CAA de MARSEILLE, 6ème chambre, 13 décembre 2021, 17MA04927, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Marseille, 6e ch., 13 déc. 2021, n° 17MA04927
Juridiction : Cour administrative d'appel de Marseille
Numéro : 17MA04927
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Décision précédente : Cour administrative d'appel de Marseille, 13 janvier 2019, N° 17MA04927
Identifiant Légifrance : CETATEXT000044500229

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le Bureau européen d’assurance hospitalière (BEAH) a demandé au tribunal administratif de Nîmes, d’une part, d’annuler ou, à défaut, de résilier le marché public d’assurance relatif au lot n° 1 « responsabilité civile » conclu le 24 novembre 2014 entre le centre hospitalier d’Avignon et la société hospitalière d’assurance mutuelle (SHAM) et, d’autre part, de condamner le centre hospitalier d’Avignon à lui verser une indemnité de 273 750 euros en réparation du préjudice lié à son éviction de la procédure de passation de ce marché.

Par un jugement n° 1500792 du 19 octobre 2017, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.

Par une requête et un mémoire enregistrés, sous le n° 17MA04927, les 22 décembre 2017 et 5 février 2018, la société Bureau européen d’assurance hospitalière (BEAH), représentée par Me Juffroy, demande à la Cour :

1°) d’annuler ce jugement ;

2°) d’annuler avec effet différé ou, à défaut, de résilier avec effet différé le marché public d’assurance conclu le 24 novembre 2014 entre le centre hospitalier d’Avignon et la société hospitalière d’assurance mutuelle ;

3°) de condamner le centre hospitalier d’Avignon à lui verser la somme de 273 750 euros en réparation du préjudice qu’elle impute à son éviction de la procédure de passation de ce marché, majorée des intérêts moratoires au taux légal à compter du 17 août 2015 et de leur capitalisation ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier d’Avignon la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 – le tribunal a méconnu le principe du contradictoire ;

 – le jugement n’est signé ni par le président et le rapporteur ni par le greffier et est dès lors irrégulier ;

 – le jugement est insuffisamment motivé en ce qui concerne les moyens tirés du défaut de précision du règlement de consultation du marché quant aux exigences minimales relatives aux variantes, de l’irrégularité de l’examen de l’influence de la réserve figurant dans l’offre de la société hospitalière d’assurance mutuelle et de l’erreur manifeste d’appréciation quant à la note de trente points accordée à cette offre sur le critère n° 3 ;

 – le jugement est irrégulier faute pour le tribunal d’avoir usé de ses pouvoirs d’instruction en vue de vérifier le contenu des annexes de l’offre de la société hospitalière d’assurance mutuelle ;

 – la procédure de passation est entachée d’un défaut d’impartialité et méconnaît le principe d’égalité de traitement des candidats dès lors que le directeur du centre hospitalier siège au conseil d’administration de la société hospitalière d’assurance mutuelle ;

 – l’article 46 du code des marchés publics et l’article 6.3.2 du cahier des clauses administratives particulières imposaient au pouvoir adjudicateur de prescrire un délai à la société hospitalière d’assurance mutuelle pour présenter les certificats et attestations requis et, ce délai n’ayant pas été fixé, l’établissement a pu de manière discrétionnaire différer l’aboutissement de la procédure jusqu’à la production de ces pièces ;

 – le règlement de consultation du marché est imprécis quant aux exigences minimales et à la possibilité de présenter des variantes et méconnaît ainsi les dispositions de l’article 50 du code des marchés publics et le principe de transparence ;

 – la réduction de sa note sur le critère n° 3 est irrégulière dès lors qu’elle découle du rejet d’une de ses variantes alors que celles-ci n’étaient pas encadrées ;

 – la variante proposée par la société hospitalière d’assurance mutuelle et retenue par le centre hospitalier d’Avignon n’est pas conforme au règlement de consultation du marché ;

 – la note de trente points accordée à l’offre variante n° 1 de la société hospitalière d’assurance mutuelle sur le critère n° 3 est entachée d’erreur manifeste d’appréciation car la réserve formulée par cette société était majeure ;

 – le rejet de son offre au profit de celle de l’attributaire est entaché d’erreur manifeste d’appréciation.

