Cour d'appel de Versailles, 13e chambre, 26 janvier 2021, n° 20/00627

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Versailles, 13e ch., 26 janv. 2021, n° 20/00627
Juridiction : Cour d'appel de Versailles
Numéro(s) : 20/00627
Importance : Inédit
Décision précédente : Tribunal de commerce de Nanterre, 28 janvier 2020, N° 2019L02928
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Date de dernière mise à jour : 15 octobre 2022
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Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 4DB

13e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 26 JANVIER 2021

N° RG 20/00627 – N° Portalis DBV3-V-B7E-TXFD

AFFAIRE :

[X] [C]

C/

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 29 Janvier 2020 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

N° chambre :

N° Section :

N° RG : 2019L02928

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 26/01/2021

à :

Me Stéphanie TERIITEHAU

Me Martine DUPUIS

TC NANTERRE

M-P

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT SIX JANVIER DEUX MILLE VINGT ET UN,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Maître [X] [C] pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la Société TBI,

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Autre qualité : Intimé dans 20/00854 (Fond)

Représenté par Maître Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 732 et par Maître Isilde QUENAULT avocat plaidant au barreau de PARIS

APPELANT

****************

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

COUR D’APPEL DE VERSAILLES

[Adresse 2]

[Adresse 2]

SASU JUNE PARTNERS prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège – N° SIRET : 798 53 4 2 93

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Maître Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 – N° du dossier 2063331 et par Maître Louis Marie ABSIL substitué par Maître Rebecca GUILLOUX avocat plaidant au barreau de PARIS

INTIMÉS

****************

Composition de la cour :

L’affaire a été débattue à l’audience publique du 26 Octobre 2020, Madame Sophie VALAY-BRIÈRE, présidente, ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Sophie VALAY-BRIÈRE, Présidente,

Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller,

Madame Delphine BONNET, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie PASQUIER-HANNEQUIN

En la présence du Ministère Public, représenté par Monsieur Fabien BONAN, Avocat Général dont l’avis du 11/05/2020 a été transmis au greffe par la voie électronique.

La SASU TBI exploitait un fonds de commerce d’entreprise générale du bâtiment.

En 2013, son capital a été intégralement acquis par la société C plus, filiale de la société holding Phi group, au moyen d’un financement souscrit auprès de la société KBC bank.

En juillet 2015, la société C plus ne s’acquittant plus de ses échéances, la société KBC bank a procédé à la conversion de ses obligations en actions de la société C plus et le 31 août 2015, les sociétés C plus, KBC bank et Phi group ont conclu un accord de conciliation constaté par le président du tribunal de commerce de Versailles le 15 octobre 2015. Les termes de l’accord n’ayant pas été respectés, la société KBC bank a pris le contrôle de la société C plus le 23 mai 2016 et s’est mise en relation avec la SAS IEN, membre du groupe June Partners. Son dirigeant, M. [F] [M], manager de crise, est devenu président de la société C plus à compter de cette date.

La société TBI rencontrant des difficultés de trésorerie, le président du tribunal de commerce de Versailles a désigné un mandataire ad’hoc le 14 octobre 2016 puis ouvert, le 21 avril 2017, une procédure de conciliation au profit de la société TBI, la société BTSG, prise en la personne de maître [K] étant désignée en qualité de conciliateur, sans qu’une solution aux difficultés de la société ne puisse être trouvée.

Le 23 juin 2017, la direction de la société C plus a été confiée à la société Prosphères, manager de crise.

Le 31 juillet 2017, cette dernière a procédé à la déclaration de cessation des paiements de la société TBI auprès du tribunal de commerce de Nanterre et sollicité l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire.

Suivant jugement du 4 août 2017, le tribunal de commerce de Nanterre a ouvert une procédure de liquidation judiciaire avec poursuite d’activité jusqu’au 31 octobre 2017 à l’égard de la société TBI, la date de cessation des paiements étant fixée provisoirement au 1er juillet 2017, maître [B] et maître [C] étant désignés respectivement en qualité d’administrateur et de liquidateur judiciaires.

