CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE BAUCHER c. FRANCE, 24 juillet 2007, 53640/00

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Chronologie de l’affaire

Commentaires3

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CEDH · 24 juillet 2007

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CEDH · 20 juillet 2007

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 24 juill. 2007, n° 53640/00
Numéro(s) : 53640/00
Type de document : Arrêt
Date d’introduction : 20 octobre 1999
Jurisprudence de Strasbourg : Hadjianastassiou c. Grèce, arrêt du 16 décembre 1992, série A no 252, p. 16, § 33
Foucher c. France, arrêt du 18 mars 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-II, p. 466, § 43
Melin c. France, arrêt du 22 juin 1993, série A no 261-A, pp. 11-12, § 24
Zoon c. Pays-Bas, no 29202/95, § 16, § 17, § 31, § 38, § 46, CEDH 2000-XII
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'art. 6-1 et 6-3-b ; Aucune question distincte au regard de P7-2 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention
Identifiant HUDOC : 001-81859
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2007:0724JUD005364000
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Sur les parties

Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE BAUCHER c. FRANCE

(Requête no 53640/00)

ARRÊT

STRASBOURG

24 juillet 2007

DÉFINITIF

24/10/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Baucher c. France,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MmeF. Tulkens, présidente,
MM.A.B. Baka,
J.-P. Costa,
I. Cabral Barreto,
V. Zagrebelsky,
MmesA. Mularoni,
D. Jočienė, juges,

et deMmeS. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 juillet 2007,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 53640/00) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Gilles Baucher (« le requérant »), a saisi la Cour le 20 octobre 1999 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant est représenté par Me Grégoire Triet, avocat à Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. R. Abraham, auquel a succédé dans ses fonctions Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3.  Le requérant se plaignait de ne pas avoir eu connaissance de la motivation du jugement du tribunal correctionnel avant l’expiration du délai d’appel et de l’atteinte à son droit à un double degré de juridiction en découlant (articles 6 §§ 1 et 3 b) de la Convention et 2 du Protocole no 7 à la Convention).

4.  Par une décision du 19 février 2004, la Cour a déclaré la requête recevable.

5.  Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6.  Le requérant est né en 1963 et réside à Paris.

7.  Au moment des faits, il exerçait la profession de directeur du marketing de la société France Quick, société de restauration rapide ayant son siège social à Bagnolet.

8.  Le 10 novembre 1995, deux inspectrices de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) constatèrent ce qui suit dans un restaurant à l’enseigne de Quick situé à Besançon :

« d’une part, la présence d’affiches publicitaires dont le graphisme représentait un produit dénommé « swiss’n toast » fabriqué avec deux tranches d’emmental, le texte desdites annonces et le tarif précisant qu’il s’agissait d’un produit fabriqué avec de l’emmental fondu ; d’autre part, la mise en vente de produits dénommés « quick’n toast » et « swiss’n swiss », pour lesquels le tableau d’affichage indiquait qu’ils étaient préparés avec de l’emmental fondu. »

Ces constatations furent consignées dans un procès-verbal de délit dressé le 12 juin 1997.

9.  Le 26 novembre 1998, le requérant fut cité à l’audience du tribunal correctionnel de Besançon du 20 janvier 1999 pour y répondre des délits de publicité mensongère et de tromperie sur la qualité d’une marchandise. Il lui était reproché d’avoir effectué une publicité de nature à induire en erreur sur l’utilisation de fromage emmental suisse dans la composition des produits dénommés « swiss’n toast », « quick’n toast » et « swiss’n swiss ».

10.  L’affaire fut renvoyée à l’audience du 24 mars 1999, à laquelle la société France Quick fut citée en tant que civilement responsable du requérant.

11.  Dans ses conclusions écrites devant le tribunal correctionnel, la société souleva la prescription de l’action publique, demanda au tribunal de dire les infractions non constituées et de débouter les parties civiles – deux associations de consommateurs – de leurs demandes.

