Conseil d'État, 20 mars 2019, 428748, Inédit au recueil Lebon

  • Arme·
  • Justice administrative·
  • Juge des référés·
  • Ordre·
  • Maintien·
  • Tribunaux administratifs·
  • Utilisation·
  • Atteinte·
  • Conseil d'etat·
  • Police nationale

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CE, 20 mars 2019, n° 428748
Juridiction : Conseil d'État
Numéro : 428748
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Décision précédente : Tribunal administratif de Lyon, 21 février 2019, N° 1901311
Dispositif : Non-lieu
Identifiant Légifrance : CETATEXT000038279178
Identifiant européen : ECLI:FR:CEORD:2019:428748.20190320

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Mme C… E… a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lyon, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, d’enjoindre au préfet du Rhône de prendre toutes mesures utiles afin de garantir le respect effectif de son droit de manifester lors de la manifestation du 23 février 2019 et, le cas échéant, les suivantes, en deuxième lieu, d’enjoindre au préfet du Rhône de prendre toutes mesures utiles pour faire cesser le risque d’atteintes graves et caractérisées à son intégrité physique dans le cadre de ces manifestations, notamment en s’abstenant de faire participer au dispositif de maintien de l’ordre toutes unités non spécialisées dans ces opérations, en procédant au retrait des armes de force intermédiaire les plus dangereuses, notamment des lanceurs de balle de défenseB… 40, ou toute autre arme susceptible de lui occasionner des blessures graves, subsidiairement en interdisant à toute unité non spécialisée dans le maintien de l’ordre d’utiliser de telles armes, et en diffusant aux forces de l’ordre une note écrite leur rappelant leurs obligations déontologiques et le cadre juridique d’emploi de leur matériel, notamment des armes typeB… 40, en troisième lieu, de dire que l’ordonnance sera exécutoire aussitôt qu’elle aura été rendue, en application des dispositions de l’article R. 522-13 du code de justice administrative, en quatrième lieu, de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 500 euros, en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Par une ordonnance n° 1901311 du 22 février 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a rejeté ses demandes.

Par une requête, enregistrée le 11 mars 2019 au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d’Etat, Mme E… demande au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d’annuler cette ordonnance ;

2°) d’enjoindre au préfet du Rhône de prendre toutes mesures utiles afin de garantir le respect effectif de son droit à manifester lors de la manifestation du samedi 16 mars 2019 à Lyon et, le cas échéant, les suivantes ;

3°) d’enjoindre au préfet du Rhône de prendre toutes mesures utiles pour faire cesser le risque d’atteintes graves et caractérisées à son intégrité physique dans le cadre de ces manifestations ;

4°) de dire que l’ordonnance sera exécutoire aussitôt qu’elle aura été rendue, en application des dispositions de l’article R. 522-13 du code de justice administrative ;

5°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 – la condition d’urgence serait remplie du fait de l’imminence des manifestations auxquelles elle entend participer, des atteintes déjà subies et dont elle veut éviter le renouvellement, ainsi que l’absence de tout autre recours effectif au sens de l’article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

 – des atteintes graves et manifestement illégales seraient portées au droit à ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants et à la liberté de manifester ;

 – ces atteintes résulteraient du caractère habituel des infractions aux règles d’utilisation des armes de force intermédiaire, de l’absence de protection effective par les « caméras-piétons », de leur dangerosité dans le cadre du maintien de l’ordre, de la formation insuffisante des agents en faisant usage, du caractère inutile du recours à ces armes en raison de l’existence d’alternatives ;

 – l’atteinte serait grave et manifestement illégale dès lors que le non-respect des règles encadrant l’utilisation de ces armes serait intentionnel, et que le recours à ces armes aurait pour objet de dissuader l’exercice de la liberté de manifester.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu l’ordonnance du juge des référés du Conseil d’Etat, n° 427386, du 1er février 2019 ;

Vu le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ». En vertu de l’article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d’urgence n’est pas remplie ou lorsqu’il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu’elle est irrecevable ou qu’elle est mal fondée.