Une procédure de liquidation judiciaire a par ailleurs été ouverte à l’égard de la société C Plus le 04 août 2017.

Le 13 octobre 2017, le tribunal de commerce de Nanterre a arrêté le plan de cession de la société TBI au profit de la société TGL group pour le prix de 200 000 euros.

Saisi par le liquidateur judiciaire, le tribunal de commerce de Nanterre, par jugement du 7 novembre 2018, confirmé par un arrêt du 14 mai 2019 de la présente cour, a reporté la date de cessation des paiements de la société TBI au 31 décembre 2016.

M. [M] a formé un pourvoi et un recours en révision à l’encontre de cet arrêt.

Considérant que des règlements au profit de la société June Partners étaient intervenus en période suspecte, maître [C], par acte d’huissier en date du 25 octobre 2019, l’a assignée devant le tribunal de commerce de Nanterre qui, par jugement contradictoire du 29 janvier 2020 assorti de l’exécution provisoire, a :

— débouté la société June Partners de sa demande de sursis à statuer ;

— débouté maître [C], ès qualités, de sa demande d’annulation des virements effectués par la société TBI au profit de la société June Partners pour un montant de 683 605,80 euros ;

— dit n’y avoir lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile ;

— dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure collective.

Par déclaration du 30 janvier 2020, maître [C], ès qualités, a interjeté appel de cette décision.

Le 6 février 2020, le ministère public a également interjeté appel.

Les deux procédures ont été jointes par ordonnance du 24 février 2020.

Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 9 octobre 2020, maître [C], ès qualités, demande à la cour de :

— confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la société June Partners de sa demande de sursis à statuer ;

— rejeter la demande de sursis à statuer de la société June Partners ;

— infirmer le jugement en toutes ses autres dispositions ;

— juger nuls les virements effectués par la société TBI au profit de la société June Partners pour un montant global de 683 605,80 euros sur le fondement de l’article L.632-2 du code de commerce ;

— condamner la société June Partners à lui payer la somme de 683 605,80 euros avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l’assignation ;

— débouter la société June Partners de l’ensemble de ses demandes ;

— ordonner la capitalisation des intérêts ;

— condamner la société June Partners à lui payer la somme de 20 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, dont distraction est requise au profit de la Selarl Minault-Teriitehau, agissant par maître Stéphanie Teriitehau, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 16 octobre 2020, la société June Partners demande à la cour de :

in limine litis,

— déclarer recevable et bien fondé son appel incident à l’encontre du jugement en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de sursis à statuer ;

y faisant droit,

— infirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de sursis à statuer ;

— surseoir à statuer dans l’attente de la décision définitive à intervenir sur la fixation de la date de l’état de cessation des paiements de la société TBI ;

sur le fond,

— confirmer le jugement en ce qu’il a débouté maître [C], ès qualités, de sa demande d’annulation des virements effectués du 6 janvier 2017 au 31 juillet 2017 par la société TBI à son profit pour un montant de 683 605,80 euros ;

en conséquence,

— débouter M. le procureur général et maître [C], ès qualités, de l’ensemble de leurs demandes ;

— condamner maître [C], ès qualités, à lui payer la somme de 20 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamner solidairement M. le procureur général et maître [C], ès qualités, aux entiers dépens.

Selon conclusions notifiées par RPVA le 11 mai 2020, le ministère public demande à la cour de dire son appel recevable et bien fondé, d’infirmer le jugement et d’annuler les

huit virements litigieux effectués par la société TBI au profit de la société June Partners, entre le 6 janvier et le 31 juillet 2017, pour un montant de 683 605,80 euros.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 19 octobre 2020.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie à leurs dernières écritures conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

SUR CE,

Aucun moyen n’étant soulevé ou susceptible d’être relevé d’office, il convient de déclarer les appels principal et incident recevables.

