CJCE, n° C-279/93, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Finanzamt Köln-Altstadt contre Roland Schumacker, 22 novembre 1994

  • Libre circulation des travailleurs·
  • Fiscalité·
  • Etats membres·
  • Impôt·
  • Contribuable·
  • Imposition·
  • Allemagne·
  • Thé·
  • Résidence·
  • Discrimination

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 22 nov. 1994, Schumacker, C-279/93
Numéro(s) : C-279/93
Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 22 novembre 1994. # Finanzamt Köln-Altstadt contre Roland Schumacker. # Demande de décision préjudicielle: Bundesfinanzhof - Allemagne. # Article 48 du traité CEE - Obligation d'égalité de traitement - Imposition sur le revenu des non-résidents. # Affaire C-279/93.
Date de dépôt : 14 mai 1993
Précédents jurisprudentiels : Commission contre le grand-duché de Luxembourg ( affaire C-151/94
Solution : Renvoi préjudiciel
Identifiant CELEX : 61993CC0279
Identifiant européen : ECLI:EU:C:1994:391
Télécharger le PDF original fourni par la juridiction

Sur les parties

Texte intégral

Avis juridique important

|

61993C0279

Conclusions de l’avocat général Léger présentées le 22 novembre 1994. – Finanzamt Köln-Altstadt contre Roland Schumacker. – Demande de décision préjudicielle: Bundesfinanzhof – Allemagne. – Article 48 du traité CEE – Obligation d’égalité de traitement – Imposition sur le revenu des non-résidents. – Affaire C-279/93.


Recueil de jurisprudence 1995 page I-00225


Conclusions de l’avocat général


++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Les quatre questions préjudicielles posées par le Bundesfinanzhof dans la présente affaire se situent dans la lignée des affaires Commission/France (« avoir fiscal ») (1), Biehl (2), Bachmann (3), Commission/Belgique (4), Commerzbank (5), Halliburton Services (6) et surtout Werner (7) dont le cadre factuel et juridique est très proche. Elles concernent une question clé du droit communautaire: quel est l’ impact sur les réglementations fiscales internes portant sur l’ impôt sur le revenu du principe communautaire de libre circulation des personnes tel qu’ il est mis en oeuvre à l’ article 48 du traité CE?

2. La réglementation fiscale applicable est la suivante.

3. Par application de l’ article 1er, paragraphe 4, de l’ Einkommensteuergesetz (loi allemande relative à l’ impôt sur le revenu, ci-après l’ « EStG ») (8), les personnes qui n’ ont aucune résidence en République fédérale d’ Allemagne et qui n’ y séjournent pas habituellement sont « partiellement assujetties à l’ impôt » (beschraenkt einkommensteuerpflichtig) pour la partie de leurs revenus qu’ elles réalisent dans ce pays tandis que les résidents sont « intégralement assujettis à l’ impôt » (9).

4. Ces deux catégories de contribuables sont soumises à des régimes fiscaux très différents.

5. Les seconds sont imposés par le fisc allemand sur l’ universalité de leurs revenus tandis que les premiers ne sont assujettis que sur ceux perçus sur le territoire allemand.

6. Partant du principe que la situation personnelle et subjective du contribuable non-résident ° et donc partiellement assujetti ° sera prise en compte par son État de résidence, la réglementation fiscale allemande lui refuse un certain nombre d’ avantages qu’ elle accorde aux contribuables résidents: seuls ceux-ci peuvent bénéficier du barème préférentiel pour les couples mariés (le « Splittingtarif ») (10). Certaines déductions (11) ou certains abattements liés, notamment, à leur situation familiale (12) sont réduits ou supprimés pour les non-résidents. De plus, ceux-ci voient leur impôt prélevé à la source sur leur salaire sans procédure de régularisation en fin d’ année (13).

7. Le contribuable « partiellement assujetti » est donc imposé de manière objective, « comme en matière d’ impôts indirects » (14).

8. La question de la compatibilité avec le droit communautaire de ces dispositions s’ est posée dans le cadre d’ un litige opposant un ressortissant belge, M. Schumacker, requérant au principal, au Finanzamt Koeln-Altstadt.

9. M. Schumacker a toujours résidé, avec sa famille, en Belgique. Employé dans un premier temps dans cet État, il exerce, du 15 mai 1988 au 31 décembre 1989, une activité salariée en République fédérale d’ Allemagne tout en continuant à résider en Belgique (15).

10. Pour l’ imposition sur le revenu relative à cette dernière période, le droit d’ imposer les salaires de M. Schumacker revient à la République fédérale d’ Allemagne, en tant qu’ État où l’ activité est exercée, en vertu de l’ article 15, paragraphe 1, de la convention germano-belge en matière de double imposition (16).

11. Il est classé, par application des articles 1er, paragraphe 4, et 39d, de l’ EStG de 1987, dans la catégorie des contribuables partiellement assujettis et son salaire fait l’ objet d’ une retenue calculée conformément à la classe d’ imposition I (applicable aux nationaux célibataires et aux non-résidents quelle que soit leur situation familiale) (17).

12. A la suite d’ une réclamation de l’ intéressé, le Finanzamt, par décision du 22 juin 1989, refuse de calculer le montant de l’ impôt « en équité » (18) par référence à la classe d’ imposition III (applicable aux résidents mariés et fondée sur le tarif du splitting).

13. Le Finanzgericht accueille le recours de M. Schumacker et enjoint au Finanzamt de procéder à une nouvelle liquidation de l’ impôt sur les salaires pour 1988 et d’ arrêter l’ impôt sur les salaires de 1989 par référence à la classe d’ imposition III.

14. C’ est dans le cadre du recours en « Revision » exercé par l’ administration fiscale que le Bundesfinanzhof vous saisit des quatre questions préjudicielles suivantes:

« 1) L’ article 48 du traité CEE est-il susceptible de restreindre le droit pour la République fédérale d’ Allemagne de percevoir un impôt sur le revenu d’ un citoyen d’ un autre État membre?

2) Dans les cas où une personne physique, de nationalité belge, ayant son unique lieu de résidence en Belgique, où elle séjourne habituellement et où elle a acquis sa qualification et son expérience professionnelles, prend un emploi salarié en République fédérale d’ Allemagne sans y transférer son lieu de résidence, l’ article 48 du traité CEE permet-il à la République fédérale d’ Allemagne d’ imposer les revenus de cette personne plus lourdement que ceux d’ une personne par ailleurs comparable ayant sa résidence en République fédérale d’ Allemagne?

3) En va-t-il différemment lorsque le ressortissant belge visé dans la deuxième question tire son revenu presque exclusivement (c’ est-à-dire à plus de 90 %) de son travail en République fédérale d’ Allemagne et que, par ailleurs, aux termes de la convention de double imposition entre ce dernier pays et le royaume de Belgique, ledit revenu n’ est imposable qu’ en République fédérale d’ Allemagne?

