Cour administrative d'appel de Bordeaux, 28 avril 2020, n° 19BX02880

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Bordeaux, 28 avr. 2020, n° 19BX02880
Juridiction : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Numéro : 19BX02880
Décision précédente : Tribunal administratif de Poitiers, 8 mai 2019, N° 1702441
Dispositif : Rejet

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

L’association Ligue française pour la protection des oiseaux, l’association Nature environnement 17, l’association Charente nature, la Fédération de Charente de pêche et de protection du milieu aquatique et la Fédération Charente-Maritime pour la pêche et la protection du milieu aquatique ont demandé au tribunal administratif de Poitiers d’annuler l’arrêté du 20 avril 2017 par lequel les préfets de la Charente, de la Charente-Maritime, des Deux-Sèvres et de la Vienne ont délivré à la société coopérative de gestion de l’eau de la Charente Amont (Cogest’eau) une autorisation unique pluriannuelle de prélèvement d’eau pour l’irrigation agricole.

Par un jugement n° 1702441 du 9 mai 2019, le tribunal administratif de Poitiers a annulé l’arrêté contesté à compter du 1er avril 2021 sous réserve des actions contentieuses engagées à la date du jugement contre les actes pris sur son fondement et a plafonné dans l’intervalle les prélèvements à hauteur de la moyenne des prélèvements réalisés.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 juillet 2019, le ministre de la transition écologique et solidaire demande à la cour de surseoir à l’exécution de l’article 2 de ce jugement du 9 mai 2019 du tribunal administratif de Poitiers.

Il soutient que :

— sa requête est fondée sur l’article R. 811-17 du code de justice administrative ;

— il n’est pas établi que la minute du jugement ait été signée conformément à l’article R. 741-7 du code de justice administrative ;

— contrairement à ce qu’a considéré le tribunal, l’autorisation ne méconnaît pas l’objectif de gestion équilibrée de la ressource en eau fixé par l’article L. 211-1 du code de l’environnement ;

— l’autorisation n’est pas davantage incompatible avec le SDAGE Adour-Garonne ; le tribunal a commis une erreur de droit en confrontant la décision au seul article C18 du SDAGE ; de plus, cet article ne concerne que l’instruction des demandes de création de retenues nouvelles ;

— la date retenue pour l’effet de l’annulation ne tient pas compte des contraintes nécessaires à l’établissement d’un nouvel arrêté d’autorisation ;

— le niveau de plafonnement arrêté par le tribunal à titre transitoire est entaché d’erreur d’appréciation ; il implique de revenir sur le plan annuel de répartition alors que ce plan a été homologué le 1er avril 2019 ; ce niveau ne permettra pas de préserver pour les agriculteurs irrigants les conditions dans lesquelles la campagne culturale a été engagée ;

— l’exécution du jugement, qui ne tient pas compte des besoins des irrigants, risque d’entraîner des conséquences difficilement réparables eu égard à la réduction qu’il implique des volumes octroyés aux irrigants et à la remise en cause des perspectives de la campagne 2019 ; le plafonnement imposé nécessite une procédure particulièrement longue d’adoption d’un nouveau plan annuel de répartition ; l’important déséquilibre qui en résultera pour les programmes culturaux à court terme aura des conséquences graves sur l’emploi agricole et mettra en grande difficulté économique les exploitations concernées.

Par des mémoires enregistrés le 4 novembre 2019, le 20 janvier 2020 et le 11 mars 2020, la société Cogest’eau Charente, société coopérative agricole de gestion de l’eau de la Charente Amont, représentée par Me A, conclut au sursis à exécution du jugement n° 1702441 du 9 mai 2019 et à ce que soit mis à la charge des associations intimées le versement d’une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

— sa demande de sursis à exécution est fondée sur l’article R. 811-17 du code de justice administrative ;

— le jugement est entaché d’irrégularité en ce que le tribunal n’a pas recueilli les observations des parties sur le différé des effets de l’annulation ni sur les modalités de ce différé ;

