CEDH, Cour (première section), AFFAIRE A.F. c. GRÈCE, 13 juin 2013, 53709/11

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Première Section), 13 juin 2013, n° 53709/11
Numéro(s) : 53709/11
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 68, Recueil 1996-IV
Alver c. Estonie, no 64812/01, 8 novembre 2005
Ananyev et autres c. Russie, nos 42525/07 et 60800/08, 10 janvier 2012
Dougoz c. Grèce, no 40907/98, CEDH 2001-II
Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI
Kudla c. Pologne [GC], no 30210/96, § 152, CEDH 2000-XI
Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 119, CEDH 2000-IV
Remli c. France, 23 avril 1996, § 33, Recueil 1996-II
Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 46, CEDH 2006-II
Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 74, CEDH 1999-V
Shamayev et 12 autres c. la Géorgie et la Russie (déc.), no 36378/02, 16 septembre 2003
Organisation mentionnée :
  • Comité européen pour la prévention de la torture
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement dégradant) (Volet matériel) ; Préjudice moral - réparation
Identifiant HUDOC : 001-120518
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2013:0613JUD005370911
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Sur les parties

Texte intégral

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE A.F. c. GRÈCE

(Requête no 53709/11)

ARRÊT

STRASBOURG

13 juin 2013

DÉFINITIF

07/10/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire A.F. c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Elisabeth Steiner,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse, juges,
et de André Wampach, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 mai 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 53709/11) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant iranien, M. A.F. (« le requérant »), a saisi la Cour le 5 juillet 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). La présidente de la section a accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 3 du règlement).

2.  Le requérant a été représenté par Mes I.-M. Tzeferakou et E. Tsapopoulou, avocates à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, M. V. Kyriazopoulos, assesseur auprès du Conseil juridique de l’Etat, et Mme M. Yermani, auditrice auprès du Conseil juridique de l’Etat.

3.  Le requérant allègue une violation de l’article 3 de la Convention en raison de ses conditions de détention.

4.  Le 5 avril 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5.  Le requérant est né en 1986 et résidait à Athènes au moment de l’introduction de la requête.

A.  La procédure relative à l’expulsion et la détention du requérant

6.  Le 21 août 2010, le requérant entra en Grèce et fut appréhendé par les autorités de police du poste-frontière de Feres. Il prétend avoir demandé l’asile politique mais sa demande n’aurait pas été enregistrée par les autorités.

7.  Le 23 août 2010, le commandant du poste-frontière de Feres décida de le renvoyer en Turquie, pays par lequel il avait pénétré en Grèce. Toutefois, le renvoi ne put se réaliser car les autorités turques refusèrent de lui autoriser l’accès en Turquie.

8.  Par une décision du 24 août 2010, le chef de la police d’Alexandroúpoli ordonna la détention du requérant au motif qu’il risquait de fuir. Le 27 août 2010, il ordonna l’expulsion du requérant et son maintien en détention pour le même motif.

9.  Le 8 octobre 2010, le requérant déposa une demande d’asile.

10.  Le 13 novembre 2010, le chef de la police d’Alexandroúpoli rejeta la demande d’asile et ordonna l’exécution de la décision d’expulsion dans un délai de soixante jours.

11.  Le 7 décembre 2010, le requérant formula des objections contre sa détention devant le tribunal administratif d’Alexandroúpoli.

12.  Le 17 décembre 2010, le tribunal administratif rejeta les objections du requérant au motif que s’il était mis en liberté, il risquait de fuir.

13.  Le 17 décembre 2010, le requérant demanda au directeur de la police d’Alexandroúpoli de l’autoriser à être transféré à l’hôpital d’Alexandroúpoli afin de subir des examens concernant ses crises d’asthme qui étaient en train de s’aggraver. Toutefois, le certificat médical établi le 29 décembre 2010, après l’examen, conclut que le requérant ne présentait aucune pathologie.

14.  Par une décision du 5 janvier 2011, le chef de la police d’Alexandroúpoli ordonna la mise en liberté du requérant, tout en précisant que la décision d’expulsion restait en vigueur et serait exécutée en cas de rejet définitif de sa demande d’asile.

B.  Les conditions de détention du requérant

1.  Version du requérant

15.  Le requérant fut détenu la plus grande partie du temps dans les locaux de la police des frontières de Feres. Il dormait dans un dortoir, avec soixante-quinze autres personnes, par terre et à proximité des eaux usées dans une odeur pestilentielle. Ne pouvant jamais sortir à l’extérieur du bâtiment, il n’avait accès à aucun exercice physique, ce qui eut une influence néfaste sur sa santé physique et psychologique.

16.  L’accès au téléphone était très limité et il fallait en outre se procurer une télécarte, ce qui dépendait de la volonté des gardiens. Dans les espaces de détention, il n’y avait ni chaises, ni tables, ni meubles de rangement. Le requérant n’avait aucun produit de toilette ou d’hygiène. Les quelques couvertures étaient crasseuses, l’eau n’était pas potable (les détenus devaient acheter des bouteilles d’eau minérale) et la nourriture était de mauvaise qualité. Il n’y avait pas de chauffage alors que l’hiver est rude dans la région d’Evros.

17.  L’accès à des soins médicaux était limité. Lors de sa détention, le requérant ne put consulter le médecin qui rendait visite au centre en raison de la surpopulation, ainsi que de l’absence d’interprète et de local prévu à cet effet. Il ne put, tout au plus, parler avec le médecin qu’à travers les barreaux. Le 22 novembre 2010, le requérant déposa une demande écrite sollicitant des soins médicaux. Il réitéra par écrit cette demande les 17 et 18 décembre 2010. Il ne fut transféré à l’hôpital que le 29 décembre 2010.