4) La République fédérale d’ Allemagne commet-elle une violation de l’ article 48 du traité CEE en excluant les personnes physiques n’ ayant ni résidence ni lieu de séjour habituel sur son territoire, mais qui y perçoivent des ressources d’ origine salariale, à la fois de la régularisation annuelle des retenues à la source au titre de l’ impôt sur les salaires et de l’ imposition par voie de rôle des revenus d’ origine salariale?"

Sur la première question

15. L’ article 48 du traité CEE peut-il restreindre le droit pour un État membre de percevoir un impôt sur le revenu d’ un citoyen d’ un autre État membre?

16. Notant que la fiscalité directe relève de la seule compétence des États membres, le juge de renvoi exprime ses doutes quant à la possibilité d’ appliquer le texte de l’ article 48 à une réglementation nationale concernant ce domaine. Il fait notamment valoir que « … le traité CEE ne donne nulle part mandat d’ harmoniser les impôts directs des États membres » (19). La jurisprudence serait, en tout état de cause, insuffisamment explicite sur l’ existence d’ un rapport entre ces normes (20).

17. Le traité CE ne contient pas, en matière de fiscalité directe, des dispositions similaires à l’ article 95. Si l’ on excepte l’ article 220, son silence quasi absolu en ce domaine a souvent été souligné (21). Il n’ est pas discuté qu’ il revient aux États membres de poser les règles concernant l’ impôt sur le revenu (22).

18. La matière échappe-t-elle pour autant au droit communautaire?

19. Relevons, en premier lieu, qu’ en vertu de l’ article 100 du traité CE, ces réglementations sont susceptibles d’ harmonisation si elles ont une incidence directe sur l’ établissement ou le fonctionnement du marché commun (23), moyennant l’ unanimité des États membres. La fiscalité est exclue du champ d’ application de l’ article 100 A qui autoriserait des mesures d’ harmonisation prises à la majorité qualifiée. A la différence de la TVA, l’ harmonisation de la fiscalité directe n’ est, à ce jour, qu’ embryonnaire (24).

20. En second lieu, pour parvenir aux objectifs qu’ elle s’ est assignés à l’ article 2 du traité CE, la Communauté met en oeuvre « un marché intérieur caractérisé par l’ abolition, entre les États membres, des obstacles à la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux » (25).

21. C’ est ainsi que, même dans les domaines qui relèvent de leur seule compétence, les États membres ne peuvent adopter des mesures qui auraient pour effet d’ entraver sans justification la libre circulation des travailleurs (article 48), des professions indépendantes (article 52) (26), des services (article 59) ou des capitaux (article 73).

22. L’ application de ces principes n’ est pas soumise à la condition préalable du rapprochement entre les législations nationales. Comme le fait remarquer l’ avocat général M. Mancini dans ses conclusions sous l’ arrêt Commission/France (« avoir fiscal »), « … les retards du législateur communautaire ne suspendent pas l’ obligation faite aux États d’ appliquer leurs régimes fiscaux de manière non discriminatoire » (27).

23. Vous avez, dans cet arrêt, affirmé le principe suivant:

« … l’ absence d’ une harmonisation des dispositions législatives des États membres en matière d’ impôts sur les sociétés ne peut pas justifier la différence de traitement en question (fondée sur l’ article 52 CEE) » (28).

24. La sécurité sociale, la fiscalité directe ou, par exemple, les conditions de délivrance des diplômes universitaires relèvent de la compétence des États membres. Ceux-ci n’ en sont pas moins tenus d’ adopter, en ces domaines, des réglementations respectueuses des grandes libertés définies par le droit communautaire.

25. Mais ce n’ est que dans la mesure où ces réglementations ont un impact sur ces libertés qu’ elles sont appréhendées par le droit communautaire.

26. Ainsi, toute réglementation fiscale qui introduirait une discrimination fondée sur la nationalité, que cette discrimination soit ostensible ou déguisée, devrait pouvoir être examinée à l’ aune des articles 48, 52 ou 59.

27. Plus précisément, l’ article 48, paragraphe 2, en prévoyant l’ abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne la rémunération, proscrit toute disposition fiscale discriminatoire qui aurait pour effet de porter atteinte au principe de l’ égalité de traitement en la matière. Comme le résume la partie requérante au principal dans ses observations écrites:

« … il est illicite de transformer des salaires bruts égaux en salaires nets inégaux par le biais d’ une imposition plus élevée » (29).

28. De plus, l’ article 7 du règlement (CEE) n 1612/68 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’ intérieur de la Communauté (30) prescrit que les travailleurs ressortissants d’ un État membre doivent bénéficier sur le territoire d’ un autre État membre des mêmes avantages fiscaux que les nationaux. Le Conseil a, ainsi, appliqué au domaine fiscal le principe d’ égalité de traitement.

29. Dans l’ arrêt Biehl, vous avez jugé que

« Le principe d’ égalité de traitement en matière de rémunération serait privé d’ effet s’ il pouvait y être porté atteinte par des dispositions nationales discriminatoires en matière d’ impôt sur le revenu » (31).

30. On le voit, la fiscalité directe, comme d’ autres domaines qui relèvent de la compétence des États membres, est assujettie au respect des libertés fondamentales du traité: rappelons, ici, la formule de votre arrêt Hubbard (32) rendu dans le cadre de l’ article 59:

« … l’ efficacité du droit communautaire ne saurait varier selon les différents domaines du droit national à l’ intérieur desquels il peut faire sentir ses effets. »

31. Enfin, les droits reconnus aux ressortissants communautaires en vertu des articles 48, 52 ou 59 sont inconditionnels. Leur respect ne peut dépendre, notamment, du contenu d’ une convention contre les doubles impositions conclue entre deux États membres (33).

32. S’ il était encore besoin de montrer que les législations fiscales sont assujetties aux grandes libertés consacrées par le traité, nous pourrions citer l’ article 73 D du traité CE. Après que l’ article 73 B a posé le principe de l’ interdiction de toute restriction aux mouvements de capitaux entre États membres et entre États membres et pays tiers, l’ article 73 D prévoit que ceux-là sont en droit « d’ appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis » en précisant, au paragraphe 3, que ces mesures « … ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements… »

Sur la deuxième question

33. Une remarque préliminaire s’ impose: il est certain qu’ à la différence de l’ affaire Werner, celle-ci rentre bien dans le champ d’ application du droit communautaire. Ressortissant allemand travaillant en République fédérale d’ Allemagne où il a acquis sa qualification professionnelle, M. Werner n’ a jamais fait usage des libertés conférées par le traité et notamment celle de s’ établir dans un autre État membre. Le seul élément d’ extranéité se résumait à sa résidence aux Pays-Bas. Ici, M. Schumacker, ressortissant belge, qui a acquis sa qualification et son expérience professionnelles ailleurs qu’ en République fédérale d’ Allemagne (34), a fait usage du droit de libre circulation des travailleurs que prévoit l’ article 48 du traité pour venir dans cet État y exercer une activité salariée. Nous ne sommes donc pas dans une situation purement interne à un État membre (35).