Par des mémoires en défense enregistrés les 16 mai, 9 août et 11 décembre 2018, le centre hospitalier d’Avignon, représenté par Me Abecassis, conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 4 500 euros soit mise à la charge de la société Bureau européen d’assurance hospitalière en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

 – la demande de première instance de la société Bureau européen d’assurance hospitalière était tardive ;

 – les moyens soulevés par la société Bureau européen d’assurance hospitalière sont infondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 27 juin 2018, la société hospitalière d’assurance mutuelle (SHAM), représentée par Me Rayssac, conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société Bureau européen d’assurance hospitalière en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 – la demande de première instance de la société Bureau européen d’assurance hospitalière était tardive ;

 – les moyens soulevés par la société Bureau européen d’assurance hospitalière sont infondés.

Un mémoire présenté par la société Bureau européen d’assurance hospitalière, enregistré le 17 septembre 2018, n’a pas été communiqué en application de l’article R. 611-1 du code de justice administrative.

Par un arrêt n° 17MA04927 du 14 janvier 2019, la cour administrative d’appel de Marseille a annulé le jugement du tribunal administratif de Nîmes du 19 octobre 2017, ordonné la résiliation, à compter du 1er mai 2019, du marché conclu entre le centre hospitalier d’Avignon et la SHAM et décidé, avant dire droit, qu’il sera procédé à une expertise contradictoire pour évaluer le préjudice subi par le BEAH.

Par ordonnance en date du 22 janvier 2019, la présidente de la cour administrative d’appel de Marseille a nommé M. A… en qualité d’expert.

Par ordonnance en date du 7 février 2019, la présidente de la cour administrative d’appel de Marseille a nommé M. D… en qualité d’expert, en lieu et place de M. A….

Le rapport d’expertise a été produit par M. D… le 24 février 2020.

Par ordonnance de la présidente de la cour administrative de Marseille en date du 2 mars 2020, les frais d’expertise ont été taxés à la somme de 10 067,40 euros.

Par une décision n° 428845, 428847, en date du 3 juin 2020, le Conseil d’Etat, saisi de deux pourvois formés, d’une part, par le centre hospitalier d’Avignon et, d’autre part, par la société hospitalière d’assurance mutuelle, a annulé l’arrêt n° 17MA04927 du 14 janvier 2019 et renvoyé l’affaire devant la cour administrative d’appel de Marseille.

Procédure devant la Cour après renvoi :

Par des mémoires, enregistrés, sous le n° 20MA01956, les 29 juillet 2020, 17 septembre 2021, 28 octobre 2021 et 16 novembre 2021, le centre hospitalier d’Avignon, représenté par Me Abecassis, conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire à la confirmation du jugement attaqué, et en tout état de cause, à ce qu’une somme de 4 500 euros soit mise à la charge de la société Bureau européen d’assurance hospitalière en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

 – la demande de première instance de la société Bureau européen d’assurance hospitalière était tardive ;

 – les moyens soulevés par la société Bureau européen d’assurance hospitalière sont infondés.

Par deux mémoires enregistrés les 28 juillet 2020 et 20 septembre 2021, la société hospitalière d’assurance mutuelle, représentée par Me Rayssac, conclut au rejet de la requête de la société Bureau européen d’assurance hospitalière et à ce qu’une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de cette société en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 – la demande de première instance de la société Bureau européen d’assurance hospitalière était tardive ;

 – les moyens soulevés par la société Bureau européen d’assurance hospitalière sont infondés.

