Cour de cassation, Assemblée plénière, 7 novembre 2014, 14-83.739, Publié au bulletin

  • Obstacle insurmontable à l'exercice des poursuites·
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  • Délai de prescription

Chronologie de l’affaire

Résumé de la juridiction

Si, selon l’article 7, alinéa 1er, du code de procédure pénale, l’action publique se prescrit à compter du jour où le crime a été commis, la prescription est suspendue en cas d’obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites.

Justifie sa décision la chambre de l’instruction qui, pour rejeter l’exception de prescription de l’action publique présentée par une personne poursuivie pour homicides volontaires aggravés commis sur ses enfants à leur naissance, retient que nul n’a été en mesure de s’inquiéter de la disparition d’enfants nés clandestinement, morts dans l’anonymat et dont aucun indice apparent n’avait révélé l’existence, caractérisant ainsi un obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites, ce dont il résultait que le délai de prescription avait été suspendu jusqu’à la découverte des cadavres

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www.cabinet-zenou.fr · 14 janvier 2024

Contrairement au procès pénal, devant le juge des prud'hommes, les éléments de preuves produites doivent être licites. Les parties demeurent toutefois libres d'utiliser les preuves qu'elles estiment nécessaires au soutien de leurs prétentions. La loi n'impose pas aux parties de présenter un mode de preuve spécifique mais elle laisse les juges apprécier de manière souveraine les éléments qui leur sont soumis, la preuve est alors dite libre. Cette liberté de la preuve ne prévaut pas sur le principe de licéité de la preuve qui régit les procès civils. Initialement, le juge prud'homal …

 

Me Johan Zenou · consultation.avocat.fr · 24 novembre 2023

Contrairement au procès pénal, devant le juge des prud'hommes, les éléments de preuves produites doivent être licites. Les parties demeurent toutefois libres d'utiliser les preuves qu'elles estiment nécessaires au soutien de leurs prétentions. La loi n'impose pas aux parties de présenter un mode de preuve spécifique mais elle laisse les juges apprécier de manière souveraine les éléments qui leur sont soumis, la preuve est alors dite libre. Cette liberté de la preuve ne prévaut pas sur le principe de licéité de la preuve qui régit les procès civils. Initialement, le juge prud'homal …

 
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Sur la décision

Référence :
Cass., 7 nov. 2014, n° 14-83.739, Bull. crim., 2014, Ass. plén., n° 1
Juridiction : Cour de cassation
Numéro(s) de pourvoi : 14-83739
Importance : Publié au bulletin
Publication : Bulletin criminel 2014, Assemblée plénière, n° 1
Décision précédente : Cour d'appel de Paris, 18 mai 2014
Précédents jurisprudentiels : A rapprocher :
Crim., 16 octobre 2013, pourvois n° 13-85.232 et 11-89.002, Bull. crim. 2013, n° 192 (cassation), et l'arrêt cité
Crim., 16 octobre 2013, pourvois n° 13-85.232 et 11-89.002, Bull. crim. 2013, n° 192 (cassation), et l'arrêt cité
Textes appliqués :
article 7, alinéa 1er, du code de procédure pénale
Dispositif : Rejet
Date de dernière mise à jour : 4 novembre 2021
Identifiant Légifrance : JURITEXT000029740771
Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2014:CR90613
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Sur les parties

Texte intégral

Audience publique du 7 novembre 2014

Arrêt n° 613 P + B + R + I

Pourvoi n° K 14-83. 739

LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par Mme Dominique X…, épouse Y…, domiciliée … 62750 Loos-en-Gohelle (aide juridictionnelle totale, décision du bureau d’aide juridictionnelle du 28 mai 2014),

contre l’arrêt de la cinquième chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, en date du 19 mai 2014, qui, sur renvoi après cassation (Crim. 16 octobre 2013, n° 13-85. 232 et 11-89. 002), a rejeté sa demande de constatation d’extinction de l’action publique par prescription et l’a renvoyée devant la cour d’assises du Nord sous l’accusation d’infanticides et d’assassinats aggravés ;

La chambre criminelle a, par arrêt du 20 août 2014, décidé le renvoi de l’affaire devant l’assemblée plénière ;

