Cour de Cassation, Chambre civile, du 1 avril 1846, Publié au bulletin

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Chronologie de l’affaire

Résumé de la juridiction

On peut adopter son enfant naturel reconnu.

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Sur la décision

Référence :
Cass. civ., 1er avr. 1846, Bull. civ., N. 39 p. 91
Juridiction : Cour de cassation
Importance : Publié au bulletin
Publication : Bulletin ARRETS Cour de Cassation Chambre civile N. 39 p. 91
Décision précédente : Cour royale d'Angers, 11 juillet 1844
Textes appliqués :
Code civil 338, 343, 756, 757, 908
Dispositif : REJET
Identifiant Légifrance : JURITEXT000006951558

Texte intégral

REJET du pourvoi formé par le sieur Y… et consorts contre un Arrêt rendu par la Cour royale d’Angers, le 12 juillet 1844, au profit de Mme la comtesse Héliaud et autres.

Du 1er avril 1846.

NOTICE ET MOTIFS.
M. Pierre-Martin X… eut, à trois diverses époques, à Paris, où il habitait, et de trois femmes différentes, trois enfants naturels qu’il reconnut dès leur naissance.

Ce furent,

1° Cécile-Charlotte, née le 30 floréal an X, aujourd’hui mariée à M. le comte d’B… ;

2° Jenny-Félicité, née le 22 pluviôse an XIII, aujourd’hui mariée à M. de A… ;

3° Enfin Pierre-Eugène-Félix, né le 16 mars 1806.
M. X… voulut adopter ces trois enfants.

Après avoir établi son domicile à Angers, il se présenta, dans le courant de l’année 1828, devant le juge de paix du 1er arrondissement de cette ville, pour y passer acte des consentements respectifs. Cet acte fut ensuite soumis au tribunal de première instance et à la cour royale d’Angers, qui le déclarèrent régulier et qui admirent l’adoption par décisions des 7 et 25 mars 1828. M. X… étant mort à Paris, le 4 septembre 1841, époque à laquelle l’adoption produisait, depuis quinze ans, tous ses effets légaux au profit de ses trois enfants naturels, ceux-ci se mirent immédiatement en possession de toute la succession.

Mais les sieurs Y… et consorts, se prétendant habiles à succéder au défunt, en qualité d’héritiers, intentèrent, par exploit du 29 juin 1843, contre les enfants X…, une action en pétition d’hérédité, devant le tribunal de première instance de la Seine. Pour saisir ce tribunal de leur contestation, ils se fondaient sur ce que M. X…, père adoptif, aurait toujours habité à Paris. Les enfants X… opposèrent d’abord l’exception d’incompétence. Leur déclinatoire ayant été admis par jugement du 14 novembre suivant, les sieurs Y… et consorts formèrent une nouvelle action le 31 janvier 1844, à fin de nullité de l’adoption consommée en 1828 ; ils la portèrent devant le tribunal civil d’Angers. Indépendamment de la demande au fond, ils présentèrent divers moyens de nullité inutiles à mentionner.

M. et Mme d’B…, M. et Mme de A… et M. Félix X… conclurent à ce qu’il fût dit, avant faire droit, que les sieur Y… et consorts seraient tenus d’établir, par titres réguliers, qu’ils étaient les parents les plus proches en degré de M. X…, et, subsidiairement, à ce qu’ils fussent déclarés purement et simplement non recevables en toutes leurs demandes et conclusions, en tous cas mal fondés. Sur ces conclusions respectives, il intervint, à la date du 26 mars 1844, un jugement qui, rejetant les moyens de nullité opposés, quant à la forme, déclara l’adoption nulle au fond et ordonna que la succession du sieur X… serait partagée entre ses héritiers, dans la proportion de leurs droits. Appel de ce jugement fut interjeté le 22 avril suivant par les enfants X… qui, persistant dans leurs conclusions de première instance, demandèrent l’annulation de cette décision. De leur côté, les sieur Y… et consorts demandèrent le maintien du jugement, en alléguant, au surplus, que l’un des enfants naturels était adultérin.

