CEDH, Cour (première section), AFFAIRE EMIN ET AUTRES c. GRECE, 27 mars 2008, 34144/05

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CEDH · 27 mars 2008

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Première Section), 27 mars 2008, n° 34144/05
Numéro(s) : 34144/05
Type de document : Arrêt
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Violation de l'article 11 - Liberté de réunion et d'association
Identifiant HUDOC : 001-85591
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2008:0327JUD003414405
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Sur les parties

Texte intégral

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE EMIN ET AUTRES c. GRÈCE

(Requête no 34144/05)

ARRÊT

STRASBOURG

27 mars 2008

DÉFINITIF

01/12/2008

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Emin et autres c. Grèce,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

 Nina Vajić, présidente,
 Khanlar Hajiyev,
 Dean Spielmann,
 Sverre Erik Jebens,
 Giorgio Malinverni,
 George Nicolaou, juges,
 Petros Pararas, juge ad hoc,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 mars 2008,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 34144/05) dirigée contre la République hellénique par sept ressortissantes de cet Etat, Mmes Houlia Emin, Aisse Galip, Feriste Devetzioglou, Mediha Bekiroglou, Aisse Molla Ismail, Eminet Mehmet Ahmet et Gioulsen Memet (« les requérantes »), qui ont saisi la Cour le 19 septembre 2005 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Les requérantes sont représentées par Me O. Hatzibram, avocat au barreau de Xanthi. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, M. M. Apessos, conseiller auprès du Conseil juridique de l'Etat, M. S. Spyropoulos, assesseur auprès du Conseil juridique de l'Etat et Mme Z. Hatzipavlou, auditrice auprès du Conseil juridique de l'Etat.

3.  Les requérantes se plaignaient, notamment sous l'angle des articles 6 § 1, 9, 10, 11 et 14 de la Convention, du refus des juridictions nationales d'enregistrer leur association et de la durée de cette procédure.

4.  Le 10 novembre 2006, la Cour a décidé de communiquer les griefs tirés des articles 11 et 14 de la Convention au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

5.  Les requérantes résident à Rodopi (Thrace).

6.  Le 21 mars 2001, les requérantes, avec d'autres femmes de la région, décidèrent de fonder une association à but non lucratif (σωματείο) dénommée « Association culturelle des femmes turques de la région de Rodopi » (Πολιτιστικός Σύλλογος Τούρκων Γυναικών Νομού Ροδόπης). Le siège de l'association fut fixé à Komotini, capitale du département. Selon l'article 2 de ses statuts, l'association avait pour but « a) la création d'un lieu de rencontre de femmes du département de Rodopi pour la promotion et la satisfaction de leurs besoins de culture, d'éducation et de divertissement, b) l'exaltation sociale, morale et spirituelle de ses membres, c) l'établissement de liens de sororité entre ses membres et d) le maintien et la propagation du patrimoine culturel populaire à travers la revivification de traditions locales, en collaboration avec les institutions locales ».

7.  Le 5 avril 2001, les requérantes, qui constituaient le comité directeur provisoire de l'association, demandèrent, en vertu de l'article 79 du code civil, l'enregistrement de leur association auprès du tribunal de première instance de Rodopi.

8.  Le 6 juin 2001, le tribunal de première instance de Rodopi rejeta leur demande, au motif que le titre de l'association était formulé de telle manière qu'il risquait d'induire des tiers en erreur quant à l'origine de ses membres (décision no 146/2001).