Par des mémoires enregistrés les 11 août, 28 octobre, 16 novembre et 22 novembre 2021, la société Bureau européen d’assurance hospitalière, représentée par Me Juffroy, demande à la Cour :

1°) à titre principal, de condamner le centre hospitalier d’Avignon à lui verser la somme de 402 164 euros en réparation du préjudice qu’elle impute à son éviction de la procédure de passation de ce marché, majorée des intérêts moratoires au taux légal à compter du 17 août 2015 et de leur capitalisation ;

2°) à titre subsidiaire, de condamner le centre hospitalier d’Avignon à lui verser la somme de 273 750 euros en réparation du préjudice qu’elle impute à son éviction de la procédure de passation de ce marché, majorée des intérêts moratoires au taux légal à compter du 17 août 2015 et de leur capitalisation ;

3°) de condamner le centre hospitalier d’Avignon aux dépens et, en conséquence, de le condamner à lui verser la somme de 3 348 euros correspondant à l’allocation provisionnelle mise à sa charge par l’ordonnance n° 17MA04927 du 14 mai 2019 ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier d’Avignon la somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 – le jugement est insuffisamment motivé comme l’a jugé la Cour dans son arrêt du 14 janvier 2019 s’agissant de l’irrégularité de l’examen de l’influence de la réserve figurant dans l’offre de la société hospitalière d’assurance mutuelle et de l’erreur manifeste d’appréciation quant à la note de trente points accordée à cette offre sur le critère n° 3 ; le jugement est également insuffisamment motivé en ce qui concerne les moyens tirés du défaut de précision du règlement de consultation du marché quant aux exigences minimales relatives aux variantes ;

 – elle prend acte de la solution dégagée par le Conseil d’Etat s’agissant de ses conclusions initiales contestant la validité du contrat ;

 – ses conclusions indemnitaires sont pleinement recevables ;

 – elle renvoie aux moyens développés précédemment ;

 – la réserve formulée par la SHAM relative à l’application des garanties hors du territoire français entraînait à l’évidence une dégradation réelle de la valeur économique du marché et devait, en conséquence, être regardée comme « majeure » au sens des dispositions de l’article 6.2 du règlement de la consultation du marché ; si, à raison de l’exclusion de la couverture mondiale, en particulier des conséquences d’actes responsables de personnes assurées par le contrat aux Etats-Unis et au Canada, la SHAM a pu proposer un montant de prime annuelle inférieur à celui de l’offre du groupement conduit par la société BEAH, la prise en charge directe de sinistres par le centre hospitalier d’Avignon, en cas de survenance d’un ou plusieurs sinistres, avait nécessairement pour effet de dégrader la valeur économique du marché, compte tenu des règles spécifiques, très coûteuses, d’indemnisation en vigueur dans ces deux pays.

 – si la couverture des sinistres de responsabilité civile du fait d’actes médicaux aux Etats-Unis et au Canada est une exclusion classique des contrats d’assurance, la clause de couverture des garanties dans le monde entier est, en revanche, une clause courante des marchés publics d’assurance ;

 – la responsabilité du centre hospitalier pouvait être engagée pour les dommages causés par les élèves ou stagiaires intervenant à l’extérieur de l’établissement dans d’autres structures, que celles-ci se situent en France ou à l’étranger et, dans ce cas, éventuellement aux Etats-Unis et au Canada ; l’envoi d’élèves ou de stagiaires au Canada et, notamment à Québec, est une possibilité plus que sérieuse du fait de la langue francophone commune et du système d’équivalence des diplômes médicaux et paramédicaux entre le Québec et la France qui a fait l’objet d’un Arrangement des Reconnaissances Mutuelles (« ARM ») du 30 juin 2010 ;

 – la société BEAH avait une chance sérieuse d’emporter le marché litigieux ;

 – M. D…, expert judiciaire, a évalué la perte de marge nette de la société BEAH du fait de l’absence d’exécution du marché par ses soins à un montant de 402 164 euros.