18.  Enfin, aucun interprète n’était présent et les détenus, comme le requérant, n’étaient pas informés des raisons et de la durée de leur détention. Aucune information n’était donnée concernant leurs droits en tant que détenus et la procédure d’asile.

2.  Version du Gouvernement

19.  Le Gouvernement admet que le poste-frontière de Feres ne se prête pas à de longues détentions. Pour cette raison, dès que les formalités d’identification des détenus sont terminées, ceux-ci sont renvoyés vers d’autres centres de détention, tels Venna ou Filakio.

20.  Les personnes détenues à Feres reçoivent des produits d’hygiène corporelle achetés aux frais de la préfecture ou par des organisations non gouvernementales. Les détenus sortent de leurs cellules en fonction des « possibilités du service ». Les repas, d’une excellente qualité, sont fournis trois fois par jour par une société privée de restauration collective (catering). L’alimentation ne contient pas de porc afin que les convictions religieuses et les habitudes alimentaires des détenus soient respectées. Des soins médicaux et pharmaceutiques sont dispensés par des médecins qui visitent les locaux au moins une fois tous les deux jours. Les urgences sont traitées immédiatement et les patients sont transférés à l’hôpital d’Alexandroúpoli ou aux centres médicaux de la région. Ainsi, le requérant fut immédiatement transféré à l’hôpital chaque fois qu’il le demanda ou chaque fois qu’il présenta des symptômes de maladie.

C.  Le départ de Grèce du requérant

21.  Il ressort du dossier que le requérant quitta la Grèce à une date non précisée et se trouve actuellement au Royaume-Uni, où il déposa une demande d’asile sous le nom de M.A. Dans un document intitulé « Statement of Evidence form, combined interview and NINO application », il est mentionné que le requérant arriva au Royaume-Uni le 1er mars 2011, après avoir séjourné pendant une certaine période en Iran.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A.  Dispositions relatives à l’obtention des dommages-intérêts

22.  L’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil se lit comme suit :

Article 105

« L’Etat est tenu de réparer le dommage causé par les actes illégaux ou omissions de ses organes lors de l’exercice de la puissance publique, excepté si l’acte ou l’omission a eu lieu en méconnaissance d’une disposition existante mais afin de servir l’intérêt public. La personne fautive est solidairement responsable avec l’Etat, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité des ministres. »

23.  Cette disposition établit le concept d’acte dommageable spécial de droit public, créant une responsabilité extracontractuelle de l’Etat. Cette responsabilité résulte d’actes ou omissions illégaux. Les actes concernés peuvent être, non seulement des actes juridiques, mais également des actes matériels de l’administration, y compris des actes non exécutoires en principe. La recevabilité de l’action en réparation est soumise à une condition : la nature illégale de l’acte ou de l’omission.

24.  Les articles pertinents du code civil disposent :

Article 57

« Celui qui est atteint d’une manière illicite dans sa personnalité a le droit d’exiger la suppression de l’atteinte et, en outre, l’abstention de toute atteinte à l’avenir. En cas d’atteinte à la personnalité d’une personne décédée, ce droit appartient aux conjoints, descendants, ascendants, frères et sœurs et héritiers testamentaires du défunt.

En outre, la prétention à des dommages-intérêts, suivant les dispositions relatives aux actes illicites, n’est pas exclue. »

Article 932

« Indépendamment de l’indemnité due à raison du préjudice patrimonial causé par un acte illicite, le tribunal peut accorder une réparation pécuniaire raisonnable, suivant son appréciation, pour cause de préjudice moral. Ceci est notamment applicable à l’égard de celui qui a subi une atteinte à sa santé, à son honneur ou à sa chasteté, ou qui a été privé de sa liberté. (...) »

25.  Par deux arrêts no 2893/2008 et 1215/2010, le Conseil d’Etat a admis qu’une personne détenue pour dette envers un tiers placée, en violation de l’article 1050 § 2 du code de procédure civile, dans la même cellule que des personnes déjà condamnées pour des infractions pénales, avait subi un dommage moral et avait à ce titre, en application des articles 105 de la loi d’accompagnement du code civil et 57 du code civil, droit à une indemnité. La déclaration de la nullité de la détention et la mise en liberté de l’intéressé ne constituait pas une cause de disparition du dommage moral que celui-ci avait déjà subi pendant sa détention. Le manque de lieux de détention propices à la détention des personnes condamnées pour dettes envers des tiers ne suffisait pas pour justifier l’effacement ou la limitation de la responsabilité de l’Etat. Pour déterminer le montant de l’indemnité, il fallait tenir compte des conditions de détention. Toutefois, l’appréciation des conditions de détention ne pouvait pas conduire à exclure tout préjudice moral, car celui-ci naissait de la seule privation illégale de la liberté de l’intéressé, indépendamment de toute question de conditions de détention. Dans ces arrêts, le Conseil d’Etat a admis que les intéressés dans ces affaires étaient, du fait de leur détention avec des personnes condamnées pour des infractions pénales, exposés à des invectives, insultes, atteintes à leur intégrité physique et autres violences qui, dans de tels lieux de détention, sont dirigées surtout contre ceux qui ne sont pas des criminels.

B.  Dispositions relatives à la détention d’étrangers en voie d’expulsion

26.  L’article 5 de la décision ministérielle no 400/2009 relative à l’exécution des décisions judiciaires et administratives d’expulsion d’étrangers dispose :

« 1.  Les étrangers à l’encontre desquels a été prise une décision d’expulsion judiciaire sont détenus dans des endroits spécifiques des établissements de détention ou des établissements thérapeutiques (article 74 § 4 du code pénal). Les dispositions de la loi no 2776/1999 [code pénitentiaire] s’appliquent en ce qui concerne la manière dont ils sont traités.

