CEDH, Commission, RETIMAG S.A. c. la REPUBLIQUE FEDERALE D'ALLEMAGNE, 16 décembre 1961, 712/60

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Commission, 16 déc. 1961, n° 712/60
Numéro(s) : 712/60
Publication : Recueil 8, pp. 29-42
Type de document : Recevabilité
Références à des textes internationaux :
Affaire Bateaux finlandais, Recueil ONU, t. III, p. 1481-1550;Résolution de l'Institut de Droit International, session de Grenade 1956, Annuaire de l'Institut de Droit International, p. 358;Affaire arbitr. Ambatielos, 1956, International Law Reports, p. 306 Affaire Interhandel, C.I.J., Recueil 1959, pp. 6, 27;Affaire du Chemin de fer Panevezys Saldutiskis C.P.J.I., série A/B n°76
Niveau d’importance : Importance élevée
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-27971
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1961:1216DEC000071260
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Texte intégral

EN FAIT

I. Les faits de la cause:

Considérant que selon les pièces versées au dossier, les faits de la

cause se présentent comme suit:

1) La requérante est une société par actions, de droit suisse,

constituée le 26 avril 1955 à Zurich.

Elle a son siège social à Zurich et parmi son objet social figurent

entre autres "l'achat et la vente d'immeubles de toutes sortes en

Suisse et à l'étranger".

Le 25 juillet 1955, la Retimag a acquis par acte notarié, d'une société

d'imprimerie en liquidation, un immeuble sis à Mannheim. Cet immeuble

a été occupé entre autres par les offices locaux du parti communiste,

ainsi que par une imprimerie et une maison d'édition qui travaillaient

notamment pour ce parti.

Le 13 juillet 1956, la Retimag a acquis par devant notaire un immeuble

sis à Munich, 73 rue Auguste, qui, selon la partie défenderesse, était

destiné à abriter l'Echo populaire bavarois (Bayerisches Volksecho),

journal communiste.

2) Par arrêt du 22 octobre 1959, la 3ème Chambre Correctionnelle de la

Cour Fédérale de Justice à Karlsruhe décida la confiscation sans

indemnité des deux immeubles mentionnés ci-dessus, au profit du fisc

allemand. Cette décision reposait sur l'article 86 paragraphe 4 du Code

pénal allemand prévoyant la confiscation, indépendamment de toute

poursuite ou condamnation judiciaires contre une personne déterminée.

Dans son arrêt, la Cour a estimé qu'il n'y a pas de doute sur le fait

que la Retimag constitue une organisation juridiquement camouflée dans

le but, d'une part, de sauvegarder les biens immeubles appartenant au

parti communiste dissous et, d'autre part, de continuer les activités

anarchistes communistes.

La Cour précise que ceci résulte notamment du fait que la constitution

de la Retimag se situe dans la période qui a précédé de près

l'interdiction du parti communiste par la Cour Constitutionnelle

Fédérale, le 17 août 1956. Le parti communiste aurait ainsi tenté de

parer à la confiscation de ses biens immeubles qu'il prévoyait comme

une mesure consécutive à son interdiction, tout comme cela a été le cas

lorsqu'en 1953 le parti socialiste du Reich a été interdit. Le

représentant de la Retimag, le sieur Reinhold Thiel, n'aurait été qu'un

homme de paille du prêteur d'argent, la Société "Controlla Trust",

enregistrée dans la principauté de Liechtenstein. Les associés de la

société Retimag auraient été des membres du parti communiste et

l'association présenterait tous les critères d'une association

anticonstitutionnelle au sens de l'article 90 a) du code pénal

allemand.

La Cour poursuit que les deux immeubles dont s'agit sont des objets au

sens de l'article 86 paragraphe 1er du code pénal. Comme ils devaient

servir à des fins anticonstitutionnelles, les conditions de

confiscation prévues aux articles 98 paragraphe 2 et 86 paragraphe 1er

du code pénal étaient remplies, bien que les immeubles soient au point

de vue formel la propriété de la Retimag. La confiscation des immeubles

a donc été ordonnée par la Cour.

Quant à l'octroi d'une indemnité, la Cour a jugé que la Retimag n'y a

pas droit.

L'article 86 paragraphe 2 du code pénal vise des personnes physiques.