12.  Le requérant était représenté par un avocat au barreau de Paris et, pour les besoins de la procédure, par une avocate au barreau de Besançon.

13. Lors de l’audience, le requérant comparut assisté de son avocat parisien. Il indiqua qu’il travaillait pour la société France Quick depuis mai 1995, que la campagne publicitaire avait été préparée avant son arrivée, et qu’il l’avait signée sur ordre de la direction après validation par le département juridique. L’avocat du requérant ne déposa pas de conclusions mais plaida la relaxe de son client.

14.  A l’issue des débats, le tribunal informa les parties que le jugement serait prononcé le 23 avril 1999, conformément aux dispositions de l’article 462 du code de procédure pénale.

15.  Le 23 avril 1999, le président du tribunal lut en audience publique le dispositif du jugement. Dans la version rédigée du jugement, plus tard communiquée au requérant (paragraphe 22 ci-dessous), le dispositif se lit ainsi :

« Déclare irrecevables les exceptions relevées relatives à l’action publique développées dans les conclusions écrites ;

1o) Sur l’action publique

Déclare M. Baucher Gilles coupable des faits qui lui sont reprochés ;

Condamne Baucher Gilles à la peine d’amende de 20 000 francs[1] ;

Dit qu’il sera sursis à la peine d’amende qui vient d’être prononcée contre lui.

(...) déclare France Quick civilement responsable de M. Baucher Gilles ;

2o) Sur l’action civile [les mêmes termes et sommes étant repris pour les deux parties civiles]

Reçoit l’Association (...) en sa constitution de partie civile ;

Déclare Baucher Gilles et France Quick responsables du préjudice subi par l’Association (...) ;

Condamne solidairement Baucher Gilles et France Quick à payer à l’Association (...) la somme de 3 000 francs[2] à titre de dommages et intérêts ;

Et à verser la somme de 1 500 francs[3] au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale. »

16.  Le requérant n’assista pas au prononcé du jugement, seule son avocate de Besançon étant présente.

17.  Le délai de dix jours pendant lequel le requérant pouvait faire appel commença à courir le jour même.

18.  Le jour où le jugement fut rendu, c’est-à-dire le 23 avril 1999, l’avocat parisien du requérant adressa une lettre au greffe afin d’obtenir copie du jugement pour connaître sa motivation.

19.  Le 30 avril 1999, soit quelques jours avant l’expiration du délai d’appel, l’avocat écrivit une seconde lettre aux mêmes fins, adressée cette fois au vice-président du tribunal de grande instance de Besançon qui avait présidé l’audience du 24 mars 1999. Dans cette lettre, l’avocat relatait une conversation téléphonique avec une greffière du tribunal, qui lui aurait indiqué que le jugement prononcé le 23 avril 1999 n’était ni rédigé ni dactylographié et que « s’il y [avait] des appels, ils [les jugements] [étaient] parfois motivés ».

20.  L’avocat réitéra sa demande de copie du jugement et indiqua transmettre copie de sa lettre au premier président de la cour d’appel de Besançon.

21.  Le 3 mai 1999, le délai d’appel expira, sans qu’aucun appel fût interjeté.

22.  Le 7 mai 1999, le tribunal expédia la copie du jugement à l’avocat, qui la reçut le 11 mai suivant. La condamnation du requérant était ainsi motivée :

« Attendu que [M. Baucher] est prévenu d’avoir à Besançon, le 10 novembre 1995, effectué une publicité d’un bien ou d’un service comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur l’utilisation d’emmental suisse dans la composition du « swiss’n toast », « quick’n toast » et « swiss’n swiss » ;

Infraction prévue par art. L. 121-1, art. L. 121-5, art. L. 121-6 al. 1 C. Consommat. et réprimée par art. L. 121-6, art. L. 121-4, art. L. 213-1 C. Consommat. ;

D’avoir à Besançon, le 10 novembre 1995, trompé le consommateur, contractant, sur la nature, l’espèce, l’origine, les qualités substantielles, la composition, la teneur en principes utiles, la quantité, l’identité, l’aptitude à l’emploi, les risques inhérents à l’utilisation du produit, les contrôles effectués, les modes d’emploi ou les précautions à prendre d’une marchandise vendue, en l’espèce sur les qualités substantielles des « swiss’n toast » et « swiss’n swiss » présentés comme étant préparés avec de l’emmental suisse ;

Infraction prévue par art. L. 213-1 C. Consommat. et réprimée par art. L. 213-1, art. L. 216-2, art. L. 216-3 al. 1 C. Consommat. ;

(...)