— contrairement à ce qu’a estimé le tribunal, l’étude d’impact, conforme au cahier des charges de la DREAL, présente l’état initial par des données suffisamment identifiables et intelligibles et dépourvues d’ambiguïté ; en tout état de cause, le caractère épars des données n’a pas pu nuire à l’information complète du public ; le réseau Onde dont les relevés figurent dans l’étude d’impact est reconnu par l’Etat et ses données sont pertinentes ; le tribunal ne précise pas sur quelles données il fonde son affirmation concernant les espèces de poissons qui auraient dû être abordées dans l’étude d’impact ; l’étude en retient sept qui sont celles potentiellement impactées par le projet ; quant aux impacts, l’étude n’est pas incomplète et présente un degré de précision suffisant au regard des principes de pertinence, de proportionnalité et de coût raisonnable prévu à l’article R. 122-5 du code de l’environnement ;

— l’étude d’incidences Natura 2000, également conforme au cahier des charges de la DREAL, ne devait analyser que les incidences sur les sites susceptibles d’être impactés ce qui est le cas ; à supposer cette étude insuffisante, cette insuffisance ne peut être qualifiée de substantielle et n’a pu exercer une influence sur le sens de la décision ; ce n’est pas parce qu’il n’est pas fait de référence expresse aux DOCOB que l’étude ne les a pas pris en compte ; l’arrêté prévoit un suivi au regard des sites Natura 2000, ce qui traduit une prise en compte des conséquences sur ces sites ;

— en se référant à l’insuffisance de l’étude pour en déduire l’absence de bien-fondé de l’autorisation, le tribunal n’a pas suffisamment motivé son jugement ;

— l’autorisation litigieuse ne relève pas de l’ordonnance relative à l’autorisation environnementale et des articles L. 181-1 et suivant du code de l’environnement ;

— la seule multiplication par deux des volumes d’eau prélevables ne traduit pas ipso facto une erreur manifeste d’appréciation ; l’arrêté comporte en effet des prescriptions aux exploitants afin de préserver les intérêts visés à l’article L. 211-1 du code de l’environnement ;

— le tribunal a retenu une incompatibilité avec le SDAGE Adour-Garonne mais sans considérer le SDAGE dans sa globalité ; le SDAGE n’exige pas une baisse des prélèvements par principe ;

— la date d’effet de l’annulation prononcée par le tribunal ne tient pas compte des contraintes temporelles et financières liées à l’établissement d’un nouvel arrêté ; l’élaboration d’un nouveau dossier de demande nécessite un travail long et considérable ainsi qu’un investissement financier important pour les irrigants de la coopérative et les subventions des agences de l’eau tendent à diminuer ; la coopérative risque de ne plus pouvoir garantir les tarifs de la redevance et est exposée à la faillite ; l’annulation au 1er avril 2021 risque donc d’entraîner des conséquences difficilement réparables ;

— le plafonnement décidé par le tribunal expose les irrigants à des pertes économiques avérées et à un grave déséquilibre des programmes culturaux initiés sur les territoires concernés ; l’exécution du jugement sur ce point risque d’entraîner des conséquences difficilement réparables sur l’emploi agricole déjà en difficulté et notamment sur la filière agroalimentaire ; le plan annuel de répartition 2019 a été homologué le 1er avril 2019 et l’exécution du jugement implique de retirer cette homologation ; or, l’homologation d’un nouveau plan nécessite un délai incompressible de plusieurs mois qui est incompatible avec les contraintes liées à la campagne d’irrigation en cours ; elle produit les éléments justifiant des risques économiques dont elle fait état.

Par des mémoires enregistrés les 13 décembre 2019 et 11 mars 2020, l’association Ligue française pour la protection des oiseaux, l’association Nature environnement 17, l’association Charente nature, la Fédération de Charente de pêche et de protection du milieu aquatique et la Fédération Charente-Maritime pour la pêche et la protection du milieu aquatique, représentées par Me B, concluent au rejet de la requête et des observations de la société Cogest’eau Charente et à ce que soit mis à la charge de l’Etat et de la société Cogest’eau Charente le versement par chacun d’eux de la somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

— la requête aux fins de sursis qui ne porte que sur l’article 2 du jugement est irrecevable dès lors qu’elle est étayée par des moyens qui ne sont que la reprise de la requête d’appel qui vise l’article 1er du jugement ;

— la société Cogest’eau qui n’a pas présenté de requête en sursis à exécution, n’est pas recevable à conclure, par son mémoire en observations, au sursis à exécution de l’ensemble du jugement ;

