CEDH, Arrêt de chambre Dikme c. Turquie 11.07.00, 11 juillet 2000

  • Garde à vue·
  • Violation·
  • Sûretés·
  • Torture·
  • Homme·
  • Traitement·
  • Détenu·
  • Turquie·
  • Gauche·
  • Prison

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CEDH, 11 juill. 2000
Type de document : Communiqués de presse
Organisation mentionnée :
  • ECHR
Opinion(s) séparée(s) : Non
Identifiant HUDOC : 003-68584-69052
Télécharger le PDF original fourni par la juridiction

Sur les parties

Texte intégral

COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME

518

11.7.2000

Communiqué du Greffier

ARRÊT DANS L’AFFAIRE DİKME c. TURQUIE

Par un arrêt communiqué par écrit le 11 juillet 2000 dans l’affaire Dikme c. Turquie, la Cour européenne des Droits de l’Homme dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 (droit de toute personne arrêtée d’être traduite aussitôt devant un juge) de la Convention européenne des Droits de l’Homme et de l’article 3 (interdiction des peines ou traitements inhumains ou dégradants) en raison du traitement infligé à Metin Dikme pendant sa garde à vue et de l’absence d’enquête officielle à ce sujet.

En outre, la Cour dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation des articles 5 § 2 (droit de toute personne arrêtée d’être informée des raisons de son arrestation), 6 §§ 1 et 3 c) (droit à un procès équitable), et 8 (droit au respect de la vie familiale) de la Convention.

En application de l’article 41 (satisfaction équitable), la Cour accorde à Metin Dikme 200 000 francs français (FRF) pour préjudice moral et 10 000 FRF pour frais et dépens.

1.Principaux faits

Les requérants, Metin Dikme, et sa mère, Emine Dikme, sont des ressortissants turcs nés respectivement en 1969 et en 1933. M. Dikme est actuellement détenu à la maison d’arrêt d’Istanbul ; quant à Mme Dikme, elle réside à Vienne.

Soupçonné d’avoir commis plusieurs actes de violence au nom d’une fraction armée d’extrême gauche, le « Devrimci Sol » (gauche révolutionnaire), M. Dikme fut arrêté le 10 février 1992 et placé en garde à vue par la section antiterroriste de la direction de la sûreté d’Istanbul. Le 26 février 1992, il fut examiné par un médecin légiste, dont le rapport ne mentionnait que d’anciennes égratignures croûteuses sur le coude gauche. Le même jour, le requérant fut traduit devant le juge assesseur de la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul, qui ordonna sa mise en détention provisoire. Transféré à la maison d’arrêt d’Istanbul, le 28 février 1992, l’intéressé fut derechef examiné par le médecin de la prison qui consigna dans son rapport l’existence d’une vingtaine de traces d’éraflure, de coupure et d’écorchure, notamment sur les membres inférieurs et supérieurs. Le 9 juillet 1993, la plainte que le requérant avait déposée contre les policiers responsables de sa garde à vue aboutit à un non-lieu. La procédure diligentée contre M. Dikme est toujours pendante.

2.Procédure et composition de la Cour

La requête a été introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 22 octobre 1992. Après l’avoir déclarée en partie recevable, la Commission a adopté, le 4 juin 1999, un rapport formulant l’avis unanime qu’il y a eu, dans le chef de M. Dikme, violation des articles 3, 5 § 3 et 6 § 1 combiné avec l’article 6 § 3 c) de la Convention, mais non de l’article 5 § 2, et qu’il n’y a pas eu, dans le chef de Mme Dikme, violation de l’article 8. Elle a porté l’affaire devant la Cour le 11 septembre 1999. Une audience a eu lieu le 29 février 2000.


L’arrêt a été rendu par une chambre composée de sept juges, à savoir :

Elisabeth Palm (Suédoise), présidente,

Luigi Ferrari Bravo[1] (Italien),
Corneliu Bîrsan (Roumain),
Wilhelmina Thomassen (Néerlandaise),
Boštjan Zupančič (Slovène),
Rait Maruste (Estonien), juges,
Feyyaz Gölcüklü (Turc), juge ad hoc,

ainsi que Michael O’Boyle, greffier de section

3.Résumé de l’arrêt[2]

Griefs

M. Dikme prétend avoir été torturé durant sa garde à vue, en violation de l’article 3 de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Il se plaint également de n’avoir pas été informé des accusations portées contre lui au moment de son arrestation, au mépris de l’article 5 § 2, de n’avoir pas été traduit aussitôt devant un juge, contrairement à l’article 5 § 3, et de ne pas avoir pas pu prendre contact avec son avocat pendant sa garde à vue et durant la procédure devant la cour de sûreté de l’Etat, en violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c). Mme Dikme se plaint sur le terrain de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), de ne pas avoir été autorisée à voir son fils alors que celui-ci était détenu. 

Décision de la Cour

Article 5 § 2

Le requérant allègue qu’à l’issue du premier interrogatoire un membre des Services secrets le menaça en disant : « Tu appartiens à Devrimci Sol, et si tu ne nous donnes pas les renseignements dont nous avons besoin, c’est ton cadavre qui sortira d’ici ! » Pour la Cour, cette déclaration contient une indication assez précise quant aux soupçons pesant sur le requérant. Eu égard à cette circonstance, au caractère illégal de l’organisation mentionnée et aux raisons qui ont pu pousser le requérant à dissimuler son identité et à craindre la police, la Cour considère que M. Dikme aurait dû ou pu se rendre compte, déjà à ce stade, qu’on le soupçonnait d’être mêlé à des activités prohibées telles celles de Dev-Sol.