Un mémoire, présenté pour le centre hospitalier d’Avignon a été enregistré le 26 novembre 2021 à 18 h 39, soit postérieurement à la clôture de l’instruction, intervenue trois jours francs avant la date de l’audience en application de l’article R. 613-2 du code de justice administrative et n’a pas été communiqué en application de l’article R. 613-3 du même code.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 – le code des assurances ;

 – le code des marchés publics ;

 – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 – le rapport de M. C… Guillaumont, rapporteur,

 – les conclusions de M. B… Thielé, rapporteur public,

 – et les observations de Me Juffroy pour la société bureau européen d’assurance hospitalière, de Me Abecassis pour le centre hospitalier d’Avignon et de Me Ouadah-Benghalia pour la société hospitalière d’assurance mutuelle.

Une note en délibéré a été présentée pour la société hospitalière d’assurance mutuelle le 29 novembre 2021.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d’appel public à la concurrence publié le 25 juin 2014 au Journal officiel de l’Union européenne et au Bulletin officiel des annonces de marchés publics, le centre hospitalier d’Avignon a lancé une procédure d’appel d’offres ouvert en vue de l’attribution de quatre lots destinés à couvrir ses besoins en matière d’assurances pour une durée de cinq ans. Le lot n° 1 « responsabilité civile hospitalière » a été attribué à la société hospitalière d’assurance mutuelle (SHAM). Le Bureau européen d’assistance hospitalière (BEAH), dont l’offre, classée en deuxième position, a été rejetée, a contesté la validité du marché public conclu par le centre hospitalier d’Avignon avec la SHAM et demandé la condamnation de l’établissement public de santé à lui verser la somme de 273 750 euros en réparation des préjudices résultant de son éviction irrégulière. Par un jugement du 19 octobre 2017, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté ses demandes. Par un arrêt du 14 janvier 2019 la cour administrative d’appel de Marseille, sur appel du BEAH, a annulé ce jugement, ordonné la résiliation, à compter du 1er mai 2019, du marché litigieux et décidé, par un arrêt avant dire droit, de procéder à une expertise contradictoire pour évaluer le préjudice subi par le BEAH. Par une décision n° 428845, 428847, en date du 3 juin 2020, le Conseil d’Etat, saisi de deux pourvois formés, d’une part, par le centre hospitalier d’Avignon et, d’autre part, par la SHAM, a annulé l’arrêt du 14 janvier 2019 et renvoyé l’affaire devant la cour administrative d’appel de Marseille.

Sur la radiation du dossier n° 20MA01956 :

2. Les mémoires des parties enregistrés sous le n° 20MA01956 auraient dû être enregistrés sous le n° 17MA04927 au greffe de la Cour. Par suite, le dossier n° 20MA01956 doit être rayé du registre du greffe de la Cour et les mémoires produits joints au dossier de la requête n° 17MA04927 sur laquelle il est statué par le présent arrêt.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Aux termes des dispositions de l’article L. 9 du code de justice administrative : « Les jugements sont motivés ».

4. Alors que la société requérante soulevait de manière précise un moyen tiré de la mauvaise application faite par le pouvoir adjudicateur des dispositions de l’article 6.2 du règlement de consultation du marché en soulignant que la réserve émise par la SHAM quant à l’étendue géographique de la couverture offerte à l’établissement constituait une réserve majeure impliquant la réduction de la note de l’attributaire pour le critère n° 3, le jugement attaqué se borne, après avoir rappelé ces dispositions, à indiquer que la société n’établit pas l’incidence de la réserve ainsi formulée sur la qualité de l’offre et en déduit que la note de 30 points sur 30 accordée à l’offre de la SHAM n’est entachée d’aucune erreur manifeste d’appréciation. La société BEAH est par suite fondée à soutenir que le jugement est irrégulier faute d’avoir répondu avec une précision suffisante à son moyen et qu’il doit en conséquence être annulé.

5. Il y a lieu, dès lors, d’évoquer et de statuer immédiatement sur les demandes des parties.

Sur la recevabilité des demandes :

En ce qui concerne la recevabilité des conclusions contestant la validité du contrat :

6. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l’excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d’un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Ce recours doit être exercé dans un délai de deux mois à compter de l’accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d’un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi. La circonstance que l’avis ne mentionne pas la date de la conclusion du contrat est sans incidence sur le point de départ du délai de recours contentieux qui court à compter de cette publication.

