CAA de PARIS, 5ème chambre, 17 février 2022, 20PA01181, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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www.legifiscal.fr · 1er mars 2022
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Sur la décision

Référence :
CAA Paris, 5e ch., 17 févr. 2022, n° 20PA01181
Juridiction : Cour administrative d'appel de Paris
Numéro : 20PA01181
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Décision précédente : Tribunal administratif de Paris, 11 février 2020, N° 1802700
Dispositif : Rejet
Identifiant Légifrance : CETATEXT000045189966

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société en nom collectif 8 boulevard Durandy a demandé au tribunal administratif de Paris le remboursement des droits de taxe sur la valeur ajoutée qu’elle a acquittés, à hauteur de 3 245 332 euros, au titre de la période du 1er janvier 2012 au 30 novembre 2015.

Par un jugement n° 1802700 du 12 février 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 10 avril 2020 et le 5 juillet 2021, la SNC 8 boulevard Durandy demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1802700 du 12 février 2020 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de prononcer le remboursement des droits de taxe sur la valeur ajoutée en litige ;

3°) de lui accorder le paiement d’intérêts au taux défini à l’article L. 208 du livre des procédures fiscales ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 10 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de le condamner aux entiers dépens.

Elle soutient que :

 – elle avait l’intention effective, dès 2012, d’exercer une activité de location de villas de luxe, soumise à la taxe sur la valeur ajoutée et gérée, en pratique par les sociétés Wainbridge Estates France SAS (WEF) et Wainbridge Limited (WEL) ;

 – en vertu tant de l’article 207-V-2 de l’annexe 2 au code général des impôts que de la doctrine administrative (BOI-TVA-DED-20-10-10), son coefficient d’assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée était de 100 % en 2012 de sorte que les coûts de reconstruction des villas ouvraient légalement droit à déduction en totalité de la taxe afférente.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 juillet 2020, le ministre de l’action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu’aucun des moyens soulevés n’est fondé et, à titre subsidiaire, que si le tribunal estimait que la société requérante avait la qualité d’assujettie dès l’année 2012, la taxe sur la valeur ajoutée afférente aux dépenses payées en 2012 ne pourrait, faute d’avoir été déclarée, être remboursée. Il fait également valoir qu’en tout état de cause, les conclusions tendant au versement d’intérêts moratoires sont prématurées et, de ce fait, irrecevables.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 – la directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 ;

 – la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 ;

 – le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

 – et le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 – le rapport de Mme Cécile Vrignon-Villalba ;

 – les conclusions de Mme Lescaut, rapporteure publique ;

 – et les observations présentées par Me Corouge, pour la SCN 8 boulevard Durandy.

Considérant ce qui suit :

1. La SCI 8 boulevard Durandy, devenue en décembre 2017 la SNC 8 boulevard Durandy, a acquis, par actes des 15 mars 2012 et 28 mai 2014, deux villas situées à Saint-Jean-Cap-Ferrat, dans lesquelles elle a engagé d’importants travaux de rénovation, puis qu’elle a donné à bail le 19 juin 2016 à la SNC Ardor France, afin de lui permettre d’exploiter ces immeubles dans le cadre d’une activité para-hôtelière assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée. Par lettre du 21 juillet 2016, elle a sollicité son enregistrement en qualité d’assujettie à cette taxe puis porté en déduction de ses déclarations la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les travaux immobiliers au titre de la période du 1er janvier 2012 au 31 juillet 2016, pour un montant de 3 673 599 euros, dont elle a sollicité le remboursement à concurrence de la somme de 3 546 311 euros. Estimant, à l’issue d’une vérification de comptabilité de la contribuable, que celle-ci n’avait manifesté son intention d’exercer une activité économique qu’à compter du mois de décembre 2015, l’administration n’a admis la déductibilité de cette taxe qu’à hauteur de la somme de 426 609 euros, correspondant à la taxe acquittée à raison des travaux payés postérieurement à cette date et a fait droit à la demande de remboursement à concurrence de la somme de 300 979 euros. La SNC 8 boulevard Durandy relève appel du jugement du 12 février 2020 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant au remboursement de la somme restante de 3 245 332 euros.