Quoi qu’il en soit, l’intensité et la fréquence de ces interrogatoires permettent eux aussi de supposer que, dès la première séance, qui dura jusqu’à 19 heures ou un peu au-delà, M. Dikme a pu se faire une idée de ce dont il était soupçonné.

En conclusion, il n’y a pas eu, dans les circonstances de l’espèce, violation de l’article 5 § 2.

Article 5 § 3

La Cour se borne à rappeler l’importance de l’article 5 dans le système de la Convention. Seule une prompte intervention judiciaire peut effectivement conduire à la détection et la prévention de mauvais traitements, tels ceux allégués par M. Dikme, qui risquent d’être infligés aux personnes détenues, notamment pour leur extorquer des aveux.  Bref, la Cour estime que la période de garde à vue ne répondait pas à l’exigence de promptitude inscrite à l’article 5 § 3 et que, partant, il y a eu violation de cette disposition.

Article 3

La Cour estime que les violences exercées sur le requérant ont revêtu un caractère à la fois inhumain et dégradant. Reste dès lors à déterminer si le traitement infligé à M. Dikme peut être qualifié de torture comme l’intéressé le prétend. Il est indéniable que le requérant a vécu dans un état permanent de douleur physique et d’angoisse à cause de l’incertitude sur son sort et des coups répétés ayant accompagné les longues séances d’interrogatoire auxquelles il a été soumis tout au long de sa garde à vue.

Pour la Cour, ces traitements lui ont été infligés intentionnellement, dans l’exercice de leurs fonctions, par des agents de l’Etat dont l’objectif était de lui extorquer des aveux ou des renseignements sur les faits qui lui étaient reprochés.   Dans ces conditions, la Cour estime que, considérées dans leur ensemble et compte tenu de leur durée ainsi que du but auquel elles tendaient, les violences commises sur la personne du requérant ont revêtu un caractère particulièrement grave et cruel, propre à engendrer des douleurs et souffrances « aiguës » ; partant, elles méritent la qualification de torture, au sens de l’article 3 de la Convention.

En plus, la Cour observe que, plus de huit ans après l’incident litigieux, l’enquête semble n’avoir produit aucun résultat tangible, et qu’à ce jour les membres de la section concernée, responsables de la garde à vue de M. Dikme et, partant, des sévices constatés par des certificats médicaux dont les autorités avaient connaissance, demeurent non identifiés.

Dans ces conditions, force est à la Cour de constater l’absence d’une enquête approfondie et effective au sujet de l’allégation défendable du requérant selon laquelle il avait été maltraité pendant sa garde à vue. En conséquence, elle estime qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention sur ce chef également.

Article 6

La Cour observe que, saisie des pourvois formés par le procureur général et par le requérant, la Cour de cassation a infirmé la condamnation du requérant prononcée le 26 juin 1998.

Renvoyée devant la cour de sûreté de l’Etat, l’affaire est toujours pendante. La Cour n’est donc pas en mesure de procéder à un examen global du procès de M. Dikme et elle estime ne pouvoir spéculer ni sur ce que décidera la cour de sûreté de l’Etat, ni sur l’issue d’un second pourvoi en cassation éventuel, le requérant ayant toujours la faculté d’emprunter cette voie s’il devait estimer que son procès emporte finalement violation des droits dont il se prévaut maintenant devant la Cour. Dans ces conditions, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c).

Article 8

La Cour rappelle que pour préciser les obligations que l’article 8 fait peser sur les Etats contractants en matière de visites en prison, il faut avoir égard aux exigences normales et raisonnables de l’emprisonnement et à l’étendue de la marge d’appréciation à réserver en conséquence aux autorités nationales lorsqu’elles réglementent les contacts d’un détenu avec sa famille.

Or, à supposer même que le fait dénoncé par la requérante doive s’analyser en une « ingérence », rien ne permet de dire que l’Etat défendeur ait en quoi que ce soit outrepassé la marge d’appréciation dont il jouit en la matière.

Bref, il n’y a pas eu violation de l’article 8 dans le chef de la requérante.

Article 41

La Cour estime que le requérant a subi un préjudice moral que les constats de violation figurant dans l’arrêt ne sauraient suffire à réparer. Compte tenu de ses précédentes conclusions, la Cour accorde 200 000 francs français (FRF), à convertir en livres turques. Elle octroie 10 000 FRF au titre de frais et dépens.

***

Les arrêts de la Cour sont disponibles sur son site Internet (http://www.echr.coe.int).

Greffe de la Cour européenne des Droits de l’Homme
F – 67075 Strasbourg Cedex
Contacts :Roderick Liddell (téléphone : (0)3 88 41 24 92)
Emma Hellyer (téléphone : (0)3 90 21 42 15)
Télécopieur : (0)3 88 41 27 91

La Cour européenne des Droits de l’Homme a été créée en 1959 à Strasbourg pour connaître des allégations de violation de la Convention européenne des Droits de l’Homme de 1950. Le 1er novembre 1998 elle est devenue permanente, mettant fin au système initial où deux organes fonctionnant à temps partiel, la Commission et la Cour européennes des Droits de l’Homme, examinaient successivement les affaires.


[1] Juge élu au titre de Saint-Marin.

[2] Rédigé par le greffe, ce résumé ne lie pas la Cour.

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
CEDH, Arrêt de chambre Dikme c. Turquie 11.07.00, 11 juillet 2000