CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE VELLUTINI ET MICHEL c. FRANCE, 6 octobre 2011, 32820/09

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Chronologie de l’affaire

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CEDH · 6 octobre 2011

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CEDH · 6 octobre 2011

Communiqué de presse sur l'affaire 32820/09

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 6 oct. 2011, n° 32820/09
Numéro(s) : 32820/09
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Almeida Azevedo c. Portugal, no 43924/02, § 30, 23 janvier 2007
Brasilier c. France, no 71343/01, 11 avril 2006
Brunet-Lecomte et autres c. France, no 42117/04, § 46, 5 février 2009
Chauvy et autres c. France, no 64915/01, § 78, CEDH 2004-VI
Cumpana et Mazare c. Roumanie [GC], no 33348/96, § 111, CEDH 2004-XI
Incal c. Turquie, 9 juin 1998, § 54, Recueil 1998-IV
Jerusalem c. Autriche, no 26958/95, § 54, CEDH 2001-II
Nilsen et Johnsen c. Norvège [GC], no 23118/93, CEDH 1999-VIII
Lehideux et Isorni c. France, 23 septembre 1998, §§ 51 et 55, Recueil des arrêts et décisions 1998-VII
Lindon, Otchakovsky-Laurens et July c. France, [GC], nos 21279/02 et 36448/02, § 45, CEDH 2007-XI
Lingens c. Autriche, 8 juillet 1986, § 42, série A no 103
Lopes Gomes da Silva c. Portugal, no 37698/97, § 34, CEDH 2000-X
Mamère c. France, no 12697/03, CEDH 2006-XIII
Oberschlick c. Autriche (no 1), 23 mai 1991, § 69, série A no 204
Oberschlick c. Autriche (no 2), 1er juillet 1997, § 33, Recueil 1997-IV
Palomo Sanchez et autres c. Espagne [GC], nos 28955/06, 28957/06, 28959/06 et 28964/06, § 67, 12 septembre 2011
Papaianopol c. Roumanie, no 17590/02, § 34, 16 mars 2010
Renaud c. France, no 13290/07, § 39, 25 février 2010
Sabou et Pircalab c. Roumanie, no 46572/99, § 39, 28 septembre 2004
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Oui
Conclusions : Violation de l'art. 10 ; Préjudice moral - constat de violation suffisant
Identifiant HUDOC : 001-106664
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2011:1006JUD003282009
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Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE VELLUTINI ET MICHEL c. FRANCE

(Requête no 32820/09)

ARRÊT

STRASBOURG

6 octobre 2011

DÉFINITIF

06/01/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 c) de la Convention.

Il peut subir des retouches de forme.

.


En l’affaire Vellutini et Michel c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

 Dean Spielmann, président,
 Elisabet Fura,
 Jean-Paul Costa,
 Karel Jungwiert,
 Mark Villiger,
 Ganna Yudkivska,
 Angelika Nußberger, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 septembre 2011,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 32820/09) dirigée contre la République française et dont deux ressortissants de cet Etat, MM. Bernard Vellutini et Cédric Michel (« les requérants »), ont saisi la Cour le 5 juin 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Les requérants sont représentés par Mes D. Le Fraper Du Hellen et S. Baumel-Julien, avocats à Montpellier. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3.  Invoquant les articles 10 et 11 de la Convention, les requérants se plaignent de ce que leur condamnation par les juridictions répressives pour diffamation publique envers un citoyen chargé d’un mandat public porterait atteinte à leurs libertés d’expression et d’association syndicale.

4.  Le 15 juin 2010, le président de la cinquième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5.  Les requérants sont nés respectivement en 1957 et 1979 et résident, le premier à Lunel et le second à Hostens.

6.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

7.  Les requérants sont respectivement président et secrétaire général de l’Union syndicale professionnelle des policiers municipaux (USPPM).

8.  Une adhérente de ce syndicat, qui exerçait ses fonctions à Vendays‑Montalivet, B., eut un litige avec le maire de cette commune, portant notamment sur un décompte d’heures supplémentaires.

9.  Par deux arrêtés municipaux successifs des 9 janvier et 6 février 2006, le maire infligea deux suspensions temporaires de trois jours à la policière, lui reprochant une attitude injurieuse et des menaces adressées à ses collègues de travail.

10.  Assistée de l’un des deux requérants, la fonctionnaire de police exerça un recours contre ces deux décisions devant le tribunal administratif de Bordeaux.

11.  Le 16 novembre 2006, elle déposa par ailleurs une plainte à l’encontre de plusieurs agents municipaux pour violences volontaires, injures et menaces et dénonciation calomnieuse.