1- Sur la demande de sursis à statuer

La société June Partners considère qu’afin d’éviter tout risque de contrariété de décisions et dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, il convient d’attendre que la date de cessation des paiements soit définitivement fixée avant de statuer sur la demande de remboursement et donc de sursoir à statuer dans l’attente des décisions à intervenir d’une part de la Cour de cassation sur le pourvoi formé à l’encontre de l’arrêt du 14 mai 2019 ayant reporté la date de cessation des paiements au 31 décembre 2016 et d’autre part de la présente cour sur le pourvoi en révision formé par M. [M] à l’encontre de ce même arrêt. Elle explique à cette fin que les moyens soulevés au soutien du pourvoi sont sérieux et que la fixation de la date de cessation des paiements de la société TBI est déterminante dans l’analyse de la première condition posée par l’article L.632-2, alinéa 1, du code de commerce.

Après avoir rappelé que l’arrêt du 14 mai 2019 a autorité de chose jugée et que le pourvoi formé par M. [M], à propos duquel il précise que le rapporteur a conclu au rejet, n’est pas suspensif, maître [C], ès qualités, soutient que la demande est dilatoire et doit être écartée. Il fait valoir que le législateur de 2005 a souhaité un raccourcissement des délais de la procédure collective dans l’intérêt des créanciers, raison pour laquelle tous les jugements rendus en cette matière sont assortis de l’exécution provisoire de droit, de sorte qu’il ne faut pas attendre l’extinction des recours tant à l’encontre du jugement d’ouverture que du report de la date de cessation des paiements pour que soient examinées les opérations effectuées en période suspecte ou la responsabilité des dirigeants. Il fait observer que la société June Partners sollicite en réalité qu’il soit attendu plusieurs années avant que ne puissent être examinées les opérations effectuées en période suspecte puisqu’il est vraisemblable que M. [M] forme un nouveau pourvoi en cassation si la cour d’appel devait rejeter son recours en révision.

Le ministère public ne formule pas d’observation sur cette demande.

Aux termes de l’article 378 du code de procédure civile, la décision de sursis suspend le cours de l’instance pour le temps ou jusqu’à la survenance de l’événement qu’elle détermine.

En raison d’une part du caractère non suspensif du pourvoi en cassation formé par M. [M] à l’encontre de l’arrêt du 14 mai 2019 ayant fixé la date de cessation des paiements au 31 décembre 2016, qui a autorité de chose jugée, et d’autre part de l’arrêt distinct rendu ce jour déclarant le recours en révision formé par M. [M] irrecevable, la demande de sursis à statuer est rejetée.

Le jugement est donc confirmé sur ce point.

2- Sur le fond

Après avoir critiqué le jugement en ce qu’il a méconnu l’autorité absolue de chose jugée attachée à l’arrêt du 14 mai 2019 ayant fixé la date de cessation des paiements de la société TBI au 31 décembre 2016, maître [C], ès qualités, rappelle que cette date ne peut plus être contestée et qu’elle s’impose aux dirigeants comme aux créanciers. Il soutient que la société June Partners, dont l’argumentation vise à remettre en cause la date de cessation des paiements et non la connaissance de celle-ci, avait une parfaite connaissance de cet état de cessation des paiements d’une part, par le truchement de M. [M], qui, en sa qualité de dirigeant de la société C Plus et donc de la société TBI en avait connaissance, et, d’autre part, par la mission confiée à la société June partners.