Le 12 juillet de la même année, la cour royale d’Angers rendit un arrêt, qui confirma les dispositions du jugement portant rejet des moyens de nullité proposés en première instance, mais qui mit au néant, sans s’arrêter à celui de l’adultérinité dont elle déboutait les intimés, la disposition qui annulait l’adoption des enfants X… faite par leur père naturel, et ordonna que cette adoption produirait son plein et entier effet.

La cour royale s’est particulièrement fondée sur l’absence dans le Code civil de toute disposition prohibitive de l’adoption des enfants naturels reconnus ; sur ce que les articles 756, 757 et 758, qui refusent à ces enfants la qualité d’héritiers, et l’article 908, qui ne leur permet de rien recevoir au delà de ce qui leur est accordé au titre des successions, ne disposent qu’en les considérant dans leur état primitif d’enfants naturels reconnus, et que ces dispositions générales ne leur sont plus directement applicables lorsque l’adoption, opérant un changement d’état, les fait entrer sous le régime d’une législation différente et spéciale ; sur ce que le pouvoir discrétionnaire donné aux magistrats chargés d’admettre l’adoption offre les meilleures garanties contre les abus qui pourraient naître de celle des enfants naturels reconnus ; sur ce qu’enfin, si on repoussait l’adoption des enfants naturels parce qu’ils sont reconnus, on mettrait obstacle à leur reconnaissance de la part des parents, lesquels s’en abstiendraient, dans la vue de recourir plus tard à l’adoption, éventualité qui serait de nature à compromettre gravement le sort de ces enfants.

Les sieur Y… et consorts se sont pourvus en cassation contre cette décision. Leur pourvoi est fondé sur un seul moyen ; la fausse interprétation et par suite la violation des articles 331, 333, 338, 343, 350, 756, 757 et 908 du Code civil.

Les demandeurs ont soutenu que le père naturel ne saurait être en même temps père adoptif, car le Code a voulu créer une paternité fictive qui s’évanouirait devant la réalité ; que, s’il en était autrement, l’adoption d’un enfant naturel reconnu ne serait autre chose qu’un mode détourné de légitimation, mode que les rédacteurs du Code civil ont proscrit par cela seul qu’ils n’ont admis la légitimation que par le mariage subséquent ; que les divers articles du Code civil repoussent l’adoption des enfants naturels ; qu’ainsi, d’après l’article 338, ils ne peuvent réclamer les droits d’enfants légitimes ; que, d’après l’article 756, ils ne sont pas héritiers ; que les articles 757 et 758 fixent la mesure et l’étendue de leurs droits sur les biens de leur père et mère décédés ; que les articles 908 et 911 leur interdisent de rien recevoir directement ou indirectement au delà de ce qui leur est accordé au titre des successions ; qu’enfin, si l’adoption de l’enfant naturel était admise, elle aurait pour effet de lui faire attribuer une portion de biens plus considérable que celle déterminée par la loi, et de lui donner les mêmes droits qu’à l’enfant légitime, ce qui serait contraire à toute l’économie des dispositions précitées. Les défendeurs ont opposé une fin de non-recevoir qu’ils ont fondée sur ce que les arrêts qui prononcent l’adoption des enfants naturels sont des actes irréfragables qui, émanés de la puissance publique, ne peuvent plus être attaqués. Ils ont, au fond, repoussé les moyens du pourvoi en reproduisant les arguments de l’arrêt qui est déféré à la censure de la Cour.