2.  Les étrangers à l’encontre desquels a été prise une décision d’expulsion administrative sont détenus dans des lieux spéciaux de séjour des étrangers (article 81 de la loi no 3386/2005) ou, à titre provisoire en cas de manque de tels lieux, dans les commissariats de police. Les étrangers mineurs et les femmes sont gardés dans des lieux séparés, sauf si des motifs de protection des mineurs ou les besoins de préservation de l’unité familiale [s’y opposent]. (...) »

1.  Dispositions applicables aux étrangers faisant l’objet d’une expulsion judiciaire

27.  Les dispositions pertinentes du code pénitentiaire (loi no 2776/1999) se lisent ainsi :

Article 6

« 1.  Les détenus ont le droit de s’adresser par écrit et à des intervalles raisonnables au conseil de la prison, en cas d’actes ou d’ordres illégaux pris à leur encontre et si les dispositions du présent code ne prévoient pas d’autre recours. Dans les quinze jours suivant la notification d’une décision de rejet ou un mois après le dépôt de la demande, si l’administration a omis de prendre une décision, les détenus ont le droit de saisir le tribunal de l’exécution des peines compétent. Si le tribunal fait droit au recours, il ordonne les mesures susceptibles de remédier à l’acte ou l’ordre illégal (...) »

Article 21

« 1.  Chaque maison d’arrêt (...) est divisée en plusieurs secteurs, sans possibilité de communication entre les détenus qui y sont placés. Ces secteurs peuvent inclure des cellules et, de manière exceptionnelle, des dortoirs, de préférence d’une capacité maximum de six personnes.

(...)

4.  Les dortoirs doivent être d’une superficie d’au moins 6 mètres carrés pour chaque détenu et être équipés de lits, d’armoires et de tables de dimensions suffisantes ainsi que d’un nombre suffisant de chaises.

5.  Les cellules individuelles et les dortoirs ont leurs propres installations de chauffage et d’hygiène (lavabos, toilettes). Chaque installation sanitaire doit servir au maximum à trois détenus. L’existence d’une douche dans les cellules et les dortoirs n’est pas nécessaire s’il y a un nombre suffisant d’installations communes, avec eau froide et eau chaude, pour l’hygiène individuelle et la propreté de chaque détenu.

(...) »

2.  Dispositions applicables aux étrangers faisant l’objet d’une expulsion administrative

28.  L’article 81 de la loi no 3386/2005 (espaces spéciaux de séjour des étrangers) dispose :

« 1.  L’étranger à l’égard duquel les conditions de l’article 76 § 3 de la loi sont réunies est détenu auprès de l’autorité de police compétente. Jusqu’à ce que la procédure d’expulsion soit achevée, il séjourne dans des espaces spéciaux établis par décision des ministres de l’Intérieur, de l’Administration et de la Décentralisation, de l’Economie, de la Santé et de l’Ordre public. La même décision détermine les caractéristiques et le fonctionnement de ces espaces.

2. La responsabilité de la garde des espaces spéciaux de séjour incombe à la police hellénique. »

29.  La décision ministérielle mentionnée à l’article 81 n’a pas encore été adoptée.

30.  Les obligations des organes chargés de la détention des étrangers visés par une décision administrative d’expulsion dans des centres de rétention ou des commissariats de police sont énumérées dans les décrets présidentiels no 141/1991 et no 254/2004.

31.  Les articles pertinents du décret no 141/1991 relatif à la compétence des organes du ministère de l’Ordre public prévoient :

Article 66 (personnel de sécurité des centres de rétention)

« 4.  Si le centre de rétention ne remplit pas les conditions de sécurité ou si les effectifs en personnel ne suffisent pas pour la garde des détenus, le commandant doit prendre les mesures imposées par les circonstances, en contenant au besoin les détenus afin de prévenir les évasions, suicides ou blessures.

5.  Les officiers [affectés la sécurité] du centre de rétention :

(...)

d)  Sont responsables de la vie et de l’intégrité physique des détenus, de la prévention des évasions et du maintien de l’ordre et de la tranquillité dans les cellules.

6.  Il n’est pas permis de détenir des prévenus et des condamnés dans les commissariats de police excepté pendant le temps absolument nécessaire à leur transfert en prison ou lorsque leur transfert immédiat vers une prison n’est pas possible. »

Article 91 (entretien, aspect et propreté des bâtiments)

« 1.  Les directeurs et commandants prennent soin de l’entretien de tous espaces dans les différents bâtiments afin de les maintenir propres et d’aspect convenable et veillent afin de prévenir ou de réparer les dommages causés. »

Article 92 (dortoirs – autres espaces)

(...)

6.  Les centres doivent remplir les conditions nécessaires d’hygiène et de sécurité afin de prévenir les évasions, les suicides ou l’automutilation des détenus.

7.  Les officiers et sous-officiers de garde (...) doivent passer en revue quotidiennement et avec diligence les dortoirs afin de s’assurer qu’ils sont en bon état et qu’il ne s’y trouve pas d’objets pouvant faciliter les évasions, les suicides ou l’automutilation des détenus.

Article 97 (protection de mineurs)

1.  La police hellénique (...)

9)  Veille à ce que les mineurs arrêtés soient enfermés dans des centres spéciaux et ne soient pas menottés lors de leur transfert, sauf s’ils sont dangereux ou s’ils risquent de fuir.

(...)