Sur le premier point, il explique qu’il existe une communauté de dirigeants entre les sociétés TBI et June partners, précisant que la société IEN, dirigée initialement par M. [M], a été acquise par la société June partners en 2015 et qu’elle a ensuite été dirigée par M. [H] [R], également dirigeant des sociétés June partners et June & associés, puis par cette dernière dont la société NG3, dirigée par M. [M], était associée et administrateur. Il ajoute que les liens entre les sociétés June Partners et IEN résultent également de la lettre de mission et de la signature par M. [M] de ses mails en tant qu’associé de la société June partners et souligne la mauvaise foi de la société June partners qui prétend que M. [M] n’aurait exercé aucun mandat social au sein de la société TBI.

Il fait valoir ensuite que la lettre de mission signée par la société June Partners, relative à l’assistance à la direction financière de la société TBI, emportait notamment pour mission l’établissement de la situation de trésorerie, les états de retard de paiement et la saisine de la CCSF, en sorte que celle-ci avait une parfaite connaissance de la situation financière de la société liquidée, soulignant que M. [M] a lui-même reconnu l’implication de la société June partners dans ses conclusions prises dans le litige l’opposant à la société KBC bank. Il précise que la connaissance de la situation financière de la société TBI par la société June partners ressort également des conclusions et des pièces versées aux débats par celle-ci.

Il invoque en outre une jurisprudence constante selon laquelle un dirigeant ne peut pas ignorer l’état de cessation des paiements de la société qu’il dirige.

Il précise que la cour d’appel n’a pas annulé rétroactivement le moratoire mais a constaté son non respect en raison du non paiement des cotisations courantes depuis janvier 2017, peu important qu’il n’ait pas été dénoncé, soulignant que la société June partners ne rapporte pas la preuve du réglement par ses soins des cotisations Pro BTP. Il ajoute qu’au delà de ces cotisations, les fournisseurs étaient impayés, les rapports de maître [K] et du Cabinet [L] mentionnant de nombreux 'stop and go’ sur les chantiers et le non réglement du passif-fournisseur, et fait état d’une balance âgée fournisseurs indiquant un passif exigible de 10 033 390,11 euros au 31 décembre 2016 et de 7 700 000 euros au 30 avril 2017, soit après déduction des moratoires et litiges justifiés de 8 401 569,34 euros au 31 décembre 2016, supérieur à l’actif disponible de 4 155 300 euros, de sorte que la société June partners ne pouvait ignorer l’état de cessation des paiements au 31 décembre 2016.

Il affirme enfin, que c’est en toute connaissance de cet état de cessation des paiements que M. [M], en trompant le tribunal de commerce de Versailles qu’il avait lui-même choisi, a sollicité l’ouverture d’une conciliation qui n’avait pas pour but de mettre fin à cette cessation des paiements mais de trouver un repreneur des actions à un euro puis démissionné, étant observé qu’un mois après une liquidation judiciaire immédiate était ouverte faute d’un redressement possible.

Le ministère public considère qu’au lieu de décider que la preuve de la connaissance par la société June Partners de l’état de cessation des paiements de la société TBI n’était pas suffisamment rapportée, le tribunal s’est employé à démontrer que la société TBI n’était pas en cessation des paiements entre le 6 janvier 2017 et le 31 juillet 2017 et que ce faisant il a commis un excés de pouvoir en statuant ultra petita puisque par un arrêt définitif du 14 mai 2019, la cour a reporté la date de cessation des paiements au 31 décembre 2016.

La société June partners réplique d’une part que, contrairement à ce qui est soutenu, le tribunal n’a pas remis en cause la date de cessation des paiements mais a explicité les raisons pour lesquelles, selon lui, elle ne pouvait pas avoir eu connaissance de l’état de cessation des paiements lors des virements litigieux, retenant notamment l’absence de dénonciation des moratoires CCSF et ProBTP, le contrôle régulier par le Cabinet [L] et le conciliateur ainsi que le soutien financier assuré par KBC bank et, d’autre part, que l’autorité de la chose jugée ne s’attache qu’au dispositif de sorte que le liquidateur judiciaire n’est pas fondé à reprocher au tribunal d’avoir retenu des arguments écartés par la cour d’appel.