7. Il résulte de l’instruction que les « avis d’attribution » du marché en cause ont été publiés le 2 décembre 2014 au Journal officiel de l’Union européenne et au Bulletin officiel des annonces de marchés publics conformément aux dispositions de l’article 85 du code des marchés publics alors applicable, figurant aujourd’hui à l’article R. 2183-1 du code de la commande publique. Dès lors, les conclusions du BEAH contestant la validité du contrat litigieux, déposées le 12 mars 2015 au greffe du tribunal administratif de Nîmes, étaient tardives et, par suite, irrecevables.

En ce qui concerne la recevabilité des conclusions indemnitaires :

8. En vue d’obtenir réparation de ses droits lésés, le concurrent évincé a la possibilité de présenter devant le juge du contrat des conclusions indemnitaires, à titre accessoire ou complémentaire à ses conclusions à fin de résiliation ou d’annulation du contrat. Il peut également engager un recours de pleine juridiction distinct, tendant exclusivement à une indemnisation du préjudice subi à raison de l’illégalité de la conclusion du contrat dont il a été évincé. Dans les deux cas, la présentation de conclusions indemnitaires par le concurrent évincé n’est pas soumise au délai de deux mois suivant l’accomplissement des mesures de publicité du contrat, applicable aux seules conclusions tendant à sa résiliation ou à son annulation.

9. Aux termes de l’article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction alors en vigueur : « Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ». Selon l’article R. 421-3 du même code, dans sa version applicable au litige : « Toutefois, l’intéressé n’est forclos qu’après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d’une décision expresse de rejet : / 1° En matière de plein contentieux (…) ». Toutefois, aucune fin de non-recevoir tirée du défaut de décision préalable ne peut être opposée à un requérant ayant introduit devant le juge administratif un contentieux indemnitaire à une date où il n’avait présenté aucune demande en ce sens devant l’administration lorsqu’il a formé, postérieurement à l’introduction de son recours juridictionnel, une demande auprès de l’administration sur laquelle le silence gardé par celle-ci a fait naître une décision implicite de rejet avant que le juge de première instance ne statue, et ce quelles que soient les conclusions du mémoire en défense de l’administration. Lorsque ce mémoire en défense conclut à titre principal, à l’irrecevabilité faute de décision préalable et, à titre subsidiaire seulement, au rejet au fond, ces conclusions font seulement obstacle à ce que le contentieux soit lié par ce mémoire lui-même.

10. Si, à la date à laquelle elle a saisi le tribunal administratif de Nîmes, la société BEAH ne justifiait d’aucune décision expresse ou tacite lui refusant l’indemnité réclamée dans son mémoire introductif d’instance, elle a, le 17 août 2015, demandé au centre hospitalier d’Avignon de lui allouer une telle indemnité. Le silence gardé pendant plus de deux mois par l’établissement sur cette réclamation a fait naître une décision implicite de rejet. En conséquence, et alors même que l’établissement a opposé le défaut de décision préalable à la demande initiale de la requérante, aucune fin de non-recevoir tirée du défaut de décision préalable ne peut être opposée à ces conclusions additionnelles à fin d’indemnisation.

Sur les conclusions indemnitaires :

11. En premier lieu, s’il n’est pas contesté que le directeur du centre hospitalier d’Avignon était membre du conseil d’administration de la SHAM à la date de l’engagement de la procédure de passation du marché contesté, cette seule circonstance ne permet pas de caractériser la méconnaissance alléguée des principes d’impartialité et d’égalité de traitement des candidats. Au demeurant, il ne résulte pas de l’instruction que le directeur de l’établissement, qui n’a pas signé le contrat, ait pris part à la conception ou à la mise en œuvre de cette procédure. Par ailleurs, il n’est pas démontré que la SHAM aurait été destinataire d’informations non communiquées aux autres candidats. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des principes d’impartialité et d’égalité de traitement des candidats ne peuvent qu’être écartés.