— le jugement est dûment signé ;

— l’annulation de l’autorisation par le tribunal est fondée ;

— le tribunal n’a commis aucune erreur d’appréciation en fixant au 1er avril 2021 la date d’effet de l’annulation prononcée ; cette échéance permet de tenir compte des contraintes d’élaboration d’une nouvelle autorisation ; le ministre n’apporte pas d’éléments permettant de considérer que les conditions dans lesquelles a été engagée la campagne culturale 2019 qui est d’ailleurs terminée, ne seraient pas préservées ;

— il ne peut être considéré que l’exécution du jugement risquerait d’entraîner des conséquences difficilement réparables alors que la société Cogest’eau présente ses écritures seulement en novembre 2019 quand la campagne culturale est achevée et que l’Etat a présenté sa requête deux mois après le jugement ; la société Cogest’eau n’a pas fait part au tribunal d’observations précises sur la modulation des effets de l’annulation ; l’échéance fixée par le tribunal, qui était celle demandée par les services de l’Etat, permet le dépôt d’un nouveau dossier ; l’Etat ne demande pas le sursis à exécution de l’article 1er du jugement fixant cette date ; la société ne justifie pas des conséquences difficilement réparables qu’elle invoque sur le plan financier ;

— la demande de l’Etat relative à la campagne 2019 qui est achevée est devenue sans objet ; il n’est pas démontré qu’au cours de cette campagne l’exécution du jugement aurait entraîné des difficultés ;

— les volumes autorisés ne reflètent pas les besoins des irrigants, de sorte que les conséquences alléguées pour les irrigants de l’exécution du jugement ne sont pas avérées.

Par une ordonnance du 2 mars 2020, la clôture d’instruction a été fixée au 13 mars 2020 à 12h00.

Vu :

— les requêtes d’appel au fond enregistrées sous les n° 19BX02879 et 19BX02864 ;

— les autres pièces du dossier.

Vu :

— le code de l’environnement ;

— le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l’article R. 222-1 du code de justice administrative : « () les présidents de formation de jugement des () cours () peuvent, par ordonnance : () 5° Statuer sur les requêtes qui ne présentent plus à juger de questions autres que la condamnation prévue à l’article L. 761-1 ou la charge des dépens () les présidents des formations de jugement des cours () peuvent, en outre, par ordonnance, rejeter les conclusions à fin de sursis à exécution d’une décision juridictionnelle frappée d’appel () ».

2. Aux termes de l’article R. 811-17 du code de justice administrative : « Dans les autres cas, le sursis peut être ordonné à la demande du requérant si l’exécution de la décision de première instance attaquée risque d’entraîner des conséquences difficilement réparables et si les moyens énoncés dans la requête paraissent sérieux en l’état de l’instruction ».

3. Par arrêté du 20 avril 2017, les préfets de la Charente, de la Charente-Maritime, des Deux-Sèvres et de la Vienne ont délivré à la société coopérative agricole de gestion de l’eau de la Charente Amont (Cogest’eau Charente), désignée en qualité d’organisme unique chargé de la gestion collective des prélèvement d’eau pour l’irrigation pour l’ensemble des sous-bassins du Son-Sonnette, de l’Argentor-Izonne, de la Péruse, du Bief, de l’Aume-Couture, de la Charente amont, de l’Auge, de l’Argence, de la Nouère, du sud-Angoumois, de la Charente aval, du Né et sur la nappe de la Bonnardelière, une autorisation unique pluriannuelle de prélèvements en vue de l’irrigation, pour une durée de quinze ans. Saisi par l’association Ligue française pour la protection des oiseaux, l’association Nature environnement 17, l’association Charente nature, la Fédération de Charente de pêche et de protection du milieu aquatique et la Fédération Charente-Maritime pour la pêche et la protection du milieu aquatique, le tribunal administratif de Poitiers, par jugement du 9 mai 2019, a prononcé l’annulation de cet arrêté à compter du 1er avril 2021 sous réserve des actions contentieuses engagées, afin de préserver les conditions dans lesquelles a été engagée la campagne culturale. Par l’article 2 de son jugement, le tribunal a également décidé que, dans l’intervalle, les prélèvements d’eau autorisés seront plafonnés à hauteur de la moyenne des prélèvements effectivement réalisés sur chaque point de prélèvement calculée sur les dix campagnes précédentes ou, à défaut d’antériorité de dix ans, depuis la mise en service régulière du point de prélèvement. Le ministre de la transition écologique et solidaire, qui a fait appel de ce jugement, demande qu’il soit sursis à l’exécution de l’article 2 du jugement du 9 mai 2019. La société Cogest’eau, qui a également fait appel du jugement, a présenté dans cette instance des observations assorties de conclusions tendant à ce qu’il soit sursis à l’exécution du jugement dans sa totalité.