La demanderesse invoque, devant l’assemblée plénière, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Ces moyens ont été formulés dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme Y… ;

Deux mémoires en défense ont été déposés au greffe de la Cour de cassation, le premier par la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat de l’association Innocence en Danger, partie civile, le second par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat de l’association Enfant bleu-Enfance maltraitée, partie civile, (aide juridictionnelle totale, décision du bureau d’aide juridictionnelle du 25 juillet 2014) ;

Le rapport écrit de M. Poirotte, conseiller, et l’avis écrit de M. Bonnet, avocat général, ont été mis à la disposition des parties ;

Sur quoi, LA COUR, siègeant en assemblée plénière, en l’audience publique du 24 octobre 2014, où étaient présents : M. Terrier, président doyen faisant fonction de premier président, Mmes Flise, Batut, M. Frouin, Mme Mouillard, présidents, M. Mas, conseiller doyen remplaçant M. Terrier, en sa qualité de président de chambre, M. Fossier, conseiller remplaçant M. Guérin, président empêché, M. Poirotte, conseiller rapporteur, MM. Gridel, Chollet, Mme Bardy, MM. Rémery, Maunand, Zanoto, Mmes Verdun, De La Lance, Schmeitzky, Dagneaux, Durin-Karsenty, conseillers, M. Bonnet, avocat général, Mme Tardi, directeur de greffe ;

Sur le rapport de M. Poirotte, conseiller, assisté de Mme Gérard, greffier en chef au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme Y…, de la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat de l’association Innocence en Danger et représentant la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat de l’association Enfant bleu-Enfance maltraitée, l’avis de M. Bonnet, avocat général, auquel, parmi les parties invitées à le faire, la SCP Waquet, Farge et Hazan a répliqué, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, 19 mai 2014) rendu sur renvoi après cassation (Crim., 16 octobre 2013, pourvois n° 13-85. 232 et 11-89. 002), qu’à la suite de la découverte, le 24 juillet 2010, des cadavres de deux nouveau-nés placés dans des sacs enterrés dans le jardin d’une maison ayant appartenu aux parents de Mme Y…, une enquête a été ouverte au cours de laquelle six autres cadavres de nouveau-nés, également placés dans des sacs, ont été découverts, sur ses indications, dans le garage de la maison de Mme Y… qui a reconnu être la mère de ces enfants, les avoir tués à leur naissance et avoir dissimulé les corps ; qu’une information a été ouverte des chefs, notamment, de meurtres aggravés et dissimulation d’enfants ayant entraîné une atteinte à l’état civil ; que, par ordonnances des 27 mai 2011 et 28 janvier 2013, le juge d’instruction a, successivement, rejeté la demande de l’intéressée tendant à la constatation de la prescription de l’action publique et ordonné son renvoi devant la cour d’assises du département du Nord sous la qualification de meurtres par ascendant avec préméditation et meurtres sur mineurs de quinze ans avec préméditation ;

Sur le premier moyen :

Attendu que Mme Y… fait grief à l’arrêt de rejeter son exception de prescription de l’action publique et d’ordonner son renvoi devant la cour d’assises alors, selon le moyen :

1°/ qu’il est interdit au juge de statuer par voie de règlement, et de refuser d’appliquer la loi telle qu’elle a été votée par le Parlement, fût-ce au prétexte d’une évolution des idées, de changements sociétaux, des progrès de la science, ou d’une idée « de la bonne justice » ; qu’en refusant expressément d’appliquer l’article 7 du code de procédure pénale et la prescription qu’il édicte, la cour d’appel a excédé les pouvoirs que le juge tient de la Constitution ;

2°/ que le juge doit juger, même dans le cas d’insuffisance de la loi ; que pour apprécier le jeu de la prescription, il lui appartient, au besoin par le jeu de la charge de la preuve, de déterminer l’application de la prescription et de tirer les conséquences de l’indétermination du jour de l’infraction ; qu’en déclarant inapplicable l’article 7 du code de procédure pénale au motif de l’impossibilité de dater les faits avec précision, la chambre de l’instruction a refusé d’exercer ses pouvoirs et méconnu l’étendue de son obligation de juger ;