2. Aux termes de l’article 256 du code général des impôts : « I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. (…) ». Aux termes de l’article 271 du même code : « I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d’une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. / 2. Le droit à déduction prend naissance lorsque la taxe déductible devient exigible chez le redevable (…) / IV. – La taxe déductible dont l’imputation n’a pu être opérée peut faire l’objet d’un remboursement dans les conditions, selon les modalités et dans les limites fixées par décret en Conseil d’Etat. (…) ». Il résulte de ces dispositions, prises pour la transposition dans l’ordre interne de la directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977, abrogée et remplacée par la directive 2006/112/CE, interprétées à la lumière de la jurisprudence communautaire, qu’une activité qui est soumise à la taxe sur la valeur ajoutée donne droit à la déduction ou, le cas échéant, au remboursement de la taxe ayant grevé les éléments de prix de revient de cette activité, dès que celle-ci a été entreprise et sans qu’il y ait lieu d’attendre la réalisation du fait générateur de la taxe due à raison des affaires faites par le contribuable dans l’exercice de cette activité. Le droit à déduction, désormais prévu aux articles 167 et suivants de la directive 2006/112/CE, qui ont repris en substance les articles correspondants de la directive 77/388/CEE, est néanmoins soumis au respect de conditions formelles et matérielles, l’une de ces conditions étant que, d’une part, l’intéressé doit être un « assujetti » au sens de la directive et, d’autre part, que les biens ou les services invoqués pour fonder le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée soient utilisés en aval par l’assujetti pour les besoins de ses opérations taxées. La question de savoir si l’intéressé a agi en tant qu’assujetti, à savoir pour les besoins d’une activité économique, constitue une question de fait qu’il convient d’examiner au regard de l’ensemble des données de l’espèce, parmi lesquelles figurent la nature des biens visés et la période écoulée entre l’acquisition des biens et leur utilisation aux fins des activités économiques de l’assujetti. Si une déclaration univoque et expresse de l’intention d’affecter le bien à une activité économique lors de son acquisition peut être suffisante pour conclure que le bien a été acquis par l’assujetti agissant en tant que tel, l’absence d’une telle déclaration n’exclut pas qu’une telle intention puisse apparaître de manière implicite. Il appartient à l’intéressé de produire de éléments objectifs en ce sens.

3. Par ailleurs, selon les dispositions de l’article 261 D du code général des impôts dans leur rédaction alors applicable : « Sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée : 4° Les locations occasionnelles, permanentes ou saisonnières de logements meublés ou garnis à usage d’habitation. Toutefois, l’exonération ne s’applique pas : (…) b. Aux prestations de mise à disposition d’un local meublé ou garni effectuées à titre onéreux et de manière habituelle, comportant en sus de l’hébergement au moins trois des prestations suivantes, rendues dans des conditions similaires à celles proposées par les établissements d’hébergement à caractère hôtelier exploités de manière professionnelle : le petit déjeuner, le nettoyage régulier des locaux, la fourniture de linge de maison et la réception, même non personnalisée, de la clientèle. c. Aux locations de locaux nus, meublés ou garnis consenties à l’exploitant d’un établissement d’hébergement qui remplit les conditions fixées aux a ou b, à l’exclusion de celles consenties à l’exploitant d’un établissement mentionné à l’article L. 633-1 du code de la construction et de l’habitation dont l’activité n’ouvre pas droit à déduction. (…) ».

4. La société requérante, constituée sous forme d’une SCI le 15 juillet 2011, fait valoir que les travaux et aménagements réalisés sur les deux villas sises au 8 et au 11 du boulevard Durandy à

Saint-Jean-Cap-Ferrat, dont elle a fait l’acquisition, respectivement, le 15 mars 2012 et le 28 mai 2014, s’inscrivaient dans un projet de création de villas de luxe sur la côte d’Azur, en vue de leur prise à bail par une société de gestion pour l’exercice d’une activité para-hôtelière haut de gamme, et que l’intention d’affecter ces villas à une activité locative soumise à la taxe sur la valeur ajoutée, entrant dans le champ d’application du d) du 4° de l’article 261 D du code général des impôts, était manifeste dès le lancement des travaux de reconstruction du premier de ces deux biens. Elle soutient, à l’appui de cette allégation, qu’elle-même appartient à un groupe de sociétés ayant un unique bénéficiaire économique, les sociétés Wainbridge Limited (WEL) et Wainbridge Estates France (WEF) agissant en qualité de mandataire dans la définition de sa stratégie locative, tant pour l’acquisition des biens immobiliers, pour les opérations de rénovations que pour la gestion de sa comptabilité. Elle indique, en outre, que la conception de l’aménagement intérieur, de la décoration ainsi que l’acquisition de mobilier et la planification des prestations des villas sont autant de preuves de son intention d’affecter les villas à une activité locative relevant du champ d’application de la taxe sur la valeur ajoutée.

5. Il résulte des dispositions législatives précitées, éclairées par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, que la qualité d’assujetti doit s’apprécier à la date d’acquisition des biens et services nécessaires au besoin de l’exploitation, au fur et à mesure du déroulement des travaux.