9.  Le 4 juillet 2001, les requérantes interjetèrent appel.

10.  Le 17 janvier 2003, la cour d'appel de Thrace confirma la décision attaquée. La cour d'appel rappela au préalable qu'en vertu du Traité de Lausanne, seule une minorité musulmane, et non une minorité turque, a été reconnue dans la région de la Thrace occidentale. Elle releva en outre qu'en vertu du droit interne, seuls les Grecs peuvent constituer des associations et nota qu'en effet, les membres de l'association étaient des ressortissantes grecques. Or, le titre de l'association en cause laissait entendre que ses membres se considéraient comme Turques, avec la conscience nationale turque et visant à répandre en Grèce les idéaux turcs. Par conséquent, la cour d'appel considéra que l'utilisation du titre litigieux créait une confusion quant à l'origine et la citoyenneté de ses membres, ainsi que l'impression de l'existence d'une minorité turque sur le territoire grec. Le titre de l'association, en combinaison avec les termes de ses statuts, était donc contraire à l'ordre public. Elle ajouta que le refus d'enregistrer l'association était proportionné aux buts légitimes poursuivis et que ses membres avaient la possibilité de créer une association « portant un titre qui ne serait pas trompeur quant à leur identité » (arrêt no 23/2003).

11.  Le 26 février 2003, les requérantes se pourvurent en cassation, en se fondant, entre autres, sur les articles 9, 10, 11 et 14 de la Convention européenne.

12.  Le 1er avril 2005, la Cour de cassation débouta les requérantes, après avoir considéré que l'arrêt no 23/2003 de la cour d'appel de Thrace était suffisamment motivé (arrêt no 586/2005).

II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

A.  La Constitution

13.  L'article 4 § 1 de la Constitution se lit ainsi :

« Tous les Grecs sont égaux devant la loi. »

14.  L'article 12 § 1 de la Constitution est ainsi libellé :

« Tous les Grecs sont en droit de former des syndicats et associations à but non lucratif, conformément à la loi qui ne peut toutefois jamais soumettre l'exercice de ce droit à une autorisation préalable. »

B.  Le code civil

15.  Le code civil contient les dispositions suivantes concernant les associations à but non lucratif :

Article 78
Association

« Une union de personnes poursuivant un but non lucratif acquiert la personnalité juridique dès son inscription dans un registre spécial public (association) tenu auprès du tribunal de grande instance de son siège. Vingt personnes au moins sont nécessaires pour la constitution d'une association. »

Article 79
Requête aux fins de l'enregistrement de l'association

« Pour que l'association soit inscrite au registre, les fondateurs ou le comité directeur de celle-ci doivent déposer une requête auprès du tribunal de grande instance. Doivent être annexés à cette requête, l'acte constitutif,  la liste des noms des personnes composant le comité directeur et les statuts datés et signés par les membres de celui-ci. »

Article 80
Statuts de l'association

« Les statuts de l'association, pour qu'ils soient valides, doivent préciser : a) le but, le titre et le siège de l'association, b) les conditions d'admission, de retrait et d'expulsion des membres de celle-ci ainsi que leurs droits et obligations, (...) »

Article 81
Décision d'enregistrer une association

« Le tribunal de grande instance accueille la demande s'il est convaincu que toutes les conditions légales sont remplies (...) »

Article 105
Dissolution de l'association

« Le tribunal de grande instance ordonne la dissolution de l'association (...) c) si l'association poursuit un but différent de celui fixé par les statuts, ou si son objet ou son fonctionnement s'avèrent contraires à la loi, aux bonnes mœurs ou à l'ordre public. »

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 9, 10 ET 11 DE LA CONVENTION

16.  Les requérantes se plaignent qu'en refusant d'enregistrer leur association, les juridictions nationales ont porté atteinte à leurs droits garantis par les articles 9, 10 et 11 de la Convention, ainsi que par l'article 27 du Pacte international sur les droits civils et politiques.

17.  La Cour rappelle d'emblée qu'elle n'est compétente que pour examiner des requêtes par lesquelles une violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles est alléguée ; elle n'est pas compétente pour examiner des requêtes relatives à de prétendues violations d'autres instruments internationaux ou du droit interne.

18.  Par ailleurs, la Cour examinera ce grief uniquement sous l'angle de l'article 11 qui apparaît, en l'espèce, comme une lex specialis par rapport aux droits garantis aux articles 9 et 10 de la Convention. Aux termes de cette disposition :

« 1.  Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.