Sur ce, ouï le rapport de M. le conseiller Bérenger ; les observations de Maître C…, pour les demandeurs ; celles de Maître Z…, pour les défendeurs ; ensemble les conclusions de M. Delangle, avocat général ; Attendu que les incapacités, pour être appliquées, doivent résulter d’un texte précis de la loi ; Attendu que le titre du Code civil qui détermine les formes, les conditions de l’adoption et les personnes qui peuvent être adoptées, ne frappe d’aucune incapacité l’enfant naturel reconnu ; Que, dans l’absence d’un texte formel et absolu de la loi, c’est dans son esprit et dans les principes essentiels et fondamentaux de notre législation qu’il faut rechercher s’il existe quelques traces de cette incapacité ;

Attendu que l’article 338 du Code civil se borne à déclarer que l’enfant naturel reconnu ne pourra réclamer les droits d’enfant légitime, et qu’il renvoie au titre des successions le règlement des droits qui lui sont accordés ;

Que les articles 756 et 757 qui règlent ces droits dans de certaines limites et qui ne les lui accordent qu’autant qu’il sera légalement reconnu, se bornent encore à les fixer indépendamment de tout autre état que l’enfant naturel aurait pu acquérir ;

Et que l’article 908, qui lui interdit de recevoir par donation entre-vifs ou par testament, au delà de ce qui lui est accordé au titre des successions, statue toujours dans la supposition que l’enfant naturel n’est pas sorti de l’état où l’a placé le vice de sa naissance ;

Attendu, dès lors, qu’on ne peut induire de ces divers articles, qui sont complètement étrangers à l’adoption, que l’intention du législateur ait été de frapper d’incapacité les enfants naturels reconnus ; Qu’en effet ce n’est pas irrévocablement que l’enfant naturel reconnu demeure frappé des prohibitions portées par les articles 757 et 908 du Code civil ; ces prohibitions cessent naturellement pour lui lorsqu’il acquiert une situation nouvelle ; alors, rien ne s’oppose à ce que, par ce changement d’état, il obtienne des droits plus étendus ; qu’ainsi, par exemple, le Code autorisant la légitimation de l’enfant naturel, celui-ci acquiert par là un nouvel état, dans lequel il est dégagé des restrictions et des incapacités qu’il subissait dans sa position d’enfant naturel ; que c’est même la différence essentielle et radicale qui le sépare de l’enfant adultérin et incestueux, à qui l’article 331 refuse le bienfait de la légitimation ;

Qu’on ne saurait objecter que l’adoption étant un moyen de suppléer au défaut de la nature, et que le père d’un enfant naturel, ayant connu les douceurs de la paternité, il n’a pas besoin de l’adoption pour se les procurer ; – Que la preuve que le Code n’a pas entendu interdire ce genre d’adoption se trouve dans l’article 343, qui ne le défend qu’à ceux qui ont des enfants ou descendants légitimes ; d’où la conséquence nécessaire qu’elle ne leur sera pas interdite s’ils ont des enfants ou petits-enfants naturels ;

Que vainement encore objecterait-on que si le Code eût entendu autoriser le père à adopter son enfant naturel, il l’aurait dispensé des conditions d’âge, de services rendus et de moralité ; – Que le législateur n’a pas voulu faire de l’adoption un droit, il a voulu en faire une récompense, et, envisagée sous ce point de vue, il devait soumettre le père naturel aux mêmes conditions que les autres adoptants ; l’adoption n’est d’ailleurs ni une donation, ni un testament, c’est un changement d’état ; et s’il est vrai qu’une grande partie des effets de l’adoption soient acquis à l’enfant naturel par le seul fait de sa reconnaissance, il en est de plus précieux encore que l’adoption seule peut conférer ;

Attendu que si on invalidait l’adoption des enfants naturels, par le motif qu’ils ont été reconnus, ce serait compromettre l’avenir de ces enfants, en encourageant les pères à ne pas les reconnaître, dans l’espoir de pouvoir les adopter un jour, subordonnant ainsi leur sort à la chance très-incertaine de la vie plus ou moins prolongée de leurs parents ; Attendu que de l’ensemble de tout ce qui précède il résulte que l’adoption des enfants naturels reconnus n’est interdite ni par le texte ni par l’esprit de notre législation, et que la cour royale d’Angers, qui l’a ainsi jugé, n’a violé aucune loi ;

Par ces motifs, la COUR rejette, Ainsi jugé et prononcé, Chambre civile.

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