L’intimée soutient tout d’abord que lorsque les différents virements sont intervenus, les dettes moratoriées, pour un montant de 9,2 millions d’euros, étaient, par l’effet des moratoires conclus par la société TBI avec ses créanciers et qui étaient toujours en vigueur, exclues de l’analyse du passif exigible et que ce n’est qu’à compter de l’arrêt du 14 mai 2019 que la date de cessation des paiements a été remontée a posteriori, en raison de l’annulation rétroactive des moratoires par la cour d’appel. Elle déduit de ces moratoires dont la société TBI bénéficiait à l’époque des virements que ni elle ni M. [M] ne pouvaient avoir connaissance de l’état de cessation des paiements de la société.

Elle fait valoir ensuite que le moratoire CCSF n’a jamais été dénoncé et que toutes les créances courantes, notamment Pro BTP, ont été payées par la société TBI jusqu’au 1er juillet 2017, date initiale de la cessation des paiements comme le démontrent les reportings du cabinet [L] et les grands livres comptables. Elle détaille également le montant du passif fournisseur avancé par le liquidateur judiciaire à hauteur de 10 033 390,11 euros considérant que celui-ci est dénué de toute force probante, faute pour l’appelant de démontrer le caractère exigible de ce passif puisque les balances âgées fournisseurs versées aux débats par le liquidateur judiciaire ne tiennent compte ni des factures anciennes et des avoirs à recevoir (2 990 973,13 euros), ni des factures litigieuses (1 342 847,36 euros), ni des factures ayant fait l’objet d’un moratoire (2 084 028,63 euros), de sorte que le montant du passif prétendument échu au 31 décembre 2016 sur la base de cette balance s’élève à la somme de 3 615 540,99 euros, ni encore des cautions fournisseurs accordées par KBC bank à hauteur de 2 millions d’euros ; qu’en tout état de cause, le solde de trésorerie disponible de la société TBI au 30 décembre 2016 à hauteur de 4 698 139,25 euros permettait de couvrir ce passif-fournisseur prétendument échu.

Elle évoque également le contrôle exercé par le cabinet [L] et le conciliateur, dont les constatations au 29 mai 2017 donnent acte de l’absence de cessation des paiements de la société TBI à cette date, pour affirmer l’absence de connaissance possible, à l’époque des virements litigieux, de l’état de cessation des paiements par elle-même et par le dirigeant.

Elle prétend enfin que M. [M] n’a exercé personnellement aucun mandat social au sein de la société TBI et qu’il n’existe aucune communauté de dirigeants entre les sociétés TBI et June partners. Elle affirme qu’à supposer même qu’elle ait été caractérisée, cette circonstance est à elle seule inopérante à établir la connaissance par elle-même de l’état de cessation des paiements de la société TBI et qu’il n’y a pas de lien capitalistique entre elle-même et la société TBI.

À titre subsidiaire, elle argue du caractère inopportun de l’annulation des virements litigieux qui correspondent à ses honoraires pour avoir exécuté, au cours d’une procédure de conciliation, des prestations tendant au redressement dans les meilleures conditions possibles d’une entreprise en difficulté.

L’article L. 632-2, alinéa 1, du code de commerce prévoit que les paiements pour dettes échues effectués à compter de la date de cessation des paiements et les actes à titre onéreux accomplis à compter de cette même date, peuvent être annulés si ceux qui ont traité avec le débiteur ont eu connaissance de la cessation des paiements.

La connaissance de la cessation des paiements, dont la preuve incombe au demandeur, doit être certaine, étant souligné que la connaissance des difficultés du débiteur et d’une situation financière obérée ne peut suffire à démontrer la connaissance de l’état de cessation des paiements qui se caractérise par l’impossibilité pour le débiteur de faire face à son passif exigible avec son actif disponible.