12)  A chaque contact avec des mineurs, elle doit se comporter avec douceur et civilité et éviter tout acte pouvant les humilier ou leur créer un vécu traumatique (...) »

32.  Les articles pertinents du décret no 254/2004 portant code de déontologie des fonctionnaires de police se lisent ainsi :

Article 2

« (...)

d)  [Le fonctionnaire de police] respecte le droit à la vie et à la sécurité personnelle de chaque individu. Il ne commet, ne provoque et ne tolère aucun acte de torture ni traitement ou punition inhumain ou dégradant, et rapporte toute violation des droits de l’homme.

e)  [Le fonctionnaire de police] emploie en principe des moyens non violents pour le respect et l’application de la loi. Le recours à la force est permis seulement lorsqu’il est absolument indispensable et dans la mesure où il est prévu et nécessaire pour l’application de la loi. Il respecte les principes de la nécessité, de l’adéquation et de la proportionnalité. (...) »

Article 3

« (...)

a)  (...) A l’occasion d’une arrestation, [le fonctionnaire de police] (...) évite tout acte susceptible de porter atteinte à l’honneur et la réputation de la personne arrêtée et de manière générale de porter atteinte à la dignité de celle-ci. (...)

(...)

d)  [Le fonctionnaire de police] facilite l’octroi de l’assistance juridique à la personne arrêtée et assure la communication directe et sans obstacle de celle-ci avec son avocat.

e)  [Le fonctionnaire de police] assure le contact de la personne arrêtée avec ses proches, avec les autorités consulaires si cette personne est un étranger, ainsi qu’avec les commissions nationales et internationales compétentes pour la protection des détenus (...).

(...)

g)  [Le fonctionnaire de police] assure des conditions de détention qui garantissent la sécurité, l’hygiène et la protection de la personnalité du détenu. Il veille à éviter autant que possible la mixité entre les personnes simplement détenues à titre provisoire et les personnes pénalement condamnées, entre les hommes et les femmes, ainsi qu’entre les mineurs et les adultes, et prend soin des personnes vulnérables.

h)  [Le fonctionnaire de police] veille à la protection de la santé du détenu, en assurant une assistance médicale immédiate en cas de besoin (...).

i)  [Le fonctionnaire de police] dissuade et dénonce immédiatement tout acte qui constitue une torture ou une autre forme de traitement ou punition inhumaine ou dégradante, toute forme de violence ou menace de violence ainsi que tout traitement défavorable ou discriminatoire à l’encontre du détenu.

(...) »

III.  LES TEXTES NATIONAUX ET INTERNATIONAUX

A.  Les constats du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), dans son rapport du 10 janvier 2012, établi à la suite de sa visite du 19 au 27 janvier 2011

33.  Le jour de la visite de la délégation du CPT au commissariat de police et au poste-frontière de Feres, plus de 70 hommes étaient entassés dans une cellule de 45 m² et 37 femmes dans une cellule de 30 m². 30 autres femmes et 2 hommes étaient accueillis dans une autre cellule de 40 m². La lumière naturelle était minime et la lumière artificielle insuffisante. Tous les détenus avaient pendant la journée un accès limité à l’une des deux petites cours extérieures. Les toilettes pour hommes étaient dégradées et crasseuses et avaient un besoin urgent de réparation. Seule une des deux toilettes fonctionnait. La manière dont la nourriture était distribuée était totalement inappropriée. Par exemple, à 11 h 00, une grande boîte en carton contenant le petit-déjeuner (du pain et quelques jus de fruits) était posée par terre dans les sanitaires des femmes afin qu’elles puissent se servir.

34.  Plusieurs détenus se plaignaient du froid, de la quantité et de la qualité insuffisantes de la nourriture, du fait qu’ils portaient les mêmes vêtements pendant plus d’un mois (alors qu’ils avaient des vêtements de rechange dans leurs affaires, mais qui leur avaient été retirés au moment de leur arrivée), du manque de chauffage et d’eau chaude et du manque d’informations concernant la durée de leur détention.

35.  Le CPT invitait les autorités à fournir aux détenus au moins un repas chaud par jour, de ration et valeur nutritive suffisantes, et des produits hygiéniques suffisants. Il les invitait aussi à faire réaliser à tous les détenus un examen médical complet, à rénover les installations sanitaires dans le secteur des détenus-hommes et à réduire le taux d’occupation afin d’offrir des conditions de détention correspondant au moins au minimum acceptable.

B.  Le rapport établi par la Commission nationale des droits de l’homme et le médiateur de la République à la suite de leur visite du 18 au 20 mars 2011

36.  La Commission nationale des droits de l’homme et le médiateur de la République ont visité les centres de rétention des étrangers dans la région d’Evros. Leur rapport du 30 juin 2011 constatait que la partie des locaux de la police des frontières de Feres réservée à la détention consistait en une construction de plain-pied composée de trois dortoirs. A la date de la visite, il y avait 37 femmes et 89 hommes. Il y avait aussi deux mineurs non accompagnés. La durée de la détention variait en principe entre deux et cinq mois, mais à la date de la visite, elle était réduite à un ou deux mois. Le problème de surpopulation était particulièrement sévère et les détenus étaient obligés de dormir dans les deux petites cours existantes devant les dortoirs. Il y avait un effort pour séparer les hommes des femmes, mais cela n’était pas efficace compte tenu du fait que les deux dortoirs, à la droite de l’entrée, communiquaient au moyen d’une petite cour et que leurs portes restaient ouvertes.

C.  Le rapport du Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture et autres traitements ou peines cruels, inhumains et dégradants

37.  Le Rapporteur spécial des Nations unies, M. Manfred Nowak, a effectué une visite en Grèce du 10 au 20 octobre 2010. En ce qui concerne la police des frontières de Feres, il soulignait que la situation était très problématique : à la date de la visite, il y avait 123 détenus dans un espace prévu pour 28. Les dortoirs étaient sales, sombres et froids et avec des sanitaires inadéquats et dépourvus d’hygiène. Les détenus ne disposaient pas de produits suffisants pour leur hygiène personnelle.