D'après le droit allemand, abstraction faite du droit économique, les

personnes morales ne peuvent être ni auteurs ni complices d'une

infraction. Il ne s'ensuit cependant pas, selon la Cour fédérale de

Justice, que les personnes morales doivent être indemnisées dans tous

les cas où leurs biens ont été confisqués en vertu des articles 98 et

86 du code pénal. Car, s'il en était autrement, des associations

anticonstitutionnelles au sens de l'article 90 a) du code pénal

devraient toujours être indemnisées, si elles revêtent la forme d'une

personne morale.

Pareil résultat serait absurde et contraire à l'intention du

législateur. Pour autant qu'il y a une lacune de la loi, il appartient

au tribunal de la combler d'après les indications que l'article 86

fournit lui-même. Il en résulte que les personnes physiques

n'obtiennent pas d'indemnité lorsqu'elles ont commis le délit ou

participé à sa commission ou si elles se sont rendues coupables d'une

autre manière en relation avec l'infraction. Cela signifie, appliqué

à la présente affaire, qu'une personne morale ne peut prétendre à une

indemnisation en tant que propriétaire, sur la base de l'article 86

paragraphe 2 du code pénal, quand elle est une association

anticonstitutionnelle ou en fait partie.

Ceci vaut pour la Retimag dont le seul membre décisif du conseil de

direction, le sieur Thiel, a été le meneur (Rädelsführer) de

l'association anticonstitutionnelle.

C'est pour ces motifs que la Cour a prononcé la confiscation sans

indemnité.

3) La requérante allègue la violation de l'article alinéa 1er du

Protocole additionnel. Elle est d'avis que la confiscation sans

indemnité des deux immeubles par l'arrêt de la Cour Fédérale de Justice

du 22 octobre 1959 est intervenue dans des conditions non prévues par

la loi et contraires aux principes généraux du droit international.

La loi allemande prévoit dans l'article 86 paragraphe 2 du code pénal

que si, au moment du délit, les biens n'appartenaient ni à l'auteur ni

à un participant, il sera alloué au propriétaire une indemnité

équitable prélevée sur le Trésor Public, à moins que le propriétaire

ne se soit lui-même rendu coupable par rapport à l'infraction.

Les deux immeubles confisqués étaient la propriété de la Retimag,

personne juridique pénalement non punissable. Tout au plus l'organe de

la société, le président, aurait-il pu être poursuivi pénalement, ce

qui n'a pas été le cas.

Si l'article 86 paragraphe 2 parle du propriétaire qui n'a été ni

l'auteur du délit ni participant à l'infraction, auquel revient une

indemnité équitable, il conviendrait d'allouer également pareille

indemnité à une personne morale, lorsque celle-ci est le propriétaire

juridique des objets confisqués.

La notion de propriétaire serait une notion de droit civil qui doit

lier aussi le juge pénal.

La Cour Fédérale aurait dépassé le texte de la loi, et elle aurait

ainsi abouti à une violation de l'article 1er alinéa 1er du Protocole,

en ce qu'elle n'aurait pas reconnu à la requérante la qualité de

propriétaire aux termes de l'article 86 paragraphe 2 du code pénal.

La Cour Fédérale aurait en outre violé les principes généraux du droit

international public. La requérante cite à cet égard l'ouvrage de droit

international public de Verdross qui dit: "En raison du principe du

respect des droits privés, toute confiscation de biens privés étrangers

sans indemnité est interdite. Toutefois, l'expropriation de biens

privés étrangers dans l'intérêt public, et moyennant une indemnité

complète et immédiate, est admissible en principe, puisqu'il ne s'agit

dans ce cas, que d'un échange de biens." Elle invoque enfin l'article

46, alinéa 2 du Règlement de La Haye concernant les lois et coutumes

de la guerre sur terre et disposant que "la propriété privée ne peut

pas être confisquée".

4) La Retimag demande:

1. à être intégrée dans ses droits de propriétaire des deux immeubles

indiqués ci-dessus et, à titre subsidiaire, l'attribution d'une

indemnité équitable et

2. Le remboursement des frais occasionnés par l'introduction de sa

présente requête.

II. La procédure devant la Commission des Droits de l'Homme.

Considérant que la requête a été examinée le 3 juin 1960 par la

Commission qui a décidé de la communiquer conformément à l'article 45

paragraphe 3 (b) du règlement intérieur, au Gouvernement de la

République Fédérale d'Allemagne et d'inviter ledit Gouvernement à

présenter ses observations écrites sur la recevabilité des griefs

formulés par la requérante.