L’extrait du grand livre des tiers relatif au compte de la société June partners de la société TBI et les factures émises montrent qu’entre le 1er janvier 2017 et le 31 juillet 2017, soit postérieurement à la date de cessation des paiements fixée au 31 décembre 2016 par arrêt confirmatif du 14 mai 2019, la société TBI a effectué plusieurs virements, pour une somme non contestée de 683 605,80 euros, au profit de la société June partners en réglement de ses honoraires.

Dès sa prise de contrôle de la société TBI, KBC bank s’est rapprochée de la société June partners, laquelle lui a communiqué le 20 novembre 2015 les propositions faites par la SAS IEN, société membre du groupe June partners depuis février 2015, afin d’accompagner la société TBI pour lui permettre d’améliorer ses performances, d’organiser sa transformation et de préparer une cession.

La lettre de mission, signée le 20 mai 2016, prévoit la 'prise en main opérationnelle de la direction générale de l’entreprise par les intervenants de l’IEN, au travers des mandats sociaux de président et de directeur général pendant la durée de la conduite de la transformation', le 'déploiement d’une équipe IEN à 'géométrie variable’ en fonction des priorités identifiées pendant le cours de la mission, notamment sur les fonctions clés suivantes : RH, systéme d’information, direction financière, project management'.

Selon les extraits du site dirigeant.com produits, la société IEN a été dirigée par M. [M] du 30 janvier 2010 au 29 décembre 2012, par la société Groupe NG3, dirigée par M. [M], du 29 décembre 2012 au 22 avril 2015, par M. [H] [R] du 22 avril 2015 au 8 mars 2017 puis à compter de cette date par la société June & associés.

Cette dernière, dont la société Groupe NG3 est administrateur depuis le 19 mars 2015, est présidée par M. [H] [R] depuis le 26 février 2014.

En outre, la société June partners, qui a pour présidente et associée unique la société June & associés depuis le 8 mars 2017, était auparavant dirigée par M. [H] [R].

En exécution de la lettre de mission du 20 mai 2016, la société IEN a facturé à la société KBC bank une somme totale de 2 006 680,21 euros hors taxes, selon la lettre adressée par la banque à M. [V] le 10 janvier 2018.

Si comme soutenu par l’intimée, M. [M] n’était pas titulaire d’un mandat social au sein de la société TBI elle-même, il a néanmoins exerçé, outre ses fonctions au sein de la société Groupe NG3, celles de président de la société C plus, elle-même présidente de la société TBI, du 23 mai 2016 au 23 juin 2017, de sorte qu’il dirigeait cette dernière.

Il était également 'partner’ de la société June partners selon l’extrait du site de cette société daté du 19 juin 2018, dont il indique, dans ses propres conclusions prises dans le cadre du litige l’opposant à KBC bank, qu’elle l’a assisté dans 'un certain nombre de mesures opérationnelles et de réorganisation financière significatives devant permettre à TBI de surmonter cette crise de trésorerie imprévue'.

Le 25 mai 2016, il a signé en sa qualité de président de la société C plus et 'pour TBI’ une lettre de mission avec la société June partners, repésentée par M. [G] [Y], consistant pour celle-ci à assister la société TBI dans l’établissement d’un 'diagnostic financier', comprenant une 'situation de trésorerie actuelle, état de retards de paiement (fournisseurs, créanciers publics), rentabilité réelle par chantier, résultats au 31 mars 2016" et des 'projections financières', moyennant une rémunération au temps passé.

Le 30 mai suivant, il a signé en la même qualité une nouvelle lettre de mission avec la société June partners, repésentée par M. [H] [R], consistant pour celle-ci à accompagner la société TBI dans 'la recherche de financements permettant de couvrir les besoins de trésorerie du groupe sur l’année 2016" et leur mise en place, moyennant une rémunération au succès d’une part et au forfait d’autre part, laquelle a fait l’objet d’un avenant le 28 septembre 2016 afin de 'prolonger la mission d’assistance dans la gestion au quotidien de l’affacturage pour 6 mois'.