12. En deuxième lieu, comme l’a jugé à bon droit le tribunal, d’une part, ni les dispositions de l’article 46 du code des marchés publics, ni celles de l’article 6.3.2 du règlement de la consultation n’imposaient au centre hospitalier d’Avignon d’impartir à la société attributaire du marché un délai déterminé pour produire les certificats et attestations dont elles font mention. D’autre part, il résulte de l’instruction que la SHAM a produit l’ensemble des documents qu’il lui appartenait de communiquer au pouvoir adjudicateur afin de le mettre à même d’exercer son contrôle avant de signer le marché. Dès lors, le moyen invoqué ne peut être accueilli.

13. En troisième lieu, aux termes du I de l’article 50 du code des marchés publics, alors en vigueur : " Pour les marchés passés selon une procédure formalisée, lorsque le pouvoir adjudicateur se fonde sur plusieurs critères pour attribuer le marché, il peut autoriser les candidats à présenter des variantes. Le pouvoir adjudicateur indique dans l’avis d’appel public à la concurrence ou dans les documents de la consultation s’il autorise ou non les variantes ; à défaut d’indication, les variantes ne sont pas admises. / Les documents de la consultation mentionnent les exigences minimales que les variantes doivent respecter ainsi que les modalités de leur présentation. Seules les variantes répondant à ces exigences minimales peuvent être prises en considération « . Aux termes de l’article 3.6.1 du règlement de la consultation : » (…) Distinctement de l’offre de base, les candidats peuvent proposer des variantes s’ils les jugent plus avantageuses pour l’établissement. Les variantes sont des offres alternatives à l’offre de base qui doivent être formulées sur un acte d’engagement distinct. / Les variantes par rapport à l’objet du marché sont autorisées sous réserve de la présentation d’une offre globalement conforme à la solution de base incluant les prestations supplémentaires éventuelles définies par le Centre hospitalier d’Avignon, et qu’elles représentent un avantage réel pour la personne publique. / Elles doivent respecter l’exigence minimale suivante : la durée du marché. / Concernant les lots 1, 2 et 3, les candidats proposeront une offre de base avec la franchise décrite au CCTP. Ils pourront proposer une variante avec un autre niveau de franchise en argumentant leur choix. / (…) L’offre de base et les variantes sont jugées selon les mêmes critères et selon les mêmes modalités. ". D’une part, eu égard à l’objet et aux caractéristiques du marché, les précisions ainsi communiquées aux candidats quant aux exigences minimales et aux modalités de présentation des variantes apparaissent suffisantes. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du I de l’article 50 du code des marchés publics manque en fait et doit être écarté. D’autre part, si la société BEAH, qui a également présenté une offre sans franchise, se plaint d’une pénalisation de 7,5 points de sa variante n° 2 sur le critère n° 3 au motif que le centre hospitalier lui a reproché une franchise trop forte, il résulte de l’instruction que l’appréciation du centre hospitalier est justifiée en raison d’un manque de clarté de l’offre sur ce point.

14. En quatrième lieu, le moyen tiré de ce que l’offre retenue était une variante alors qu’aucune offre de base conforme au règlement de consultation du marché n’a été produite par la SHAM manque en fait et doit être écarté pour ce motif.