Considérant que les deux parties ont échangé des observations écrites:

les 9 septembre 1960 et 24 février 1961 pour le Gouvernement défendeur,

les 22 octobre 1960, 19 janvier et 5 avril 1961 pour la requérante, et

que des audiences contradictoires se sont tenues les 20 et 21 septembre

1961;  qu'à la suite de ces audiences, la Commission a demandé aux

parties des informations complémentaires, notamment sur le point

relatif aux voies de recours ouvertes à la requérante que les réponses

écrites ont été données les 18 octobre 1961 et 27 novembre 1961 par le

Gouvernement défendeur et les 14 octobre et 17 novembre 1961 par la

requérante.

III. Arguments des parties.

Considérant qu'à la suite de cet échange de vues, on peut résumer la

position des parties de la façon suivante quant aux principaux points

soulevés par cette requête:

1. Quant à l'application de l'article 17 de la Convention:

Le Gouvernement défendeur soutient qu'il convient de rejeter la requête

sur le fondement de l'article 17 de la Convention. La Cour Fédérale de

Justice a constaté que la Retimag est une société de droit étranger

ayant pour objet de sauvegarder les biens immeubles du parti communiste

sis en République Fédérale d'Allemagne, afin de permettre au parti

communiste de continuer ses activités anti-constitutionnelles. Par

conséquent, le but de la Retimag était de détruire les droits et

libertés garantis par la Charte Fondamentale et reconnus dans la

Convention européenne des Droits de l'Homme.

Le Gouvernement fédéral se réfère à l'arrêt de la Cour Européenne des

Droits de l'Homme du 1er juillet 1961 dans l'affaire Lawless. Cet arrêt

a souligné que l'article 17 a pour but d'empêcher des groupements ou

des individus de tirer de la Convention un droit qui leur permette de

se livrer à une activité tendant à la destruction des droits et

libertés reconnus dans la Convention et que personne ne doit donc

pouvoir se prévaloir des dispositions de ladite Convention pour se

livrer à de tels actes. L'arrêt continue en affirmant que la

disposition de l'article 17 a une portée négative et qu'on ne saurait

l'interpréter à contrario pour priver une personne physique des droits

individuels garantis dans les articles 5 et 6 de la Convention.

L'objet de la présente affaire est cependant le droit au respect des

biens tel qu'il est prévu à l'article 1er du Protocole Additionnel.

Ce droit diffère de par sa nature des droits prévus aux articles 5 et

6 de la Convention (droit à la liberté et à la sûreté et notamment le

droit à un procès équitable et la présomption d'innocence en faveur de

l'accusé) en ce qu'on peut l'utiliser à tout moment à des fins

destructives contraires à la Convention. L'exercice camouflé du droit

de propriété est des plus faciles et surtout s'il s'agit d'utiliser une

indemnité en argent, contrepartie des biens confisqués.

La requérante soutient d'abord à cet égard que suivant une décision

récente de la Cour Fédérale de Justice (2 BvR 27/60) dans l'affaire

Clemens, les actes qui aident un parti ne peuvent être déclarés

illégaux jusqu'à ce qu'un jugement d'interdiction de la Cour

Constitutionnelle Fédérale soit intervenu.

A cet argument, le Gouvernement Fédéral objecte que si la Retimag

invoque en sa faveur cette décision, elle se considère elle-même comme

une organisation partielle et dépendante (unselbständige

Teilorganisation) du parti communiste allemand.

Selon la requérante, au contraire, on ne saurait prétendre qu'une

société par actions constitue un groupement au sens de l'article 17 de

la Convention. Il s'agirait seulement en l'occurrence d'une procédure

objective de confiscation de deux immeubles ou d'une somme indemnitaire

avec laquelle on ne peut pas exercer de façon générale une activité ou

commettre un acte qui puisse tendre à l'abolition ou la limitation des

droits protégés par la Convention des Droits de l'Homme.

Pour éviter que les deux immeubles puissent servir à des fins

anti-constitutionnelles, l'avocat de la requérante a conclu à la

restitution des deux immeubles, avec la clause expresse que

l'administration desdits biens doive se faire sous le contrôle des

autorités de l'Etat. Il a demandé pour le cas où une indemnité

pécuniaire serait versée, que le versement ait lieu sur un compte

bancaire spécial, de façon que les opérations puissent être facilement

contrôlées.