Les termes de l’ordonnance du 21 avril 2017 du président du tribunal de commerce de Versailles, désignant la SCP BTSG, prise en la personne de maître [K] en qualité de conciliateur, montrent qu’à cette date, M. [M], s’il déclarait que la société n’était pas en état de cessation des paiements depuis plus de quarante-cinq jours, condition nécessaire pour faire droit à sa demande, faisait néanmoins état de difficultés de trésorerie apparues au premier trimestre 2017, nonobstant l’accord CCSF obtenu en décembre 2016 et l’apport de huit millions d’euros par l’actionnaire KBC bank, et estimait les besoins de trésorerie à court terme de la société TBI à 12,5 millions d’euros.

Le cabinet [L], mandaté par KBC bank, a relevé dans son rapport en date du 11 avril 2017, non traduit, d’une part que la société June partners elle-même estime que les dépenses actuellement non enregistrées causées par de nouvelles pénalités et les 'stop and go’ au cours de la période de janvier à février 2017 s’élèvent à la somme de 4 millions d’euros environ, précisant que ces coûts supplémentaires viendront s’ajouter à la perte attendue de 1,96 m€ pour l’exercice 2017, d’autre part, qu’il comprend de la part de la direction et de la société June partners que les difficultés financières et les 'stop and go’ qui en résultent détériorent la position de négociation de la société TBI, et a fait ressortir un besoin de trésorerie de l’ordre de 12 millions d’euros.

Dans son rapport d’expertise technique daté du 24 juillet 2017, il a également noté plusieurs 'stop and go’ sur différents chantiers provoquant des pertes financières et l’arrêt en mars et avril 2017 d’un chantier en Seine et Marne faute de livraison d’acier en raison de problèmes de trésorerie.

Le rapport du conciliateur en date du 29 mai 2017 indique notamment que 'le besoin de financement de l’entreprise au cours de la période courant du 16 avril 2017 au 15 juillet 2017 a augmenté de 625 k€ compte tenu d’échéances fournisseurs non prises en compte à l’occasion de l’établissement du budget ; la consommation totale de trésorerie sur la période courant du 16 avril 2017 au 15 juillet 2017 devrait toutefois diminuer de 12,5 m€ à 10,6 m€ par le non réglement d’une partie du passif fournisseur ; la situation de trésorerie prévue pour la semaine 25, soit la dernière semaine de juin au cours de laquelle le dernier versement de trésorerie est prévu, laisse apparaître une situation positive à hauteur de 1,8 m€. […] Malgré la poursuite de situations de 'stop & go’ sur les chantiers et des difficultés d’exploitation qu’elles engendrent, l’entreprise poursuit son redressement commercial…'.

La balance âgée de la société TBI au 30 décembre 2016 fait état d’un passif fournisseurs échu de 10 033 390,11 euros dont 4 995 559,53 euros échus depuis 61 à 360 jours et 2 713 991,38 euros depuis plus de 361 jours. Au 30 juin 2017, il était de 11 155 099,88 euros dont 4 971 126,07 euros échus depuis 61 à 360 jours et 2 742 577,65 euros depuis plus de 361 jours, soit un passif impayé de l’ordre de 7 713 703 euros au 30 avril 2017.

L’intimée soutient justement que ce passif ne peut être considéré comme exigible en son entier et justifie de moratoires pour les sommes dues aux sociétés Juste enter (420 871,29 euros), Technique MCM (327 627,76 euros), Roissy TP (45 049,10 euros ) Réseau probois (213 367,64 euros) ou de litiges avec les sociétés SMTP (508 262,31 euros), CITC (69 797,76 euros), NINJ (50 400 euros), PWC (415 000 euros), la condamnation du tribunal de commerce francophone de Bruxelles étant datée du 14 septembre 2017, et Sogeti (87 391,20 euros), la condamnation datant du 21 juillet 2017.