3°/ qu’il résulte du dossier ou de l’arrêt qu’à tout le moins sept des décès étaient certainement intervenus plus de dix ans avant le premier acte interruptif de prescription ; qu’en refusant d’appliquer la règle de la prescription au prétexte de « l’impossibilité » de la mettre en oeuvre, la chambre de l’instruction a violé les textes précités ;

4°/ que le point de départ de la prescription de l’action publique s’apprécie au jour où cette action est engagée et que l’entrée en vigueur d’une loi nouvelle modifiant ce point de départ, fût-ce pour le reporter en arrière, est immédiate ; qu’au jour de l’engagement des poursuites, le point de départ de la prescription était fixé au jour des faits, soit plus de dix ans avant l’engagement des poursuites ; qu’aucun acte interruptif de prescription n’ayant été effectué sous l’empire des lois des 10 juillet 1989 et 17 juin 1998 qui fixaient le point de départ de la prescription à la majorité de l’enfant, la prescription était acquise pour l’ensemble des faits commis dix ans avant le premier acte interruptif du 24 juillet 2010 ; que la chambre de l’instruction, en refusant d’appliquer la loi, a excédé ses pouvoirs ;

5°/ que le meurtre ou l’assassinat sont des infractions instantanées qui se prescrivent à compter du jour de leur commission ; que ne constituent pas un obstacle à l’exercice de l’action publique ni les caractéristiques physiques de l’intéressée, ni la circonstance que personne parmi son entourage familial (mari, enfants, parents), son entourage professionnel médical ou les médecins qui ont traité son épilepsie n’aurait constaté qu’elle était enceinte, ni la dissimulation des cadavres ; qu’en l’absence de toute circonstance propre à caractériser un « obstacle insurmontable » à l’exercice de l’action publique, la chambre de l’instruction a violé les textes précités ; que la cassation interviendra sans renvoi ;

6°/ que le seul fait de taire une grossesse puis de placer le cadavre du nouveau-né dans un sac poubelle après la naissance – sac poubelle au demeurant laissé en évidence dans la maison – ne caractérise pas la « dissimulation » d’un meurtre ; que la chambre de l’instruction a encore violé les textes précités ; que la cassation interviendra sans renvoi ;

7°/ qu’à supposer repris des premiers juges l’argument de la connexité, celle-ci ne peut faire revivre une prescription déjà acquise ; que dès lors que les faits sont prescrits lors de l’ouverture de l’information le 24 juillet 2010, les réquisitions ultérieures du parquet à propos de délits (au demeurant non retenus et non caractérisés) prétendument connexes à des crimes déjà prescrits étaient insusceptibles de rouvrir un délai de prescription ; que la cassation interviendra sans renvoi ;

Mais attendu que si, selon l’article 7, alinéa 1er, du code de procédure pénale, l’action publique se prescrit à compter du jour où le crime a été commis, la prescription est suspendue en cas d’obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites ;

Et attendu que l’arrêt retient que les grossesses de Mme Y…, masquées par son obésité, ne pouvaient être décelées par ses proches ni par les médecins consultés pour d’autres motifs médicaux, que les accouchements ont eu lieu sans témoin, que les naissances n’ont pas été déclarées à l’état civil, que les cadavres des nouveau-nés sont restés cachés jusqu’à la découverte fortuite des deux premiers corps le 24 juillet 2010 et que, dans ces conditions, nul n’a été en mesure de s’inquiéter de la disparition d’enfants nés clandestinement, morts dans l’anonymat et dont aucun indice apparent n’avait révélé l’existence ;

Qu’en l’état de ces constatations et énonciations procédant de son appréciation souveraine des éléments de preuve, la chambre de l’instruction, qui a caractérisé un obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites, ce dont il résultait que le délai de prescription avait été suspendu jusqu’à la découverte des cadavres, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;

Et sur le second moyen :