2. Quant à la confiscation sans indemnité des immeubles:

La requérante soutient que la confiscation sans indemnité prononcée par

la Cour Fédérale de Justice le 22 octobre 1959 est contraire à la fois

au droit allemand et au droit international public.

a) La mesure de confiscation est fondée sur l'article 86 du code pénal

allemand qui stipule que si les objets utilisés à la commission d'un

délit peuvent être confisqués ou détruits, il doit être alloué au

propriétaire une indemnité équitable à prélever sur le Trésor Public,

si, au moment des faits, les objets n'appartenaient ni à l'auteur, ni

à un participant, à moins que le propriétaire ne se soit lui-même rendu

punissable (strafbar) d'une autre manière en relation avec l'infraction

(article 86 alinéa 2 du code pénal allemand).

En vertu du principe qu'une personne morale ne peut se rendre coupable

au point de vue pénal, la Cour Fédérale de Justice aurait dû allouer

à la société Retimag une indemnité équitable. En prononçant une

confiscation sans indemnité, la Cour Fédérale de Justice aurait

appliqué par analogie un texte de droit pénal au détriment de la

Retimag (in malam partem), en étendant une disposition pénale à une

situation juridique non prévue par le législateur. La Cour Fédérale de

Justice parle elle-même, à la page 34 de l'arrêt, d'une "lacune de la

loi" que la Cour est appelée à combler en s'inspirant de l'article 86

du Code pénal. Pareille application extensive de la loi pénale est

interdite par l'article 103 alinéa 2 de la Charte Fondamentale et par

l'article 2 alinéa 1er du code pénal allemand.

Le Gouvernement défendeur par contre estime que l'exception prévue à

l'alinéa 2 de l'article 86 du code pénal s'applique également aux

personnes morales et que partant, il n'y a pas lieu à indemnisation

dans les cas où il faut imputer à la personne morale, en relation avec

l'infraction, un comportement qui justifierait pour une personne

physique une condamnation pénale. Pareille interprétation de la loi

s'imposerait mutatis mutandis et serait justifiée en outre par le texte

de la loi. Le droit pénal économique et fiscal prévoit d'ailleurs, lui

aussi, des mesures répressives à l'encontre des personnes morales.

Il n'y aurait donc eu qu'une interprétation correspondante,

c'est-à-dire que la Cour se serait bornée à établir le sens et la

portée de la loi en se basant sur le texte et la volonté du

législateur.

La critique visant une application in malam partem de la loi pénale

manquerait par ailleurs de fondement, car la défense d'une application

par analogie d'un texte légal de droit pénal ne s'appliquerait pas à

une mesure de police et de sûreté (Einziehung polizeilichen

Charakters). Or, les mesures de confiscation et de destruction prévues

aux articles 86 et 98 du code pénal allemand seraient de simples

mesures préventives de sûreté.

b) La requérante estime que la confiscation sans indemnité est en outre

incompatible avec les principes généraux de droit international public,

applicables en matière d'expropriation en vertu de l'article 1 alinéa

1er du Protocole additionnel, et plus spécialement avec l'article 46

alinéa 2 du Règlement de La Haye concernant les lois et coutumes de la

Guerre sur terre.

Les principes généraux du droit international public font d'ailleurs

partie du droit fédéral allemand en vertu de l'article 25 de la Charte

Fondamentale.

Le Gouvernement défendeur est d'avis que la confiscation intervenue est

compatible avec les principes généraux du droit international. D'une

part, il invoque des opinions défendues en doctrine et, d'autre part,

il avance dans le même ordre d'idées que les confiscations sans

indemnités qui ont lieu en vertu de lois tendant à combattre des

activités criminelles sont conformes aux principes constitutionnels de

tous les Etats civilisés, de sorte qu'on peut douter si en l'espèce

l'article 1er du Protocole additionnel est applicable.

3. Quant à l'épuisement des voies de recours internes:

La question du non-épuisement n'a été introduite dans les débats qu'à

la suite des audiences orales tenues par la Commission les 20 et 21

septembre 1961. Aussi la Commission a-t-elle confirmé par écrit la

question posée oralement aux parties lors des débats de la façon

suivante:

"Après le rejet de sa demande d'indemnisation par la Cour Suprême

fédérale en vertu de l'article 86 du Code pénal allemand, la société

requérante avait-elle la faculté, aux termes de l'article 90 de la loi

sur la Cour Constitutionnelle fédérale et des articles 19 et 103 de la

Constitution allemande, ou de toute autre disposition pertinente de la

législation allemande, d'introduire un recours constitutionnel devant

la Cour Constitutionnelle fédérale avec quelque chance de succès?

