CEDH, Cour (première section), AFFAIRE KONTI-ARVANITI c. GRECE, 10 avril 2003, 53401/99

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Première Section), 10 avr. 2003, n° 53401/99
Numéro(s) : 53401/99
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Chahal c. Royaume-Uni, arrêt du 15 novembre 1996, Recueil 1996-V, pp. 1869-1870, § 145
Richard c. France, arrêt du 22 avril 1998, Recueil 1998-II, p. 824, § 57
Doustaly c. France, arrêt du 23 avril 1998, Recueil 1998-II, p. 857, § 39
Silver et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 25 mars 1983, série A no 61, p. 42, § 113
Ilhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 97, CEDH 2000-VII
Kudla c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 156 et 157, CEDH 2000-VII
Varipati c. Grèce, no 38459/97, § 26, 26 octobre 1999, non publié
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'art. 6-1 ; Violation de l'art. 13 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation pécuniaire
Identifiant HUDOC : 001-65575
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2003:0410JUD005340199
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Sur les parties

Texte intégral

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE KONTI-ARVANITI c. GRÈCE

(Requête no 53401/99)

ARRÊT

STRASBOURG

10 avril 2003

DÉFINITIF

08/07/2003

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Konti-Arvaniti c. Grèce,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

MmeF. Tulkens, présidente,
MM.C.L. Rozakis,
P. Lorenzen,
MmeN. Vajić,
MM.E. Levits,
A. Kovler,
V. Zagrebelsky, juges,
de M. S. Nielsen, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 28 février 2002 et 20 mars 2003,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 53401/99) dirigée contre la République hellénique et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Varvara Konti-Arvaniti (« la requérante »), a saisi la Cour le 3 décembre 1999 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, M. S. Spyropoulos, assesseur au Conseil Juridique de l’Etat, et M. I. Bakopoulos, auditeur au Conseil Juridique de l’Etat.

3.  La requérante se plaignait en particulier de la durée d’une procédure civile. Elle invoquait les articles 6 § 1 et 13 de la Convention.

4.  La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.

5.  Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la première section ainsi remaniée (article 52 § 1).

6.  Par une décision du 28 février 2002, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable.

7. Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).

EN FAIT

8.  La requérante est née en 1950 et réside à Athènes.

9.  Le 4 février 1977, le père de la requérante décéda.

10.  Le 18 avril 1988, un des frères de la requérante saisit le tribunal de première instance de Kavala d’une demande de partage forcé de l’héritage (αναγκαστική διανομή κληρονομιάς) de leur père.

11.  Le 7 avril 1989, par une décision avant dire droit, le tribunal ordonna aux intéressés de justifier la valeur des biens de l’héritage. L’audience fut par la suite ajournée, à la demande des parties, à plusieurs reprises. Le 20 mars 1992, un expert fut désigné.

12.  Les 18 novembre 1998, 11 mars et 17 mai 1999, la requérante se plaignit auprès des services administratifs du retard mis par l’expert à déposer son rapport. Elle fut informée que le déroulement de l’expertise ne relevait pas de la compétence de l’administration et que l’expert désigné agissait non pas en tant que fonctionnaire mais en tant que particulier.

13.  L’expert déposa son rapport le 23 novembre 1999.

14.  Une nouvelle audience fut fixée au 2 mars 2001 et ajournée par la suite, à la demande des parties, au 5 octobre 2001. Le tribunal rendit sa décision en 2002 (décision no 58/2002).

15.  Le 1er juillet 2002, le frère de la requérante interjeta appel de cette décision. L’affaire est actuellement pendante devant la cour d’appel de Thrace.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

16.  La requérante se plaint de la durée de la procédure. Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont les parties pertinentes sont ainsi libellées :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

17.  Le Gouvernement rappelle que le code de procédure civile (notamment en ses articles 106, 107 et 108) consacre le principe de la conduite du procès par les parties. Il considère que la durée de la procédure est principalement due au comportement des parties qui ont multiplié les demandes d’ajournement et qui n’ont pas fait preuve de diligence dans la conduite de l’affaire.

A.  Période à prendre en considération

18.  La Cour note que la procédure a débuté le 18 avril 1988 et est actuellement pendante en appel. Elle a donc duré à ce jour plus de quatorze ans et onze mois.

B.  Caractère raisonnable de la durée de la procédure

19.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, Richard c. France, arrêt du 22 avril 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, p. 824, § 57 ; Doustaly c. France, arrêt du 23 avril 1998, Recueil 1998-II, p. 857, p. 39).

20.  Par ailleurs, seules les lenteurs imputables aux autorités judiciaires compétentes peuvent amener à constater un dépassement du délai raisonnable contraire à la Convention. Même dans les systèmes juridiques consacrant le principe de la conduite du procès par les parties, l’attitude des intéressés ne dispense pas les juges d’assurer la célérité voulue par l’article 6 § 1 (Varipati c. Grèce, no 38459/97, 26.10.1999, § 26).

21.  Pour ce qui est de la présente affaire, la Cour observe que, même si les parties sont responsables de certains retards, force est de constater que, s’agissant d’une durée de plus de quatorze ans, la lenteur de la procédure résulte essentiellement du comportement des autorités et juridictions saisies.