Attendu que Mme Y… fait grief à l’arrêt de retenir, pour chacun des meurtres dont elle est accusée, la circonstance aggravante de préméditation alors, selon le moyen, que ni le fait de prendre des précautions pour cacher des grossesses, ni celui de prendre un sac « destiné à contenir le corps de l’enfant » et des serviettes ne caractérisent le dessein de tuer le nouveau-né formé avant sa naissance, mais simplement celui d’en cacher l’existence ; que les juges du fond n’ont pas légalement caractérisé la circonstance aggravante de préméditation ni le dessein réellement forgé avant l’action dans un laps de temps suffisant de supprimer l’enfant à naître ;

Mais attendu que l’arrêt relève que Mme Y… a indiqué, au cours de l’information, avoir préparé, avant son premier accouchement, un sac plastique destiné à contenir le corps de l’enfant, et avoir fait de même avant chaque naissance, ayant même prévu de prendre avec elle un sac et des serviettes lors de son hospitalisation en 1991, et retient que le secret entourant chaque grossesse, les précautions prises pour s’isoler au moment de l’accouchement, sa détermination de ne plus avoir d’enfants, sa volonté de supprimer le fruit des relations incestueuses qu’elle dit avoir eues avec son père, outre la répétition des actes meurtriers, sont autant de charges à son encontre d’avoir prémédité ses actes homicides ;

Qu’en l’état de ces motifs suffisants et exempts de contradiction, la chambre de l’instruction a légalement justifié sa décision ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé par le président doyen faisant fonction de premier président, en son audience publique du sept novembre deux mille quatorze.

Moyens annexés au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour Mme Y…

PREMIER MOYEN DE CASSATION : Violation des articles 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, de la loi des 16-24 août 1790, des articles 34 et 64 de la Constitution, des articles 4 et 5 du code civil, des articles 6, 7, 593 du code de procédure pénale, 112-2 du code pénal, 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, excès de pouvoir ;

Il est fait grief à l’arrêt confirmatif attaqué d’avoir rejeté l’exception de prescription de l’action publique soulevée par Mme Y… et d’avoir ordonné son renvoi devant la cour d’assises ;

AUX MOTIFS à les supposer repris du premier juge, qu’aucun des crimes n’était prescrit à la date d’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 1998 disposant que pour les crimes commis contre les mineurs, le point de départ du délai de prescription était différé jusqu’à la majorité de la victime ; la loi du 9 mars 2004 ayant abrogé ces dispositions générales relatives aux crimes contre les mineurs, la prescription de l’action publique de dix ans commençait à courir à partir de l’entrée en vigueur de la loi de 2004 dont l’adoption a eu pour effet de ramener à la durée décennale le délai de prescription des crimes commis sur des mineurs pour des faits autres que ceux mentionnés à l’article 706-47 du code de procédure pénale ; que le procureur de la République ayant requis la mise en examen de Dominique X… pour dissimulation d’enfant, infraction clandestine par nature, un délit connexe à l’infraction de meurtre dont le délai de prescription court à compter de la découverte des faits le 24 juillet 2010, entraîne l’absence de prescription des meurtres ; que la loi du 10 juillet 1989 a institué une dérogation en ajoutant à l’article 7 du code de procédure pénale que lorsque la victime est mineure et que le crime a été commis par un ascendant, le délai de prescription est rouvert à partir de la majorité de la victime. La loi du 17 juin 1998 a prévu que pour l’ensemble des crimes commis contre des mineurs, le point de départ du délai de prescription était différé jusqu’à la majorité de la victime peu important que cette victime n’ait jamais pu atteindre la majorité du fait de son décès ; lors de l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 1998, aucun des faits commis n’était prescrit, le premier meurtre datant, selon toute vraisemblance du mois de décembre 1989 (1989 + 10 ans) la loi du 17 juin 1998 pouvait dès lors s’appliquer à ces faits. De plus, juste avant l’entrée en vigueur de la loi du 9 mars 2004, et compte tenu des nouveaux délais fixés par la loi du 17 juin 1998, aucun des faits commis n’était prescrit ; cette loi de 1998 prévoyait en effet de différer le point de départ de la prescription à la majorité de la victime, pour les infractions non prescrites lors de son entrée en vigueur, soit en l’espèce le plus ancien, décembre 1989, plus 18 ans plus 10 ans (2017) ; la loi du 9 mars 2004 dont résultent les dispositions de l’article 7 du code de procédure pénale est d’application immédiate. Cette loi a réduit le délai de prescription pour meurtre sur mineurs de 15 ans (…) dans le cas où la nouvelle loi réduit le délai de prescription, ce nouveau délai commence à courir, non le jour de la commission des faits, mais le jour de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, à condition toutefois que ce délai ne dépasse pas le délai initial (Crim., 25 février 1988) (…) le principe général est que la prescription plus courte s’applique immédiatement sans que le délai total puisse excéder le délai de la prescription la plus longue (…) la prescription n’était pas encore acquise le 24 juillet 2010 (premier bébé tué 1989 + 28 ans conformément à la loi de 1998) et le délai de prescription de 10 ans a commencé à courir le 9 mars 2004 ; les faits auraient donc été prescrits en 2014, le délai initial de 28 ans qui conduisait en 2017 pour les faits les plus anciens n’était pas atteint. Compte tenu de l’interruption du délai le 24 juillet 2010, aucun des faits reprochés à Mme Y… ne se trouve prescrit.

