CAA de PARIS, 5ème chambre, 6 octobre 2016, 15PA02227, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Paris, 5e ch., 6 oct. 2016, n° 15PA02227
Juridiction : Cour administrative d'appel de Paris
Numéro : 15PA02227
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Décision précédente : Tribunal administratif de Paris, 1er avril 2015, N° 1409922, 1410901 et 1410906
Identifiant Légifrance : CETATEXT000033236555

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

I. Par une demande enregistrée sous le n° 1410906 le 1er juillet 2014, Mme F… E… a demandé au Tribunal administratif de Paris d’annuler la décision en date du 9 mai 2014 par laquelle le maire de Paris lui a refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle, d’enjoindre à la ville de Paris de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle et de la condamner au versement d’une somme de 20 000 euros en réparation du préjudice moral et du préjudice de carrière subis.

II. Par une demande enregistrée sous le n° 1410901 le 1er juillet 2014, Mme F… E… a demandé au Tribunal administratif de Paris d’annuler la décision en date du 16 avril 2014 par laquelle le maire de Paris a rejeté sa demande tendant à l’exercice de son droit d’alerte et à la saisine du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et d’enjoindre à la ville de Paris de saisir le CHSCT et de diligenter une enquête interne au jardin d’enfants Schubert.

III. Par une demande enregistrée sous le n° 1409922 le 17 juin 2014, Mme F… E… a présenté des conclusions identiques à celles de ses deux demandes précédentes.

Par un jugement n°s 1409922, 1410901 et 1410906 du 2 avril 2015, le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 4 juin 2015 et 4 avril 2016, Mme E…, représentée par Me A…, demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n°s 1409922, 1410901 et 1410906 du 2 avril 2015 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) d’annuler la décision en date du 9 mai 2014 par laquelle le maire de Paris lui a refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle ;

3°) d’enjoindre à la ville de Paris de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle, notamment s’agissant de la prise en charge des frais de procédure ;

4°) d’enjoindre à la ville de Paris de procéder à la reconstitution de sa carrière ;

5°) de condamner la ville de Paris à lui verser une somme de 20 000 euros en réparation de son préjudice moral et du préjudice de carrière subis ;

6°) d’annuler la décision en date du 16 avril 2014 par laquelle le maire de Paris a rejeté sa demande tendant à l’exercice de son droit d’alerte et à la saisine du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ;

7°) d’enjoindre à la ville de Paris de saisir le CHSCT et de diligenter une enquête interne au sein du jardin d’enfants Schubert ;

8°) de mettre à la charge de la ville de Paris le versement d’une somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 – les premiers juges ont insuffisamment répondu au moyen tiré de l’existence d’agissements caractéristiques de harcèlement moral ;

 – la décision du 9 mai 2014 a été prise par une autorité incompétente ;

 – elle est insuffisamment motivée ;

 – c’est à tort que le tribunal a estimé qu’elle n’avait pas été victime d’agissements constitutifs de harcèlement moral au sens de l’article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 ; il a méconnu les principes jurisprudentiels relatifs à la charge de la preuve ;

 – la ville de Paris a commis une faute en ne lui accordant pas la protection fonctionnelle prévue par les dispositions de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 ; elle n’a pris aucune mesure afin de faire cesser ces agissements ;

-les faits de harcèlement moral ont porté atteinte à sa santé physique et mentale ; elle a également subi un préjudice de carrière dès lors qu’elle n’a pu réintégrer un poste d’adjointe ;

 – la décision contestée est entachée d’un détournement de pouvoir ;

-la décision du 16 avril 2014 a été prise par une autorité incompétente ;

-elle est insuffisamment motivée ;

-elle établit l’existence d’un « danger grave et imminent » au sens des dispositions des articles 5-1 et suivants du décret du 10 juin 1985, qui aurait dû conduire la ville de Paris à prendre des mesures pour préserver sa sécurité et sa santé ;

-le CHSCT aurait dû être saisi de son dossier ;

-la ville de Paris a méconnu les règles applicables à la tenue du registre spécial prévu par les dispositions du décret du 10 juin 1985 ;

-le jugement attaqué est entaché d’une contradiction de motifs dès lors qu’il reconnaît les difficultés qu’elle a rencontrées avant d’écarter toute responsabilité de la part de la ville de Paris ;