2.  L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Le présent article n'interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l'exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l'administration de l'Etat. »

A.  Sur la recevabilité

19.  La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

1.  Les thèses des parties

20.  Le Gouvernement, après un long rappel de la jurisprudence de la Cour sur l'article 11, puis du droit interne pertinent, souligne que la liberté d'association n'est pas absolue. Invoquant le Traité de Lausanne, qui reconnaît seulement une minorité religieuse et non pas une minorité ethnique sur le territoire grec, il affirme que les autorités nationales ont à bon droit refusé d'enregistrer l'association des requérantes, car son titre créait la confusion et le doute quant à la citoyenneté de ses membres. Selon le Gouvernement, rien n'interdit aux requérantes, ni à tous les autres ressortissants grecs de religion musulmane, de créer une association qui respecte les conditions de légalité et dont le titre ne crée pas d'ambigüité sur l'identité et les buts de ses membres. Le Gouvernement conclut que, compte tenu de la marge d'appréciation dont elles disposent, en particulier lorsqu'il s'agit de questions touchant à l'ordre public, les juridictions grecques ont en l'espèce satisfait au critère de proportionnalité.

21.  Les requérantes répondent que le Traité de Lausanne n'interdit pas aux minorités de se définir par l'épithète « turc ». Quoi qu'il en soit, leur association était un groupement de femmes qui avait comme but d'améliorer la condition des femmes se sentant appartenir non pas à la minorité, mais à la culture turque, notion plus large et comprenant d'autres éléments, tels que l'appartenance ethnique, la langue, etc. Selon elles, le rejet de leur demande était insuffisamment et abstraitement motivé. Il ne ressort d'aucun élément du dossier qu'elles aient voulu porter atteinte à l'ordre public grec ni que le refus d'enregistrer leur association fût une mesure nécessaire dans une société démocratique.

2.  L'appréciation de la Cour

a)  Principes généraux

22.  La Cour souligne que le droit qu'énonce l'article 11 inclut celui de fonder une association. La possibilité pour les citoyens de former une personne morale afin d'agir collectivement dans un domaine d'intérêt commun constitue un des aspects les plus importants du droit à la liberté d'association, sans quoi ce droit se trouverait dépourvu de toute signification. Si la Cour a souvent mentionné le rôle essentiel joué par les partis politiques pour le maintien du pluralisme et de la démocratie, les associations créées à d'autres fins, notamment la protection du patrimoine culturel ou spirituel, la poursuite de divers buts sociaux ou économiques, la recherche d'une identité ethnique ou l'affirmation d'une conscience minoritaire, sont également importantes pour le bon fonctionnement de la démocratie (Gorzelik et autres c. Pologne [GC], no 44158/98, § 92, CEDH 2004‑I).

23.  La manière dont la législation nationale consacre cette liberté et l'application de celle-ci par les autorités dans la pratique sont donc révélatrices de l'état de la démocratie dans le pays dont il s'agit. Assurément, les Etats disposent d'un droit de regard sur la conformité du but et des activités d'une association avec les règles fixées par la législation, mais ils doivent en user d'une manière conciliable avec leurs obligations au titre de la Convention et sous réserve du contrôle de la Cour.

24.  En conséquence, les exceptions visées à l'article 11 appellent une interprétation stricte, seules des raisons convaincantes et impératives pouvant justifier des restrictions à la liberté d'association. Pour juger en pareil cas de l'existence d'une nécessité au sens de l'article 11 § 2, les Etats ne disposent que d'une marge d'appréciation réduite, laquelle se double d'un contrôle européen rigoureux portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l'appliquent, y compris celles rendues par des juridictions indépendantes (Gorzelik et autres c. Pologne, précité, § 96).