Par ailleurs, l’infraction d’assassinat de mineurs de 15 ans est clandestine par réalisation, la clandestinité se déduisant non de la nature même de l’infraction mais bien du cas d’espèce et du mode opératoire employé par Mme Y… ; (…) ; par conséquent le point de départ du délai de prescription doit être reporté au jour de l’apparition de l’infraction, le 24 juillet 2010, date à laquelle le ministère public s’est trouvé en position de mettre en mouvement l’action publique (24 juillet 2010 + 10 ans) ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE force est de constater que pour chacune des infractions, le jour précis de leur commission n’a pu être défini, rendant par là-même impossible la fixation, avec la précision qui s’impose, du point de départ du délai de prescription retenu par la chambre criminelle de la Cour de cassation et consacré par l’article 7, alinéas 1 et 2, du code de procédure pénale ; une telle imprécision dans la datation du jour des crimes pose très concrètement la difficulté insurmontable de répondre à la question de la prescription, et en particulier pour le dernier d’entre eux (…) ; le premier acte susceptible d’interrompre la prescription de l’action publique est intervenu le 24 juillet 2010 ; il ne ressort de la procédure aucun élément véritablement probant de nature à permettre de dire si le huitième meurtre, situé vaguement entre juin 2000 et mi-octobre 2000, a été commis avant ou après le 24 juillet 2000 ; ainsi, faute d’avoir pu déterminer précisément le jour de la commission du crime, les dispositions de l’article 7 du code de procédure pénale ne sauraient utilement trouver application ; (…) ; il est avéré que les grossesses de Dominique Y…, dissimulées par sa forte obésité, étaient manifestement indécelables par ses proches ou des médecins consultés pour d’autres motifs médicaux ; les accouchements ont eu lieu sans témoin ; les naissances n’ont pas été déclarées à l’état civil ; les cadavres des nouveau-nés sont restés cachés jusqu’à la découverte fortuite des deux premiers corps le 24 juillet 2010 ; quiconque n’a été en mesure de s’inquiéter de la disparition d’enfants nés clandestinement, morts dans l’anonymat et dont le moindre indice apparent n’a révélé l’existence physique ; ainsi, dans de telles circonstances de fait, l’autorité de poursuite s’est indéniablement trouvée dans l’impossibilité d’agir, seule la découverte des restes des nouveau-nés ayant établi la réalité de leur existence jusqu’alors insoupçonnée et ayant permis l’exercice de l’action publique ; Dominique Y… a clairement reconnu avoir tout mis en oeuvre pour que ses maternités et méfaits passent complètement inaperçus ; elle s’est expliquée sur les stratagèmes et les moyens qu’elle avait utilisés à cette fin ; la chambre criminelle a depuis un certain temps créé, puis alimenté des catégories d’infractions dites « dissimulée », avec l’effet de retarder le point de départ de la prescription au jour où l’infraction est révélée ; l’infraction « dissimulée » n’est pas, à la différence de l’infraction « clandestine », occulte par nature ; en effet, la dissimulation consiste à masquer la réalité de l’infraction par des manoeuvres d’occultation, à cacher ce qui est, notamment par des artifices ; l’infraction « dissimulée » implique un acte intentionnel d’occultation de la part de son auteur, ce qui a été le cas pour Dominique Y… ; ce n’est donc pas la nature même du crime qui justifie le report du point de départ de la prescription, mais bien les circonstances dans lesquelles les actes constitutifs de l’infraction ont été accomplis de façon occulte ; lorsque l’auteur de l’infraction utilise des manoeuvres pour en dissimuler l’existence, le délai de prescription ne court qu’à partir du jour où le crime est connu ; ainsi la chambre criminelle a jugé, pour le délit de trafic d’influence, que bien qu’il s’agisse d’une infraction instantanée, comme le meurtre, le délai de prescription de l’action publique ne commence à courir, en cas de dissimulation, qu’à partir du jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice des poursuites ; si la chambre criminelle n’a pas retenu une telle solution en ce qui concerne les crimes de meurtre ou d’assassinat, y compris perpétrés sur un mineur, les sénateurs ont estimé, dans un rapport du 20 juin 2007, que le principe dégagé par la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de prescription, pour des infractions dissimulées à caractère économique ou financier, pourrait être opportunément étendu à d’autres domaines du droit pénal, et en particulier aux crimes dissimulés par leur auteur ; cette tendance adoptée par le Sénat illustre et consacre une évolution manifeste des règles de la prescription, liée à des changements sociétaux profonds et rapides, d’ordre moral et philosophique ; dans toute société démocratique digne de ce nom, dite civilisée, le contrat