D.  Le rapport de l’organisation non gouvernementale allemande ProAsyl

38.  Dans son rapport de 2012, intitulé « Walls of Shame », ProAsyl exposait, entre autres, ses constats concernant les conditions de détention dans les quatre centres de rétention des étrangers dans la région d’Evros visités d’août 2010 à octobre 2011. Au sujet de celui de Feres, ProAsyl précisait qu’il était constitué de trois dortoirs (de 48 m², 30 m² et 40 m²) d’une capacité totale de 26 détenus, mais que l’occupation constatée à différentes dates était la suivante : en août 2010 : 94 ; en novembre 2010 : entre 77 et 144 ; en décembre 2010 : 110 (dans un seul dortoir, l’autre étant en travaux).

39.  Le rapport indiquait qu’il n’y avait pas de lumière naturelle dans les dortoirs et que même pendant l’été, ceux-ci étaient sombres et éclairés d’une seule ampoule. Avec une moyenne de 85 détenus dans deux dortoirs, l’espace personnel pour chacun d’eux s’élevait à 1 m². Certains détenus dormaient sur le sol en ciment de la petite cour extérieure.

40.  Interrogé par les représentants de ProAsyl, le requérant a déclaré qu’il devait dormir en position assise, parfois dans les toilettes, parfois dehors sous la pluie. Deux, voire trois personnes, avaient à se partager un seul matelas.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

41.  Le requérant se plaint de ses conditions de détention dans les locaux de la police des frontière de Feres. Il allègue une violation de l’article 3 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A.  Sur la recevabilité

1.  Moyen tiré du fait que la requête aurait été introduite par le requérant sous un nom fictif

42.  En premier lieu, le Gouvernement invite la Cour à rejeter la requête en application de l’article 35 § 2 de la Convention. Il souligne que, si l’on considère que le requérant est la même personne que le dénommé « M. A. » qui se trouve au Royaume-Uni depuis le 1er mars 2011, il n’a aucune raison d’avoir saisi la Cour sous une fausse identité. Cela ne se justifiait pas par les circonstances, en particulier par celles existant au moment de l’introduction de sa requête, soit le 5 juillet 2011. Quel que soit le motif pour lequel le requérant a estimé utile de se présenter devant les autorités grecques (y compris judiciaires) sous une fausse identité, rien ne pouvait justifier cette dissimulation de sa vraie identité devant la Cour puisque, notamment, il ne relevait plus de la juridiction des autorités grecques lorsqu’il l’a saisie.

43.  La Cour note que le requérant a saisi la Cour le 5 juillet 2011 en indiquant dans sa requête son identité. Il a présenté en même temps une demande d’anonymat pour la procédure devant la Cour au motif que sa vie et sa sécurité seraient en danger en Grèce et en Europe. La Cour a accueilli cette demande. Elle relève aussi que dans les procédures internes, que ce soit devant les autorités de police ou les instances judiciaires, le requérant était désigné par le même nom que celui sous lequel il a saisi la Cour. La carte de demandeur d’asile qui lui a été remise par la police était aussi établie à ce nom. Ainsi, la Cour dispose d’un nombre d’éléments concordants lui permettant d’identifier le requérant par rapport aux faits litigieux et aux griefs invoqués (voir, mutatis mutandis, Shamayev et 12 autres c. la Géorgie et la Russie (déc.), no 36378/02, 16 septembre 2003). La nouvelle identité déclarée par le requérant aux autorités britanniques ne peut avoir aucune influence sur l’affaire pour autant qu’elle concerne la Grèce.

44.  La Cour rejette donc l’exception préliminaire du Gouvernement tirée de l’article 35 § 2.

2.  Moyen tiré du non-épuisement des voies de recours internes

45.  Se prévalant des arrêts no 2893/2008 et 1215/2010 du Conseil d’Etat, le Gouvernement invite la Cour à rejeter la requête pour non-épuisement des voies de recours internes. Il soutient qu’il ressort de ces arrêts que les conditions de détention et le danger que celles-ci entraînent pour la vie ou la santé d’un détenu peuvent être retenues comme constitutives d’une atteinte à la personnalité (article 57 du code civil) et fonder ainsi une action en dommages-intérêts. Par conséquent, l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil constitue une voie de recours effective pour toute personne qui, comme le requérant, considère avoir été victime d’un traitement inhumain et dégradant au cours de sa détention et souhaite être indemnisée pour le préjudice subi.

46.  En particulier, le Gouvernement affirme que toute personne qui estime avoir subi une atteinte à sa personnalité ou a été soumise à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention lors de sa détention pourrait se fonder sur cet article ainsi que sur les articles 2 § 1 (protection de la valeur de la personne humaine) et 7 § 2 (interdiction de la torture et de toute atteinte à la dignité humaine) de la Constitution et 10 de la loi no 2462/1997 (ratifiant le Pacte international sur les droits civils et politiques) dans le cadre d’une action en vertu de l’article 105 précité.

47.  Enfin, le Gouvernement souligne que de nombreux textes spécifiques, tels les décrets présidentiels no 141/1991 et no 254/2004 contiennent des dispositions protectrices des étrangers détenus dans l’attente de l’exécution d’une mesure d’expulsion administrative et peuvent être invoqués à l’appui d’une action relative à une détention contraire à l’article 3 de la Convention.