Existe-t-il des décisions rendues par les tribunaux allemands à ce

sujet, en dehors de la décision de la Cour Constitutionnelle (2 BvR

177/60) dont l'agent de la République Fédérale a fait état à l'audience

du 20 septembre?"

La requérante est d'avis qu'elle a épuisé les voies de recours

internes;  Elle estime que si elle voulait invoquer l'article 14 de la

Charte Fondamentale, disposition analogue à l'article 1er alinéa 1 du

Protocole additionnel, elle devait tenir compte de l'article 19 alinéa

3 de la Charte Fondamentale qui dispose que "les personnes morales

nationales bénéficient également des droits fondamentaux dans la mesure

où leur nature le comporte".

La requérante en tire un argument a contrario, estimant que la garantie

de la propriété prévue à l'article 14 de la Charte Fondamentale ne vaut

pas pour les personnes juridiques étrangères. Toute la doctrine aurait

été en ce sens, de sorte qu'un recours constitutionnel fondé sur

l'article 14 n'aurait pas eu de chance de succès à l'époque.Il en

aurait été de même d'un recours constitutionnel basé sur l'article 103

alinéa 2 de la Charte Fondamentale.

Le 8 novembre 1960, la Cour Fédérale Constitutionnelle (2 BvR 177/60)

a décidé que l'article 19 alinéa 3 de la Charte Fondamentale ne

s'oppose pas à l'introduction d'un recours constitutionnel par une

personne morale étrangère invoquant l'article 103 alinéa 1 de la Charte

Fondamentale.

Selon la requérante, on ne saurait rien en déduire ni par rapport à

l'article 14 de la Charte Fondamentale qui correspond à l'article 1er

alinéa 1er du Protocole additionnel, base principale du recours de la

requérante, ni par rapport à l'article 103 alinéa 2 de la Charte

Fondamentale qui correspond à l'article 7 de la Convention.

Le Gouvernement défendeur estime au contraire que la requérante aurait

dû, avant de s'adresser à la Commission, former un recours

constitutionnel fondé sur la violation prétendue de l'article 103

alinéa 2 de la Charte Fondamentale.

EN DROIT

Considérant qu'aux termes de l'article 26 (art. 26) de la Convention,

la Commission européenne des Droits de l'Homme ne peut être saisie

qu'après l'épuisement des voies de recours internes, tel qu'il est

entendu selon les principes de droit international généralement

reconnus;

Que la Commission a donc pour tâche d'examiner si la requérante a

épuisé les voies de recours qui étaient à sa disposition;

Considérant que le fondement de cette règle est qu'avant de saisir un

tribunal international, l'Etat responsable doit avoir la faculté de

redresser le grief allègué par les moyens internes dans le cadre de son

propre système juridique (Aff.Interhandel, C.I.J., Recueil 1959, page

6, 27); que, conformément aux principes de droit international

généralement reconnus, cela signifie que si un individu se voit

accorder par le système juridique de l'Etat responsable des voies de

recours qui paraissent être efficaces et suffisantes, il faut qu'il use

de ces voies de recours et les épuise normalement; que c'est l'ensemble

du système de protection légale, tel qu'il est établi par l'ordre

juridique interne, qui doit être épuisé avant la saisine de la

juridiction internationale (Résolution de l'Institut de Droit

International, Session de Grenade 1956, Annuaire de l'Institut de Droit

International, page 358; Aff. arbitr. Ambatielos, 1956, International

Law Reports, page 306);

Considérant, cependant, que les voies de recours qui ne permettent pas

de redresser le grief allégué ne sauraient passer pour efficaces ou

suffisantes; qu'elles n'ont donc pas besoin d'être épuisées, selon les

principes de droit international généralement reconnus; qu'il est vrai

que les voies de recours qui, bien que théoriquement de nature à

constituer un recours, ne présentent en réalité aucune chance de

redresser le grief allégué, n'ont pas besoin d'être épuisées (Aff.