2. Aux termes des premier, sixième et septième alinéas de l’article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure, un attroupement, au sens de l’article 431-3 du code pénal, c’est-à-dire tout rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l’ordre public : « (…) peut être dissipé par la force publique après deux sommations de se disperser demeurées sans effet (…) / Toutefois, les représentants de la force publique appelés en vue de dissiper un attroupement peuvent faire directement usage de la force si des violences ou voies de fait sont exercées contre eux ou s’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent. / Les modalités d’application des alinéas précédents sont précisées par un décret en Conseil d’Etat (…) ». Aux termes de l’article R. 211-13 du même code : « L’emploi de la force par les représentants de la force publique n’est possible que si les circonstances le rendent absolument nécessaire au maintien de l’ordre public dans les conditions définies par l’article L. 211-9. La force déployée doit être proportionnée au trouble à faire cesser et son emploi doit prendre fin lorsque celui-ci a cessé ». Aux termes de son article R. 211-18 : « Sans préjudice des articles 122-5 et 122-7 du code pénal, peuvent être utilisées dans les deux cas prévus au sixième alinéa de l’article L. 211-9 du présent code (…) les armes à feu des catégories A, B et C adaptées au maintien de l’ordre correspondant aux conditions de ce sixième alinéa, entrant dans le champ d’application de l’article R. 311-2 et autorisées par décret ». Il résulte des dispositions de l’article R. 211-19 du code de la sécurité intérieure que l’arme à feu dénommée « Lanceur de balles de défense de 40 mm », qui constitue une arme de catégorie A2 visée par le 4° de l’article R. 311-2 du même code, ainsi que ses munitions, qui sont de catégorie B, sont susceptibles d’être utilisées par les représentants de la force publique pour le maintien de l’ordre public en application de l’article R. 211-18 du code de la sécurité intérieure. Enfin, en vertu de l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure, les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie peuvent faire usage de leurs armes « en cas d’absolue nécessité et de manière proportionnée » dans les cas mentionnés à cet article et à l’article L. 211-9 précité du même code.

3. Par une instruction des 27 juillet et 2 août 2017 le ministre de l’intérieur a rappelé aux services de la police nationale et aux unités de la gendarmerie nationale les conditions dans lesquelles devaient être utilisées les armes à feu dites « de force intermédiaire » (AFI). L’instruction indique que l’emploi des AFI permet une réponse graduée et proportionnée à une situation de danger lorsque l’emploi légitime de la force s’avère nécessaire. Au nombre de ces armes, figurent les lanceurs de balles de défense de calibre 40 mm (« B… de 40 mm »), dont les conditions d’emploi sont indiquées à l’annexe II de l’instruction. Cette annexe rappelle que l’utilisation du B… de 40 mm est « autorisée seulement lorsque les conditions légales sont réunies », c’est-à-dire dans les cas visés aux articles 112-5 et 122-7 du code pénal ainsi qu’aux articles L. 211-9, 6e alinéa, et L. 431-5 du code de la sécurité intérieure, et qu’elle est soumise aux principes de nécessité et de proportionnalité. Elle précise que l’affectation d’un B… de 40 mm est temporaire et doit répondre aux besoins d’une mission, qu’une habilitation individuelle, soumise à une formation initiale, est préalable à tout port de cette arme et que le maintien de cette habilitation est assujetti aux résultats d’une formation continue. Elle comporte également les précautions d’emploi du B… de 40 mm. A… ce titre, il est indiqué que le tireur doit, dans la mesure du possible, s’assurer que les tiers éventuellement présents se trouvent hors d’atteinte, afin de limiter les risques de dommages collatéraux, et doit prendre en compte les différents paramètres (distance de tir, mobilité de la personne…) qui conditionnent l’efficacité du tir. Le tireur doit aussi, lorsque les circonstances le permettent, éviter de recourir au B… quand la personne présente un état de vulnérabilité manifeste et tenir compte, autant que possible, des risques liés à la chute de la personne visée après l’impact reçu. Enfin, l’instruction énonce que la tête ne doit jamais être visée et que le tireur doit privilégier le torse de préférence aux membres supérieurs et inférieurs. Ces conditions d’utilisation ont été rappelées aux services concernés par des télégrammes du ministre de l’intérieur des 15 et 16 janvier 2019 adressés aux services concernés respectivement de police et de gendarmerie.