34. Ce point étant éclairci, nous reformulerons la deuxième question ainsi:

« La réglementation fiscale d’ un État membre peut-elle, sans enfreindre l’ article 48 du traité, imposer le non-résident qui occupe un emploi salarié dans cet État plus lourdement sur ses revenus que le résident occupant le même emploi?"

35. Le critère de la résidence est le principe fondateur du droit fiscal international. Choisi par la quasi-totalité des États du monde, il est préféré à celui de la nationalité « … qui impliquerait l’ imposition par un État de personnes qui peuvent avoir perdu tout lien réel, économique notamment, avec cet État » (36).

36. La ratio de la distinction entre résidents et non-résidents est claire: en choisissant de résider dans un État, une personne s’ oblige à contribuer au coût de l’ administration publique et des services publics que cet État met à sa disposition. Il est alors logique que cet État la taxe sur l’ ensemble de ses revenus, de manière globale. C’ est également cet État, où le contribuable a placé le centre de sa vie familiale, qui le fera bénéficier de déductions et d’ abattements. Il existe un lien personnel entre le contribuable et l’ État considéré.

37. Inversement, l’ État d’ emploi assujettit le non-résident de manière quasi objective sur les seuls revenus dont la source se trouve sur son territoire. Le contribuable n’ a, en effet, pas d’ autre lien avec cet État que l’ activité économique qu’ il y exerce.

38. Ainsi, on le voit, le droit fiscal fait une distinction entre résidents et non-résidents parce qu’ ils ne sont pas, objectivement, dans la même situation. Cette distinction est, d’ ailleurs, au centre du modèle OCDE de convention contre la double imposition concernant le revenu et la fortune (37).

39. L’ application du principe de non-discrimination à la matière fiscale nécessite de grandes précautions. On l’ a noté:

« To anyone who is somewhat familiar with tax law, it is clear that the concept of de facto non-discrimination could very easily result in the disintegration of national tax systems. Even were the Court to limit itself to the elimination of the differences in tax treatment between tax-payers based on nationality or on residence, the resulting chaos in income tax would be considerable » (38).

40. Pour garantir la libre circulation des travailleurs à l’ intérieur de la Communauté, l’ article 48, paragraphe 2, prohibe toute discrimination fondée sur la nationalité entre travailleurs des États membres en ce qui concerne, notamment, la rémunération.

41. Citant l’ arrêt du 12 février 1974, Sotgiu (39), vous avez rappelé dans l’ arrêt Biehl que

« … les règles d’ égalité de traitement prohibent non seulement les discriminations ostensibles fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d’ autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat… » (40)

42. Vous avez admis qu’ une distinction fondée sur la résidence, bien qu’ indistinctement applicable aux nationaux et aux non-nationaux, devait être assimilée à une distinction fondée sur la nationalité dès lors que les non-résidents sont principalement des non-nationaux (41).

43. Vous en avez conclu que l’ article 48 s’ oppose à une réglementation qui prive le contribuable résident pendant une partie de l’ année seulement du droit au remboursement du trop-perçu sur les retenues d’ impôts alors que le résident permanent bénéficie d’ une telle restitution (42).

44. Il n’ est pas exclu, toutefois, « … qu’ une distinction selon la résidence d’ une personne physique puisse, sous certaines conditions, être justifiée dans un domaine comme le droit fiscal… » (43)

45. Une disposition fiscale fondée sur le critère de résidence et ayant des effets discriminatoires ne fait pas obstacle au principe de la libre circulation des travailleurs dès lors qu’ elle poursuit un but d’ intérêt général (tel que la sauvegarde de la cohérence du système fiscal national) et qu’ elle est strictement nécessaire pour atteindre ce but. Dans l’ arrêt du 28 janvier 1992, Commission/Belgique (44), vous avez admis qu’ une disposition fiscale restreignant la libre circulation des travailleurs ne violait pas l’ article 48 du traité dès lors qu’ elle était justifiée « … par la nécessité de garantir la cohérence du régime fiscal en cause… » (45)

46. En droit fiscal belge, les cotisations d’ assurance complémentaire contre la vieillesse ou le décès ne sont déductibles du revenu imposable qu’ à la condition qu’ elles soient versées à des entreprises établies en Belgique ou à l’ établissement belge des entreprises d’ assurance étrangères. Vous avez estimé que la cohérence du système fiscal (à savoir le lien entre la déductibilité des cotisations et la taxation postérieure de la rente ou du capital versé par la compagnie d’ assurances) ne pouvait être assurée par des mesures moins restrictives et que la disposition fiscale en question était donc compatible avec l’ article 48 du traité.

47. On le voit, depuis les arrêts Bachmann et Commission/Belgique, vous admettez que des réglementations nationales discriminatoires au sens de l’ article 48, paragraphe 2, peuvent être, malgré cette discrimination, justifiées pour des raisons impérieuses d’ intérêt général. Les exceptions au principe de non-discrimination édicté par cet article ne sont pas seulement celles prévues à ses paragraphes 3 et 4.

48. Vous appliquez donc aux réglementations fiscales discriminatoires la « rule of reason » destinée à atténuer les effets de l’ intégration dans le champ d’ application des articles 48 et 52 des réglementations nationales indistinctement applicables qui entravent ou font obstacle à la libre circulation des travailleurs (46).

49. Ce sont ces principes que nous vous proposons d’ appliquer dans notre affaire.

50. Sommes-nous, en l’ occurrence, en présence d’ une discrimination? Si tel est le cas, est-elle justifiée?

51. Il est possible d’ admettre que les non-résidents sont en majorité des non-nationaux (47) et qu’ un avantage réservé aux seuls résidents dissimule une discrimination fondée sur la nationalité.

52. Mais encore faut-il, en tout premier lieu, pouvoir identifier une discrimination.

53. On le sait, « … une discrimination ne peut consister, d’ après la jurisprudence constante de la Cour, que dans l’ application de règles différentes à des situations comparables ou bien dans l’ application de la même règle à des situations différentes » (48).

54. En matière fiscale, vous vous assurez avec un soin tout particulier que l’ existence de la discrimination est caractérisée.

55. Ainsi, dans l’ arrêt Commission/France (« avoir fiscal »), vous avez constaté que, lorsque les sociétés ayant leur siège social en France et les succursales et agences situées en France de sociétés ayant leur siège à l’ étranger sont soumises au même régime fiscal et ne font l’ objet d’ aucune différence quant à « la détermination de la base imposable », elles ne peuvent être traitées différemment en ce qui concerne l’ octroi d’ un avantage fiscal, tel que l’ avoir fiscal (49). De même, dans l’ arrêt Biehl, la base d’ imposition sur la période considérée était identique pour les résidents et les non-résidents. Enfin, dans l’ affaire Commerzbank, les sociétés résidentes bénéficiaient d’ avantages fiscaux dont les non-résidentes placées dans la même situation fiscale étaient privées.