6. Il résulte de l’instruction que l’objet social qu’a déclaré la requérante lors de son inscription au registre du commerce et des sociétés consistait, selon ses statuts constitutifs, en l’acquisition d’une propriété, la réalisation de travaux, la valorisation de la propriété et la réalisation de toutes opérations nécessaires à la réalisation de l’objet social de la société « dans les limites d’opérations de caractère strictement civil et à l’exclusion de toutes opérations à caractère commercial, sans être assujetti à la TVA » et ne caractérisait donc pas, par lui-même, le projet de fournir des prestations susceptibles d’entrer en concurrence avec celles d’entreprises hôtelières. Alors que les statuts constitutifs de la société ont été modifiés à plusieurs reprises durant la période concernée, ce n’est qu’après la signature du bail du 19 juin 2016 avec la société Ardor France, qui exploite les immeubles, que la société requérante a modifié son objet social pour tenir compte de l’exercice d’une activité soumise à la taxe sur la valeur ajoutée. Par ailleurs, l’administration fiscale relève sans être contestée que le permis de construire du 3 octobre 2011, délivré pour la villa l’Empyrée, décrit le projet comme étant la création d’une villa contemporaine avec logement de gardien et invités, ainsi que des piscines, les constructions étant destinées à l’habitation et non à l’hébergement hôtelier, et que dans l’acte notarié d’acquisition de cette villa, le vendeur et l’acquéreur ont déclaré n’être ni l’un ni l’autre assujetties à la TVA au sens de l’article 256 A du code général des impôts. Il résulte également de l’instruction que la société requérante, qui n’a donc pas demandé de numéro de TVA, n’a ni auto-liquidé ni acquitté la TVA sur les achats de biens et de services, réalisés en 2012 et 2016, auprès des fournisseurs établis dans d’autres Etats membres auxquels elle a eu recours.

7. En outre, ni le rôle qu’auraient joué les société WEF et WEL, dont il ne résulte pas de l’instruction qu’elles auraient eu un rôle de mandataire de la société requérante allant au-delà du pouvoir octroyé à la société WEF « en vue de la signature de tous contrat ou documents relatifs aux travaux engagés en 2013 par la SCI », pour la seule villa l’Empyrée, ni les courriels échangés en amont de l’acquisition des deux villas, ni ceux relatifs au développement du projet « Sanctum » concernant la création d’une société de gestion de propriétés de luxe – dont la plupart ne font d’ailleurs pas référence aux propriétés détenues par la société requérante – ni les attestations établies pour les besoins de l’instance ne suffisent à manifester la réalité de l’intention initiale de la SCI 8 boulevard Durandy d’affecter ces villas à une activité locative soumise à la taxe sur la valeur ajoutée avant le 18 décembre 2015, date de la création de la société d’exploitation para-hôtelière Ardor France. L’administration relève à ce titre, sans être contestée, que lorsque la société Mapple Europe Holdings a, en 2015, absorbé la société Paloma Invest, qui était devenue en 2013 la seule actionnaire de la société requérante après avoir racheté l’intégralité des parts détenus par les deux actionnaires initiaux, cette société a fait part de son intention de se séparer des titres de la société requérante pour les apporter à sa filiale, la société immobilière du 20 rue Monsieur, au motif que cette dernière avait « besoin de bénéficier d’une augmentation de capital substantielle avec pour objectif d’exercer et de développer son activité de marchands de biens en France », le projet ayant été finalement abandonné suite à l’opposition de la banque auprès de laquelle la société requérante a emprunté une partie des sommes ayant servi à l’acquisition des villas. Il en résulte que, si l’inclusion dans le projet « Sanctum » des villas détenues par la société requérante, en particulier de la villa l’Empyrée, a été envisagée par les sociétés WEF et WEL, sans préjudice d’autres options possibles comme celle de la vente des villas après travaux, la société requérante ne peut être regardée comme ayant eu l’intention, avant le 18 décembre 2015, de se livrer effectivement à une activité relevant du champ d’application des dispositions précitées du 4° de l’article 261 D du code général des impôts.

8. En l’absence d’élément permettant, en l’espèce, d’établir, antérieurement au 18 décembre 2015, son intention de se livrer à des opérations imposables et par suite sa qualité d’assujettie, la société n’est pas fondée à se prévaloir des dispositions du V de l’article 207 de l’annexe II au code général des impôts aux termes desquelles le coefficient d’assujettissement est déterminé lors de l’acquisition ou de la livraison à soi-même du bien, ni des termes de la doctrine publiée au bulletin officiel des impôts BOI-TVA-DED-20-10-10, dans les prévisions de laquelle elle n’entre pas.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la SNC 8 boulevard Durandy n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par conséquent, sa requête, en ce comprises les conclusions qu’elle présente sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, ne peut qu’être rejetée.


DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SNC 8 boulevard Durandy est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société en nom collectif SNC 8 boulevard Durandy et au ministre de l’économie, des finances et de la relance.

Copie en sera adressée à la direction régionale des finances publiques d’Ile-de-France et du département de Paris.

Délibéré après l’audience du 27 janvier 2022, où siégeaient :


- Mme Vinot, présidente de chambre,

- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,

- M. Aggiouri, premier conseiller.


Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 février 2022.


La rapporteure,

C. VRIGNON-VILLALBALa présidente,

H. VINOT

La greffière,

A. MAIGNAN

La République mande et ordonne au ministre de l’économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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N° 20PA01181

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