Attendu que les clichés photographiques établis par les inspectrices corroborent les constatations [consignées dans le procès-verbal du 12 juin 1997] et montrent que quatre affiches différentes représentaient le produit « swiss’n toast » incorporant deux tranches d’emmental ; que le texte de deux de ces affiches mentionne qu’il s’agit d’emmental fondu ;

Attendu qu’il ressort des vérifications de la DGCCRF et des explications données par la société Quick que l’ « emmental fondu » était une préparation fabriquée en Allemagne et ne contenant que 50 % à 55 % d’emmental fondu ;

Attendu que l’article 7 de la convention de Stresa autorise l’emploi de la dénomination d’emmental fondu pour les fromages fondus contenant au moins 75 % d’emmental ; que, par ailleurs, l’article 4 et l’annexe B de ce même texte réservent l’appellation d’emmental, sans indication du pays d’origine, aux seuls fromages fabriqués en Suisse ;

Attendu qu’en présentant, sur les affiches et sur le tarif, comme étant de l’emmental fondu un produit qui ne pouvait être commercialisé ni sous la dénomination d’emmental, ni sous celle d’emmental fondu, les dirigeants de la société Quick France ont commis le délit de publicité mensongère ;

Que l’hypothèse, qui n’est pas démontrée en l’espèce, selon laquelle la préparation importée d’Allemagne serait confectionnée avec de l’emmental provenant de Suisse n’enlève pas le caractère mensonger de la publicité et n’autorise pas l’emploi des termes « emmental fondu » ;

Attendu qu’eu égard à l’ancienneté de la convention de Stresa et à la spécificité des produits préparés par la société Quick, le responsable de cette publicité ne pouvait ignorer les prescriptions relatives à l’emploi de la dénomination « emmental fondu » ;

Qu’en l’utilisant à tort, accolée aux appellations « swiss’n toast » et « swiss’n swiss » destinées à conforter l’idée que le produit était d’origine suisse, ce même responsable a commis le délit de tromperie sur la nature, l’origine, la composition ou l’identité du produit ;

Attendu que le 29 mai 1998, [M.] Baucher a précisé aux policiers qu’il reconnaissait avoir lancé la publicité correspondant aux affiches qui lui étaient présentées et a confirmé la teneur de la correspondance de la société Quick précisant qu’il était le ou l’un des responsables des infractions dans le domaine de la communication ;

Qu’en conséquence, la responsabilité des faits objet de la poursuite lui est imputable (...) »

23.  Le tribunal rejeta en outre l’exception de prescription de l’action publique soulevée par la société France Quick comme étant tardive.

24.  Le 11 mai 1999, le premier président de la cour d’appel de Besançon répondit à la lettre de l’avocat du requérant du 30 avril 1999 en lui rappelant que le jugement lui avait été délivré et que « les formalités de l’article 486 du code de procédure pénale [n’étaient] pas prescrites à peine de nullité par principe ».

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

25.  Les articles pertinents du code de procédure pénale se lisent ainsi :

Article 462

« Le jugement est rendu soit à l’audience même à laquelle ont eu lieu les débats, soit à une date ultérieure.

Dans ce dernier cas, le président informe les parties présentes du jour où le jugement sera prononcé. »

Article 498

« (...) l’appel est interjeté dans le délai de dix jours à compter du prononcé du jugement contradictoire (...) »

Article 485

«  Tout jugement doit contenir des motifs et un dispositif.

Les motifs constituent la base de la décision.