56. Il y a donc lieu de vérifier, en l’ espèce, que l’ on est en présence de « situations comparables » « traitées de manière différente » (50).

57. Y a-t-il, au regard des modalités et des conditions de l’ imposition sur le revenu, une différence de situation objective pouvant justifier une différence de traitement (51)?

58. La ratio legis de la réglementation fiscale allemande est claire: la catégorie des contribuables « intégralement assujettis », dont font partie les résidents, est imposée sur la totalité des revenus mondiaux (52). Bénéficiant des prestations fournies par leur État de résidence, ils doivent contribuer par leur impôt aux dépenses de celui-ci. De plus, c’ est cet État qui est le mieux à même de connaître ° ou de vérifier ° leur situation personnelle et de les imposer de manière subjective en prévoyant différents abattements ou réductions pour charges de famille ou frais professionnels (Werbungskosten), etc. C’ est là que se trouve le centre des intérêts vitaux du contribuable (53).

59. En revanche, le contribuable « partiellement assujetti » (ici, le non-résident) n’ est imposé en République fédérale d’ Allemagne que sur la partie de ses revenus ayant leur source sur le territoire de cet État. Il est imposé de manière objective sans égards pour sa situation personnelle en partant du principe que celle-ci sera prise en compte par l’ administration fiscale de son État de résidence qui le connaît le mieux, conformément aux règles de droit fiscal international (54). Comme l’ a relevé le juge a quo, « Ce n’ est donc pas la personne de l’ assujetti, mais ses activités qui sont rattachées au territoire national » (55).

60. La situation personnelle de l’ assujetti n’ est donc prise en compte que dans l’ État de résidence où l’ imposition porte sur l’ ensemble de ses revenus (56) afin d’ éviter le cumul des déductions et abattements personnels qui lui sont accordés.

61. Ce n’ est que dans l’ État de résidence que peut être pris en compte le splitting qui suppose que la totalité des revenus, tant nationaux qu’ étrangers, obtenus par les deux époux, soient pris en compte.

62. Ce système a sa cohérence: si la République fédérale d’ Allemagne prenait en compte la situation personnelle de l’ assujetti partiel (ce qu’ elle ne pourrait faire que pour les revenus qui y sont perçus), celle-ci serait prise en considération deux fois, par l’ État d’ emploi et par l’ État de résidence, ce qui conduirait à un avantage fiscal injustifié. Les régimes différents auxquels sont soumis résidents et non-résidents permettent de prévenir un cumul d’ avantages. C’ est pourquoi l’ article 24, paragraphe 3, du modèle OCDE de convention contre les doubles impositions exclut qu’ un État contractant soit obligé d’ accorder aux résidents d’ un autre État contractant les déductions personnelles, abattements et réductions d’ impôts qu’ il accorde à ses propres résidents (57).

63. Il n’ y a donc pas de discrimination entre le contribuable intégralement assujetti et celui qui l’ est partiellement puisqu’ ils ne sont pas placés dans des situations comparables. La taxation du revenu mondial du premier ne peut être comparée à la taxation du second limitée aux seuls revenus perçus dans l’ État d’ emploi. Il y a traitement différent de situations différentes. L’ article 24, précité, du modèle de convention OCDE est très clair à cet égard: les résidents et les non-résidents ne sont pas dans la même situation et une distinction peut être faite entre eux en matière de taxation sans que les seconds puissent invoquer le principe de non-discrimination.

64. Il est, par conséquent, impossible de soutenir que le non-résident partiellement assujetti serait, en principe, imposé « plus lourdement » que le résident intégralement assujetti (58). L’ assiette de l’ impôt n’ est pas la même (59) et la situation subjective de l’ intéressé peut être prise en compte dans des conditions très favorables par son État de résidence.

65. Mais ce système ne présente-t-il pas une faiblesse lorsque le contribuable non-résident perçoit la totalité (ou la quasi-totalité) de ses revenus dans l’ État d’ emploi et qu’ en vertu de la convention de double imposition entre l’ État de résidence et celui d’ emploi, ceux-ci ne sont imposables que dans ce dernier État? Tel est précisément l’ objet de la troisième question.

Sur la troisième question

66. Non imposable dans l’ État de résidence où il ne perçoit aucun revenu suffisant, le contribuable placé dans la situation du requérant au principal (60) ° partiellement assujetti dans l’ État d’ emploi ° ne verra sa situation subjective prise en compte par aucun État: l’ État de résidence ne le soumet à aucune imposition fiscale, l’ État d’ emploi le considère comme partiellement assujetti et l’ impose objectivement.

67. Cette sorte de « conflit négatif » de compétence entre État d’ emploi et État de résidence (qui refusent l’ un et l’ autre d’ accorder des déductions fiscales pour charges personnelles et familiales) conduit à une « surimposition » du non-résident. Celle-ci constitue-t-elle une discrimination?

68. Soulignons l’ importance pratique de la question: les travailleurs frontaliers perçoivent ° très généralement ° la totalité de leurs revenus dans l’ État d’ emploi. Ils sont donc, sur ce point, dans une situation totalement assimilable à celle des résidents. Peut-on leur opposer la distinction entre résidents et non-résidents alors qu’ objectivement ils sont, d’ un point de vue fiscal, dans la même situation que les résidents?

69. Cette situation rappelle l’ affaire Biehl dans laquelle vous souligniez que la violation du principe d’ égalité de traitement était particulièrement claire lorsque le contribuable non-résident n’ a perçu de revenus qu’ au grand-duché de Luxembourg (61).

70. Le ressortissant d’ un État membre qui fait usage du droit de libre circulation que lui reconnaît l’ article 48 pour aller travailler dans un autre État membre (où il perçoit la totalité de ses revenus) tout en continuant à résider dans son État d’ origine devra s’ acquitter de l’ impôt sur les revenus perçus dans l’ État d’ emploi sans que sa situation subjective et ses charges familiales soient prises en considération.

71. Il en résulte une discrimination claire aux dépens du non-résident, soumis à un régime fiscal différent de celui applicable au résident, alors que la « détermination de la base imposable » est la même (62) et qu’ ils sont, l’ un et l’ autre, concrètement, dans la même situation d’ un point de vue fiscal.

72. Tout particulièrement, le non-résident se voit refuser le bénéfice du splitting qui a pour effet d’ atténuer la progressivité de l’ impôt.

73. Les conséquences de cette discrimination sur la libre circulation des personnes n’ ont pas échappé à la Commission qui a adopté, le 21 décembre 1993, une recommandation 94/79/CE relative à l’ imposition de certains revenus obtenus par des non-résidents dans un État membre autre que celui de leur résidence (63):

« … la libre circulation des personnes peut être entravée par des dispositions en matière d’ impôt sur le revenu des personnes physiques ayant pour effet d’ imposer une charge fiscale plus lourde aux non-résidents qu’ aux résidents se trouvant dans des situations comparables » (64). Les premiers ne doivent pas être privés « … des avantages et déductions fiscaux dont bénéficient les résidents, lorsque la partie prépondérante de leurs revenus est obtenue dans le pays d’ activité » (65).

