CEDH, TRUFFAUT c. FRANCE, 12 octobre 2020, 65304/17

  • Maire·
  • Propos·
  • Conseil municipal·
  • Citoyen·
  • Police judiciaire·
  • Police municipale·
  • Diffamation publique·
  • Mandat·
  • Véhicules de fonction·
  • Armée

Chronologie de l’affaire

Commentaire1

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

CEDH

Communiqué de presse sur les affaires 7610/15, 698/19, 57642/12, 54217/16, 38048/18, 47695/14, 41055/12, 42296/09, 71805/11, 75089/13, …

 
Testez Doctrine gratuitement
pendant 7 jours
Vous avez déjà un compte ?Connexion

Sur la décision

Référence :
CEDH, 12 oct. 2020, n° 65304/17
Numéro(s) : 65304/17
Type de document : Affaire communiquée
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Affaire communiquée
Identifiant HUDOC : 001-205935
Télécharger le PDF original fourni par la juridiction

Texte intégral

Communiquée le 12 octobre 2020

Publié le 2 novembre 2020

CINQUIÈME SECTION

Requête no 65304/17
Denis TRUFFAUT
contre la France
introduite le 1er septembre 2017

EXPOSÉ DES FAITS

Le requérant, M. Denis Truffaut, est un ressortissant français né en 1984 et résidant à Arcueil. Il est représenté devant la Cour par Me F. Pichon, avocat exerçant à Paris.

  1. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

Le requérant fut élu conseiller municipal à Arcueil en 2014 sous l’étiquète du Front National, à l’issue d’une campagne durant laquelle il appelait notamment à la création d’une police municipale armée.

Le 7 janvier 2015, Chérif et Saïd Kouachi perpétrèrent un attentat contre le journal Charlie Hebdo à Paris. Onze personnes furent assassinées.

Le 8 janvier 2015, Amedy Coulibaly assassina une policière municipale et blessa grièvement une autre personne à Montrouge, à côté d’Arcueil. Il se rendit ensuite à Arcueil, où il abandonna son véhicule. Le 9 janvier 2015, il prit en otage les clients d’une supérette casher porte de Vincennes à Paris et assassina quatre personnes.

  1. La réunion du conseil municipal du 15 janvier 2015

Le 15 janvier 2015, lors d’une réunion du conseil municipal d’Arcueil à l’ordre du jour de laquelle figurait un point relatif à l’octroi d’un véhicule de fonction au maire, le requérant tint les propos suivants :

« Alors monsieur le maire, vous le savez probablement, car vos services ont émis un titre exécutoire de prélèvement sur mon salaire professionnel, que j’occupe en dehors de mon mandat de conseiller municipal une fonction professionnelle de responsable d’équipe. Et lorsque les membres de mon équipe remplissent leurs objectifs, qu’ils se défoncent chaque jour et qu’ils font du bon travail, je n’ai aucun problème pour les récompenser à la hauteur de leur engagement. Mais monsieur le maire, lorsque j’apprends que la commune est endettée à hauteur de 20 millions d’euros, lorsque j’observe que vous avez démissionné, en pratique, de vos fonctions d’officier de police judiciaire, lorsque je constate que vous avez laissé circuler librement des terroristes, comme Amedy Coulibaly, sur le territoire d’Arcueil, ce qui a conduit, ce qui a conduit, permettez-moi, à la tragédie de Vincennes, une tragédie qui aurait pu être évitée, évitée, si vous aviez daigné assumer vos responsabilités. Si vous aviez daigné assumer vos responsabilités d’officier de police judiciaire en appliquant le programme du Front National, c’est-à-dire 50 à 100 agents de police municipale. La policière municipale qui a été tuée à Montrouge l’a été parce qu’elle n’était pas armée, elle était isolée, elle était seule, elle était en brigade toute seule. Effectivement, si on avait eu une police municipale d’envergure, armée et équipée, on n’aurait probablement pas eu ce problème. Alors monsieur le maire, disons-le franchement, vous ne remplissez pas vos obligations, que ce soit vis-à-vis du budget, la commune étant endettée à hauteur de 20 millions d’euros, ou que ce soit vis-à-vis de votre fonction d’officier de police judiciaire. Pour le Front National, vous ne faites pas correctement votre travail, et je ne vois pas au nom de quoi vous oseriez réclamer dans ce conseil municipal ce soir, que l’on vous vote un véhicule de fonction, pour vous, comme pour votre directeur général des services. Nous voterons bien évidemment contre cette délibération. »