arbitr. Ambatielos); qu'un individu n'est pourtant pas relevé de

l'obligation d'épuiser les voies de recours internes, tant qu'il existe

un recours qui, manifestement, n'est pas dépourvu de toute chance de

succès (Aff. arbitr. Ambatielos; Aff. Bateaux finlandais, Rec. ONU,

tome III, pages 1481 - 1550); qu'en outre, s'il existe un doute quant

à la question de savoir si une voie de recours déterminée peut être ou

non de nature à offrir une chance réelle de succès, c'est là un point

qui doit être soumis aux tribunaux internes eux-mêmes, avant tout appel

au tribunal international (Aff. du Chemin de fer Panevezys Saldutiskis

C.P.J.I., série A/B n° 76);

Considérant que dans la présente affaire, une action judiciaire a été

intentée contre la requérante devant la Cour Fédérale de Justice; que

la requérante estime que l'arrêt de la Cour Fédérale de Justice a été

rendu en dernière instance et qu'elle a donc épuisé toutes les voies

de recours internes, afin de faire redresser le grief dont elle se

plaint; que le Gouvernement de la République Fédérale d'Allemagne a

toutefois soulevé, lors de l'audience devant la Commission, la question

de savoir s'il n'existait pas pour la requérante, devant la Cour

Constitutionnelle Fédérale, une voie de recours qu'elle aurait dû

préalablement épuiser; qu'en conséquence, il est nécessaire d'examiner

en particulier quel a été le grief allégué par la requérante et s'il

existait dans le système juridique de la République Fédérale

d'Allemagne une voie de recours devant la Cour Constitutionnelle

fédérale que la requérante aurait dû épuiser conformément aux principes

énoncés ci-avant;

Considérant que la requérante allègue une violation de l'article 1er

alinéa 1er du Protocole additionnel (P1-1) à la Convention; que la

confiscation des deux immeubles, prononcée par l'arrêt de la Cour

Fédérale de Justice du 22 octobre 1959, ne serait pas intervenue dans

les conditions prévues par la loi, en ce que la Cour n'a pas accordé

d'indemnisation à la requérante, malgré l'article 86 alinéa 2 du code

pénal allemand qui prévoit que si au moment de l'infraction les objets

confisqués n'appartenaient ni à l'auteur du délit, ni à un participant,

il sera alloué au propriétaire une indemnité équitable à prélever sur

le Trésor Public, à moins que le propriétaire ne se soit lui-même rendu

coupable d'une autre manière en relation avec l'infraction;

- que les immeubles confisqués étaient bien la propriété de la Retimag,

personne juridique de droit suisse;

- que pareille personne morale n'a pu se rendre coupable ("strafbar")

d'un délit, que partant une indemnité aurait dû être allouée à la

propriétaire, la Retimag, conformément audit article 86 alinéa 2 du

Code pénal allemand;

Que la Cour Fédérale a jugé que la Retimag était une association

anticonstitutionnelle ayant pour but de sauvegarder les intérêts

patrimoniaux du parti communiste interdit et de poursuivre les menées

anarchistes communistes; qu'elle a estimé que l'article 86 alinéa 2 ne

vise que des personnes physiques et que celles-ci ne sont point

indemnisées, si elles sont auteurs du délit ou participants, ou si

elles se sont rendues coupables d'une autre manière en relation avec

le délit; que la Cour a appliqué ce texte de façon correspondante ("in

entsprechender Anwendung") au cas dont elle a été saisie, en décidant

qu'une personne morale, propriétaire de biens confisqués, n'a pas droit

à une indemnisation, s'il s'agit d'une association

anticonstitutionnelle, telle que la Retimag;

Que la requérante estime que la Cour, en procédant de la sorte, a usé

d'une analogie défendue, in malam partem, au détriment de la Retimag,

en appliquant une disposition pénale à un cas non prévu par le code

pénal;

Que l'application de dispositions pénales par analogie est défendue

tant par la loi allemande en l'article 2 paragraphe 1 du code pénal et

en l'article 103 alinéa 2 de la Charte Fondamentale, que par l'article

7 (art. 7) de la Convention;

Considérant que dans cet ordre d'idées, la question se pose de savoir

si la requérante avait la possibilité d'introduire un recours devant

la Cour Fédérale Constitutionnelle en arguant d'une application par

analogie prohibée de la loi pénale et en invoquant les dispositions

légales pertinentes, en particulier l'article 103, alinéa 2 de la

Charte Fondamentale;