15. En cinquième lieu, aux termes de l’article 3.6.1 du règlement de la consultation du marché : " Conformément aux dispositions de la circulaire du 24 décembre 2007 relative à la passation des marchés publics d’assurances, les éventuelles réserves ou amendements formulés par les candidats aux clauses des CCAP et CCTP seront appréciés au regard de leur incidence (notamment économique) sur l’offre dans sa globalité et ce, afin de déterminer s’ils sont susceptibles de rendre cette dernière irrégulière : / – les réserves sans impact ou ayant un impact limité sur la qualité de l’offre seront sans incidences sur la notation ; / – les réserves ayant pour effet de baisser la qualité de l’offre entraîneront une réduction de la note (…) ; / les réserves rendant l’offre insatisfaisante au regard des besoins exprimés entraîneront un rejet pur et simple de l’offre jugée irrégulière (…) « . Il est indiqué à l’article 6.2.3 du même règlement, s’agissant du critère n° 3 » nature et étendue des garanties – qualité des clauses contractuelles « , que : » Les réserves éventuelles apportées par le candidat sont de quatre ordres. Ces dernières viendront, par rapport au CCAP et au CCTP propre au lot, en déduction d’une note de 100 ramenée à la note maximale de 30 points, à raison de : / – acceptées : car elles ne remettent pas en cause l’étendue des garanties ; il s’agit le plus souvent de précisions apportées par l’assureur ; / – moyennes ou fortes : réserve impactant simultanément un ou plusieurs aspects du marché technique, financier ou juridique, tout en dégradant partiellement la valeur économique, notée – 15 ; / – majeures : réserve diminuant, voire excluant une garantie et/ou modifiant les conditions financières et/ou la sécurité juridique de façon conséquente entraînant une dégradation réelle de la valeur économique du présent marché, notée – 25 ; / – non-conformité : – 50, voire irrecevable pour réserve non conforme « . Aux termes de l’article 5 du cahier des clauses techniques particulières : » territorialité du contrat : les garanties doivent s’exercer dans le monde entier ".

16. L’annexe financière à l’acte d’engagement relatif à la variante n° 1 de l’offre de la SHAM au titre du critère n° 3 comportait une réserve ainsi libellée : « les garanties sont étendues au monde entier (…) / Cette extension ne s’applique pas aux conséquences d’actes médicaux ou de soins effectués aux Etats-Unis et au Canada, ainsi qu’aux dommages causés par les produits livrés dans ces deux pays ». Aux termes de l’article 2.1 du cahier des clauses techniques particulières du marché : « Il est précisé que, conformément aux dispositions des articles L. 1141-2 du code de la santé publique et L. 251-1 du code des assurances, le contrat d’assurance garantit l’établissement contre les conséquences pécuniaires de la responsabilité qu’il peut encourir en raison de dommages subis par des tiers ou résultant d’atteintes à la personne, survenant dans le cadre de sa mission de sa mission de service public. / Sont également couvertes dans les mêmes conditions, les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile que peut encourir le personnel salarié ou non, les médecins libéraux collaborant au service public y compris dans le cadre de la régulation médicale du centre 15, les bénévoles et les stagiaires et élèves (y compris lors de leurs stages à l’extérieur de l’établissement) agissant dans la limite de la mission qui leur a été impartie, même si ceux-ci disposent d’une indépendance dans l’exercice de l’art médical ».