12.  Par la suite, elle fut expressément mise en cause par le maire dans deux numéros du bulletin municipal (bulletins nos 44 et 45 de 2006).

13.  Dans le premier article, le maire, évoquant « une policière municipale qui fait la une des journaux », félicitait par ailleurs le personnel municipal « qui assure sa mission », pour l’opposer aux « quelques autres » qui pourraient prétendre à du harcèlement et auxquels il demandait de « respecter le matériel » et d’accomplir « ce qui leur est confié ». Il précisait à cet égard ne pas prendre en compte l’appartenance syndicale mais la qualité du travail.

14.  Dans le second article intitulé « note d’information à la population », il récusait le lien, fait selon lui par « certains » désignés comme ses adversaires, entre les sanctions disciplinaires subies par B. et la mise en cause de l’agent placier du marché qui faisait l’objet d’une enquête en cours pour des « indélicatesses supposées ». Il précisait que le litige l’opposant à la policière aurait débuté avant l’autre affaire. Il ajoutait que le comportement de la fonctionnaire de police aurait été exemplaire jusqu’à sa titularisation, mais qu’elle aurait ensuite fait preuve d’une attitude agressive, injurieuse ou menaçante justifiant, selon lui, des sanctions disciplinaires bénignes, précisant que ces sanctions faisaient l’objet d’un examen en cours par la juridiction administrative. Le maire niait toute volonté de harcèlement, se prévalant au contraire d’une exigence de respect des personnes et d’obéissance aux instructions. Rappelant ensuite que des plaintes avaient été déposées de part et d’autre, il appelait de ses vœux un apaisement. Il précisait par ailleurs que l’enquête concernant le placier était toujours en cours et que celui-ci devait bénéficier de la présomption d’innocence.

15.  Le 24 février 2007, B. porta plainte contre le maire pour injures publiques et subornation de témoin.

16.  Courant février 2007, les requérants diffusèrent à des habitants de la commune (les membres du conseil municipal et des « personnes éminentes », d’après leurs précisions devant la cour d’appel) un tract intitulé « communiqué à la population de Vendays-Montalivet », comportant les extraits suivants :

« Votre maire, premier magistrat, dont la volonté est de jeter le discrédit sur la policière municipale, » (...)

« il est impossible de laisser votre maire s’acharner publiquement sur son agent, la discréditer, raconter n’importe quoi, sans laisser à celle-ci aucune chance ni moyen de s’exprimer et de se défendre, » (...)

« votre premier magistrat bafoue la loi, » (...)

« votre élu présente les choses à sa façon en ne disant que ce qui l’arrange... votre maire dirige sa commune tel un dictateur cultivant le culte de la personnalité, » (...)

« votre maire insulte publiquement votre policière en prétendant qu’elle serait malade mentale, » (...)

« allez vous permettre que votre maire s’acharne et détruise cette mère de famille sur la place publique, telle l’Inquisition brûlait et lapidait les sorcières ? » (...)

« Il a déclaré publiquement lors d’une instance de la fonction publique être au courant d’un certain nombre de ces délits réprimés par la loi, mais qu’il ne les a pas dénoncés à la justice et qu’il n’a ni sanctionné ni diligenté d’enquête administrative contre les agents mis en cause, » (...)

« au rang des personnes qui ont témoigné contre la policière, figurent certaines personnes mises en cause dans ces infractions financières que le maire n’a pas sanctionnées, » (...)

« celui-ci reste poursuivi par le syndicat devant le juge administratif pour avoir illégalement sanctionné la policière alors que celle-ci a osé témoigner contre ces infractions financières, » (...)

« votre maire prétend que le policier placier ne peut être sanctionné, celui-ci bénéficiant de la présomption d’innocence, votre maire raconte n’importe quoi. » (...)

« Votre maire a su s’entourer de témoins douteux contre la policière et a su les protéger en ne les dénonçant pas à la justice. » (...)

« Sa communication n’a qu’un seul but, servir ses intérêts politiques et non pas vous tenir informés des vérités dont (sic) vous êtes en droit d’attendre. »

17.  Le 28 mars 2007, le maire cita les deux requérants devant le tribunal correctionnel de Bordeaux, soutenant que ces propos étaient clairement diffamatoires, le visaient en tant qu’élu et dans le but de le discréditer aux yeux de la population de sa commune.

18.  Le 18 juillet 2007, le tribunal correctionnel de Bordeaux condamna chacun des requérants au paiement d’une amende de 1 000 euros (« EUR »), après avoir déclaré irrecevable leur offre de preuve, faute d’avoir été présentée dans le respect des conditions légales. Les requérants furent en outre condamnés à payer chacun 2 500 EUR de dommages-intérêts à la partie civile, le tribunal ordonnant par ailleurs la publication du jugement par extraits dans la presse locale et dans son entier sur le site internet du syndicat.