48.  Le requérant soutient que le recours prévu à l’article 105 précité est purement indemnitaire et ne peut entraîner ni l’interruption ni l’amélioration de la détention. Il n’est pas non plus accessible aux détenus, car il doit être rédigé par un avocat. Or aucune forme d’aide judiciaire n’est prévue à cet égard et les autorités ne fournissent aucune information quant à l’existence d’une telle aide. De plus, la procédure y relative est très longue. En témoigne le fait que les arrêts du Conseil d’Etat no 2893/2008 et no 1215/2010, mentionnés par le Gouvernement, ont été rendus respectivement neuf et sept ans après les jugements de première instance dans ces affaires.

49.  Le requérant souligne, en outre, que la loi no 3386/2005, même dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2011, ne prévoit aucun recours par lequel un étranger pourrait contester ses conditions de détention. Le fait que la loi précise dorénavant que le juge peut examiner la légalité de la détention ne saurait suffire à conférer aux recours existants l’effectivité voulue. En effet, certaines carences persistent : l’étranger ne peut pas contester sa détention sur le terrain des seules conditions de détention ; l’examen de celles-ci reste à la discrétion du juge ; et le juge ne peut ordonner que la mise en liberté du détenu et non l’amélioration desdites conditions.

50.  La Cour rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes vise à ménager aux États contractants l’occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne lui soient soumises (voir, parmi beaucoup d’autres, Remli c. France, 23 avril 1996, § 33, Recueil 1996-II, et Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 74, CEDH 1999-V). Cette règle se fonde sur l’hypothèse, objet de l’article 13 de la Convention –avec lequel elle présente d’étroites affinités –, que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 152, CEDH 2000-XI).

51.  L’article 35 § 1 de la Convention prévoit une répartition de la charge de la preuve. Pour ce qui concerne le gouvernement défendeur, lorsque celui-ci excipe du non-épuisement des recours internes, il doit convaincre la Cour que le recours dont il invoque l’existence était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible, était susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs et présentait des perspectives raisonnables de succès (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 68, Recueil 1996‑IV ; et Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 46, CEDH 2006-II).

52.  La Cour a déjà considéré dans l’arrêt Ananyev et autres c. Russie (nos 42525/07 et 60800/08, § 98, 10 janvier 2012) que pour qu’un système de protection des droits des détenus garantis par l’article 3 de la Convention soit effectif, les recours préventifs et les recours indemnitaires doivent coexister de façon complémentaire. L’importance particulière de cet article impose que les Etats établissent, au-delà d’un simple recours indemnitaire, un mécanisme effectif permettant de mettre rapidement un terme à tout traitement contraire à l’article 3. A défaut d’un tel mécanisme, la perspective d’une indemnisation future risquerait de légitimer des souffrances incompatibles avec cet article et d’affaiblir sérieusement l’obligation des Etats de mettre ses normes en matière de détention en accord avec les exigences de la Convention (ibid. § 98).

53.  La Cour considère cependant que, du point de vue de l’épuisement des voies de recours internes, la situation peut être différente entre une personne qui a été détenue dans des conditions prétendument contraires à l’article 3 et qui saisit la Cour alors qu’il est en liberté et un individu qui la saisit alors qu’il est toujours détenu dans les conditions qu’il dénonce.

54.  En l’espèce, le requérant a été mis en liberté le 5 janvier 2011. En saisissant la Cour le 5 juillet 2011, il ne visait, bien évidemment, pas à empêcher la continuation de sa détention dans des conditions inhumaines ou dégradantes, mais à obtenir un constat postérieur de violation de l’article 3 par la Cour et, le cas échéant, une indemnité pour le dommage moral allégué.

55.  La Cour relève que l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil est une disposition transversale du droit grec qui s’applique à une multitude de situations. Dans le cadre d’une action fondée sur cet article, les tribunaux examinent de manière incidente s’il y a eu de la part des autorités un acte illégal et, dans l’affirmative, ils accordent au demandeur une indemnité pour dommage moral.

56.  La Cour note que les arrêts no 2893/2008 et no 1215/2010 du Conseil d’Etat (paragraphe 25 ci-dessus), fournis par le Gouvernement à l’appui de ses observations, concernaient des personnes qui avaient été arrêtées et condamnées par des tribunaux administratifs pour des dettes envers des particuliers et qui, en méconnaissance de l’article 1050 § 2 du code de procédure civile (qui pose le principe que les personnes condamnées par des tribunaux civils doivent être détenues séparément de celles qui sont en détention provisoire ou condamnées au pénal par une décision de justice), purgeaient leurs peines dans les mêmes cellules que des personnes condamnées pour des infractions pénales.

57.  Le Gouvernement ne fournit pas d’exemples d’arrêts par lesquels des détenus auraient obtenu des dommages-intérêts du fait de conditions de détention inappropriées, comme celles qui sont mises en cause dans les requêtes concernant certaines prisons ou les centres de rétention pour étrangers en Grèce. Cela ne signifie pas qu’une action fondée sur les articles 105 précité et 57 du code civil, combinés avec une autre disposition pertinente en matière de détention, ne puisse pas constituer une voie de recours adéquate et effective. Les arrêts précités du Conseil d’Etat le démontrent du reste.

58.  Toutefois, la Cour considère que les conclusions des arrêts susmentionnés du Conseil d’Etat ne sont pas automatiquement transposables à n’importe quelle situation et en particulier à celle de la détention d’étrangers faisant l’objet d’une expulsion.

59.  Comme le Gouvernement le souligne dans ses observations, il convient de distinguer dans ce contexte entre les étrangers faisant l’objet d’une expulsion judiciaire et ceux faisant l’objet d’une expulsion administrative. Les premiers sont en principe détenus dans des prisons, et sont ainsi soumis aux dispositions du code pénitentiaire. Les seconds sont détenus dans des centres de rétention ou des commissariats de police, au sein desquels le droit interne applicable est pour l’essentiel le décret no 141/1991 relatif à la compétence des organes du ministère de l’Ordre public et le décret no 254/2004 portant code de déontologie du fonctionnaire de police.

