CAA de NANCY, 1ère chambre, 1 octobre 2020, 19NC00494, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Nancy, 1re ch., 1er oct. 2020, n° 19NC00494
Juridiction : Cour administrative d'appel de Nancy
Numéro : 19NC00494
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Décision précédente : Tribunal administratif de Strasbourg, 18 décembre 2018, N° 1704957
Dispositif : Rejet
Identifiant Légifrance : CETATEXT000042427167

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L’association « Les Effronté-e-s », l’association « Chiennes de garde » et l’association « Osez le féminisme 67 » ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg d’annuler la décision non matérialisée du maire de Dannemarie de faire afficher, dans l’espace public de la commune, la campagne organisée dans le cadre de « l’année de la femme ».

Par un jugement n° 1704957 du 19 décembre 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée sous le n° 19NC00494 le 18 février 2019, complétée par un mémoire enregistré le 20 février 2020, l’association « Les Effronté-e-s » et l’association « Osez le féminisme 67 », représentées par Me B…, demandent à la cour :

1°) d’annuler l’article 1er du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 19 décembre 2018 ;

2°) d’annuler la décision non matérialisée du maire de Dannemarie de faire afficher la campagne organisée dans le cadre de « l’année de la femme » dans l’espace public de la commune ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Dannemarie une somme de 4 000 euros à leur verser à chacune sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

 – leur requête d’appel est recevable ;

 – les panneaux litigieux, qui véhiculent des stéréotypes sexistes, dégradants, attentatoires à la dignité de la personne humaine et s’assimilent à une propagande sexiste et discriminatoire à l’encontre des femmes, violent ainsi l’article 1er de la loi n° 2014-873 du 4 août 2014, l’article 1er de la déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’article 5 de la convention de l’organisation des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, le préambule et de l’article 55 de la charte des Nations unies du 26 juin 1945, l’article 23 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et l’article 40 de la convention d’Istanbul et l’article 1 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ; la directive 2006/54/CE du 5 juillet 2006 relative à la mise en oeuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail est méconnue, car les panneaux en cause s’analysent comme du harcèlement sexuel ; peu importe à cet égard que l’intention du maire n’était pas de discriminer les femmes ; en réalité, le maire est de mauvaise foi et son intention était bien de discriminer les femmes ;

 – le maire de Dannemarie était tenu, sur le fondement des dispositions de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, de faire disparaître les panneaux litigieux de l’espace public, dès lors qu’ils contrevenaient à l’ordre public et à la dignité humaine.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 janvier 2020, la commune de Dannemarie, représentée par Me A…, conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de chacune des deux associations requérantes sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

 – la requête de première instance était irrecevable : les associations requérantes ne justifient pas d’un intérêt à agir, dès lors qu’il n’y avait plus aucun panneau tendancieux dans l’espace public, à la date du recours devant le tribunal ; elles ne justifient pas que l’action en justice a été prise valablement selon leurs statuts, lesquels ne prévoient pas qu’elles puissent ester en justice ; il n’est pas justifié que les statuts des associations ont bien été publiés ; la requête n’est pas dirigée contre un acte administratif unilatéral, ni contre un acte ou décision faisant grief aux requérantes ;

 – la requête d’appel est irrecevable pour les mêmes raisons et parce qu’elle ne comporte aucune critique du jugement et se contente de reproduire les écritures de première instance ;

 – les moyens soulevés par les requérantes ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 – la Constitution, notamment son préambule ;

 – la charte des Nations unies du 26 juin 1945 ;

 – la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 ;

 – la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

 – la convention de l’Organisation des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ;

 – la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique signée à Istanbul le 11 mai 2011 ;

 – la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;

 – le code général des collectivités territoriales ;

 – la directive 2006/54/CE du 5 juillet 2006 ;

 – la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ;

 – la loi n°2014-873 du 4 août 2014 ;

 – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 – le rapport de M. Favret, premier conseiller,

 – les conclusions de Mme Peton, rapporteur public,

 – et les observations de Me B…, pour l’association « Les Effronté-e-s » et l’association « Osez le féminisme 67 ».