74. En conséquence, la Commission recommande aux États membres de ne pas soumettre l’ impôt sur les revenus des non-résidents perçus dans l’ État d’ emploi à une imposition supérieure à celle que cet État établirait si le contribuable, son époux et ses enfants y étaient résidents, à la condition que ces revenus constituent au moins 75 % du revenu total imposable (66).

75. L’ existence de la discrimination n’ est pas douteuse lorsque le non-résident perçoit la totalité de ses revenus dans l’ État d’ emploi. Qu’ en est-il lorsqu’ il perçoit la majorité ou la quasi-totalité de ses revenus dans ce dernier État? Quel est le seuil à compter duquel sa situation doit être assimilée à celle des résidents? Dans sa recommandation, la Commission le fixe à 75 %. Les réglementations allemande et néerlandaise à 90 %.

76. Nous pensons qu’ à défaut d’ une telle réglementation, seule une appréciation de fait revenant au juge national permettra de déterminer le seuil à compter duquel les revenus dans l’ État de résidence sont suffisants pour que la situation personnelle de l’ intéressé soit prise en compte par les autorités fiscales de cet État. Seuls les résidents de celui-ci qui n’ ont pas atteint ce seuil pourront être assimilés aux résidents de l’ État d’ emploi où ils perçoivent l’ essentiel de leurs revenus.

77. Quelle justification permettrait de « sauver » la réglementation allemande au regard de l’ article 48 du traité?

78. Lorsque vous êtes en présence d’ une réglementation fiscale discriminatoire, vous examinez avec beaucoup de rigueur les causes de justification. Ainsi, un désavantage fiscal n’ est pas nécessairement justifié par le fait qu’ il peut être compensé par un avantage (67).

79. Deux causes de justification ont été ici avancées.

a) La prise en compte de la situation subjective du contribuable doit être réservée à l’ administration fiscale de l’ État de résidence qui serait la seule à pouvoir en avoir exactement connaissance

80. A cet égard, les échanges d’ informations entre administrations nationales se sont développées, notamment sous l’ égide de la directive 77/799 (68) (même si la collaboration entre les administrations fiscales des États membres trouve une limite dans l’ article 8, paragraphe 1, de ce texte (69)), et des directives 79/1070/CEE (70) et 92/12/CEE (71) qui l’ ont modifiée.

81. Vous fondant sur ces textes, vous rejetez l’ argument tiré de la difficulté, pour une administration fiscale, de recueillir les données nécessaires à l’ imposition d’ un contribuable établi dans un autre État membre (72).

82. A supposer même que cette collaboration soit considérée comme insuffisante encore aujourd’ hui, nous pensons que le raisonnement que vous avez adopté pour la déductibilité des cotisations d’ assurance est transposable aux déductions ou abattements auxquels le contribuable intégralement assujetti peut prétendre:

« Toutefois, l’ impossibilité de demander une telle collaboration (entre autorités fiscales des États membres) ne saurait justifier la non-déductibilité des cotisations d’ assurance. En effet, rien n’ empêcherait les autorités fiscales concernées d’ exiger de l’ intéressé les preuves qu’ elles jugent nécessaires et, le cas échéant, de refuser la déduction si ces preuves ne sont pas fournies » (73).

b) La cohérence du système fiscal interdit d’ assimiler, dans une telle situation, le non-résident au résident

83. Nous avons montré que la distinction entre résidents et non-résidents s’ explique lorsque les revenus de ces derniers trouvent leurs sources à la fois dans l’ État de résidence et dans l’ État d’ emploi. En revanche, le statut fiscal du non-résident doit pouvoir être assimilé à celui du résident lorsqu’ il perçoit ses revenus exactement dans les mêmes conditions que ce dernier. Ajoutons que la surimposition du non-résident est, dans une telle hypothèse, d’ autant plus inéquitable qu’ elle a pour effet d’ augmenter sa contribution fiscale dans un État où il ne réside pas.

84. Cela est si vrai que la République fédérale d’ Allemagne a, dans un premier temps, aménagé sa réglementation fiscale afin de faire bénéficier les travailleurs frontaliers en provenance des Pays-Bas qui perçoivent au moins 90 % de leurs revenus mondiaux en Allemagne du régime fiscal applicable aux résidents de cet État (74), et notamment du splitting. Dans un second temps, le législateur allemand a aligné le régime de tous les non-résidents qui perçoivent au moins 90 % de leur revenu global en Allemagne sur celui des résidents de cet État, à l’ exclusion du splitting (75).

85. Pour justifier le sort différent que sa réglementation réserve aux travailleurs frontaliers en provenance de Belgique par rapport à ceux d’ origine néerlandaise, le gouvernement allemand fait valoir qu’ une extension aux premiers de l’ octroi du statut de contribuable intégralement assujetti risquerait de l’ obliger à généraliser ce statut à tous les travailleurs non-résidents ou non-nationaux qui pourraient se prévaloir du principe constitutionnel d’ égalité de traitement.

86. Relevons ici que la rupture d’ égalité existe d’ ores et déjà et qu’ elle a même été constatée par le Bundesfinanzhof dans un arrêt du 20 avril 1988 (76):

« Il serait contraire à l’ article 3 de la loi Fondamentale de traiter les travailleurs frontaliers venant d’ autres États voisins différemment de ceux qui viennent des Pays-Bas. »

87. Le gouvernement allemand ne saurait, en tout état de cause, justifier une violation de l’ article 48 par les conséquences financières excessives de la généralisation d’ un droit qu’ il a d’ ores et déjà reconnu à certains non-résidents. Vous avez déjà répondu à ce type d’ argument dans l’ arrêt Commission/France (« avoir fiscal ») (77). Si un État membre peut limiter le droit à un avantage fiscal, c’ est à la condition de respecter le principe de non-discrimination.

88. Nous voyons, en tout cas, dans la récente législation fiscale allemande la preuve que l’ assimilation, dans certaines hypothèses précises, des non-résidents aux résidents ne met pas en danger la cohérence du système fiscal national. Cette assimilation permet, au contraire, d’ assurer le respect du principe d’ égalité.

89. Qu’ en est-il du splitting dont le bénéfice est refusé par le Grenzpendlergesetz aux non-résidents?

90. Nul risque, ici, de double prise en compte de la situation familiale du contribuable puisqu’ il n’ est pas imposé dans l’ État de résidence.

91. La difficulté vient du fait que, dans l’ hypothèse qui nous occupe, l’ application du splitting conduit à prendre en considération les revenus perçus par l’ épouse dans l’ État de résidence (allocations chômage) et qui ne sont pas imposables en Allemagne.