Le dispositif énonce les infractions dont les personnes citées sont déclarées coupables ou responsables, ainsi que la peine, les textes de loi appliqués, et les condamnations civiles.

Il est donné lecture du jugement par le président ou par l’un des juges ; cette lecture peut être limitée au dispositif (...) »

Article 486

« (...) Après avoir été signée par le président et le greffier, la minute est déposée au greffe du tribunal dans les trois jours au plus tard du prononcé du jugement (...) »

Article 500

« En cas d’appel d’une des parties pendant les délais ci-dessus, les autres parties ont un délai supplémentaire de cinq jours pour interjeter appel. »

Article 500-1

(issu de la loi no 2000-516 du 15 juin 2000, applicable à compter du 1er janvier 2001)

« Lorsqu’il intervient dans un délai d’un mois à compter de l’appel, le désistement par le prévenu ou la partie civile de son appel principal entraîne la caducité des appels incidents, y compris celui du ministère public. Constitue un appel incident l’appel formé, à la suite d’un précédent appel, dans le délai prévu par l’article 500, ainsi que l’appel formé, à la suite d’un précédent appel, dans les délais prévus par les articles 498 ou 505, lorsque l’appelant précise qu’il s’agit d’un appel incident. Dans tous les cas, le ministère public peut toujours se désister de son appel formé après celui du prévenu en cas de désistement de celui-ci. »

Article 515

« La cour peut, sur l’appel du ministère public, soit confirmer le jugement, soit l’infirmer en tout ou en partie dans un sens favorable ou défavorable au prévenu.

La Cour ne peut, sur le seul appel du prévenu, du civilement responsable, de la partie civile ou de l’assureur de l’une de ces personnes, aggraver le sort de l’appelant. »

26.  Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, l’absence de dépôt de la minute, c’est-à-dire d’un exemplaire du jugement, n’entraîne pas la nullité du jugement (Cass. crim. 12 mai 1971, Dalloz 1971, sommaire p.165 ; Cass. crim. 14 novembre 1996). De plus, le dépôt au-delà du délai de trois jours n’entraîne pas la nullité du jugement lorsque le prévenu n’a subi aucun préjudice de ce fait (Cass. crim. 27 novembre 1984, Bulletin crim. no 370 ; Cass. crim. 21 mars 1995, Bulletin crim. no 115 ; Cass. crim. 4 février 1998 ; 6 septembre 2000 ; 4 avril 2002).

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 §§ 1 et 3 b) DE LA CONVENTION ET 2 DU PROTOCOLE No 7

27.  Le requérant se plaint de l’absence de motivation du jugement du tribunal correctionnel avant l’expiration du délai d’appel et de l’atteinte aux droits de la défense en découlant. Il estime avoir ainsi été empêché d’interjeter appel en connaissance de cause, ce qui l’a privé d’un double degré de juridiction.

Il invoque l’article 6  §§ 1 et 3 b) de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent ainsi :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)

3.  Tout accusé a droit notamment à : (...)

b)  disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense  »

Il invoque également l’article 2 du Protocole no 7, qui dispose :

« 1.  Toute personne déclarée coupable d’une infraction pénale par un tribunal a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité ou la condamnation. L’exercice de ce droit, y compris les motifs pour lesquels il peut être exercé, sont régis par la loi.

2.  Ce droit peut faire l’objet d’exceptions pour des infractions mineures telles qu’elles sont définies par la loi ou lorsque l’intéressé a été jugé en première instance par la plus haute juridiction ou a été déclaré coupable et condamné à la suite d’un recours contre son acquittement. »

A.  Arguments des parties

1.  Le requérant

28.  Le requérant fait valoir que la lecture du dispositif telle que prévue par l’article 485 du code de procédure pénale doit être complétée par la rédaction du jugement dans son intégralité au plus tard dans les trois jours du prononcé de la décision. Il souligne qu’il a plusieurs fois par l’intermédiaire de son avocat, ainsi que par l’intermédiaire de l’avocate sur place à Besançon, tenté d’obtenir une copie du jugement ou du moins de sa motivation avant l’expiration du délai d’appel afin d’évaluer les chances de succès d’un appel et que ces efforts sont restés sans effet.