19.  Les requérants firent appel du jugement. Ils maintinrent leur offre de preuve. En outre, ils sollicitèrent un sursis à statuer dans l’attente de décisions dans des procédures relatives, selon eux, aux faits décrits dans le tract, à savoir la procédure en annulation des sanctions administratives à l’encontre de la policière et deux procédures, l’une pour violence, l’autre pour concussion envers d’anciens fonctionnaires municipaux. Par ailleurs, ils alléguèrent avoir agi de bonne foi, c’est-à-dire dans un but légitime, sans animosité personnelle, avec prudence et mesure, et après avoir vérifié la qualité et la fiabilité de leurs informations. S’agissant de ce dernier point, ils précisaient s’appuyer sur une liste détaillée de pièces, notamment de témoignages et d’articles de presse.

20.  Par un arrêt du 1er février 2008, la cour d’appel de Bordeaux confirma le jugement du tribunal correctionnel, précisant que la condamnation des requérants à 5 000 EUR de dommages-intérêts serait solidaire. Elle jugea qu’ils avaient abusé de la liberté d’expression que leur conférait leur qualité de syndicaliste pour dénoncer des faits particulièrement graves sans les étayer par une démonstration appropriée et en les assortissant de qualificatifs déplacés. Excluant toute bonne foi et évoquant une attaque sans discernement et un écrit particulièrement agressif, elle leur reprocha en particulier de procéder par « sous-entendu et allégation », sans relater des faits précis - et notamment aucune procédure en cours susceptible de justifier le propos - et que le lecteur pourrait contrôler. Elle confirma par ailleurs l’irrecevabilité de leur demande d’offre de preuve. Enfin, elle rejeta leur demande de sursis à statuer dans l’attente d’une décision du juge administratif, laquelle s’inscrivait dans le cadre de cette offre de preuve. Elle précisa qu’en tout état de cause, le caractère excessif des propos incriminés ne justifiait pas le sursis demandé dans l’attente de décisions concernant des tiers.

21.  Le 9 décembre 2008, la Cour de cassation déclara non admis les pourvois formés par les requérants.

22.  Par ailleurs, le 1er juin 2010, les sanctions prises à l’encontre de B. furent annulées par la cour administrative d’appel de Bordeaux.

II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

23.  Les dispositions pertinentes de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse se lisent comme suit :

Article 29

« Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés.

Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure. »

Article 30

« La diffamation commise par l’un des moyens énoncés en l’article 23 envers les cours, les tribunaux, les armées de terre, de mer ou de l’air, les corps constitués et les administrations publiques, sera punie d’une amende de 45 000 euros. »

L’article 23 énonce à cet égard les discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, ainsi que les écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, ou encore les placards ou les affiches exposés au regard du public, ainsi que tout moyen de communication au public par voie électronique.

Article 31

« Sera punie de la même peine, la diffamation commise par les mêmes moyens, à raison de leurs fonctions ou de leur qualité, envers un ou plusieurs membres du ministère, un ou plusieurs membres de l’une ou de l’autre Chambre, un fonctionnaire public, un dépositaire ou agent de l’autorité publique, un ministre de l’un des cultes salariés par l’Etat, un citoyen chargé d’un service ou d’un mandat public temporaire ou permanent, un juré ou un témoin, à raison de sa déposition. »

La diffamation contre les mêmes personnes concernant la vie privée relève de l’article 32 ci-après. »

Article 35

« La vérité du fait diffamatoire, mais seulement quand il est relatif aux fonctions, pourra être établie par les voies ordinaires, dans le cas d’imputations contre les corps constitués, les armées de terre, de mer ou de l’air, les administrations publiques et contre toutes les personnes énumérées dans l’article 31.

La vérité des imputations diffamatoires et injurieuses pourra être également établie contre les directeurs ou administrateurs de toute entreprise industrielle, commerciale ou financière, dont les titres financiers sont admis aux négociations sur un marché réglementé ou offerts au public sur un système multilatéral de négociation ou au crédit.

La vérité des faits diffamatoires peut toujours être prouvée, sauf :

a)  Lorsque l’imputation concerne la vie privée de la personne ;

b)  Lorsque l’imputation se réfère à des faits qui remontent à plus de dix années ;

c)  Lorsque l’imputation se réfère à un fait constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou qui a donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision ;

Les deux alinéas a et b qui précèdent ne s’appliquent pas lorsque les faits sont prévus et réprimés par les articles 222-23 à 222-32 et 227-22 à 227-27 du code pénal et ont été commis contre un mineur.