social a pour objectif premier la protection du plus faible ; cette nécessaire défense des plus démunis présente une acuité d’autant plus intense que le monde moderne est de plus en plus exposé à des formes variées de violence particulièrement dévastatrice ; une telle prise de conscience n’a pas échappé à la communauté internationale, la justice européenne ayant affirmé que le droit à la vie constituait un attribut inaliénable de la personne humaine et formait la valeur suprême dans l’échelle des droits de l’homme ; les mineurs et a fortiori les nouveau-nés rentrent naturellement dans la catégorie des personnes les plus vulnérables, dont les capacités de défense sont des plus réduites, voire inexistantes ; les crimes dont ils sont l’objet doivent par conséquent recevoir un traitement particulier et adapté ; les sociétés contemporaines ne tolèrent plus certains comportements et n’admettent plus aussi facilement l’oubli qu’auparavant ; elles ont, dans cet esprit, fait évoluer sensiblement leur législation, en particulier en matière de prescription ; à cet égard le principe d’imprescriptibilité a gagné du terrain et a été quasi universellement adopté pour les crimes contre l’humanité ; les crimes de sexe et de sang, en particulier commis sur des enfants et qui plus est sur des nouveau-nés, sont considérés comme des atrocités que la société se refuse de plus en plus d’accepter et d’oublier ; aujourd’hui les moyens modernes de communication et d’information non seulement amplifient la perception de l’horreur, mais également perpétuent le principe du souvenir ; force est de constater que pour de telles infractions, qui plus est lorsqu’elles sont dissimulées, l’une des justifications de la prescription consistant en ce qu’au bout d’un certain temps, la paix publique commande d’oublier l’infraction et non d’en raviver le souvenir, ce qui troublerait l’opinion, n’a plus vraiment sa raison d’être ; en effet d’une part, l’on ne peut oublier que ce que l’on a d’abord connu, d’autre part l’oubli, si tant est qu’il soit possible, d’affaires pénales de cette nature risque davantage de nos jours de heurter les consciences et de saper les fondements vitaux comme moraux de la société que de conduire à l’apaisement ; le législateur a entendu, au cours de ces dernières décennies, retarder et allonger le délai de prescription notamment pour certaines infractions commises sur des mineurs ; en effet dès 1989, il a été introduit dans notre droit positif la notion de réouverture du délai de prescription pour la même durée de 10 années à compter de la majorité d’une victime mineure ; la loi du 9 mars 2004 a consacré et amplifié cette évolution en prévoyant, pour les infractions à caractère sexuel et les violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente, perpétrées sur des mineurs, que le délai de prescription non seulement ne commençait à courir qu’à partir de la majorité de ceux-ci mais était également porté de 10 à 20 ans ; si la société a manifestement souhaité renforcer de manière significative la protection de ses membres faisant partie des plus fragiles lorsqu’ils font l’objet de violences particulièrement graves, il est impensable qu’elle ait délibérément écarté de ce champ d’action le meurtre et l’assassinat de mineurs ; par ailleurs la science, en progrès constant, permet de repousser dans le temps, presque à l’infini, la possibilité de parvenir à la manifestation de la vérité ; cette donnée renforce encore, par la force des choses, le devoir de mémoire comme le refus de toute impunité pour les événements qui heurtent profondément et durablement la conscience humaine ; la norme qui s’impose est celle qui est acceptée du plus grand nombre et qui, dans un souci d’équilibre et de cohérence du système juridique, sert l’intérêt général, en écartant de facto toute impunité catégorielle, en particulier celle du serviteur du crime parfait ; ainsi il serait faire oeuvre de bonne justice que d’étendre à toutes les infractions l’exception au principe dégagé par l’article 7, alinéas 1 et 2, du code de procédure pénale, selon laquelle lorsque l’infraction est clandestine ou dissimulée, la prescription serait suspendue par un obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites et son point de départ ne commencerait à courir qu’à compter du jour où cet obstacle a disparu ; au vu de tout ce qui précède, en l’absence de fixation précise du jour de la commission des faits, rendant par là-même inapplicable le principe posé en matière de prescription par l’article 7 du code de procédure pénale, alors même que les circonstances de fait ont placé l’autorité de poursuite dans l’impossibilité absolue d’agir jusqu’à la découverte des premiers cadavres des nouveau-nés le 24 juillet 2010, il y a lieu de retenir cette date comme le point de départ du délai décennal de la prescription des crimes imputés à Dominique Y… ;