29.  Le requérant relève à cet égard que le Gouvernement reconnaît lui‑même que certaines juridictions françaises ne motivent leur jugement que lorsqu’une partie a décidé d’interjeter appel de la décision rendue, en contradiction avec l’article 485 précité. Il considère qu’en l’espèce, si le jugement ne lui a pas été transmis dans le délai, c’est qu’il n’était pas rédigé sept jours après son prononcé.

30.  Le requérant affirme que les motifs du jugement étaient nécessaires à la compréhension du dispositif, celui-ci ne précisant notamment pas chacune des infractions pour lesquelles il était poursuivi. Il souligne également que la motivation constitue finalement une partie substantielle du jugement puisqu’elle occupe trois des sept pages qu’il comporte.

31.  Enfin, le requérant estime que sa situation se distingue de celle de l’arrêt Zoon c. Pays-Bas (no 29202/95, CEDH 2000-XII), qui concernait la pratique des jugements en forme abrégée, et où le requérant pouvait non seulement obtenir une copie du jugement dans le délai d’appel par simple demande au greffe, ce qu’il avait omis de faire, mais aussi interjeter appel à titre conservatoire et se désister ensuite afin de mettre un terme à l’action.

32.  Sur ce dernier point, le requérant souligne qu’à la date des faits, l’article 500 du code de procédure pénale offrait un délai supplémentaire au ministère public pour interjeter un appel incident sans que son propre désistement postérieur à cette action n’ait aucun effet sur cet appel incident. Ce n’était pas alors l’article 515, deuxième alinéa, empêchant la cour d’appel de réformer in pejus, qui trouvait à s’appliquer, mais l’article 515, premier alinéa, permettant à la cour d’appel de statuer dans un sens favorable ou défavorable au prévenu et par conséquent d’aggraver la peine.

33.  Le requérant relève que de nos jours, l’article 500-1 du code de procédure pénale permet à l’appelant de se désister de son appel principal dans le délai d’un mois, entraînant la caducité des appels incidents, y compris celui du ministère public, mais que cet article, inséré dans le code par la loi du 15 juin 2000, n’était pas en vigueur en 1999 et qu’il ne pouvait donc pas en bénéficier lorsque le jugement le condamnant a été rendu. A cette époque, au contraire, la jurisprudence de la Cour de cassation décidait que le désistement de l’appelant principal n’entraînait pas l’irrecevabilité des appels incidents formés dans le délai de l’article 500 (Cass. crim. 19 janvier 1994, Bulletin crim. no 26). Le requérant souligne qu’il ne pouvait donc pas interjeter un appel conservatoire pour se désister ensuite, ce désistement ne mettant pas un terme au litige, ce qui l’exposait au risque d’aggravation de sa peine par la cour d’appel. Or, il ne pouvait raisonnablement prendre un tel risque sans connaître la motivation de sa condamnation.

34.  Le requérant considère donc que le fait que la motivation du jugement prononcé à son encontre a été rédigée après l’expiration du délai d’appel, alors qu’il en réclamait le texte complet, constitue à l’évidence une atteinte à ses droits.

2.  Le Gouvernement

35.  Le Gouvernement, citant la jurisprudence de la Cour (Ruiz Torija c. Espagne, arrêt du 9 décembre 1994, série A no 303-A, Van de Hurk c. Pays-Bas, arrêt du 19 avril 1994, série A no 288 et Jahnke et Lenoble c. France (déc.), no 40490/98, CEDH 2000-IX), rappelle à titre liminaire que l’obligation de motiver les jugements constitue une règle d’ordre public en droit français qui s’impose à toutes les juridictions. Il reconnaît « qu’il peut arriver (...) que la rédaction complète du jugement soit établie après que les parties ont décidé d’interjeter appel », mais considère que cette pratique peut être rapprochée de celle des jugements en forme abrégée des juridictions néerlandaises, examinée par la Cour dans son arrêt Zoon précité (cf., en particulier, le paragraphe 18).