-la ville de Paris a méconnu, par sa décision du 16 avril 2014, ses obligations découlant de l’article 23 de la loi du 13 juillet 1983, des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, rappelées par la circulaire du 28 mai 2013 et le protocole d’accord gouvernemental du 22 octobre 2013, en s’abstenant de prendre les mesures tendant à faire cesser le risque psycho-social qu’elle encourait du fait du harcèlement moral dont elle était victime ;

-le manquement de la ville de Paris à son obligation de sécurité et sa passivité face à aux graves dysfonctionnements du service a constitué un élément supplémentaire du harcèlement moral dont elle était victime ;

 – la décision contestée est entachée d’un détournement de pouvoir ;

-la fin de non-recevoir opposée par la ville de Paris en première instance n’étant pas reprise de manière détaillée devant la cour, elle ne peut qu’être écartée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 janvier 2016, la ville de Paris, représentée par la SCP Foussard-Froger, conclut au rejet de la requête et ce que le versement d’une somme de 2 500 euros soit mis à la charge de Mme E… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 – les conclusions indemnitaires de Mme E… sont irrecevables ; elle renvoie à la fin de non-recevoir opposée en première instance ;

-les moyens soulevés par Mme E… ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

-la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

 – la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ;

 – la loi n°84-53 du 26 janvier 1984 ;

 – le décret n° 85-603 du 10 juin 1985 ;

 – le décret n° 94-415 du 24 mai 1994 ;

 – le code du travail ;

 – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 – le rapport de Mme Larsonnier,

 – les conclusions de M. Lemaire, rapporteur public,

 – les observations de Me A…, pour Mme E…,

 – et les observations de Me I…, pour la ville de Paris.

1. Considérant que Mme E…, agent recruté en septembre 1979 dans le corps des moniteurs de jardins d’enfants de la ville de Paris et intégré en août 1992 dans le corps des éducateurs de jeunes enfants, a exercé ses fonctions au sein du jardin d’enfants Schubert à Paris depuis l’année 2004 et a été nommée adjointe à la directrice de cet établissement à compter de l’année 2010 ; que, par un courrier en date du 4 mars 2014, reçu le 6 mars suivant, elle a sollicité la mise en oeuvre de la protection fonctionnelle, a informé la ville de Paris de l’exercice de son droit d’alerte et a demandé la saisine du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) afin que celui-ci effectue une enquête administrative ; que, par une décision du 16 avril 2014, le maire de Paris a rejeté sa demande tendant à l’organisation d’une enquête du CHSCT ; que le maire de Paris a également rejeté sa demande de protection fonctionnelle par une décision du 9 mai 2014 ; que Mme E… fait appel du jugement du 2 avril 2015 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes tendant à l’annulation de ces décisions ;

Sur le bien-fondé du jugement attaqué en tant qu’il statue sur les conclusions à fin d’annulation de la décision du 9 mai 2014 et les conclusions indemnitaires présentées par Mme E… :

En ce qui concerne les conclusions à fin d’annulation de la décision du 9 mai 2014 :

2. Considérant qu’aux termes de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée, dans sa rédaction applicable à la date de la décision contestée : « Les fonctionnaires bénéficient, à l’occasion de leurs fonctions et conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales, d’une protection organisée par la collectivité publique qui les emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire au fonctionnaire. / (…) Lorsqu’un fonctionnaire a été poursuivi par un tiers pour faute de service et que le conflit d’attribution n’a pas été élevé, la collectivité publique doit, dans la mesure où une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions n’est pas imputable à ce fonctionnaire, le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui. / La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l’occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. / La collectivité publique est tenue d’accorder sa protection au fonctionnaire ou à l’ancien fonctionnaire dans le cas où il fait l’objet de poursuites pénales à l’occasion de faits qui n’ont pas le caractère d’une faute personnelle. / La collectivité publique est subrogée aux droits de la victime pour obtenir des auteurs des menaces ou attaques la restitution des sommes versées au fonctionnaire intéressé. Elle dispose, en outre, aux mêmes fins, d’une action directe qu’elle peut exercer au besoin par voie de constitution de partie civile devant la juridiction pénale. Les dispositions du présent article sont applicables aux agents publics non titulaires. » ; que ces dispositions établissent à la charge de l’Etat ou de la collectivité publique intéressée et au profit des fonctionnaires, lorsqu’ils ont été victimes de violences, tels des actes de harcèlement moral, à l’occasion de leurs fonctions, une obligation de protection à laquelle il ne peut être dérogé, sous le contrôle du juge, que pour des motifs d’intérêt général ;