Que la requérante est d'avis qu'elle a épuisé les voies de recours

internes, parce qu'elle n'aurait pu introduire un recours

constitutionnel fondé sur l'article 103 alinéa 2 de la Charte

Fondamentale en raison de ce que l'article 19 alinéa 3 de celle-ci

prévoit que "les personnes morales indigènes bénéficient aussi des

droits fondamentaux dans la mesure où leur nature le comporte"; que la

requérante a cru pouvoir en déduire, a contrario, que les personnes

morales étrangères n'ont pas la faculté de faire valoir les droits

fondamentaux et le droit y assimilé garanti par l'article 103 alinéa

2 de la Charte Fondamentale;

Que l'article 90 alinéa 1 de la loi sur la Cour Constitutionnelle

prévoit que chacun a la faculté d'introduire une action

constitutionnelle si cette action est fondée sur une violation alléguée

d'un droit fondamental ou d'un droit contenu dans les articles 33, 98,

101, 103 et 104 de la Charte Fondamentale;

Que la Cour Constitutionnelle Fédérale (2e Chambre) a décidé, le 8

novembre 1960, qu'une personne morale étrangère a également le droit

d'introduire un recours constitutionnel basé sur l'article 103, alinéa

1er de la Charte Fondamentale; que l'article 19 alinéa 3 de celle-ci

ne s'y oppose pas; qu'à supposer qu'on pût inférer de cet article que

des personnes morales étrangères ne jouissent pas des droits

fondamentaux, cette restriction ne pourrait en tout cas pas s'appliquer

au droit à un procès équitable, prévu par l'article 103 alinéa 1 de la

Charte Fondamentale, droit qui doit appartenir à toute personne sujette

à un procès devant les juridictions allemandes, qu'il s'agisse d'une

personne morale ou d'une personne physique, d'une personne étrangère

ou d'une personne indigène; que le recours constitutionnel doit être

à la disposition de tout le monde s'il s'agit d'invoquer les droits

fondamentaux ou un droit y assimilé ("grundrechtsähnliches Recht"),

tels qu'ils sont énoncés à l'article 90 alinéa 1er de la loi sur la

Cour constitutionnelle;

Considérant que la Cour Constitutionnelle Fédérale n'a cependant eu à

statuer que par rapport à l'article 103 alinéa 1er de la Charte

Fondamentale; que la requérante estime qu'on ne saurait déduire de

cette décision que la Cour aurait adopté la même solution par rapport

à l'alinéa 2 de l'article 103, seul pertinent en la présente affaire;

Que la question de savoir si l'article 103 alinéa 2 de la Charte

Fondamentale peut être invoqué par une personne morale étrangère est

une question de droit constitutionnel allemand sur laquelle la Cour

Fédérale Constitutionnelle allemande a en principe compétence pour se

prononcer; qu'il n'appartient pas à la Commission de statuer sur cette

question non encore décidée en droit allemand, mais qu'elle doit se

borner à constater que la requérante n'a pas clairement établi qu'il

ne lui était pas possible de saisir la Cour Constitutionnelle en

alléguant une violation de l'article 103, alinéa 2 de la Constitution;

Considérant que la règle de l'épuisement des voies de recours internes

est stricte et doit s'interpréter en conséquence; qu'il suffit donc,

pour qu'un requérant n'ait pas épuisé les voies de recours internes,

qu'il ait omis d'user sur un point déterminé d'une des voies de recours

qui lui étaient ouvertes, à supposer qu'en soulevant ce point devant

les juridictions internes, il eût eu quelque chance de faire aboutir

l'ensemble de sa demande critiquant une seule et même mesure;

Considérant que dans ces circonstances il s'avère superflu de statuer

sur la question de savoir si la requérante n'a pas épuisé les voies de

recours internes, faute d'avoir introduit un recours constitutionnel

fondé sur une violation prétendue de l'article 14 de la Charte

Fondamentale;

Considérant que la requérante n'a donc pas observé la prescription

édictée à l'article 26 (art. 26) de la Convention, de sorte qu'il y a

lieu de déclarer la requête irrecevable par application de l'article

27 paragraphe 3 (art. 27-3) de la Convention;

Par ces motifs, déclare la requête IRRECEVABLE."

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Textes cités dans la décision

  1. Constitution du 4 octobre 1958
  2. CODE PENAL
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CEDH, Commission, RETIMAG S.A. c. la REPUBLIQUE FEDERALE D'ALLEMAGNE, 16 décembre 1961, 712/60