En outre, il peut être considéré que la société C plus avait suspendu l’exigibilité de sa créance (110 732,20 euros), nonobstant l’absence de justificatif.

En revanche ne peuvent être écartées les créances dues aux sociétés CBRE (969 934,73 euros), SCI Des ateliers techniques de TBI (635 287,25 euros), les moratoires n’ayant été conclus que le 10 avril 2017 pour débuter le 1er mai suivant, et Spurgin (81 835,21 euros), faute pour l’intimée de justifier du caractère litigieux allégué.

Il ne peut pas plus être tenu compte pour diminuer le passif d’avoirs allégués à hauteur de 2 990 979,13 euros justifiés par la seule mention 'RRR à obtenir’ dans la balance des comptes au 31 décembre 2016 et et dont il n’est pas démontré qu’ils ont été effectivement obtenus.

Le passif fournisseurs au 31 décembre 2016 peut ainsi être évalué à la somme de 7 784 890,85 euros.

L’actif disponible reconnu par l’intimée dans ses écritures était à la même date de 4 698 139,25 euros (4 214 139,25 + 484 000).

Ainsi, malgré le paiement allégué des cotisations courantes et le soutien financier de KBC bank destiné non au paiement du passif mais à favoriser la cession, la société June Partners, qui entretenait des liens étroits avec M. [M], dirigeant de la société C Plus, présidente de la société TBI, qui avait conclu des conventions d’assistance avec la société TBI, qui surveillait ses comptes et qui connaissait à travers les rapports qui lui étaient remis le non paiement de certains fournisseurs, ne peut sérieusement soutenir qu’elle ignorait, au moment de chacun des virements litigieux, l’état de cessation des paiements de la société TBI.

Quand bien même ces paiements étaient réguliers et correspondaient à sa rémunération fixée par les lettres de mission signées antérieurement à la date de cessation des paiements, ils constituent des paiements préférentiels de dettes échues susceptibles d’être annulés.

Si la nullité encourue est facultative, elle est en l’espèce justifiée au regard du caractère excessif de la rémunération convenue, dont il convient de relever qu’elle s’ajoute à celle déjà prévue entre les sociétés KBC bank et IEN pour des missions particulièrement proches, alors que le passif de la société TBI, notamment fournisseur, était extrêmement important ce que la société June partners, qui avait accès à la comptabilité, ne pouvait pas ignorer.

Le jugement sera par conséquent infirmé de ce chef, les virements annulés et la société June partners condamnée à payer à maître [C], ès qualités, la somme de 683 605,80 euros avec intérêts au taux légal à compter du 25 octobre 2019, date de l’assignation.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire,

Déclare l’appel principal du ministère public et l’appel incident de la société June partners recevables ;

Infirme le jugement sauf en ce qu’il a rejeté la demande de sursis à statuer formée par la société June partners ;

statuant à nouveau,

Annule les virements effectués par la société TBI au profit de la société June partners intervenus entre le 1er janvier et le 30 juin 2017 pour une somme globale de 683 605,80 euros ;

Condamne la société June partners à payer à maître [C], ès qualités, la somme de 683 605,80 euros avec intérêts au taux légal à compter du 25 octobre 2019, outre celle de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile;

Ordonne la capitalisation des intérêts à compter du 25 octobre 2020 ;

Condamne la société June partners aux dépens avec droit de recouvrement au profit de la Selarl Minault-Teriitehau, agissant par maître Stéphanie Teriitehau, avocat, pour les frais dont elle aurait fait l’avance, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Sophie VALAY-BRIÈRE, Présidente et par Madame Sylvie PASQUIER-HANNEQUIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier,La présidente,

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Textes cités dans la décision

  1. Code de commerce
  2. Code de procédure civile
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Cour d'appel de Versailles, 13e chambre, 26 janvier 2021, n° 20/00627