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Dannemarie (Haut-Rhin), qui choisit chaque année un thème qu’elle décline en animations et en événements sur son territoire, a décidé de faire de l’année 2017 l’année de la femme. Dans ce cadre, elle a notamment procédé à l’installation, dans des espaces publics, de panneaux représentant des accessoires féminins, des éléments du corps féminin et des silhouettes de femmes. Les associations « Les Effronté-e-s », « Osez le féminisme 67 » et « Chiennes de garde », qui estiment que ces panneaux ont un caractère sexiste, discriminant et attentatoire à la dignité de la femme, ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg d’annuler la décision non matérialisée par laquelle le maire de Dannemarie a décidé de les faire installer dans les espaces publics de la commune. Les deux premières de ces associations font appel du jugement du 19 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif a rejeté leur demande d’annulation de cette décision.

Sur la légalité de la décision contestée :

En ce qui concerne l’atteinte à la dignité des femmes et au principe d’égalité entre hommes et femmes :

2. Aux termes de l’article 1er de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits (…) » Aux termes du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « (…) le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. (…) La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme (…) ». Aux termes de l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ». Aux termes du préambule de la charte des Nations unies du 26 juin 1945 : « Nous, peuples des Nations Unies, résolus (…) à proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites (…) ». Aux termes de l’article 55 de la même charte : « En vue de créer les conditions de stabilité et de bien-être nécessaires pour assurer entre les nations des relations pacifiques et amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, les Nations Unies favoriseront : (…) c. le respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion. (…) ». Aux termes de l’article 1er de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne : « La dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée. ». Aux termes de l’article 23 de la même charte : « L’égalité entre les femmes et les hommes doit être assurée dans tous les domaines, y compris en matière d’emploi, de travail et de rémunération. Le principe de l’égalité n’empêche pas le maintien ou l’adoption de mesures prévoyant des avantages spécifiques en faveur du sexe sous-représenté ». Aux termes de l’article 1er de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes : « L’Etat et les collectivités territoriales, ainsi que leurs établissements publics, mettent en oeuvre une politique pour l’égalité entre les femmes et les hommes selon une approche intégrée. Ils veillent à l’évaluation de l’ensemble de leurs actions. La politique pour l’égalité entre les femmes et les hommes comporte notamment : 1° Des actions de prévention et de protection permettant de lutter contre les violences faites aux femmes et les atteintes à leur dignité (…) ».

3. Il ressort des pièces du dossier que, sur les cent vingt-cinq panneaux installés dans les espaces publics de la commune, soixante avaient la forme d’accessoires féminins ou d’éléments du corps féminin. Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, si ces panneaux représentent des chapeaux, sacs, chaussures à talons, bottes, lunettes de femmes, lèvres rouges et pulpeuses et têtes féminines, ils ne portent pas atteinte à la dignité de la femme ou au principe d’égalité entre hommes et femmes. Ils ne sauraient davantage s’assimiler à une propagande discriminatoire à l’encontre d’une partie de la population.

4. Il ressort des pièces du dossier que soixante-cinq des panneaux litigieux représentaient des silhouettes de femmes, à différents âges de la vie et dans différentes attitudes, tantôt seules, tantôt accompagnées d’enfants. Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il ne ressort pas des pièces du dossier que les panneaux représentant la silhouette d’une femme portant une robe courte en tissu jaune, avec des motifs imitant une peau de léopard, et marchant en talon hauts sur un trottoir feraient « référence à la symbolique prostitutionnelle ». Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que les panneaux représentant les silhouettes de femmes en sous-vêtements au milieu d’une pelouse doivent être interprétées comme suggérant « qu’elles observent les passants recherchant de la connivence ». En outre, si la plupart de ces panneaux représentent des femmes minces, certains d’entre eux représentent la silhouette d’une femme enceinte ou d’une femme d’âge mûr aux formes plus amples. Si certains panneaux, minoritaires, représentant une femme assise sur une chaise, jambes largement écartées, ou genoux à terre, jambes légèrement écartées, manifestent un goût douteux, ils ne sauraient toutefois être regardés, dans le contexte de l’ensemble de la manifestation, comme portant atteinte à la dignité de la femme ou au principe d’égalité entre hommes et femmes, ni être assimilés à une propagande discriminatoire à l’encontre des femmes.