92. Le juge a quo admet que cette « prise en compte aux fins de progressivité … paraît techniquement possible » (78), ce que confirme le fait que les travailleurs frontaliers en provenance des Pays-Bas en bénéficient d’ ores et déjà.

93. Nous verrions une impossibilité d’ étendre le splitting aux non-résidents s’ il était établi que des résidents en Allemagne placés dans une situation comparable à celle du requérant au principal en étaient privés.

94. Or, les conjoints résidant ensemble en Allemagne sont intégralement assujettis et bénéficient systématiquement du splitting. De plus, il résulte des constatations du juge a quo qu’ un couple marié ayant sa résidence à la fois en Allemagne et en Belgique pourrait également en bénéficier (79).

95. Nous en concluons que, pour l’ application de la progressivité de l’ impôt, les revenus du conjoint peuvent être pris en considération que celui-ci soit ou non résident (80).

96. Enfin, le bénéfice du splitting ne saurait être refusé en raison de difficultés d’ échanges d’ informations entre administrations fiscales nationales. Nous nous sommes déjà expliqués sur ce point (81).

97. Dans l’ hypothèse extrêmement précise qui vous est soumise, la cohérence du système fiscal n’ impose pas une distinction entre résidents et non-résidents mais au contraire une assimilation des seconds aux premiers. Soumis aux mêmes obligations fiscales, ils doivent bénéficier des mêmes avantages et, notamment, des mêmes allégements d’ impôts.

98. Soulignons, au moment de conclure, que la distinction entre résidents et non-résidents n’ est pas absolue. Plusieurs réglementations fiscales des États membres réputent comme résidents des personnes qui n’ y sont pas domiciliées et les assujettissent intégralement. L’ article 1er, paragraphe 2, de l’ EStG qui vise les fonctionnaires non-résidents ou le régime fiscal allemand des « doubles résidents » en sont deux exemples.

Sur la quatrième question

99. L’ article 48 impose-t-il que l’ État d’ emploi applique aux non-résidents placés dans la situation du requérant au principal le principe de la régularisation annuelle des retenues à la source au titre de l’ impôt sur les salaires (Lohnsteuerjahresausgleich) et de l’ imposition par voie de rôle des revenus d’ origine salariale (Veranlagung zur Einkommensteuer)? Autrement dit, l’ article 48 impose-t-il une égalité de traitement non seulement quant aux règles fiscales de fond mais également sur le plan procédural?

100. La réglementation allemande prévoit la régularisation annuelle des retenues à la source au titre de l’ impôt sur les salaires concernant les contribuables intégralement assujettis. L’ employeur est tenu de restituer au salarié une partie de l’ impôt sur le revenu dans l’ hypothèse où le montant total des sommes retenues mensuellement excède le montant résultant du barème d’ imposition pour l’ année. Les non-résidents ° partiellement assujettis ° ne bénéficient pas d’ une telle régularisation (82): l’ addition des retenues mensuelles à la source constitue l’ imposition définitive.

101. Si le non-résident peut ainsi échapper à d’ éventuels rappels d’ impôts (83), il est surtout privé de la possibilité de faire valoir des dépenses exceptionnelles ou des charges extraordinaires qui pourraient donner lieu à un remboursement d’ impôt. Il est particulièrement défavorisé s’ il quitte l’ État d’ emploi en cours d’ année (ou s’ il vient y travailler en cours d’ année, ce qui est le cas du requérant au principal pour l’ année 1988).

102. Dès l’ instant où la situation du non-résident est comparable à celle du résident, à savoir qu’ il perçoit la totalité ou la quasi-totalité de ses revenus dans l’ État d’ emploi, une telle différence de traitement est-elle compatible avec l’ article 48 du traité?

103. Cette question a, à notre avis, été tranchée par l’ arrêt Biehl.

104. Dans cette affaire, le contribuable quittant le grand-duché de Luxembourg en cours d’ année ne pouvait bénéficier, à la différence des résidents, de la restitution en fin d’ année d’ un éventuel trop-perçu par l’ administration fiscale dans le cadre du prélèvement à la source. Constatant que les contribuables quittant l’ État d’ emploi (ou s’ y établissant) en cours d’ année sont principalement ressortissants d’ autres États membres, vous avez identifié une discrimination déguisée (84).

105. Dans notre hypothèse, en privant les non-résidents du droit à la régularisation annuelle des retenues à la source, la réglementation fiscale allemande les prive d’ un avantage, à savoir le droit à la restitution d’ un éventuel trop-versé (lorsque les retenues mensuelles excèdent le montant total des impôts dus pour l’ exercice en cause) auquel les résidents pourraient, en revanche, prétendre.

106. L’ obligation d’ accorder aux ressortissants d’ un autre État membre les mêmes avantages fiscaux qu’ aux nationaux s’ étend aux règles de procédure et aux modalités de recouvrement de l’ impôt. Vous avez déjà considéré que la seule possibilité d’ un recours gracieux contre une décision d’ imposition jugée inéquitable ne pouvait justifier le maintien d’ une disposition de procédure fiscale discriminatoire (85).

107. Nous décelons, par conséquent, une atteinte aux dispositions de l’ article 48 du traité que la Commission avait d’ ailleurs identifiée dans une réponse écrite à la question d’ un parlementaire européen du 26 octobre 1992 (86).

108. Deux ultimes remarques.

109. En premier lieu, la solution que nous préconisons est compatible avec votre arrêt Werner qui visait, rappelons-le, une situation interne à un État membre et dans lequel vous n’ avez identifié ni discrimination déguisée fondée sur la nationalité ni violation de l’ article 52.

110. En second lieu, nul risque, ici, que, procédant à une sorte de forum shopping fiscal, le contribuable choisisse d’ établir sa résidence dans l’ État où l’ imposition est la plus favorable, comme le redoute le gouvernement danois. Aligner le régime fiscal du non-résident sur celui du résident lorsque l’ un et l’ autre perçoivent la totalité de leurs revenus dans l’ État d’ emploi a, au contraire, pour effet de rendre le choix de la résidence neutre fiscalement.

111. Nous concluons, par conséquent, à ce que vous disiez pour droit:

« 1) Une réglementation fiscale qui soumet à un régime distinct les résidents et les non-résidents quant à l’ impôt sur le revenu peut entrer dans le champ d’ application de l’ article 48 du traité CE.

2) En principe, cet article ne s’ oppose pas à ce qu’ un travailleur salarié non-résident soit imposé par l’ État d’ emploi plus lourdement qu’ un résident occupant le même emploi lorsqu’ ils ne sont pas dans des situations comparables d’ un point de vue fiscal.

3) Il s’ oppose, en revanche, à ce qu’ un État membre A fixe, dans le cas d’ un travailleur résidant sur le territoire d’ un État membre B qui exerce une activité salariée sur le territoire de l’ État membre A et qui 1) perçoit dans cet État membre A la totalité ou la majeure partie de ses revenus et 2) ne perçoit pas dans l’ État membre B de revenus suffisants pour y être soumis à une imposition subjective prenant en compte sa situation personnelle, un impôt sur les revenus supérieur à celui qui est exigé d’ une personne résidant dans cet État membre A et présentant la même base imposable. Ce travailleur doit donc pouvoir bénéficier des mêmes avantages fiscaux que le résident.