Dans les cas prévus aux deux paragraphes précédents, la preuve contraire est réservée. Si la preuve du fait diffamatoire est rapportée, le prévenu sera renvoyé des fins de la plainte.

Dans toute autre circonstance et envers toute autre personne non qualifiée, lorsque le fait imputé est l’objet de poursuites commencées à la requête du ministère public, ou d’une plainte de la part du prévenu, il sera, durant l’instruction qui devra avoir lieu, sursis à la poursuite et au jugement du délit de diffamation.

Le prévenu peut produire pour les nécessités de sa défense, sans que cette production puisse donner lieu à des poursuites pour recel, des éléments provenant d’une violation du secret de l’enquête ou de l’instruction ou de tout autre secret professionnel s’ils sont de nature à établir sa bonne foi ou la vérité des faits diffamatoires. »

Article 55

« Quand le prévenu voudra être admis à prouver la vérité des faits diffamatoires, conformément aux dispositions de l’article 35 de la présente loi, il devra, dans le délai de dix jours après la signification de la citation, faire signifier au ministère public ou au plaignant au domicile par lui élu, suivant qu’il est assigné à la requête de l’un ou de l’autre :

1o  Les faits articulés et qualifiés dans la citation, desquels il entend prouver la vérité ;

2o  La copie des pièces ;

3o  Les noms, professions et demeures des témoins par lesquels il entend faire la preuve.

Cette signification contiendra élection de domicile près le tribunal correctionnel, le tout à peine d’être déchu du droit de faire la preuve. »

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 10 ET 11 DE LA CONVENTION

24.  Les requérants se plaignent d’avoir été condamnés pour diffamation publique envers un citoyen chargé d’un mandat public au titre de propos tenus dans le cadre d’un mandat syndical. Ils invoquent les articles 10 et 11 de la Convention, qui se lisent comme suit :

Article 10

« 1.  Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2.  L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

Article 11

« 1.  Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.

2.  L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’Etat. »

A.  Sur la recevabilité

25.  La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B.  Sur le fond

1.  Thèses des parties

a)  Les requérants

26.  Les requérants observent tout d’abord que le juge administratif a annulé l’ensemble des sanctions administratives prises à l’encontre de la policière municipale dont ils estimaient dans le tract qu’elle avait été illégalement sanctionnée.

27.  Ils font en outre valoir que le tract litigieux a été diffusé auprès de la population pour répliquer – faute d’avoir obtenu un droit de réponse - à des attaques personnelles et répétées de cette adhérente de leur syndicat par le maire de Vendays-Montalivet dans le bulletin municipal de cette commune, s’inscrivant ainsi dans le cadre d’un débat d’intérêt public local. Ils ajoutent avoir visé le maire au titre de l’action accomplie en sa qualité d’élu. Ils démentent par ailleurs lui avoir reproché d’avoir influencé les témoins dans le cadre de la procédure disciplinaire. Par ailleurs, ils considèrent que la preuve du harcèlement et du comportement injurieux du maire envers la policière municipale est rapportée par plusieurs témoignages, notamment dans le cadre de la plainte qu’elle a déposée. Il en est de même, selon eux, des faits de concussion, subornation de témoins et abus de confiance reprochés à des agents communaux, dont certains, qui ont témoigné contre la policière, n’ont pas été sanctionnés par le maire.

b)  Le Gouvernement

28.  Le Gouvernement, qui reconnaît la réalité de l’ingérence litigieuse dans la liberté d’expression des requérants, fait valoir que celle-ci était légale et qu’elle répondait au but légitime de protéger les droits et la réputation du maire de Vendays-Montalivet, compte tenu de la nécessité de préserver la relation de confiance existant entre un élu, victime en l’espèce d’attaques sans discernement, et ses administrés.

29.  Pour le Gouvernement, l’ingérence était proportionnée à ce but légitime. Il fait valoir que les propos des requérants, qui ont été examinés de manière minutieuse et replacés dans leur contexte par les juridictions internes, ne concernaient pas une question d’intérêt local. Il estime qu’ils se rapportaient seulement à un litige entre le maire et un agent objet d’une procédure disciplinaire. Il ajoute que le contenu virulent et déshonorant du tract, lequel mettait en cause la personne même du maire, n’était pas de nature à contribuer à la libre discussion ou à l’information du public.