36.  Le Gouvernement rappelle par ailleurs que, lorsqu’elle est saisie de l’appel d’un prévenu contre un jugement de condamnation, la cour d’appel doit réexaminer entièrement, en fait et en droit, si la prévention retenue est effectivement constituée et si la peine prononcée est conforme aux règles de droit. Dans ces conditions, le Gouvernement estime que la motivation du jugement a peu d’incidence sur la décision de faire appel ; en effet, si une condamnation est intervenue, c’est que l’argumentation du prévenu n’a pas convaincu le tribunal. Son appel lui permettra alors de développer devant une autre juridiction tous les moyens de défense qui lui paraissent opportuns.

37.  Le Gouvernement relève en outre que le requérant n’a pas déposé de conclusions écrites devant le tribunal correctionnel, son avocat s’étant contenté de plaider oralement sa relaxe. C’est son employeur, la société France Quick, qui a déposé des conclusions en soulevant notamment la prescription de l’action publique. Dès lors que le requérant n’avait soulevé par écrit aucun moyen de défense, le tribunal n’était pas tenu de répondre expressément à son argumentation.

38.  S’agissant des raisons pour lesquelles l’avocat du requérant n’a pu obtenir, sept jours après son prononcé, communication des motifs du jugement, le Gouvernement précise que la charge de travail des greffes des tribunaux ne leur permet pas toujours de finaliser les jugements dans un délai inférieur au délai d’appel, ce qui ne signifie pas que la motivation n’était pas rédigée. Il produit le manuscrit de la motivation établi par le magistrat chargé de la rédaction avant que cette motivation soit dactylographiée et mise en forme.

39.  S’agissant de la possibilité pour le requérant d’interjeter appel en connaissance de cause, le Gouvernement rappelle que le dépôt de la minute du jugement au greffe du tribunal dans les trois jours de son prononcé (prévu par l’article 486 du code de procédure pénale) n’est pas prescrit sous peine de nullité du jugement et que le requérant disposait des éléments nécessaires et essentiels pour apprécier l’opportunité d’un appel après la lecture du dispositif à l’audience du 23 avril 1999. En cela, la situation du requérant se distinguait de celle d’un justiciable souhaitant former un pourvoi en cassation, le texte intégral du jugement étant nécessaire à la formulation de moyens de cassation (Aepi S.A. c. Grèce, no 48679/99, 9 avril 2002). Le Gouvernement relève également l’importance toute relative de l’affaire en l’espèce, eu égard à la peine très modérée infligée au requérant.

40.  Le Gouvernement souligne enfin que le requérant avait la possibilité de se désister de son appel après avoir pris connaissance de la motivation du tribunal correctionnel. Il considère que l’absence d’effet du désistement sur l’appel incident éventuellement formé par le ministère public, invoquée par le requérant comme pouvant entraîner l’aggravation de la peine prononcée, ne peut justifier en soi son refus d’interjeter appel. En effet, d’une part, il s’agit d’un risque inhérent à tout appel et, d’autre part, il n’existe ni obligation pour le ministère public d’interjeter appel (Zoon précité, §§ 39 et 45), ni obligation pour la cour d’appel de procéder le cas échéant à une aggravation de la peine. Le Gouvernement en conclut que ces éléments ne sont pas déterminants pour justifier l’abstention volontaire du requérant de former appel, et que ce dernier s’est privé de son seul fait du bénéfice d’un double degré de juridiction.

B.  Appréciation de la Cour

41.  Dès lors que les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 s’analysent en des éléments particuliers du droit à un procès équitable, garanti par le paragraphe 1, la Cour examinera le grief du requérant sous l’angle des deux textes combinés (voir, parmi d’autres, Zoon précité, § 31).