1° ALORS QU’il est interdit au juge de statuer par voie de règlement, et de refuser d’appliquer la loi telle qu’elle a été votée par le Parlement, fût-ce au prétexte d’une évolution des idées, de changements sociétaux, des progrès de la science, ou d’une idée « de la bonne justice » ; qu’en refusant expressément d’appliquer l’article 7 du code de procédure pénale et la prescription qu’il édicte, la cour d’appel a excédé les pouvoirs que le juge tient de la Constitution ;

2° ALORS QUE le juge doit juger, même dans le cas d’insuffisance de la loi ; que pour apprécier le jeu de la prescription, il lui appartient, au besoin par le jeu de la charge de la preuve, de déterminer l’application de la prescription et de tirer les conséquences de l’indétermination du jour de l’infraction ; qu’en déclarant inapplicable l’article 7 du code de procédure pénale au motif de l’impossibilité de dater les faits avec précision, la chambre de l’instruction a refusé d’exercer ses pouvoirs et méconnu l’étendue de son obligation de juger ;

3° ALORS QU’il résulte du dossier ou de l’arrêt qu’à tout le moins sept des décès étaient certainement intervenus plus de dix ans avant le premier acte interruptif de prescription ; qu’en refusant d’appliquer la règle de la prescription au prétexte de « l’impossibilité » de la mettre en oeuvre, la chambre de l’instruction a violé les textes précités ;

4° ALORS QUE le point de départ de la prescription de l’action publique s’apprécie au jour où cette action est engagée et que l’entrée en vigueur d’une loi nouvelle modifiant ce point de départ, fût-ce pour le reporter en arrière, est immédiate ; qu’au jour de l’engagement des poursuites, le point de départ de la prescription était fixé au jour des faits, soit plus de dix ans avant l’engagement des poursuites ; qu’aucun acte interruptif de prescription n’ayant été effectué sous l’empire des lois des 10 juillet 1989 et 17 juin 1998 qui fixaient le point de départ de la prescription à la majorité de l’enfant, la prescription était acquise pour l’ensemble des faits commis dix ans avant le premier acte interruptif du 24 juillet 2010 ; que la chambre de l’instruction en refusant d’appliquer la loi a excédé ses pouvoirs ;