5. Par suite, les associations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les dispositions et stipulations citées au point 2 du présent arrêt ont été méconnues.

En ce qui concerne la lutte contre les stéréotypes sexistes :

6. Aux termes de l’article 5 de la convention de l’Organisation des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes : « Les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées pour : a) Modifier les schémas et modèles de comportement socio- culturel de l’homme et de la femme en vue de parvenir à l’élimination des préjugés et des pratiques coutumières, ou de tout autre type, qui sont fondés sur l’idée de l’infériorité ou de la supériorité de l’un ou l’autre sexe ou d’un rôle stéréotypé des hommes et des femmes (…) » L’article 1er de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes prévoit en son 3° que la politique pour l’égalité entre les femmes et les hommes comporte également : « 3° Des actions destinées à prévenir et à lutter contre les stéréotypes sexistes ».

7. Il résulte de l’analyse des panneaux litigieux faite aux points 3 à 4 du présent arrêt que les associations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les dispositions de l’article 1er de la loi du 4 août 2014 ont été méconnues, non plus que les stipulations de l’article 5 de la convention de l’Organisation des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, qui au demeurant obligent seulement les Etats à prendre des mesures destinées à lutter contre les stéréotypes sexistes.

En ce qui concerne le harcèlement sexuel :

8. Eu égard à ce qui a été indiqué aux points 3 à 4 du présent arrêt, les panneaux litigieux ne sauraient être analysés comme constitutifs d’un harcèlement sexuel. Dès lors et en tout état de cause, les associations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que l’article 40 de la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique signée à Istanbul le 7 avril 2011, d’une part, et les dispositions de la directive 2006/54/CE du 5 juillet 2006 relative à la mise en oeuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail du 5 juillet 2006, laquelle a été au demeurant transposée dans le droit national par la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, d’autre part, ont été méconnues.

En ce qui concerne la méconnaissance, par le maire de Dannemarie, de l’étendue de ses pouvoirs de police :

9. Aux termes de l’article L. 2542-3 du code général des collectivités territoriales : « Les fonctions propres au maire sont de faire jouir les habitants des avantages d’une bonne police, notamment de la propreté, de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité dans les rues, lieux et édifices publics. Il appartient également au maire de veiller à la tranquillité, à la salubrité et à la sécurité des campagnes. ».

10. Il appartient à l’autorité investie du pouvoir de police municipale de prendre toute mesure pour prévenir une atteinte à l’ordre public, dont une des composantes est le respect de la dignité de la personne humaine.

11. Il résulte de ce qui a été indiqué aux points 3 à 4 du présent arrêt que les associations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le maire de Dannemarie aurait dû, en application de ces dispositions, faire disparaître les panneaux litigieux de l’espace public, dès lors qu’ils auraient contrevenu à l’ordre public et à la dignité humaine.

12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par la commune de Dannemarie, que les associations « Les Effronté-e-s » et « Osez le féminisme 67 » ne sont pas fondées à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande tendant à annuler la décision non matérialisée par laquelle le maire de Dannemarie a décidé de faire installer les panneaux litigieux dans les espaces publics de la commune.

Sur les frais liés à l’instance :

13. Aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation ».

14. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Dannemarie, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que les associations « Les Effronté-e-s » et « Osez le féminisme 67 » demandent au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens.

15. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge des associations « Les Effronté-e-s » et « Osez le féminisme 67 » une somme globale de 2 000 euros à verser à la commune de Dannemarie au titre des mêmes dispositions.


DÉCIDE :


Article 1er : La requête de l’association « Les Effronté-e-s » et de l’association « Osez le féminisme 67 » est rejetée.

Article 2 : L’association « Les Effronté-e-s » et l’association « Osez le féminisme 67 » verseront à la commune de Dannemarie une somme globale de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l’association « Les Effronté-e-s », à l’association « Osez le féminisme 67 » et à la commune de Dannemarie.

Copie en sera adressée au préfet du Haut-Rhin.

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N° 19NC00494

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