60.  La Cour relève que les articles de ces décrets que le Gouvernement indique comme pertinents aux fins d’une action en application des articles 105 et 57 précités sont rédigés en termes généraux et ne constituent pas un fondement juridique solide en la matière car ils ne garantissent pas des droits « justiciables » comme le font l’article 1050 du code de procédure civile ou certains articles du code pénitentiaire. Ainsi les articles 2 d) et e) et 3 du décret no 254/2004 et les articles 66 §§ 4 et 5, 91 et 92 du décret no 141/1991 (paragraphes 31-32 ci-dessus) créent des obligations d’ordre général pour l’administration sans pour autant garantir au bénéfice des étrangers des droits subjectifs et invocables en justice.

61.  A la lumière des considérations ci-dessus, la Cour n’est pas convaincue qu’un recours indemnitaire sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil pour cause de conditions de détention inhumaines et dégradantes dans les centres de rétention pour étrangers aurait une chance raisonnable de succès et offrirait au moment des faits un redressement approprié. Ce constat ne préjuge en rien de la position de la Cour au cas où la jurisprudence des juridictions nationales en matière d’application de l’article 105 précité viendrait à évoluer dans l’avenir dans le sens d’englober des situations comme celle qui fait l’objet de la présente requête.

62.  Nonobstant le fait que le requérant n’a pas fait usage de la voie suggérée par le Gouvernement, la Cour estime qu’en l’état actuel de la jurisprudence nationale, son grief ne saurait être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes.

63.  La Cour constate, en outre, que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention et ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

64.  Le Gouvernement soutient que ni dans ses premières objections ni dans les secondes le requérant n’avait soulevé de griefs similaires à ceux de la présente requête (impossibilité de faire de l’exercice physique, manque d’hygiène et de propreté des locaux, mauvaise alimentation, manque de chauffage, etc.). Devant le tribunal administratif, le requérant limitait ses doléances à l’asthme dont il prétendait souffrir et au fait qu’il avait présenté une demande d’asile. A supposer que le traitement dégradant dont se plaint le requérant ait vraiment eu lieu, il aurait cessé bien plus rapidement, si le requérant avait fourni au tribunal administratif, à l’appui de ses premières objections, des éléments de nature à prouver ses allégations, comme il l’a fait du reste dans les secondes. La prorogation de la détention et, partant, du mauvais traitement allégué est dû au fait que le requérant n’a pas respecté les conditions relatives à la formulation des objections et n’a pas démontré le bien-fondé de ses allégations. Par ailleurs, du 27 décembre 2010, date à laquelle le requérant a formulé ses secondes objections, jusqu’au 5 janvier 2011, date de sa mise en liberté, il s’est écoulé seulement neuf jours, période trop courte pour qu’on puisse considérer que la détention du requérant, même dans des conditions défavorables, emporte violation de l’article 3.

65.  Le Gouvernement souligne, en outre, que chaque fois que le requérant s’est plaint d’un problème de santé ou a manifesté des symptômes créant une incertitude quant à son état de santé, il a été immédiatement transféré à un centre médical. Il souligne aussi que l’asthme chronique dont il prétendait souffrir en Grèce, n’a plus constitué un problème dès que celui-ci est arrivé au Royaume-Uni, car lors de l’entretien relatif à sa demande d’asile dans ce pays, il n’a fait aucune mention de cette maladie.

66.  Le requérant souligne que le Gouvernement admet dans ses observations que les locaux de la police des frontières de Feres ne conviennent que pour des détentions de courte durée. Il se prévaut des constats de divers organes ou organisations à caractère international tels que le CPT, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture ou l’organisation non gouvernementale allemande ProAsyl, ainsi que de ceux faits par des institutions grecques, à savoir la Commission nationale pour les droits de l’homme et le médiateur de la République.

67.  Le requérant prétend qu’il n’a pas reçu un traitement médical adéquat pendant sa détention, malgré le fait qu’il souffrait de problèmes respiratoires, ce qui a eu pour résultat de détériorer son état de santé. Le médecin qui visitait la police des frontières de Feres ne l’a jamais examiné mais a juste parlé avec lui à travers les barreaux. Le requérant a dû faire trois demandes écrites avant que les autorités ne décident de le transférer à l’hôpital le 29 décembre 2010. Enfin, le requérant allègue que son statut de demandeur d’asile n’a jamais été pris en considération.

68.  La Cour réaffirme à titre liminaire que l’article 3 de la Convention consacre l’une des valeurs les plus fondamentales des sociétés démocratiques et qu’il prohibe en termes absolus la torture et les traitements ou peines inhumains ou dégradants, quels que soient les circonstances et les agissements de la victime (voir, par exemple, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 119, CEDH 2000‑IV).

69.  S’agissant des conditions de détention, la Cour prend en compte les effets cumulatifs de celles-ci ainsi que les allégations spécifiques du requérant (Dougoz c. Grèce, nº 40907/98, CEDH 2001-II). En particulier, le temps pendant lequel un individu a été détenu dans les conditions incriminées constitue un facteur important à considérer (Alver c. Estonie, no 64812/01, 8 novembre 2005).