4) L’ article 48 s’ oppose à ce que ce salarié soit privé de la régularisation annuelle des retenues à la source au titre de l’ impôt sur les salaires et de l’ imposition par voie de rôle des revenus d’ origine salariale si le salarié résident placé dans la même situation en bénéficie."

(*) Langue originale: le français.

(1) ° Arrêt du 28 janvier 1986 (270/83, Rec. p. 273).

(2) ° Arrêt du 8 mai 1990 (C-175/88, Rec. p. I-1779). Y fait suite un recours en manquement dirigé par la Commission contre le grand-duché de Luxembourg (affaire C-151/94, en cours).

(3) ° Arrêt du 28 janvier 1992 (C-204/90, Rec. p. I-249).

(4) ° Arrêt du 28 janvier 1992 (C-300/90, Rec. p. I-305).

(5) ° Arrêt du 13 juillet 1993 (C-330/91, Rec. p. I-4017).

(6) ° Arrêt du 12 avril 1994 (C-1/93, Rec. p. I-1137).

(7) ° Arrêt du 26 janvier 1993 (C-112/91, Rec. p. I-429).

(8) ° BGBl I 1987, 657; BStBl I 1987, 274.

(9) ° Article 1er, paragraphe 1, première phrase, de l’ EStG de 1987.

(10) ° Articles 26, 26b, de l’ EStG. Le splitting consiste à additionner le revenu global des conjoints pour l’ imputer ensuite fictivement à chaque conjoint à hauteur de 50 % et l’ imposer en conséquence. Si le revenu de l’ un des époux est élevé et le revenu de l’ autre faible, le splitting nivèle la base imposable et atténue la progressivité du barème de l’ impôt sur le revenu. Privés du splitting, les salariés mariés non-résidents sont soumis au même traitement que les célibataires.

(11) ° Par exemple pour des frais de formation professionnelle (article 33a, paragraphe 2, de l’ EStG).

(12) ° Tel l’ abattement pour enfant à charge de l’ article 32, paragraphe 6, de l’ EStG de 1987. Voir également l’ article 50, paragraphe 1, cinquième phrase, de l’ EStG de 1987.

(13) ° Articles 42, 42a, 46, de l’ EStG de 1987.

(14) ° Point 7 des conclusions de l’ avocat général M. Darmon sous l’ arrêt Werner, précité. Pour un examen détaillé des différences entre le régime des contribuables partiellement assujettis et celui de ceux qui le sont intégralement, voir les observations de la Commission, I, 3.

(15) ° Son épouse perçoit une allocation chômage en Belgique pendant la seule année 1988, semble-t-il.

(16) ° Convention du 11 avril 1967 calquée sur le modèle OCDE.

(17) ° Si l’ on en croit le requérant au principal, l’ application du régime des salariés partiellement assujettis entraînerait un supplément de 16 559,64 DM par rapport à l’ impôt qu’ il aurait dû acquitter s’ il avait résidé en Allemagne (observations du requérant au principal, première partie, II).

(18) ° Par application de l’ article 163 de l’ Abgabenordnung de 1977.

(19) ° Voir l’ ordonnance du juge a quo, II, B, 1.

(20) ° Ibidem.

(21) ° Voir Wouters, J.: The Case-Law of the European Court of Justice on Direct Taxes: Variations upon a Theme , Maastricht Journal of European and Comparative Law, 1994, vol. 1, n 2, p. 179, 180.

(22) ° Voir, en ce sens, le point 10 des conclusions de l’ avocat général M. Darmon sous l’ arrêt Biehl.

(23) ° L’ harmonisation n’ est obligatoire qu’ en matière de fiscalité indirecte (article 99 du traité CE).

(24) ° Voir la directive 77/799/CEE du Conseil , du 19 décembre 1977, concernant l’ assistance mutuelle des autorités compétentes des États membres dans le domaine des impôts directs (JO L 336, p. 15), modifiée par la directive 79/1070/CEE (JO L 331, p. 8). Voir également les directives du Conseil du 23 juillet 1990, 90/434/CEE concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d’ actifs et échanges d’ actions intéressant des sociétés d’ États membres différents (JO L 225, p. 1), et 90/435/CEE concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’ États membres différents (JO L 225, p. 6).

(25) ° Article 3, sous c), du traité CE, souligné par nous.

(26) ° Voir, par exemple, le point 13 de l’ arrêt du 7 juillet 1988, Inasti/Wolf e.a. (154/87 et 155/87, Rec. p. 3897).

(27) ° Point 6, in fine. Voir, sur cette question, l’ arrêt du 9 décembre 1981, Commission/Italie (193/80, Rec. p. 3019, point 17).

(28) ° Point 24. Voir également le point 11 de l’ arrêt Bachmann: … cette harmonisation (des législations fiscales des États membres) ne saurait être érigée en préalable de l’ application de l’ article 48 du traité.

(29) ° Page 24 de la traduction française.

(30) ° Règlement du Conseil du 15 octobre 1968 (JO L 257, p. 2).

(31) ° Point 12.

(32) ° Arrêt du 1er juillet 1993 (C-20/92, Rec. p. I-3777, point 19).

(33) ° Voir le point 26 de l’ arrêt Commission/France ( avoir fiscal ).

(34) ° Voir l’ ordonnance du juge a quo, p. 7 de la traduction française.

(35) ° On ne saurait évidemment soutenir que la libre circulation des travailleurs ne vaut que pour autant que le travailleur a transféré sa résidence dans l’ État d’ emploi. Voir l’ article 1er du règlement du Conseil n 1612/68, précité.

(36) ° Conclusions de l’ avocat général M. Darmon sous l’ arrêt du 13 juillet 1993, Commerzbank, précité, point 37.

(37) ° Voir l’ article 4, paragraphe 1, notamment, du modèle septembre 1992.

(38) ° Vanistendael, F.: The Limits to the New Community Tax Order , CML Rev., 1994, p. 293, 310, souligné par nous.

(39) ° 152/73, Rec. p. 153, point 11.

(40) ° Point 13. Voir également, à propos de l’ article 52, le point 14 de l’ arrêt Commerzbank et le point 15 de l’ arrêt Halliburton Services.

(41) ° Point 14. Voir également le point 9 de l’ arrêt Bachmann et le point 15 de l’ arrêt Commerzbank.

(42) ° Point 19.

(43) ° Point 19 de l’ arrêt Commission/France ( avoir fiscal ).

(44) ° Précité note 4.

(45) ° Point 21.