4. Enfin, le 23 janvier 2019, afin de pouvoir s’assurer des conditions d’utilisation du B… de 40 mm, le ministre de l’intérieur a donné, en outre, instruction par télégramme aux autorités concernées de doter, dans toute la mesure du possible, les porteurs de B… d’une caméra-piéton, à fixation ventrale de préférence, ou de prévoir un binôme porteur de B…/porteur de caméra et d’inviter, dans tous les cas, les porteurs de caméra à enregistrer les conditions dans lesquelles le B… a été utilisé.

5. Il résulte de l’instruction diligentée par le juge des référés du tribunal administratif de Lyon que Mme E… a été blessée le 16 février 2019 au cours d’une manifestation dite de « gilets jaunes ». Par une requête, enregistrée le 19 février 2019, Mme E… a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lyon, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, d’enjoindre au préfet du Rhône afin de garantir son droit à manifester et son intégrité physique, de s’abstenir d’avoir recours à des unités non spécialisées dans le maintien de l’ordre, de retirer les armes de force intermédiaire les plus dangereuses, et notamment le lanceur de balles de défenseB… 40, subsidiairement d’interdire aux unités non spécialisées l’usage de telles armes, enfin de diffuser aux forces de l’ordre une note écrite leur rappelant leurs obligations déontologiques et le cadre juridique. Par l’ordonnance attaquée en date du 22 février 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a rejeté ses demandes. Mme E… demande au juge des référés du Conseil d’Etat d’annuler cette ordonnance.

6. Le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a rejeté la demande en considérant qu’il n’y avait pas d’atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de manifester et à celle de ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants. Pour ce faire, il a considéré, en premier lieu, qu’il n’est pas établi que le lanceur de balles de défense ait été employé par des unités non formées, ni que le préfet du Rhône ait eu l’intention de méconnaître les conditions d’usage de telles armes, ou même de tolérer leur violation, qu’au contraire, des instructions ont été adressées aux forces de l’ordre rappelant les règles de nécessité et de proportionnalité, ainsi que les conditions techniques d’utilisation, en deuxième lieu, qu’il n’est pas établi que la violence des affrontements soit le résultat des modalités de la gestion du maintien de l’ordre par les services de l’Etat, en troisième lieu, qu’il ressort de l’instruction que les forces de police font preuve de mesure dans l’utilisation de ces armes, et n’y ont pas recours lorsque ce n’est pas nécessaire, en quatrième lieu, que le recours à ces armes s’avère indispensable dans certaines circonstances de maintien et de défense de l’ordre public, en cinquième lieu, qu’il n’est pas établi que les règles relatives à l’utilisation de ces armes sont enfreintes de manière habituelle et, en sixième lieu, que les brigades anti-criminalité de la police nationale concourent à la lutte contre les phénomènes de violences urbaines, de sorte qu’elles pouvaient être intégrées à des dispositifs de maintien de l’ordre.

Sur les conclusions relatives à la manifestation du samedi 16 mars 2019 :

7. Les conclusions relatives à la manifestation du samedi 16 mars 2019 sont devenues sans objet. Il n’y a, dès lors, pas lieu d’y statuer.

Sur les conclusions relatives aux éventuelles manifestations suivantes :

8. La requérante se borne en appel à contester la solution donnée en première instance. Elle n’apporte en appel aucun élément susceptible d’infirmer la solution retenue par les premiers juges. Il y a donc lieu de rejeter sa requête selon la procédure prévue à l’article L. 522-3 du code de justice administrative.

9. Il résulte de ce qui précède que l’appel de Mme E… ne peut être accueilli. Il n’y a pas lieu de faire droit à ses conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.


O R D O N N E :

------------------

Article 1er : Il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions de Mme E… relatives à la manifestation du 16 mars 2019.

Article 2 : La requête de Mme E… est rejetée pour le surplus.


Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme E….

Copie en sera adressée à Maître D…

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Conseil d'État, 20 mars 2019, 428748, Inédit au recueil Lebon