22.  La Cour réaffirme qu’il incombe aux Etats contractants d’organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent garantir à chacun le droit d’obtenir une décision définitive sur les contestations relatives à ses droits et obligations de caractère civil dans un délai raisonnable. Dès lors, la Cour ne saurait estimer « raisonnable » la durée globale écoulée en l’espèce.

Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

23.  La requérante se plaint de ne pas disposer en droit grec d’un recours effectif au travers duquel elle aurait pu soulever devant une instance nationale la question de la durée excessive de la procédure suivie dans sa cause. Elle invoque l’article 13 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

24.  Le Gouvernement soutient que cette disposition n’a pas été enfreinte. La requérante aurait pu demander le remplacement de l’expert, puisque c’est lui qui retarda le déroulement de la procédure. En effet, aux termes de l’article 370 du code de procédure civile, les experts peuvent être remplacés, soit à la demande des parties soit d’office, s’il y a une raison valable. Le Gouvernement estime que la requérante aurait pu également introduire une action en dommages-intérêts contre l’expert.

25.  La requérante répond que le remplacement de l’expert aurait pu être ordonné par le tribunal lui-même et qu’une action en dommages-intérêts contre celui-ci n’aurait pu lui fournir une réparation adéquate pour les retards déjà constatés.

26.  La Cour rappelle que, dans l’arrêt Kudla c. Pologne du 26 octobre 2000 ([GC], no 30210/96, § 156, CEDH 2000-VII), elle a jugé que l’interprétation correcte de l’article 13 est que « cette disposition garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable ».

27.  Il s’impose dès lors de déterminer si l’ordre juridique hellénique offrait à la requérante un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention lui permettant de se plaindre de la durée de la procédure.

28.  La Cour rappelle que l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de s’y prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu’ils peuvent s’y trouver consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d’exiger un recours interne habilitant à examiner le contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié (voir, parmi beaucoup d’autres, Kudla c. Pologne, op. cit., § 157).

La portée de l’obligation que l’article 13 fait peser sur les Etats contractants varie en fonction de la nature du grief du requérant. Toutefois, le recours exigé par l’article 13 doit être « effectif » en pratique comme en droit (voir, par exemple, İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 97). L’« effectivité » d’un « recours » au sens de l’article 13 ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant. De même, l’« instance » dont parle cette disposition n’a pas besoin d’être une institution judiciaire, mais alors ses pouvoirs et les garanties qu’elle présente entrent en ligne de compte pour apprécier l’effectivité du recours s’exerçant devant elle. En outre, l’ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l’article 13, même si aucun d’eux n’y répond en entier à lui seul (voir, parmi beaucoup d’autres, Silver et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 25 mars 1983, série A no 61, p. 42, § 113 ; Chahal c. Royaume-Uni, arrêt du 15 novembre 1996, Recueil 1996-V, pp. 1869-1870, § 145).

29.  Pour ce qui est de la présente affaire, la Cour relève d’emblée que le Gouvernement n’affirme pas qu’il existe une voie de droit spécifique au travers de laquelle la requérante aurait pu se plaindre de la durée de la procédure, mais soutient que la requérante aurait pu demander le remplacement de l’expert et engager une action en dommages-intérêts contre ce dernier. De l’avis de la Cour, les recours proposés par le Gouvernement ne remplissent pas les conditions de l’article 13, car ils ne visent qu’à sanctionner le comportement de l’expert et n’offrent pas un redressement direct de la situation incriminée.

30.  Dès lors, la Cour estime qu’en l’espèce il y a eu violation de l’article 13 de la Convention en raison de l’absence en droit interne d’un recours qui eût permis à la requérante d’obtenir la sanction de son droit à voir sa cause « entendue dans un délai raisonnable », au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

31.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

32.  La requérante affirme qu’elle a subi un préjudice matériel important du fait de ne pas pouvoir vendre pendant plus de quatorze ans les biens de l’héritage de son père qui lui reviennent. Elle réclame 189 662 euros (EUR) à ce titre.

33.  Par ailleurs, la requérante demande à la Cour de lui allouer 58 700 EUR pour la souffrance et la détresse morales résultant de la violation de ses droits garantis par la Convention.

34.  Le Gouvernement juge ces sommes exorbitantes. Il affirme notamment qu’il n’existe pas de lien de causalité entre le préjudice matériel allégué et les violations constatées. Il considère que la somme de 3 000 EUR suffirait à réparer le préjudice éventuellement subi par la requérante.

35.  La Cour partage l’avis du Gouvernement quant à la demande de la requérante au titre du préjudice matériel. Elle rappelle à cet égard qu’elle a rejeté le grief de la requérante tiré de son droit au respect des ses biens comme étant prématuré (Konti-Arvaniti c. Grèce (déc.), no 53401/99, 28 février 2002, non publiée). En conséquence, rien ne justifie qu’elle lui accorde une indemnité de ce chef.

36.  La Cour estime en revanche que la requérante a subi un préjudice moral du fait de la violation à son détriment des articles 6 § 1 et 13 de la Convention. Statuant en équité, comme le veut l’article 41, elle lui alloue 20 000 EUR à ce titre.

B.  Intérêts moratoires

37.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,

1.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;

3.  Dit

a)  que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 20 000 EUR (vingt mille euros) pour dommage moral ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 avril 2003 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren NielsenFrançoise Tulkens
Greffier adjointPrésidente

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