Le 5 mars 2015, le maire d’Arcueil cita le requérant à comparaître devant le tribunal de grande instance de Créteil pour diffamation publique envers un citoyen chargé d’un mandat public à raison des propos suivants :

« lorsque j’observe que vous avez démissionné, en pratique, de vos fonctions d’officier de police judiciaire, lorsque je constate que vous avez laissé circuler librement des terroristes, comme Amedy Coulibaly, sur le territoire d’Arcueil, ce qui a conduit, ce qui a conduit, permettez-moi, à la tragédie de Vincennes, une tragédie qui aurait pu être évitée, évitée, si vous aviez daigné assumer vos responsabilités. Si vous aviez daigné assumer vos responsabilités d’officier de police judiciaire en appliquant le programme du Front National. »

  1. Le jugement du tribunal de grande instance de Créteil du 27 octobre 2015

Le 27 octobre 2015, le tribunal de grande instance de Créteil déclara le requérant coupable du délit de diffamation publique envers un citoyen chargé d’un mandat public. Le jugement est ainsi motivé :

« (...) Il est établi que [le requérant] a tenu des propos susmentionnés dans le cadre d’un conseil municipal du 15 janvier 2015, en s’adressant [au maire] en sa qualité de maire de la commune d’Arcueil.

[Le requérant] reproche [au maire] d’avoir laissé circuler librement des terroristes comme Amedy Coulibaly, ce qui a conduit à la tragédie de Vincennes, qui aurait pu être évitée s’il n’avait pas démissionné de ses fonctions d’officier de police judiciaire. Ces faits, précis puisqu’est cité Amedy Coulibaly, auteur de la prise d’otage sanglante de Vincennes, apparaissent diffamatoires dans la mesure où le maire est accusé d’avoir une part certaine de responsabilité dans les attentats terroristes ayant conduit à la mort de citoyens, en ayant démissionné de ses fonctions d’officier de police judiciaire, alors même que la loi lui octroie ces fonctions en sa qualité de maire (article 16 du code de procédure pénale). Les propos tenus caractérisent l’élément matériel de l’infraction.

[Le requérant] se prévaut de l’absence d’élément intentionnel.

 S’agissant tout d’abord de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881, il convient de relever que cette disposition législative, accordant une immunité pour les propos tenus dans le cadre d’une assemblée parlementaire, est inapplicable au cas d’espèce, les propos étant énoncés dans le cadre d’un conseil municipal.

Il convient ensuite de rappeler que l’exception de bonne foi suppose quatre conditions cumulatives, la prudence dans l’expression, l’absence d’animosité ou d’attaque personnelle, le sérieux de l’enquête et la légitimité du but poursuivi, qui s’apprécie de manière plus souple dans le cadre d’une confrontation politique. En l’espèce, force est de constater que ces propos n’ont pas été tenus dans le cadre d’une période préélectorale. Par ailleurs, si ce discours a été tenu à sept jours des attentats terroristes de Vincennes, il intervient non par suite à la minute de silence en début de ce conseil municipal mais à l’occasion d’une question relative à l’octroi d’un véhicule de fonction. Dès lors, il ne s’agit pas d’une seule opposition politique, justifiée par un débat d’intérêt général, ou même local, comme le soutient [le requérant]. Le véhicule de fonction n’était qu’un prétexte et non un motif impérieux pour tenir ces accusations diffamatoires. Dès lors, ces propos ne peuvent être considérés comme s’inscrivant dans un contexte politique.

Par conséquent ; il convient de déclarer [le requérant] coupable du chef de diffamation publique envers un citoyen chargé d’un mandat public.