3. Considérant que, par un courrier en date du 4 mars 2014, reçu le 6 mars suivant, Mme E… a sollicité, par l’intermédiaire de son conseil, le bénéfice de la protection fonctionnelle prévue par les dispositions précitées, en invoquant le harcèlement moral dont elle était victime de la part des directrices du jardin d’enfants Schubert ; que sa demande a été rejetée par une décision du 9 mai 2014 du maire de Paris, au motif que les éléments invoqués par l’intéressée n’étaient pas de nature à révéler un harcèlement moral ;

4. Considérant qu’aux termes de l’article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 susvisée : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l’affectation et la mutation ne peut être prise à l’égard d’un fonctionnaire en prenant en considération : 1° Le fait qu’il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; 2° Le fait qu’il ait exercé un recours auprès d’un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; 3° Ou bien le fait qu’il ait témoigné de tels agissements ou qu’il les ait relatés. Est passible d’une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. (…) » ;

5. Considérant, d’une part, qu’il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d’agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence d’un tel harcèlement ; qu’il incombe à l’administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu’il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d’instruction utile ; que, d’autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu’ils sont constitutifs d’un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l’agent auquel il est reproché d’avoir exercé de tels agissements et de l’agent qui estime avoir été victime d’un harcèlement moral ; qu’en revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l’existence d’un harcèlement moral est établie, qu’il puisse être tenu compte du comportement de l’agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui ; que le préjudice résultant de ces agissements pour l’agent victime doit alors être intégralement réparé ;

6. Considérant, en premier lieu, qu’il ressort de la fiche de notation de Mme E… au titre de l’année 2013 que la nouvelle directrice du jardin d’enfants a procédé, un mois seulement après sa prise de fonctions, à l’évaluation professionnelle de l’intéressée et a rapporté les appréciations des compétences et aptitudes d’ « excellent » à « bon » pour six catégories portant tant sur les qualités personnelles et relationnelles de l’agent que sur ses aptitudes au changement et à l’encadrement ; que Mme E… a contesté en vain cette évaluation auprès du service des ressources humaines ; que, pour justifier cette appréciation au titre de l’année 2013, la ville de Paris se borne à souligner que la note globale de l’intéressée a été maintenue à 19,60/20 et que l’appréciation de ses compétences et aptitudes n’a que peu diminué ;

7. Considérant, en deuxième lieu, qu’il ressort des pièces du dossier que Mme E… avait en charge une classe de 23 enfants dont un enfant lourdement handicapé et que l’aide qui lui avait été apportée par une tierce personne a été supprimée, rendant plus difficiles les conditions d’exercice de ses fonctions d’éducatrice de jeunes enfants ; que l’intéressée, qui avait alerté sa hiérarchie sur ses conditions de travail, s’est vu retirer les fonctions administratives d’adjointe à la directrice du jardin d’enfants qu’elle exerçait depuis 2010 ; qu’il ressort des écritures du défendeur que ces fonctions ont été retirées, sans concertation ni demande préalable de la part de Mme E…, et alors que celle-ci souhaitait postuler à des fonctions d’encadrement, afin de lui accorder davantage de temps pour s’occuper des enfants placés sous sa responsabilité ;

8. Considérant, en troisième lieu, qu’il ressort des rapports circonstanciés des 26 septembre 2013 et 9 janvier 2014 établis respectivement par Mme B…, directrice, Mmes H… etD…, responsable de la gestion de l’équipe et responsable administrative en remplacement de la première, et Mme Artero, secrétaire du jardin d’enfants que Mme E… a eu, à plusieurs reprises, un comportement, qui sans être violent, était inapproprié envers l’enfant handicapé présent dans sa classe et parfois difficile à gérer ; que, par un arrêté du 25 avril 2015, remplacé par un arrêté du 25 septembre 2014 en raison de l’incompétence de son signataire, le maire de Paris lui a infligé un blâme ; que cette sanction disciplinaire a été annulée par un jugement du 2 avril 2015 du Tribunal administratif de Paris, devenu définitif, au motif que le maire de Paris avait commis une erreur d’appréciation ;