4. A l’appui de leurs conclusions tendant à ce qu’il soit sursis à l’exécution de tout ou partie du jugement attaqué, le ministre et la société Cogest’eau Charente soutiennent qu’il n’est pas établi que la minute du jugement ait été signée conformément à l’article R. 741-7 du code de justice administrative, que le jugement est entaché d’irrégularité en ce que le tribunal n’a pas recueilli les observations des parties sur le différé des effets de l’annulation ni sur les modalités de ce différé, que le jugement n’est pas suffisamment motivé, que l’étude d’impact et l’étude d’incidences Natura 2000 répondent aux exigences des textes et que les insuffisances, à les supposer avérées, n’ont pas nui à l’information complète du public ni n’ont pu exercer une influence sur le sens de la décision, que l’autorisation litigieuse ne relève pas de l’ordonnance relative à l’autorisation environnementale et des articles L. 181-1 et suivant du code de l’environnement, que l’autorisation ne méconnaît pas l’objectif de gestion équilibrée de la ressource en eau fixé par l’article L. 211-1 du code de l’environnement, que l’autorisation n’est pas davantage incompatible avec le SDAGE Adour-Garonne, que le tribunal a commis une erreur de droit en confrontant la décision à certaines dispositions seulement du SDAGE, que la date retenue pour l’effet de l’annulation ne tient pas compte des contraintes nécessaires à l’établissement d’un nouvel arrêté d’autorisation et que le niveau de plafonnement arrêté par le tribunal à titre transitoire est entaché d’erreur d’appréciation et ne permettra pas de préserver pour les agriculteurs irrigants les conditions dans lesquelles la campagne culturale a été engagée. En l’état de l’instruction, aucun de ces moyens ne paraît sérieux au sens et pour l’application de l’article R. 811-17 du code de justice administrative. Par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les fins de non-recevoir opposées et sans qu’il soit besoin d’examiner si l’exécution de tout partie du jugement risque d’entraîner des conséquences difficilement réparables, ni le ministre ni la société Cogest’eau Charente ne sont fondés à demander qu’il soit sursis à l’exécution de tout ou partie de ce jugement.

5. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat et de la société Cogest’eau Charente le versement par chacun, à l’association Ligue française pour la protection des oiseaux, à l’association Nature environnement 17, à l’association Charente nature, à la Fédération de Charente de pêche et de protection du milieu aquatique et à la Fédération Charente-Maritime pour la pêche et la protection du milieu aquatique, prises ensemble, de la somme de 1 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

ORDONNE :

Article 1er : La requête du ministre de la transition écologique et solidaire et les conclusions de la société Cogest’eau Charente sont rejetées.

Article 2 : L’Etat et la société Cogest’eau Charente verseront, chacun, à l’association Ligue française pour la protection des oiseaux, à l’association Nature environnement 17, à l’association Charente nature, à la Fédération de Charente de pêche et de protection du milieu aquatique et à la Fédération Charente-Maritime pour la pêche et la protection du milieu aquatique, prises ensemble, une somme de 1 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au ministre de la transition écologique et solidaire, à l’association Ligue française pour la protection des oiseaux, à l’association Nature environnement 17, à l’association Charente nature, à la Fédération de Charente de pêche et de protection du milieu aquatique, à la Fédération Charente-Maritime pour la pêche et la protection du milieu aquatique et à la société coopérative agricole de gestion de l’eau de la Charente Amont.

Une copie en sera adressée pour information aux préfets de la Charente, de la Charente-Maritime, des Deux-Sèvres et de la Vienne.

Fait à Bordeaux, le 28 avril 2020

Le président de la 5e chambre,

Elisabeth Jayat

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et solidaire en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente ordonnance.

No 19BX02880

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