30.  Le Gouvernement soutient en particulier que les requérants n’ont pas apporté la preuve de la véracité des faits qu’ils imputaient au maire, alors qu’ils pouvaient être qualifiés d’infractions pénales telles que prise illégale d’intérêt, subornation de témoin, harcèlement moral ou insulte publique. Il indique qu’il leur appartenait à cet égard de respecter des conditions procédurales permettant de s’assurer qu’ils disposaient, lors de la diffusion du tract, des éléments factuels permettant d’étayer leurs propos. Par ailleurs, ils ont été mis à même de plaider leur bonne foi, laquelle n’a pas été retenue, au regard de l’animosité manifeste de leurs propos, dont le contenu, et particulièrement les imputations d’infractions, justifiait en tout état de cause l’ingérence litigieuse. Le Gouvernement estime qu’à ce titre, les requérants n’ont pas assumé les devoirs et responsabilités inhérents à la liberté d’expression reconnue à tout syndicat. Il souligne ainsi que la publication litigieuse ne peut être assimilée à une réaction instantanée et irréfléchie propre aux excès verbaux.

31.  Enfin, le Gouvernement considère comme proportionnée les sanctions infligées aux requérants.

2.  Appréciation de la Cour

32.  La Cour indique d’emblée qu’elle examinera ce grief sous l’angle de l’article 10 de la Convention, disposition pertinente en l’espèce. Pour autant, elle considère qu’il y a lieu de tenir compte du fait que les déclarations des requérants ont été tenues en leur qualité de responsables d’un syndicat, en rapport avec la situation professionnelle de l’un de ses membres. A ce titre, la Cour rappelle que le droit à la liberté d’expression garanti par l’article 10 constitue l’un des principaux moyens permettant d’assurer la jouissance effective du droit à la liberté de réunion et d’association consacré par l’article 11 (voir, mutatis mutandis, Nilsen et Johnsen c. Norvège [GC], no 23118/93, § 44, CEDH 1999-VIII). Ceci vaut particulièrement dans le domaine syndical.

33.  La Cour relève ensuite que la condamnation des requérants pour des faits qualifiés de « diffamation publique envers un citoyen chargé d’un mandat public » constitue une ingérence dans l’exercice de leur droit à la liberté d’expression.

34.  Elle constate en outre qu’une telle ingérence était prévue par la loi, à savoir les articles 23 et 29 à 31 de la loi du 29 juillet 1881, dans lesquels l’infraction pour laquelle les requérants ont été condamnés trouve son fondement. En outre, cette ingérence poursuivait le but légitime de la protection de la réputation ou des droits d’autrui, prévu par l’article 10 § 2 de la Convention.

35.  Il reste donc à la Cour à déterminer si l’ingérence litigieuse était « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre ce but, c’est-à-dire si, à la lumière des principes fondamentaux qui se dégagent de sa jurisprudence relative à l’article 10 (voir, parmi de nombreux autres, Lindon, Otchakovsky-Laurens et July c. France, [GC], nos 21279/02 et 36448/02, § 45, CEDH 2007-XI, Mamère c. France, no 12697/03, § 19, CEDH 2006-XIII, et Lehideux et Isorni c. France, 23 septembre 1998, §§ 51 et 55, Recueil des arrêts et décisions 1998-VII), elle répondait à un « besoin social impérieux ».

36.  A cet égard, la Cour observe que si les propos des requérants ne relèvent pas de la critique générale d’une politique municipale, il s’agit de la mise en cause par les représentants d’un syndicat du rôle d’un élu en sa qualité d’employeur. A ce titre, ils répondent à l’intérêt légitime du public pour la gestion des collectivités publiques et le fonctionnement des services qui leur sont rattachés. La Cour note d’ailleurs que la polémique dans laquelle s’inscrivent les propos litigieux a eu un impact significatif sur le fonctionnement du service public concerné, et au-delà, de la commune, compte tenu des personnes impliquées, en premier lieu le maire. Celui-ci a donné une résonance particulière à cette affaire en l’évoquant à deux reprises dans le bulletin municipal diffusé à la population communale, la seconde publication lui ayant même été exclusivement consacrée. Le fait, mentionné par l’élu, que cette polémique ait été relatée par la presse témoigne également d’un retentissement certain dans l’opinion publique locale.

37.  Dès lors, les propos litigieux trouvent leur place dans un débat d’intérêt public, domaine dans lequel la Convention ne laisse guère de place à des restrictions au droit à la liberté d’expression (voir, entre autres, Brasilier c. France, no 71343/01, § 41, 11 avril 2006). Pour autant, et malgré leur qualité de représentants d’un syndicat, il appartenait aux requérants de veiller à ce que leurs propos s’inscrivent dans les limites de ce droit, et notamment dans l’intérêt de la « protection de la réputation et des droits d’autrui » (Nilsen et Johnsen, précité, § 47). Il s’agit donc de déterminer s’ils ont franchi les limites de la critique admissible.