25.  Lorsqu'elle exerce son contrôle, la Cour n'a point pour tâche de se substituer aux juridictions internes compétentes, mais de vérifier, sous l'angle de l'article 11, les décisions qu'elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d'appréciation. Il ne s'ensuit pas qu'elle doive se borner à rechercher si l'Etat défendeur a usé de ce pouvoir de bonne foi, avec soin et de façon raisonnable. Il lui faut encore considérer l'ingérence litigieuse, compte tenu de l'ensemble de l'affaire, pour déterminer si elle était « proportionnée au but légitime poursuivi » et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants ». Ce faisant, la Cour doit se convaincre que les autorités nationales ont appliqué des règles conformes aux principes consacrés par l'article 11 et ce, de surcroît, en se fondant sur une appréciation acceptable des faits pertinents (Sidiropoulos et autres c. Grèce, arrêt du 10 juillet 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-IV, p. 1614, § 40 ; Bekir-Ousta et autres c. Grèce, no 35151/05, § 39, 11 octobre 2007).

b)  Application en l'espèce des principes susmentionnés

26.  En l'occurrence, il n'est pas contesté par les parties que le refus des tribunaux grecs d'enregistrer l'association des requérantes s'analyse en une ingérence des autorités dans l'exercice du droit à la liberté d'association de ces dernières. Cette ingérence était « prévue par la loi », les articles 79 à 81 du code civil permettant aux tribunaux de rejeter la demande d'enregistrement d'une association lorsqu'ils constatent que la validité des statuts de l'association est sujette à caution. Par ailleurs, la Cour admet que l'ingérence litigieuse visait un but légitime au regard de l'article 11 § 2 de la Convention, à savoir la défense de l'ordre public.

27.  Dès lors, il reste principalement à examiner si l'ingérence litigieuse était « nécessaire, dans une société démocratique » pour atteindre le but légitime poursuivi. La Cour rappelle sur ce point que l'adjectif « nécessaire » implique un « besoin social impérieux » (Gorzelik et autres c. Pologne, précité, § 95).

28.  La Cour note, en premier lieu, que le refus d'enregistrer l'association des requérantes fut essentiellement motivé par le souci de couper court à l'intention qu'on leur prêtait de promouvoir l'idée qu'il existe en Grèce une minorité ethnique dont les idéaux devaient être promus. Autrement dit, la mesure litigieuse s'appuya sur une simple suspicion quant aux véritables intentions des fondatrices de l'association et aux actions que celle-ci aurait pu mener une fois qu'elle aurait commencé à fonctionner. Toutefois, les intentions des requérantes n'ont pas pu en l'espèce être vérifiées par rapport à la conduite de l'association dans la pratique, puisque celle-ci n'a jamais été enregistrée.

29.  Rappelant qu'aux termes de sa jurisprudence, l'administration des preuves relève au premier chef des règles du droit interne et qu'il revient en principe aux juridictions nationales d'apprécier les éléments recueillis par elles (voir, parmi beaucoup d'autres, García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999-I), la Cour n'est pas pour autant satisfaite que les juridictions saisies se soient contentées du seul titre « Association culturelle des femmes turques de la région de Rodopi », pour conclure à la dangerosité de l'association pour l'ordre public.

30.  De plus, s'il ne lui appartient pas d'évaluer le poids accordé par l'Etat défendeur aux questions relatives à la minorité musulmane en Thrace occidentale, la Cour pense toutefois que, à supposer même que le véritable but de l'association fût de promouvoir l'idée qu'il existe en Grèce une minorité ethnique, ceci ne saurait passer pour constituer à lui seul une menace pour une société démocratique ; cela est d'autant plus vrai que rien dans les statuts de l'association n'indiquait que ses membres prônaient le recours à la violence ou à des moyens antidémocratiques ou anticonstitutionnels. La Cour tient à rappeler sur ce point que la législation grecque n'institue pas un système de contrôle préventif pour l'établissement des associations à but non lucratif : l'article 12 de la Constitution précise que la création d'associations ne peut pas être soumise à une autorisation préalable ; quant à l'article 81 du code civil, il autorise les tribunaux à exercer un simple contrôle de légalité en la matière et non un contrôle d'opportunité (voir paragraphes 14 et 15 ci-dessus).