42.  Les Etats contractants jouissent d’une grande liberté dans le choix des moyens propres à permettre à leur système judiciaire de respecter les impératifs de l’article 6. Les juges doivent cependant indiquer avec une clarté suffisante les motifs sur lesquels ils se fondent. C’est ainsi, par exemple, qu’un accusé peut exercer utilement les recours existants. La tâche de la Cour consiste à rechercher si la voie suivie en la matière a conduit, dans un litige déterminé, à des résultats compatibles avec la Convention (Hadjianastassiou c. Grèce, arrêt du 16 décembre 1992, série A no 252, p. 16, § 33).

43.  La Cour relève qu’en droit français, le tribunal correctionnel est soumis à l’obligation de motiver ses décisions (article 485 du code de procédure pénale). Une telle motivation doit apparaître dans la minute qui est déposée au plus tard dans les trois jours qui suivent le prononcé du jugement (article 486 du code précité). En l’espèce, le fait que le jugement comprenant la motivation n’a pas été communiqué au requérant faute d’avoir été retranscrit par écrit par le greffe dans le délai d’appel de dix jours constituait donc une anomalie que le Gouvernement reconnaît d’ailleurs puisqu’il l’explique par la surcharge de travail que connaissent les tribunaux.

44.  La Cour estime par ailleurs qu’il n’est pas déterminant de savoir, en l’espèce, si le requérant a fait tout ce qui était en son pouvoir pour obtenir une copie de la décision en cause, puisque le jugement du tribunal correctionnel n’était pas disponible avant le 7 mai 1999, soit quatre jours au-delà du terme du délai d’appel. Au demeurant, les diligences dont a fait preuve le requérant, par l’intermédiaire de son avocat, pour obtenir une copie du jugement ressortent clairement des faits (paragraphes 18 à 20 ci‑dessus) et ne sont pas contestées par le Gouvernement (a contrario, cf. Melin c. France, arrêt du 22 juin 1993, série A no 261‑A, pp. 11-12, § 24, et Zoon, précité, § 38).

45.  Reste à savoir si le requérant disposait malgré tout des éléments suffisants pour décider de l’opportunité d’un appel.

46.  En l’espèce, la Cour observe que seul le dispositif du jugement a été lu à l’audience du 23 avril 1999 devant l’un des deux avocats représentant le requérant. Or, selon ce dernier, qui n’a pas été contredit par le Gouvernement sur ce point, cette lecture fut particulièrement laconique puisqu’elle permettait de connaître uniquement la peine et les dommages‑intérêts qui lui étaient infligés. A cet égard, la Cour note que, dans la version dactylographiée fournie au requérant, le dispositif du jugement ne comportait pas tous les éléments prévus à l’article 485, troisième alinéa, du code de procédure pénale, à savoir la référence aux infractions retenues et aux textes de loi appliqués, indications se trouvant dans le corps de la motivation.

47.  Faute d’avoir pu obtenir le jugement complet avant l’expiration du délai d’appel, le requérant avait donc pour seule issue d’interjeter appel sans connaître aucun élément de la motivation retenue par le tribunal correctionnel. Contrairement à ce qui a été relevé par la Cour dans l’affaire Zoon précitée concernant la pratique des jugements en forme abrégée en droit néerlandais, ni les considérants du tribunal relatifs aux moyens de défense du requérant, ni ceux relatifs à la fixation de la peine n’étaient connus du requérant en l’espèce (cf. Zoon, précité, §§ 16, 17 et 46).

48.  Or, la Cour constate, à l’instar du requérant, qu’à l’époque des faits, la possibilité d’interjeter un appel purement conservatoire n’était pas sans conséquence pour lui car cela l’exposait à l’appel incident du ministère public sans que son propre désistement ultérieur mette fin à l’instance, comme cela est le cas aujourd’hui en vertu de l’article 500-1 du code de procédure pénale. Un tel appel conservatoire exposait donc le requérant à l’aggravation éventuelle de sa peine par la cour d’appel, sans qu’il ait pu au préalable réellement mesurer ses chances de succès.