9. Considérant, enfin, qu’il ressort du compte rendu de l’entretien du 4 mars 2014, organisé dans le cadre de la procédure disciplinaire, que la chef du bureau des procédures disciplinaires a conclu cet entretien en recommandant à Mme E… de chercher un poste dans une autre structure à la rentrée prochaine ; que la ville de Paris fait valoir que Mme E… était systématiquement en opposition avec la nouvelle directrice et ses remplaçantes depuis le rejet de sa candidature au poste de directrice ; que, toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier, même si les relations étaient très tendues au sein du jardin d’enfants, que l’intéressée aurait refusé d’exécuter les directives de ses supérieurs hiérarchiques dans le cadre d’une réorganisation du jardin d’enfants en cours d’année ; qu’au surplus, postérieurement à la décision contestée, Mme E… a été affectée par la voie de la mutation en qualité de simple « soutien » dans une crèche familiale située dans le 19e arrondissement (Paris), ne pouvant ainsi exercer des fonctions d’adjointe ;

10. Considérant que ces agissements répétés, qui ont eu pour effet de dégrader les conditions de travail de Mme E…, sont constitutifs de harcèlement moral au sens des dispositions précitées de l’article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 ; que la requérante est, par suite, fondée à soutenir que la décision du 9 mai 2014 par laquelle le maire de Paris a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle est entachée d’illégalité ;

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :

11. Considérant que la ville de Paris a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en refusant de mettre en oeuvre la protection fonctionnelle et en s’abstenant de prendre des mesures afin de mettre fin au harcèlement moral dont Mme E… était victime ; que, par suite, celle-ci est en droit d’obtenir réparation du préjudice direct et certain qui a pu en résulter ;

12. Considérant que Mme E… a sollicité du maire de Paris, par un courrier en date du 17 juin 2014, reçu par la ville de Paris le 20 juin 2014 comme en atteste l’accusé de réception produit devant le tribunal, le versement d’une somme de 20 000 euros en réparation du préjudice moral et du préjudice de carrière qu’elle estime avoir subis, en raison notamment du refus de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle pour faits de harcèlement moral ; que, par suite, contrairement à ce que soutient la ville de Paris, les conclusions indemnitaires présentées par Mme E… sont recevables ;

13. Considérant qu’il résulte de l’instruction que les faits de harcèlement moral dont a été victime Mme E… et le refus illégal de protection fonctionnelle qui lui a été opposé ont eu pour conséquence une dégradation de ses conditions de travail et une perte de ses attributions administratives en 2014 ; que ces évènements ont engendré une angoisse, tant sur ses conditions de travail quotidiennes, que sur le déroulement de sa carrière ; qu’il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par la requérante en en fixant le montant à la somme de 5 000 euros ;

14. Considérant, en revanche, que si Mme E… soutient avoir subi un préjudice de carrière du fait en particulier du retrait de ses fonctions administratives d’adjointe et de l’évaluation défavorable de ses compétences et aptitudes au titre de l’année 2013, il ressort de ses propres écritures qu’elle a néanmoins conservé la prime liée aux fonctions d’adjointe du jardin d’enfants Schubert et qu’elle a, à nouveau, occupé de telles fonctions à partir de septembre 2015 ; que, dans ces conditions, la requérante n’établit pas avoir subi un préjudice de carrière ;

15. Considérant qu’il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens soulevés par Mme E…, que celle-ci est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions à fin d’annulation de la décision du 9 mai 2014 ainsi que ses conclusions indemnitaires ; que le jugement attaqué doit être annulé dans cette mesure ;

Sur le bien-fondé du jugement attaqué en tant qu’il statue sur les conclusions à fin d’annulation de la décision du 16 avril 2014 :

En ce qui concerne les conclusions à fin d’annulation de la décision du 16 avril 2014 :

16. Considérant, en premier lieu, que Mme G… C…, directrice des familles et de la petite enfance, signataire de la décision contestée, a reçu, par arrêté en date du 5 avril 2014 régulièrement publié au bulletin municipal officiel de la ville de Paris le 7 avril suivant, délégation de la part du maire de Paris pour signer, dans la limite des attributions de la direction des familles et de la petite enfance, tous arrêtés, actes et décisions préparés par les services placés sous son autorité ; que les décisions prises dans le cadre des articles 5-1 et suivants du décret du 10 juin 1985 relatif à l’hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu’à la médecine professionnelle et préventive dans la fonction publique territoriale entrent dans le champ d’application de la délégation de signature, qui est suffisamment précisé ; que dès lors, le moyen tiré de l’incompétence du signataire de la décision litigieuse manque en fait ;