(46) ° Voir l’ arrêt du 31 mars 1993, Kraus (C-19/92, Rec. p. I-1663). Voir, sur ce point, à propos de l’ arrêt Bachmann, Vanistendael, F.: The Limits to the New Community Tax Order , précité, p. 312: The non-discrimination rule … has the following meaning: even though any de facto discrimination is in principle to be considered as a violation of the basic freedoms in the Treaty, some rules resulting in de facto distinction or discrimination can be justified by general interest or policy objectives, provided those rules make distinctions on the basis of criteria that are objective and directly necessary to achieve the policy goals.

(47) ° Voir les arrêts, précités, Biehl, point 14, Bachmann, point 9, Commission/Belgique, point 7, et Commerzbank, point 15.

(48) ° Arrêt du 13 novembre 1984, Racke (283/83, Rec. p. 3791, point 7).

(49) ° Points 19 et 20.

(50) ° Arrêt du 8 octobre 1980, UEberschaer (810/79, Rec. p. 2747, 2764).

(51) ° Voir la formule finale du point 20 de l’ arrêt Commission/France ( avoir fiscal ).

(52) ° La base d’ imposition est réduite à concurrence des revenus provenant de l’ État d’ emploi afin d’ éviter la double imposition.

(53) ° Le contribuable est assujetti à l’ impôt de l’ État de sa résidence tout simplement parce qu’ il vit sur le territoire de cet État. Voir l’ ordonnance du juge a quo, II, B, 2.1.

(54) ° Article 24 du modèle de convention OCDE 1977: Un État contractant n’ est pas obligé d’ accorder aux résidents de l’ autre État contractant les déductions personnelles, abattements et réductions d’ impôts en fonction de la situation ou des charges de famille qu’ il accorde à ses propres résidents.

(55) ° Ordonnance du juge a quo, II, B, 2.1.

(56) ° Article 1er, paragraphe 1, de l’ EStG de 1987.

(57) ° Voir le point 22 du commentaire de l’ article 24, paragraphe 3, deuxième phrase, du modèle OCDE de convention contre les doubles impositions. Le gouvernement hellénique souligne à bon droit que la Cour ne doit pas permettre … aux habitants de n’ importe quel pays de la Communauté, qui réalisent des revenus salariaux dans plusieurs pays, de bénéficier à plusieurs reprises des réductions ou abattements opérés sur l’ impôt ou sur le revenu, puisqu’ ils auraient le droit de demander que ces réductions ou abattements leur soient accordés dans tous les pays dans lesquels ils réalisent des revenus qui sont soumis à l’ impôt dans le pays qui est à l’ origine de ces revenus (observations, p. 8 de la traduction française).

(58) ° Voir, en ce sens, les observations du gouvernement français, p. 7.

(59) ° Dans l’ assiette de l’ impôt soumis au barème progressif dans l’ État d’ emploi, les revenus perçus à l’ étranger ne sont pas inclus, ce qui peut constituer un substantiel avantage.

(60) ° Il semble que le versement par le royaume de Belgique d’ allocations chômage à son épouse ait cessé en 1988. M. Schumacker ne perçoit de revenus propres qu’ en République fédérale d’ Allemagne.

(61) ° Point 16 de l’ arrêt. Voir également le point 10 des conclusions de l’ avocat général dans cette affaire: … le caractère manifestement discriminatoire de la règle en cause apparaît notamment dans toutes les hypothèses où le ressortissant concerné n’ a pas perçu au cours de l’ année dont il s’ agit de revenus dans l’ État membre d’ origine ou de destination.

(62) ° Point 19 de l’ arrêt Commission/France ( avoir fiscal ).

(63) ° JO 1994, L 39, p. 22.

(64) ° Deuxième considérant, souligné par nous.

(65) ° Sixième considérant, souligné par nous.

(66) ° Article 2, paragraphes 1 et 2.

(67) ° Voir le point 21 de l’ arrêt Commission/France ( avoir fiscal ).

(68) ° Précitée note 24.

(69) ° Voir le point 20 de l’ arrêt Bachmann.

(70) ° Directive du Conseil du 6 décembre 1979 modifiant la directive 77/799/CEE concernant l’ assistance mutuelle des autorités compétentes des États membres dans le domaine des impôts directs (JO L 331, p. 8).

(71) ° Directive du Conseil du 25 février 1992 relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise (JO L 76, p. 1).

(72) ° Point 18 de l’ arrêt Bachmann et point 22 de l’ arrêt Halliburton Services.

(73) ° Point 20 de l’ arrêt Bachmann, souligné par nous.

(74) ° Loi du 21 octobre 1980 portant application du protocole additionnel du 13 mars 1980 à la convention du 16 juin 1959 conclue entre la République fédérale d’ Allemagne et le royaume des Pays-Bas en vue d’ éviter la double imposition en matière d’ impôt sur le revenu et sur le patrimoine, ainsi que pour divers autres impôts, et en vue de régler certaines autres questions d’ ordre fiscal (AGGrenzg NL, BGBl I 1980, 1999, BStBl I 1980, 725). On notera également que, réciproquement, le droit fiscal néerlandais assimile aux contribuables intégralement assujettis les personnes qui perçoivent au moins 90 % de leurs revenus mondiaux aux Pays-Bas sans y résider ( Resolutie du secrétaire d’ État aux Finances du 21 décembre 1976, n 27-621 782, et du 28 décembre 1989, n DB 89/2184, BNB 1990/100 et, depuis le 1er janvier 1990, Wet op de Inkomstenbelasting 1964, articles 53a et 53b). Voir également le point 11.5 des observations de la Commission.

(75) ° Gesetz zur einkommensteuerlichen Entlastung von Grenzpendlern und anderen beschraenkt steuerpflichtigen natuerlichen Personen und zur AEnderung anderer gesetzlicher Vorschriften (Grenzpendlergesetz) du 24 juin 1994, BGBl, I, n 39, p. 1395.

(76) ° I R 219/82, BStBl 1990, Teil II, p. 701, BFHE Bd 154, p. 38, 46.

(77) ° Point 25.

(78) ° Point II, B, 2.2, de l’ ordonnance de renvoi (p. 12 de la traduction française).

(79) ° Ibidem.

(80) ° Voir les observations du requérant au principal, p. 43 et 44 de la traduction française. Voir également Sass, G.: Zum Einfluss der Rechtsprechung des EuGH auf die beschraenkte Einkommen- und Koerperschaftsteuerpflicht , DB, Heft 17 vom 24.4.92, p. 857, 862.

(81) ° Ci-dessus, points 80 et suiv.

(82) ° Article 50, paragraphe 5, de l’ EStG.

(83) ° Voir l’ ordonnance du juge a quo, II, B, 4.

(84) ° Arrêt Biehl, point 14.

(85) ° Ibidem, points 17 et 18.

(86) ° Question n 2579/91 (JO 1993, C 16, p. 1).

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Collez ici un lien vers une page Doctrine
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
CJCE, n° C-279/93, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Finanzamt Köln-Altstadt contre Roland Schumacker, 22 novembre 1994