Au regard de l’absence d’antécédent judiciaire et du cercle restreint dans lequel [le requérant] a tenu ces propos, il convient de prononcer à son encontre une amende de 500 EUR (...) »

En plus de l’amende de 500 euros (EUR), le tribunal condamna le requérant à payer au maire, partie civile, 500 EUR pour dommage-intérêt, et 800 EUR au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale. Il ordonna par ailleurs la publication du communiqué suivant dans le bulletin mensuel d’information municipal d’Arcueil et sur la page d’accueil du site Internet de la commune :

« Par jugement rendu le 27 octobre 2015 par [le] tribunal de grande instance de Créteil, M. Denis Truffaut, à raison de propos tenus lors de la séance du conseil municipal de la ville le 15 janvier 2015, a été condamné pour diffamation publique envers un citoyen chargé d’un mandat public, en l’espèce M. (...), maire de la commune d’Arcueil. »

  1. L’arrêt de la cour d’appel de Paris du 12 mai 2016

Saisie par le requérant, la cour d’appel de Paris confirma pour l’essentiel le jugement du tribunal de grande instance, ordonnant en plus la publication du communiqué judiciaire sur la page d’accueil du site Interne du Front National local, et condamnant le requérant à payer au maire 1 200 EUR en application de l’article 475-1 du code de procédure pénale au titre ses frais exposés devant elle. Prononcé le 12 mai 2016, l’arrêt de la Cour d’appel de Paris est ainsi motivé :

« (...) Sur la nullité du jugement

Considérant que [le requérant] soutient que son conseil a été empêché d’exercer son droit de poser des questions [à la partie civile], la question en l’occurrence étant de savoir si le maire de la commune partageait l’esprit de Charlie Hebdo, et qu’il a été ainsi porté gravement atteinte au droit à un procès équitable tel que défini par l’article 6 de la CEDH et la jurisprudence ;

Considérant toutefois que les notes d’audience prises par le greffier, en toute autonomie, ainsi que le rappelle [le requérant lui-même], ne font nullement état d’un quelconque incident qui serait survenu au cours des débats, susceptible de traduire un sentiment d’hostilité de la part du tribunal ; que l’attestation produite par le prévenu, dont les termes sont contraires à l’attestation produite par la patrie civile, ne peut pas plus être retenue comme démonstrative de la partialité dont aurait fait preuve le président d’audience, et ce d’autant moins qu’il n’est pas contesté que les termes mêmes de la décision ne sont nullement révélateurs de cette supposée partialité ; que l’exception de nullité sera en conséquence rejetée ;

Sur le caractère diffamatoire des propos poursuivis

Considérant qu’il n’est plus contesté devant la cour qu’imputer [au maire] d’avoir abandonné les fonctions d’officier de police judiciaire dont il est investi en sa qualité de maire, notamment en laissant circuler sur le territoire de la commune un terroriste, et d’être ainsi responsable d’une tragédie qui aurait pu être évitée, est diffamatoire, ces propos, qui ont été tenus une semaine après la prise d’otage et les assassinats survenus à Vincennes, désignant la partie civile pour être, du fait de son inaction, pour partie responsable de crimes d’une extrême gravité et d’avoir ainsi gravement manqué aux obligations liées à sa charge, comportement contraire à l’honneur et la considération d’un citoyen chargé d’un mandat public ;

Considérant qu’il résulte clairement des termes de l’article 41 de la loi sur la presse que l’immunité ne s’applique qu’aux propos tenus dans le cadre de l’Assemblée nationale et Sénat ; que l’exception qui résulte de ce texte ne peut être étendue aux propos tenus dans d’autres enceintes, assemblées territoriales ou locales, entre autres ;

Sur l’excuse de bonne foi

Considérant que [le requérant], qui s’est certes exprimé en qualité d’opposant politique au maire de la commune d’Arcueil, fait valoir que, dans le cadre du débat démocratique qui doit s’instaurer au sein du conseil municipal, il a voulu manifester, dans le contexte d’une actualité brûlante, son désaccord sur le refus de maire à mettre en place une police municipale armée, au moment où allait être soumis au vote de l’assemblée l’attribution au maire d’un véhicule de fonction ;

Considérant que le débat politique, s’il permet une plus grande liberté d’expression, ne saurait autoriser les attaques, d’une part, dénuées de toute base factuelle, aucun lien ne pouvant être opéré entre le déroulement tragique des événements évoqués par [le requérant] et l’opposition que manifesterait le maire à organiser une police municipale armée, et, d’autre part, empreintes d’un excès que ne peut tolérer le débat public, la volonté chez un membre de l’opposition de manifester son refus d’aborder un sujet estimé secondaire ne pouvant permettre de présenter la partie civile comme responsable d’actes de terrorisme (...) »