5° ALORS QUE le meurtre ou l’assassinat sont des infractions instantanées qui se prescrivent à compter du jour de leur commission ; que ne constituent pas un obstacle à l’exercice de l’action publique ni les caractéristiques physiques de l’intéressée, ni la circonstance que personne parmi son entourage familial (mari, enfants, parents), son entourage professionnel médical ou les médecins qui ont traité son épilepsie n’aurait constaté qu’elle était enceinte ni la dissimulation des cadavres ; qu’en l’absence de toute circonstance propre à caractériser un « obstacle insurmontable » à l’exercice de l’action publique, la chambre de l’instruction a violé les textes précités ; que la cassation interviendra sans renvoi ;

6° ALORS QUE le seul fait de taire une grossesse puis de placer le cadavre du nouveau-né dans un sac poubelle après la naissance – sac poubelle au demeurant laissé en évidence dans la maison – ne caractérise pas la « dissimulation » d’un meurtre ; que la chambre de l’instruction a encore violé les textes précités ; que la cassation interviendra sans renvoi ;

7° ALORS QU’à supposer repris des premiers juges l’argument de la connexité, celle-ci ne peut faire revivre une prescription déjà acquise ; que dès lors que les faits sont prescrits lors de l’ouverture de l’information le 24 juillet 2010, les réquisitions ultérieures du parquet à propos de délits (au demeurant non retenus et non caractérisés) prétendument connexes à des crimes déjà prescrits étaient insusceptibles de rouvrir un délai de prescription ; que la cassation interviendra sans renvoi.

SECOND MOYEN DE CASSATION : violation des articles 295, 296, 297, 300, 302 (anciens) du code pénal, 137-72, 221-1, 221-3, 221-4 (nouveaux) du code pénal, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

EN CE QUE l’arrêt confirmatif attaqué a ordonné la mise en accusation de Mme Y… devant la cour d’assises du Nord pour avoir :

« à Villers au Tertre, entre le premier et le 31 décembre 1989, et entre le 25 mars 1991 et le 28 février 1994, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non prescrit, avec préméditation, volontairement donné la mort à trois enfants nouveau-nés avec cette circonstance que les faits ont été commis par la mère des enfants » ;

« à Villers au Tertre, entre le 1er mars 1994 et le 1er juillet 2007, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non prescrit, avec préméditation, volontairement donné la mort à cinq mineurs de quinze ans » ;

AUX MOTIFS QUE « les charges existant sur la circonstance de préméditation de ces meurtres, circonstance au demeurant non contestée dans le mémoire produit, apparaissent également suffisantes.

En effet, Dominique X… épouse Y… a précisément indiqué au cours de l’information avoir préparé avant son premier accouchement un sac plastique destiné à contenir le corps de l’enfant, et avoir fait de même avant chaque accouchement, ayant même prévu de prendre avec elle un sac et des serviettes lors de son hospitalisation de 1991.

Par ailleurs, le secret entourant chaque grossesse, les précautions prises pour s’isoler au moment de l’accouchement, sa détermination de ne plus avoir d’enfants après les deux premiers, sa volonté de supprimer le fruit éventuel des relations incestueuses qu’elle dit avoir eues avec son père, les éléments ressortant des expertises psychologiques et psychiatriques diligentées, outre la répétition des actes meurtriers, sont autant de charges à l’encontre de Dominique X… d’avoir prémédité les homicides » ;

ALORS QUE ni le fait de prendre des précautions pour cacher des grossesses, ni celui de prendre un sac « destiné à contenir le corps de l’enfant » et des serviettes ne caractérisent le dessein de tuer le nouveau-né formé avant sa naissance, mais simplement celui d’en cacher l’existence ; que les juges du fond n’ont pas légalement caractérisé la circonstance aggravante de préméditation ni le dessein réellement forgé avant l’action dans un laps de temps suffisant de supprimer l’enfant à naître.

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Cour de cassation, Assemblée plénière, 7 novembre 2014, 14-83.739, Publié au bulletin