17. D’une part, le centre hospitalier fait valoir sans être utilement contredit qu’il ne dispose d’aucune autorisation de l’agence régionale de santé lui permettant d’exercer aux Etats-Unis ou au Canada, que le contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens passé par son autorité de tutelle ne prévoit aucune dérogation sur ce point, qu’aucune convention de coopération ne permet ou ne permettait l’envoi de produits de santé ou de professionnels de santé relevant de l’établissement dans ces deux pays et que le projet d’établissement ne prévoit aucune pratique d’actes médicaux de soins, ni de livraison de produits vers ces deux pays. D’autre part, si la société BEAH fait valoir que le centre hospitalier exerce une activité de formation de professions paramédicales par le biais d’un groupement d’intérêt public regroupant un total de sept cent dix élèves, qui sont couverts par la garantie du centre hospitalier en vertu de l’article 2.1 du cahier des clauses techniques particulières du marché, y compris pour les stages à l’extérieur du centre hospitalier, et que la reconnaissance mutuelle des diplômes d’infirmière entre le Canada et la France rend possible ce type de stage, le centre hospitalier fait valoir sans être utilement contredit qu’aucun stage n’est organisé pour ces étudiants infirmiers, sous l’égide du groupement d’intérêt public, aux Etats-Unis ou au Canada. Si, ainsi que l’indique le centre hospitalier, il leur est loisible de réaliser, à leur initiative et durant leurs périodes de vacances, de tels stages, ceux-ci sont alors réputés être accomplis sous leur propre responsabilité. Ainsi, le risque pour le centre hospitalier de voir engager sa responsabilité en raison de dommages causés au Canada ou aux Etats-Unis est bien trop ténu pour que la réserve géographique en cause puisse être regardée comme de nature à entraîner une dégradation réelle de la valeur économique du marché au sens des dispositions précitées du règlement de la consultation. Dès lors, la société requérante n’est pas fondée à soutenir que le pouvoir adjudicateur aurait modifié les règles de mise en concurrence en cours de procédure, ni qu’il était tenu de rejeter comme irrégulière la variante de la SHAM et ne pouvait l’accepter en raison de l’irrégularité de l’offre de base déposée par cette société. Par ailleurs, il n’est pas établi qu’en retenant la note maximale de 30/30 pour cette variante au titre du troisième critère de choix des offres, note obtenue au demeurant par la société requérante pour son offre de base et la première de ses deux variantes, le centre hospitalier d’Avignon aurait entaché son appréciation d’une erreur manifeste.

18. En dernier lieu, la société BEAH ne critique pas l’appréciation portée par le pouvoir adjudicateur sur les deux autres critères de sélection et n’est donc pas fondée à contester le bien-fondé du choix de la variante proposée par la SHAM.

19. Il résulte de tout ce qui précède que la société BEAH ne peut être regardée comme ayant été privée d’une chance sérieuse d’obtenir le marché. Par suite ses conclusions indemnitaires doivent être rejetées.

Sur les dépens :

20. Aux termes de l’article R. 761-1 du code de justice administrative : « Les dépens comprennent les frais d’expertise, d’enquête et de toute autre mesure d’instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l’Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l’affaire justifient qu’ils soient mis à la charge d’une autre partie ou partagés entre les parties. (…) ».

21. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce et en application des dispositions citées au point précédent, de mettre à la charge de la société BEAH les frais d’expertise, liquidés et taxés à la somme de 10 067,40 euros par ordonnance de la présidente de la cour administrative d’appel de Marseille du 2 mars 2020.

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

22. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier d’Avignon ou de la SHAM, qui n’ont pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la société BEAH au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société BEAH une somme de 2 000 euros à verser à chacun des défendeurs au titre des frais de procédure qu’ils ont respectivement exposés.


D É C I D E :


Article 1er : Le dossier n° 20MA01956 est radié du registre du greffe de la Cour pour être joint au dossier de la requête n° 17MA04927.

Article 2 : Le jugement n° 1500792 du tribunal administratif de Nîmes du 19 octobre 2017 est annulé.


Article 3 : La demande présentée par la société Bureau européen d’assurance hospitalière devant le tribunal administratif de Nîmes est rejetée.


Article 4 : Les frais d’expertise, liquidés et taxés à la somme de 10 067,40 euros, sont mis à la charge de la société Bureau européen d’assurance hospitalière.

Article 5 : La société Bureau européen d’assurance hospitalière versera au centre hospitalier d’Avignon et à la société hospitalière d’assurance mutuelle une somme de 2 000 euros chacun au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Bureau européen d’assurance hospitalière (BEAH), au centre hospitalier d’Avignon et à la société hospitalière d’assurance mutuelle (SHAM).

Copie en sera adressée à M. D…, expert.

Délibéré après l’audience du 29 novembre 2021, où siégeaient :

— Mme Laurence Helmlinger présidente de la Cour,

 – M. Gilles Taormina, président assesseur,

 – M. C… Guillaumont, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 décembre 2021.

N° 17MA04927 – 20MA01956 2

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CAA de MARSEILLE, 6ème chambre, 13 décembre 2021, 17MA04927, Inédit au recueil Lebon