17. Considérant, en deuxième lieu, que la décision contestée vise les articles 5-1 et suivants du décret du 10 juin 1985, rappelle les éléments avancés par Mme E… dans sa demande du 4 mars 2004, à savoir les « reproches d’ordre professionnel qui lui sont adressés susceptibles de se traduire par une sanction disciplinaire » et « le harcèlement moral qui rend ses conditions de travail insupportables », et mentionne que « seul un membre du CHSCT peut consigner un avis dans le registre spécial, éventuellement après qu’un agent aura exercé son droit d’alerte ou son droit de retrait, et ainsi déclencher une enquête du CHSCT. En toute hypothèse l’exercice du droit d’alerte par Mme E… n’implique pas l’inscription sur le registre spécial et l’organisation d’une enquête » ; que, par suite, la décision contestée est suffisamment motivée au regard des dispositions de la loi du 11 juillet 1979 susvisée ;

18. Considérant, en troisième lieu, qu’aux termes de l’article 5-1 du décret du 10 juin 1985 : « Si un agent a un motif raisonnable de penser que sa situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou pour sa santé ou s’il constate une défectuosité dans les systèmes de protection, il en avise immédiatement son supérieur hiérarchique. Il peut se retirer d’une telle situation. L’autorité territoriale prend les mesures et donne les instructions nécessaires pour permettre aux agents, en cas de danger grave et imminent, d’arrêter leur activité et de se mettre en sécurité en quittant immédiatement leur lieu de travail. (…) » ; qu’aux termes de l’article 5-2 de ce décret : « Si un membre du comité mentionné à l’article 37 constate, notamment par l’intermédiaire d’un agent qui s’est retiré d’une situation de travail définie au premier alinéa de l’article 5-1, qu’il existe une cause de danger grave et imminent, il en avise immédiatement l’autorité territoriale et consigne cet avis dans le registre établi dans les conditions fixées à l’article 5-3. Il est procédé à une enquête immédiate par l’autorité territoriale, en compagnie du membre du comité mentionné à l’article 37 ayant signalé le danger. L’autorité territoriale prend les mesures nécessaires pour remédier à la situation et informe le comité des décisions prises. (…) » ; qu’aux termes de l’article 5-3 du même décret : « Les avis mentionnés au premier alinéa de l’article 5-2 sont consignés dans un registre spécial coté et ouvert au timbre du comité mentionné à l’article 37. Sous la responsabilité de l’autorité territoriale, ce registre est tenu à la disposition des membres de ce comité et de tout agent qui est intervenu en application de l’article 5-2. Tout avis figurant sur le registre doit être daté et signé et comporter l’indication des postes de travail concernés, de la nature du danger et de sa cause, du nom de la ou des personnes exposées. Les mesures prises par l’autorité territoriale y sont également consignées. » ;

19. Considérant, comme il a déjà été dit, que par un courrier en date du 4 mars 2014, Mme E… a informé le maire de Paris qu’elle entendait exercer un droit d’alerte et a demandé à ce que le CHSCT soit saisi afin d’organiser une enquête au sein du jardin d’enfants Schubert ; qu’elle invoquait à l’appui de cette demande les menaces de sanction disciplinaire de 2e ou 3e groupe qui auraient été proférées par ses supérieurs hiérarchiques si elle n’acceptait pas de changer d’affectation et le harcèlement moral dont elle était victime ; qu’il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que Mme E… a fait l’objet d’agissements répétés constitutifs de harcèlement moral ; que le harcèlement moral auquel est soumis un agent est susceptible de faire peser sur sa santé un danger grave et imminent ; que toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier, en l’absence notamment de pièces médicales en ce sens et de constatations de signes alarmants quant à la sécurité et la santé de l’intéressée, et alors que celle-ci n’a eu, à la date de la décision contestée, qu’un seul jour d’arrêt de travail, que Mme E… se trouvait dans une situation de danger grave et imminent au sens des dispositions précitées ; que, par suite, c’est à bon droit que le tribunal, qui n’a pas entaché son jugement d’une contradiction de motifs, a estimé que la ville de Paris n’avait pas méconnu les dispositions de l’article 5-1 du décret du 10 juin 1985 ;

20. Considérant qu’il ne ressort pas davantage des pièces du dossier qu’un membre du CHSCT aurait alerté l’autorité territoriale sur une situation de danger liée notamment au harcèlement moral subi par Mme E…; que, par suite, la ville de Paris n’a pas entaché d’illégalité sa décision en ne diligentant pas une enquête administrative sur le fondement de l’article 5-2 du décret du 10 juin 1985 ; que, par voie de conséquence et en l’absence de tout avis transmis à l’autorité territoriale par un membre du CHSCT, la ville de Paris n’a pas davantage méconnu les dispositions de l’article 5-3 du même décret en ne le consignant pas dans un registre spécial ;