38.  De ce point de vue, la Cour observe que le maire, bien que parfaitement identifiable, n’était pas nommément désigné dans le tract, lequel ne contenait aucune allégation d’ordre privé, les requérants se bornant à critiquer celui-ci dans le cadre de ses fonctions (voir, entre autres, Papaianopol c. Roumanie, no 17590/02, § 34, 16 mars 2010, et Sabou et Pircalab c. Roumanie, no 46572/99, § 39, 28 septembre 2004). Or les limites de la critique admissible sont plus larges à l’égard d’un homme politique, visé en cette qualité, que d’un simple particulier : à la différence du second, le premier s’expose inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de ses faits et gestes tant par les journalistes que par la masse des citoyens ; il doit, par conséquent, montrer une plus grande tolérance (voir, entre autres, Brasilier, précité, § 41, Incal c. Turquie, 9 juin 1998, § 54, Recueil 1998-IV, et Lingens c. Autriche, 8 juillet 1986, § 42, série A no 103).

39.  Au demeurant, les propos des requérants, s’ils ne sont pas exempts d’une certaine virulence, s’inscrivent pleinement dans le contexte d’un débat local présentant une réelle vivacité. Ils visent en particulier à répondre à la mise en cause publique, par l’élu, du comportement professionnel, et même personnel, d’une adhérente de leur syndicat. Partant, s’ils relèvent à la fois de déclarations de fait, notamment s’agissant de déclarations ou d’attitudes prêtées au maire, et de jugements de valeur, ils ne constituent pas une attaque gratuite contre ce dernier mais un élément du débat d’intérêt général qu’il a suscité (voir, mutatis mutandis, Oberschlick c. Autriche (no 2), 1er juillet 1997, § 33, Recueil 1997-IV). Dans ce cadre, il est permis aux requérants, comme à toute personne qui s’engage dans un débat public, de recourir à une certaine dose d’exagération, voire de provocation, c’est‑à‑dire d’être quelque peu immodéré dans leurs propos (Mamère, précité, § 25). De surcroît, la Cour rappelle que dans ce domaine l’invective politique déborde souvent sur le plan personnel : ce sont là les aléas du jeu politique et du libre débat d’idées, garants d’une société démocratique (Renaud c. France, no 13290/07, § 39, 25 février 2010, Lopes Gomes da Silva c. Portugal, no 37698/97, § 34, CEDH 2000-X, et Almeida Azevedo c. Portugal, no 43924/02, § 30, 23 janvier 2007). Par ailleurs, la Cour estime que les propos litigieux n’ont pas revêtu un caractère vexatoire et blessant qui aurait excédé les limites convenables de la polémique syndicale (voir, a contrario, Palomo Sanchez et autres c. Espagne [GC], nos 28955/06, 28957/06, 28959/06 et 28964/06, § 67, 12 septembre 2011).

40.  Il reste qu’une telle attaque peut se révéler excessive en l’absence de toute base factuelle (ibidem, et, entre autres, Brasilier, précité, § 36). A cet égard, la Cour note que les requérants ont proposé de faire valoir une offre de preuves devant les juridictions internes, laquelle a été refusée pour des motifs d’ordre procédural. Cependant, la Cour rappelle qu’il ne lui appartient pas de spéculer sur les effets de cette offre si elle avait été acceptée, mais uniquement de vérifier si les juridictions internes ont justifié leur condamnation de manière pertinente (Brunet-Lecomte et autres c. France, no 42117/04, § 46, 5 février 2009).

41.  Or, la Cour estime que ces juridictions ont, avant toute autre considération, analysé le contenu du tract litigieux au regard du ton employé par ses auteurs, sans replacer les propos tenus par les requérants dans le contexte de la polémique véhémente qui les opposait au maire. Pourtant, la Cour observe que ce tract se voulait conçu comme une réponse aux déclarations faites publiquement dans le bulletin municipal par l’élu sans qu’une possibilité de réponse ait été ménagée à la personne qu’ils visaient ou à ses représentants. Dès lors, la Cour considère qu’il ne pouvait être exigé des requérants de se référer avec plus de précision qu’ils ne le faisaient aux procédures qu’ils évoquaient, alors même que ces allusions renvoyaient à des instances justement mentionnées par le maire. S’agissant des autres éléments relatés par les requérants, la Cour estime que ces derniers n’étaient pas, en leur qualité de dirigeants syndicaux, tenus de faire preuve de la même rigueur que celle exigées des journalistes. De surcroît, la Cour remarque que ces éléments s’inscrivaient pleinement dans leur stratégie de réponse au maire, qui imputait lui-même à la policière municipale un comportement grave sans étayer sa démonstration outre mesure. En tout état de cause, s’ils n’ont pas respecté les règles procédurales régissant l’offre de preuve, les requérants ont constamment plaidé leur bonne foi, affirmant de manière détaillée qu’ils disposaient d’éléments suffisamment sérieux pour croire légitimement en leur véracité. Dès lors, les propos des requérants n’étaient pas dépourvus de toute base factuelle.