  1. La décision de non-admission de la Cour de cassation du 14 mars 2017

Invoquant notamment les articles 6 et 10 de la Convention, le requérant se pourvut en cassation contre l’arrêt du 12 mai 2016. Sur le terrain de l’article 6 de la Convention, il reprochait à la cour d’appel d’avoir rejeté l’exception de nullité du jugement du tribunal de grande instance de Créteil qu’il avait soulevée devant elle, par laquelle il avait dénoncé le refus de la présidente d’audience de le laisser poser une question à la partie civile, son opposition à ce que ce refus soit acté sur le registre d’audience, et la partialité dont elle aurait fait preuve à son égard. Sur le terrain de l’article 10, le requérant renvoyait notamment à la jurisprudence de la Cour selon laquelle les limites de la critique admissible sont plus larges à l’égard d’un homme politique visé en cette qualité que d’un simple particulier.

Le 11 janvier 2017, le greffe criminel de la Cour de cassation envoya au requérant l’avis de non-admission du pourvoi rendu par la conseillère rapporteure. Le 15 février 2017, il lui envoya les conclusions de l’avocat général, lesquelles sont ainsi rédigée :

« (...) Le premier [moyen], relatif à la partialité de la présidente du tribunal correctionnel, est inopérant en raison de l’effet dévolutif de l’appel ; le second se heurte à une jurisprudence constante de la cour de cassation, la liberté de parole, même dans le cadre d’un sujet d’intérêt général, ne pouvant permettre d’accuser, sans aucune base factuelle, une personne d’avoir une part de responsabilité dans un attentat qui lui est totalement étranger. Proposition : non admission. »

Le 14 mars 2017, la Cour de cassation, constatant « qu’il n’exist[ait], en l’espèce, aucun moyen de nature à permettre l’admission du pourvoi », déclara celui-ci non admis.

  1. Le droit et la pratique internes pertinents

Les dispositions pertinentes de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse sont les suivantes :

Article 29

« Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation (...) »

Article 31

« Sera punie [d’une amende de 45 000 euros], la diffamation commise [notamment par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics], à raison de leurs fonctions ou de leur qualité, envers le Président de la République, un ou plusieurs membres du ministère, un ou plusieurs membres de l’une ou de l’autre Chambre, un fonctionnaire public, un dépositaire ou agent de l’autorité publique, un ministre de l’un des cultes salariés par l’État, un citoyen chargé d’un service ou d’un mandat public temporaire ou permanent, un juré ou un témoin, à raison de sa déposition. »

Article 41

« Ne donneront ouverture à aucune action les discours tenus dans le sein de l’Assemblée nationale ou du Sénat ainsi que les rapports ou toute autre pièce imprimée par ordre de l’une de ces deux assemblées (...) »

GRIEFs

Invoquant l’article 6 de la Convention, le requérant se plaint du fait que la Cour de cassation a déclaré son pourvoi non admis pour absence de moyen sérieux alors qu’il était fondé sur des moyens tirés des articles 6 et 10 de la Convention. Il dénonce une violation du droit d’accès à un tribunal.

Invoquant les articles 10 et 11 de la Convention, le requérant se plaint de sa condamnation pour diffamation publique envers un citoyen chargé d’un mandat public.

QUESTIONS AUX PARTIES

1.  Vu notamment la décision Burg et autres c. France (no 34763/02, CEDH 2003‑II), le requérant est-il fondé à soutenir que le fait que la Cour de cassation a déclaré son pourvoi non admis pour absence de moyen sérieux emporte violation de l’article 6 de la Convention ?

2.  Le requérant est-il fondé à soutenir que sa condamnation pour diffamation publique envers un citoyen chargé d’un mandat public emporte violation de l’article 10 de la Convention ?

Les parties sont invitées à produire une copie complète de l’avis de non‑admission du pourvoi du 22 décembre 2016.

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Collez ici un lien vers une page Doctrine
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
CEDH, TRUFFAUT c. FRANCE, 12 octobre 2020, 65304/17