21. Considérant que si Mme E… soutient qu’en tout état de cause, le CHSCT aurait dû être saisi de son dossier, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’elle aurait informé l’un des membres de ce comité de sa situation afin que cette dernière soit examinée lors d’une séance du CHSCT ;

22. Considérant en quatrième lieu que Mme E… soutient que la ville de Paris a méconnu, par sa décision du 16 avril 2014, ses obligations découlant de l’article 23 de la loi du 13 juillet 1983, des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, rappelées par la circulaire du 28 mai 2013 et le protocole d’accord gouvernemental du 22 octobre 2013, en s’abstenant de prendre les mesures tendant à faire cesser le risque psycho-social qu’elle encourait du fait du harcèlement moral dont elle était victime ; que les dispositions précitées du code du travail ont été rendues applicables à la ville de Paris par l’article 108-1 de la loi du 26 janvier 1984 et obligent l’employeur à prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses agents ; que, toutefois, il ressort des termes de la demande en date du 4 mars 2014 que Mme E… a sollicité uniquement le bénéfice de la protection fonctionnelle et la saisine de CHSCT en invoquant un droit d’alerte sans néanmoins invoquer un risque personnel pour sa santé et sa sécurité qui aurait nécessité la mise en oeuvre des mesures prévues par les dispositions des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, se bornant à mentionner en des termes peu circonstanciés un « risque psycho-social dans le service » en raison de la réorganisation du jardin d’enfants Schubert ; que, dans ces conditions, elle n’est pas fondé à soutenir que le maire de Paris aurait méconnu ses obligations découlant des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et de l’article 23 de la loi du 13 juillet 1983;

23. Considérant, enfin, qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision contestée serait entachée d’un détournement de pouvoir ;

24. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que Mme E… n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions à fin d’annulation de la décision du 16 avril 2014 ;

Sur les conclusions à fin d’injonction :

25. Considérant qu’il y a lieu, eu égard aux motifs du présent arrêt, d’enjoindre à la ville de Paris d’accorder à Mme E… la protection fonctionnelle ; qu’en revanche, il n’appartient pas à la Cour de préciser les mesures devant être mises en oeuvre dans le cadre de ladite protection fonctionnelle ;

26. Considérant qu’il n’y a pas lieu d’enjoindre à la ville de Paris de procéder à la reconstitution de la carrière de Mme E… dès lors qu’il n’est pas établi que le retrait de ses fonctions administratives d’adjointe ait eu une incidence sur le déroulement de sa carrière ;

27. Considérant que la présente décision, en ce qu’elle rejette les conclusions à fin d’annulation de la décision du 16 avril 2014 présentées par la requérante, n’implique pas de mesure d’exécution ; que, par suite, en application des dispositions de l’article L. 911-1 du code de justice administrative, les conclusions de Mme E… tendant à ce qu’il soit enjoint à la ville de Paris de saisir le CHSCT et de diligenter une enquête interne au sein du jardin d’enfants Schubert ne peuvent être accueillies ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

28. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme E…, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la ville de Paris au titre des frais qu’elle a exposés ; qu’il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la ville de Paris le versement à Mme E… de la somme de 2 000 euros sur le fondement des mêmes dispositions ;

DÉCIDE :


Article 1er : Le jugement du 2 avril 2015 du Tribunal administratif de Paris est annulé en tant qu’il a rejeté les conclusions à fin d’annulation de la décision du 9 mai 2014 du maire de Paris et les conclusions indemnitaires de Mme E….


Article 2 : La décision du 9 mai 2014 du maire de Paris est annulée.


Article 3 : La ville de Paris versera à Mme E… la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Article 4 : Il est enjoint à la ville de Paris d’accorder à Mme E… la protection fonctionnelle.


Article 5 : La ville de Paris versera à Mme E… la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.


Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.


Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F… E… et à la ville de Paris.


Délibéré après l’audience du 22 septembre 2016, à laquelle siégeaient :


- M. Formery , président de chambre,

- Mme Coiffet, président assesseur,

- Mme Larsonnier, premier conseiller.


Lu en audience publique, le 6 octobre 2016.

Le rapporteur,

V. LARSONNIERLe président,

S.-L. FORMERY Le greffier,

S. JUSTINELa République mande et ordonne au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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N° 15PA02227

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CAA de PARIS, 5ème chambre, 6 octobre 2016, 15PA02227, Inédit au recueil Lebon