42.  Par ailleurs et au regard de ce qui précède, la Cour ne considère pas qu’en l’espèce les expressions utilisées par les requérants relèvent d’une animosité personnelle manifeste, s’inscrivant au contraire dans les limites de la critique admissible s’agissant de représentants syndicaux engagés dans un débat d’intérêt général.

43.  Enfin, la nature et la lourdeur des peines infligées sont des éléments à prendre en considération lorsqu’il s’agit de mesurer la proportionnalité d’une atteinte au droit à la liberté d’expression (voir, entre autres, Cumpănă et Mazăre c. Roumanie [GC], no 33348/96, § 111, CEDH 2004-XI, et Chauvy et autres c. France, no 64915/01, § 78, CEDH 2004-VI). En l’espèce, les requérants se sont vu infliger une amende de 1 000 EUR chacun, outre une condamnation solidaire à payer 5 000 EUR de dommages-intérêts. Au vu des faits reprochés aux requérants, la Cour estime que pareille condamnation doit être considérée comme étant disproportionnée.

44.  Au vu de ce qui précède, la Cour estime que l’ingérence dans l’exercice par les requérants de leur droit à la liberté d’expression en leur qualité de représentants syndicaux n’était pas nécessaire dans une société démocratique, au sens de l’article 10.

45.  Partant, la Cour conclut à la violation de l’article 10 de la Convention.

III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

46.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

47.  Au titre du préjudice matériel, les requérants demandent le remboursement des dommages-intérêts payés à leur adversaire, ainsi que des sommes qu’ils ont été condamnés à lui payer au titre des frais exposés par lui et non pris en charge par l’Etat, soit 1 500 euros devant les juges du fond et 1 500 euros devant la Cour de cassation.

48.  Le Gouvernement fait valoir que les requérants n’apportent pas la preuve du paiement des sommes dont ils réclament le remboursement.

49.  La Cour est convaincue de l’existence d’un lien de causalité suffisant entre le dommage matériel allégué et les violations constatées par elle sur le terrain de l’article 10 de la Convention. En conséquence, au regard des pièces du dossier faisant état du paiement par les requérants de 5 000 euros de dommages-intérêts, outre 3 000 euros au titre des frais de procédure de leur adversaire non pris en charge par l’Etat, la Cour alloue à chacun des requérants la somme de 4 000 EUR au titre du dommage matériel.

50.  Par ailleurs, la Cour n’exclut pas que les requérants aient subi, du fait de la violation de l’article 10, un certain dommage moral. Elle estime toutefois qu’en l’occurrence le constat de manquement figurant dans le présent arrêt (paragraphe 49 ci-dessus) constitue en soi une satisfaction équitable suffisante (voir, entre autres, Oberschlick c. Autriche (no 1), 23 mai 1991, § 69, série A no 204, et Jerusalem c. Autriche, no 26958/95, § 54, CEDH 2001-II).

B.  Frais et dépens

51.  Les requérants sollicitent une somme de 6 338,80 EUR pour les frais et honoraires encourus au niveau interne et devant la Cour.

52.  Le Gouvernement ne s’oppose pas à la prise en charge des frais exposés devant la Cour à hauteur de 3 348,48 EUR, contestant en revanche celle des frais engagés devant les juridictions internes, faute pour les requérants de justifier qu’ils visaient à voir relever une violation de la Convention.

53.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En outre, lorsque la Cour constate une violation de la Convention, elle n’accorde au requérant le paiement des frais et dépens qu’il a exposés devant les juridictions nationales que dans la mesure où ils ont été engagés pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation. Tel a bien été le cas en l’espèce, le requérant fournissant des notes d’honoraires précises, tant pour la procédure devant les juridictions internes, devant lesquelles était en cause la violation alléguée, que devant la Cour.

54.  Partant, la Cour juge raisonnable d’allouer conjointement 6 338,80 EUR aux requérants au titre de l’ensemble de leurs frais et dépens.

C.  Intérêts moratoires

55.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1.  Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;

2.  Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ;

3.  Dit, par six voix contre une, que le constat d’une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ;

4.  Dit, par six voix contre une,

a)  que l’Etat défendeur doit verser aux requérants dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 4 000 EUR (quatre mille euros) à chacun des requérants pour dommage matériel, et conjointement 6 338,80 EUR (six mille trois cent trente-huit euros et quatre-vingts centimes) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 6 octobre 2011, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

 Claudia Westerdiek Dean Spielmann
 Greffière Président

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Villiger.

D.S.
C.W.