70.  En matière de surpopulation dans les prisons, la Cour note que les Rapports Généraux établis par le CPT n’indiquent pas explicitement le minimum d’espace personnel dont devrait disposer chaque détenu placé dans des cellules partagées. Il ressort toutefois des rapports nationaux du CPT et recommandations qui y sont faites aux Etats que le standard minimum souhaitable devrait être fixé à 4 m² par détenu. De son côté, la Cour, saisie d’affaires où un requérant disposait de moins de 3 m² d’espace personnel, a considéré que cet élément, à lui seul, suffisait pour conclure à la violation de l’article 3 de la Convention (Ananyev et autres c. Russie, §§ 144-145, précité, avec d’autres références).

71.  En l’espèce, la Cour note que le requérant a été détenu dans les locaux de la police des frontières de Feres du 6 octobre 2010 au 5 janvier 2011. Elle note aussi que les parties présentent des versions qui ne coïncident pas quant aux conditions de détention qui prévalaient dans le lieu de détention en cause et qui auraient affecté personnellement le requérant.

72.  Ainsi, la Cour relève que le requérant se plaint essentiellement du fait que : il dormait dans un dortoir, avec soixante-quinze autres personnes, par terre et à proximité des eaux usées dans une odeur pestilentielle ; il n’est jamais sorti à l’extérieur du bâtiment et n’avait accès à aucune forme d’exercice physique ; il n’avait aucun produit de toilette ou d’hygiène ; l’eau n’était pas potable et la nourriture était de mauvaise qualité ; il n’y avait pas de chauffage alors que l’hiver est rude dans la région d’Evros ; lors de sa détention, il n’a pu consulter le médecin qui rendait visite au centre et il a dû déposer plusieurs demandes écrites avant que les autorités décident de le transférer à l’hôpital le 29 décembre 2010.

73.  De son côté, le Gouvernement affirme que les personnes détenues à Feres reçoivent des produits d’hygiène corporelle achetés aux frais de la préfecture ou par des organisations non gouvernementales. Les détenus sortent de leurs cellules en fonction des « possibilités du service ». Les repas, d’une excellente qualité, sont fournis trois fois par jour par une société privée. Les urgences sont traitées immédiatement et les patients sont transférés à l’hôpital d’Alexandroúpoli ou aux centres médicaux de la région. Ainsi, le requérant fut immédiatement transféré à l’hôpital chaque fois qu’il le demanda ou chaque fois qu’il présenta des symptômes de maladie.

74.  Dans la mesure où le Gouvernement ne lui a pas fourni d’informations pertinentes propres à étayer ses affirmations, la Cour examinera la question des conditions de détention du requérant sur la base des allégations de l’intéressé et à la lumière de l’ensemble des informations en sa possession.

75.  A cet égard, la Cour note tout d’abord qu’en dépit de ses affirmations, le Gouvernement lui-même admet que le poste frontière de Feres ne se prête pas à des détentions de longue durée et que, pour cette raison, dès que les formalités d’identification des détenus sont terminées, ceux-ci sont renvoyés à d’autres centres de détention, tels Venna ou Filakio. Par ailleurs, le Gouvernement n’a pas commenté l’allégation du requérant sur le manque d’espace.

76.  Les conditions de détention prévalant dans les locaux de la police des frontières de Feres sont révélées par plusieurs rapports des organisations grecques et internationales qui les ont visités soit lorsque le requérant y était détenu (le Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, et l’organisation non gouvernementale allemande ProAsyl) soit peu après sa libération (le CPT, la Commission nationale des droits de l’homme et le médiateur de la République). Tous mettent en avant le manque d’espace sévère dont les détenus souffraient : selon le Rapporteur spécial des Nations unies, à la date de sa visite en octobre 2010, il y avait 123 détenus dans un espace prévu pour 28 ; selon ProAsyl, en décembre 2010, il y avait 110 détenus dans un seul dortoir, l’autre étant en travaux ; et de même, le CPT constatait qu’en janvier 2011, les détenus disposaient chacun d’environ 1 m² voire moins dans certains dortoirs.

77.  Au vu de ce qui précède, la Cour considère que le requérant n’a pas bénéficié d’un espace de vie conforme aux critères fixés par sa jurisprudence.

78.  Ce constat quant à l’espace attribué au requérant, qui permet à lui seul de conclure à la violation de l’article 3 de la Convention, dispense la Cour d’examiner les autres allégations du requérant, relatives à ses conditions de détention. La Cour ne peut cependant que relever que nombre d’allégations du Gouvernement à cet égard ne coïncident pas avec les constats contenus dans les rapports des organes et organisations précités.

79.  La Cour estime que les conditions de détention en cause, compte tenu également de la durée d’incarcération du requérant, ont soumis l’intéressé à une épreuve d’une intensité qui excédait le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention.

80.  Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.

II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

81.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

82.  Le requérant réclame 15 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

83.  Le Gouvernement considère que le montant réclamé est excessif et que, compte tenu du fait que le requérant est responsable de la prorogation de sa détention, le seul constat de la violation de la Convention constituerait une satisfaction équitable suffisante.

84.  La Cour estime que le requérant a subi un préjudice moral certain. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle considère qu’il y a lieu de lui octroyer 8 000 EUR à ce titre.

B.  Frais et dépens

85.  Le requérant demande également 1 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.

86.  Le Gouvernement invite la Cour à rejeter la demande, faute pour le requérant de présenter les justificatifs nécessaires.

87.  Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI).

88.  La Cour observe que les prétentions du requérant au titre des frais et dépens ne sont pas accompagnées des justificatifs nécessaires. Il convient donc d’écarter sa demande.

C.  Intérêts moratoires

89.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable ;

2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

3.  Dit

a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 8 000 EUR (huit mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 juin 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

              André WampachIsabelle Berro-Lefèvre
Greffier adjointPrésidente

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CEDH, Cour (première section), AFFAIRE A.F. c. GRÈCE, 13 juin 2013, 53709/11