31.  Enfin, la Cour ne saurait exclure que l'association, une fois fondée, aurait pu, sous le couvert des buts mentionnés dans ses statuts, se livrer à des activités inconciliables avec ceux-ci et pouvant troubler l'ordre public. Or, même si une telle éventualité était confirmée, les autorités ne se trouveraient pourtant pas désarmées : en vertu de l'article 105 du code civil, le tribunal de grande instance pourrait ordonner la dissolution de l'association, si elle poursuivait par la suite un but différent de celui fixé par les statuts ou si son fonctionnement s'avérait contraire à la loi, aux bonnes mœurs ou à l'ordre public (voir paragraphe 15 ci-dessus).

32.  A la lumière de ce qui précède, la Cour ne voit guère quel était le « besoin social impérieux » pour refuser d'enregistrer l'association des requérantes et conclut que la mesure incriminée était disproportionnée aux objectifs poursuivis. Dès lors, il y a eu violation de l'article 11.

III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 14 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L'ARTICLE 11

33.  Les requérantes se plaignent que le rejet de la demande d'enregistrement de leur association, en raison de l'emploi du terme « turque », a créé une distinction discriminatoire par rapport à d'autres associations reconnues par les juridictions internes et dont les membres appartiennent à une minorité ethnique. Elles invoquent l'article 14 de la Convention, ainsi libellé :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

A.  Sur la recevabilité

34.  La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

35.  Le Gouvernement note que les juridictions internes ont refusé d'enregistrer l'association en cause, non pas en se fondant sur l'origine ethnique de ses membres, mais en raison de l'emploi du terme « femmes turques », qui sous-entendait l'existence d'une minorité turque sur le territoire grec, ce qui serait contraire au Traité de Lausanne et à l'ordre public.

36.  Les requérantes affirment que d'autres associations, fondées par des personnes appartenant à d'autres minorités, telles que l'« Association des femmes helléniques » ou les associations fondées par des Roms ou des Pomaques, sont tolérées par les pouvoirs publics.

37.  La Cour note que cette plainte se rapporte aux mêmes faits que les doléances fondées sur l'article 11 de la Convention (voir, Sidiropoulos et autres c. Grèce, précité, p. 1619, § 52). Eu égard à sa conclusion sur le terrain de cette disposition (voir paragraphe 32 ci-dessus), la Cour estime qu'il n'y a pas lieu d'examiner séparément ce grief.

III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

38.  Les requérantes allèguent que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

Sur la recevabilité

39.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l'enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d'autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

40.  En l'occurrence, la Cour note que la procédure litigieuse a débuté le 5 avril 2001, avec la saisine du tribunal de première instance de Rodopi, et s'est terminée le 1er avril 2005, avec l'arrêt no 586/2005 de la Cour de cassation. Elle connut donc une durée de plus de trois ans et onze mois pour trois degrés de juridiction. La Cour estime que ce délai est loin d'être excessif et qu'il n'y a donc pas eu dépassement du « délai raisonnable » au sens de l'article 6 § 1 de la Convention.

41.  Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

IV.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

42.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

43.  Les requérantes demandent la réparation de leur préjudice moral, mais laissent à la Cour le soin d'en fixer le montant.

44.  Le Gouvernement affirme qu'un constat de violation constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante au titre du dommage moral prétendument subi par les requérantes.

45.  La Cour ne doute pas que les requérantes aient subi un dommage moral. Elle l'estime toutefois suffisamment compensé par le constat de violation de l'article 11 de la Convention.

B.  Frais et dépens

46.  Les requérantes n'ont présenté aucune demande au titre des frais et dépens. Partant, il n'y pas lieu de leur octroyer de somme à ce titre.

C.  Intérêts moratoires

47.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête irrecevable quant au grief tiré de la durée de la procédure et recevable pour le surplus ;

2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 11 de la Convention ;

3.  Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner séparément le grief tiré de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 11 ;

4.  Dit que le constat d'une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le préjudice moral.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 27 mars 2008 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

 Søren Nielsen Nina Vajić
 Greffier Présidente

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  1. Constitution du 4 octobre 1958
  2. Code civil
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