OPINION DISSIDENTE DU JUGE VILLIGER

1.  J’ai le regret de ne pouvoir souscrire au constat de violation de l’article 10 de la Convention auquel parvient la majorité.

2.  Certes, je rejoins sa conclusion selon laquelle est en cause un débat d’intérêt général qui participe à la libre critique du fonctionnement des collectivités territoriales (paragraphe 36 de l’arrêt). A cet égard, le fait que les deux requérants s’expriment en qualité de représentants de leur syndicat pour défendre l’un de ses membres doit être pris en compte (paragraphe 32 de l’arrêt, rejoignant la jurisprudence Nilsen et Johnsen c. Norvège [GC], no 23118/93, § 44, CEDH 1999-VIII). De surcroît, il est vrai qu’est en cause un élu qui, au demeurant, n’a pas subi d’attaques sur le plan privé.

3.  Cela étant, je ne peux suivre l’avis de la majorité lorsqu’elle donne, de mon point de vue, une portée particulièrement restreinte à la notion de « protection de la réputation et des droits d’autrui ».

4.  En effet, quelle que puisse être la dose d’exagération, voire de provocation, qui est reconnue aux personnes s’engageant dans un tel débat, celles-ci ne doivent pas être dispensées d’agir de bonne foi, de manière à fournir des informations exactes et dignes de crédit (Radio France et autres c. France, no 53984/00, § 37, Recueil 2004-II, et Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège [GC], no 21980/93, § 65, CEDH 1999-III). Certes, les propos des requérants entendaient répondre à la mise en cause de la policière par le maire. Pour autant, cela ne les empêchait pas de recourir à une explication objectivement compréhensible et tirée du discours de l’intéressé (voir, mutatis mutandis, Oberschlick c. Autriche (no 2), 1er juillet 1997, § 33, Recueil 1997-IV). A ce titre, même si leur déclaration équivaut pour partie à un jugement de valeur, je pense que l’on doit tenir compte de l’existence d’une base factuelle pour apprécier la proportionnalité de l’ingérence des autorités : même un jugement de valeur en particulier s’il est totalement dépourvu de base factuelle peut se révéler excessif (voir, entre autres, Brasilier, précité, § 36)

5.  Or j’estime que si une telle base factuelle n’est pas inexistante en l’espèce, elle s’appuie sur des allégations elliptiques ou à tout le moins très imprécises. En effet, selon moi, les requérants se sont abstenus, dans leur tract, de toute référence à des éléments suffisamment précis ou à tout le moins vérifiables au regard tant de la virulence du discours que de la gravité des faits qu’ils imputaient à l’élu. Quant aux propos relatifs au recours intenté contre ce dernier devant le juge administratif, il visait uniquement et manifestement à souligner l’illégalité des sanctions prises à l’encontre de la policière municipale, et ce avant même que la juridiction ait statué. Peu importe à cet égard l’annulation ultérieure des sanctions.

6.  En outre, il me semble que la relation faite par les requérants entre, d’une part, l’attitude supposée de certains témoins non identifiés et, d’autre part, l’absence de dénonciation et de suites disciplinaires par le maire concernant des infractions qu’ils auraient commises, constituait une accusation particulièrement grave. Une telle allégation se devait d’être étayée, fût-ce a minima, or elle ne s’appuie sur aucun élément suffisamment précis. De surcroît, les propos prêtés au maire, concernant la connaissance de faits délictueux et leur non-dénonciation, ne sont ni clairement situés, ni relatés de manière à permettre au lecteur d’en appréhender réellement la teneur. Enfin, le lien allégué entre ces deux imputations procède uniquement de l’affirmation.

7.  Certes, les requérants ont proposé de faire valoir une offre de preuves devant les juridictions internes, laquelle a été refusée pour des motifs d’ordre procédural. Mais, en tout état de cause, il ne s’agit pas de spéculer sur l’issue hypothétique de cette offre, surtout si l’on tient compte de l’imprécision des allégations des requérants.

8.  Dans ces conditions, je ne suis pas convaincu que les propos des requérants relèvent du « contrôle européen » qu’il appartient à la Cour d’exercer. Il aurait peut-être été préférable de laisser aux autorités internes une marge d’appréciation, et ce d’autant que le montant des amendes infligées reste – relativement – modéré (voir, mutatis mutandis, l’opinion séparée sous l’arrêt Roland Dumas c. France, no 34875/07, 15 juillet 2010).

9.  Pour toutes ces raisons, je conclus qu’en l’espèce les autorités nationales n’ont pas méconnu l’article 10 de la Convention.

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  1. Loi du 29 juillet 1881
  2. Code pénal
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CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE VELLUTINI ET MICHEL c. FRANCE, 6 octobre 2011, 32820/09