49.  En conséquence, la Cour estime qu’en l’espèce, la seule lecture à l’audience du dispositif du jugement du tribunal correctionnel avant l’expiration du délai d’appel a porté atteinte aux droits de la défense du requérant.

50.  Selon la Cour, ni le fait que le requérant n’a pas déposé de conclusions écrites devant le tribunal correctionnel, ni le caractère modéré de la peine qui lui a été infligée, ne sont de nature à remettre en cause cette conclusion. En effet, d’une part, l’avocat du requérant a dûment défendu sa cause oralement à l’audience et, d’autre part, la peine de 20 000 francs français, soit environ 3 000 euros, d’amende à laquelle le requérant a été condamné avec sursis ne saurait être considérée comme étant purement symbolique.

51.  Partant, il y a eu violation de l’article 6  §§ 1 et 3 b) de la Convention.

52.  Eu égard à ce qui précède, la Cour estime qu’aucune question distincte ne se pose sur le terrain de l’article 2 du Protocole no 7.

II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

53.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

54.  Le requérant réclame 4 512,49 euros (EUR) au titre du préjudice matériel, représentant l’équivalent des 29 600 francs français auxquels il a, selon lui, été condamné par le tribunal, dont il n’a pas pu faire réformer le jugement faute d’avoir eu la possibilité de faire appel en toute connaissance de cause.

55.  Le requérant réclame également 35 000 EUR au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

56.  Le Gouvernement estime ces demandes infondées. Concernant le préjudice matériel, il relève que l’on ne saurait spéculer sur ce qu’aurait été l’issue de la procédure en l’absence de la violation alléguée et, concernant le préjudice moral, que celui-ci n’étant nullement démontré, un constat de violation constituerait une satisfaction équitable suffisante à ce titre.

57.   En ce qui concerne le préjudice matériel allégué, la Cour estime, à l’instar du Gouvernement, qu’elle ne saurait spéculer sur le résultat auquel la procédure incriminée aurait abouti si celle‑ci avait respecté la Convention (mutatis mutandis, Foucher c. France, arrêt du 18 mars 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997‑II, p. 466, § 43). Elle n’accorde donc rien à ce titre.

58.  Par ailleurs, la Cour n’estime pas déraisonnable de considérer que le requérant a souffert un certain préjudice moral en raison de l’impossibilité d’évaluer l’opportunité d’un appel. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle alloue au requérant 1 500 EUR à ce titre.

B.  Frais et dépens

59.  Le requérant demande également la somme de 31 000 EUR au titre des frais et dépens exposés devant la Cour, cette somme correspondant aux honoraires de son conseil pour environ 100 heures de travail consacrées au dossier. Pour justifier ce montant, le requérant fournit les conditions générales de facturation du cabinet de son conseil ainsi qu’une grille indiquant les taux horaires qui y sont pratiqués. Il ne fournit pas de note d’honoraires.

60.  Le Gouvernement estime que la somme réclamée par le requérant à ce titre est exorbitante et en toute hypothèse non justifiée. Il propose de verser au requérant 1 000 EUR à ce titre.

61.  La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. Elle relève que le requérant ne fournit pas de justificatifs précis des honoraires de son avocat. Elle estime cependant que le requérant a dû engager les frais nécessaires à sa défense devant la Cour. Compte tenu des éléments en sa possession, la Cour estime raisonnable la somme de 3 000 EUR et l’alloue au requérant.

C.  Intérêts moratoires

62.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.


PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 b) de la Convention ;

2.  Dit qu’aucune question distincte ne se pose sur le terrain de l’article 2 du Protocole no 7 ;

3.  Dit

a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 1 500 EUR (mille cinq cents euros) pour dommage moral et 3 000 EUR (trois mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 juillet 2007 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. DolléF. Tulkens
GreffièrePrésidente


[1] Soit environ 3 049 euros (EUR).

[2] Soit environ 457 EUR.

[3] Soit environ 229 EUR.

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CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE BAUCHER c. FRANCE, 24 juillet 2007, 53640/00