personne interviewée qu’il a enregistrée, comme il l’indique, reproduits entre guillemets ; que la transposition de cette rumeur dans un téléfilm dont la vocation est d’attiser la curiosité du spectateur ne peut donc être interdite ;

2) L’interrogatoire du notaire

Considérant que H M reproche aux intimés d’avoir reproduit l’audition du notaire par le juge d’instruction, dont la teneur lui avait été confiée par ce magistrat, en copiant sur les indications données dans son ouvrage, le rythme, l’ambiance de la scène, le jeu de l’acteur, l’interruption de l’avocat ;

Mais considérant que cette scène d’interrogatoire dont le suspense tient au fait que l’accusé s’apprête à passer aux aveux, puis interrompu par son avocat, se ressaisit, est un ressort dramatique banal ; que les articles parus dans la presse lors de la sortie du téléfilm rapprochent cette confrontation entre le juge d’instruction et le notaire d’une scène du film 'Garde à vue’ de F G ; que H M ne peut en conséquence se prévaloir d’aucun droit privatif sur cette scène ;

3) Sur la rencontre avec France l’entraîneuse

Considérant qu’aux pages 47 à 50 de son ouvrage, H M rapporte sa rencontre, dans le bar de nuit le Manhattan où elle travaille, avec France, qui lui livre des confidences sur les habitudes du notaire, ses pratiques sexuelles et déclare, sur interrogation du journaliste :

'ça ne lui ressemblait pas mais il le réclamait de plus en plus souvent, il apportait un stylet et exigeait que je me fasse des scarifications sur le poignet et l’avant-bras .Il fallait que je recommence jusqu’à ce que le sang coule… mais je commençais à avoir peur’ ;

Que l’appelant fait valoir que la relation de cette rencontre n’est pas nécessaire à l’enquête, que ces confidences n’ont pas été retranscrites dans le dossier judiciaire et que le déroulement de la scène, le décor, l’ambiance et les propos du personnage du téléfilm sont la reproduction de son livre ;

Mais considérant que la société Z A produit aux débats un article extrait du magazine DETECTIVE, daté du 20 avril 1972, intitulé 'Inculpé du meurtre de P le notaire de Bruay menait une double vie'; que sous le sous-titre 'un client généreux', le journaliste rapporte les propos de deux prostituées de Lille sur les pratiques et faiblesses sexuelles du notaire, l’une d’elles déclarant qu’il inspirait la peur ; que la propriétaire du bar Le Manhattan et deux employées, interrogées par les services de Police sur commission rogatoire du juge d’instruction de Béthune du 14 avril 1972, démentent les déclarations que leur ont prêtées des journalistes sur la fréquentation de l’établissement par le notaire et sur ses pratiques sexuelles, notamment qu’il aimait se faire fouetter avec des orties et qu’il demandait à se faire piquer les endroits sensibles du corps avec des aiguilles ; que cette information divulguée au public par la presse était de libre parcours ;

Que le téléfilm contient une scène au cours de laquelle la journaliste se rend de nuit dans le bar Le Manhattan pour y rencontrer l’entraîneuse qu’elle interroge et qui lui décrit les pratiques sexuelles du notaire et notamment le fait qu’il lui demandait de se taillader le bras avec un scalpel jusqu’au sang ; que cette confidence qui aurait été livrée par France à H M est reprise dans la scène du téléfilm alors qu’elle n’est dévoilée ni dans le dossier pénal, ni dans la presse ;

Mais considérant que l’emprunt de cette anecdote sordide sur laquelle H M ne saurait se prévaloir d’un droit d’auteur dès lors qu’il n’a fait que la recueillir, sans procéder à sa réécriture, n’est pas constitutive de contrefaçon ;

Considérant qu’il s’ensuit que le téléfilm, dont l’action est centrée sur le personnage du juge d’instruction qui est persuadé de tenir le coupable et que rien d’autre n’intéresse, n’est pas l’adaptation audiovisuelle par transposition du livre de H M qui relate l’enquête journalistique qu’il a continué à mener pendant plus de 30 ans alors que le notaire et sa compagne avait bénéficié d’un non-lieu et qu’un autre prévenu avait été acquitté ; que si le choix des informations collectées, leur réunion selon un ordre chronologique dans l’ouvrage, dans un style propre à leur auteur, porte l’empreinte de sa personnalité et est éligible à la protection par le droit d’auteur, ces éléments dans cette composition originale, ne sont pas repris dans l’oeuvre audiovisuelle critiquée ;

Qu’il s’ensuit que H M sera débouté de sa demande fondée sur une atteinte à son droit moral d’auteur ; que le jugement entrepris doit donc être infirmé ;

Considérant qu’il n’y a lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré H I dit H M irrecevable à agir en réparation d’une atteinte à ses droits patrimoniaux d’auteur et recevable à agir en réparation d’une atteinte à son droit moral,

L’infirmant pour le surplus et statuant à nouveau,

R H I dit H M irrecevable à agir pour parasitisme,

DÉBOUTE H I dit H M de ses demandes au titre de la contrefaçon,

DIT n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE H I dit H M aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

— prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Madame V-Gabrielle MAGUEUR, Président et par Madame NEVEU, Faisant fonction de greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le faisant fonction Le PRESIDENT,

de GREFFIER,

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Versailles, 1ère chambre 1ère section, 4 avril 2013, n° 11/03051