CJCE, n° C-51/00, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Temco Service Industries SA contre Samir Imzilyen et autres, 27 septembre 2001

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 27 sept. 2001, Temco, C-51/00
Numéro(s) : C-51/00
Conclusions de l'avocat général Geelhoed présentées le 27 septembre 2001. # Temco Service Industries SA contre Samir Imzilyen et autres. # Demande de décision préjudicielle: Cour du travail de Bruxelles - Belgique. # Directive 77/187/CEE - Maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises. # Affaire C-51/00.
Date de dépôt : 17 février 2000
Précédents jurisprudentiels : CE du Conseil, du 29 juin 1998, modifiant la directive 77/187
Solution : Renvoi préjudiciel
Identifiant CELEX : 62000CC0051
Identifiant européen : ECLI:EU:C:2001:496
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Sur les parties

Texte intégral

Avis juridique important

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62000C0051

Conclusions de l’avocat général Geelhoed présentées le 27 septembre 2001. – Temco Service Industries SA contre Samir Imzilyen et autres. – Demande de décision préjudicielle: Cour du travail de Bruxelles – Belgique. – Directive 77/187/CEE – Maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d’entreprises. – Affaire C-51/00.


Recueil de jurisprudence 2002 page I-00969


Conclusions de l’avocat général


I – Introduction

1. Dans cette affaire la Cour du travail de Bruxelles (Belgique) sollicite la Cour de préciser le champ d’application de la directive 77/187/CEE du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d’entreprises, d’établissements ou de parties d’établissements (ci-après la «directive»).

2. Les faits apparaissent relativement compliqués à première vue. Le juge de renvoi demande s’il y a transfert d’entreprise lorsqu’une entreprise A confie au départ les travaux de nettoyage de ses installations industrielles à une entreprise B, laquelle les sous-traite à une entreprise C. L’entreprise B perdant le chantier, l’entreprise C licencie tout son personnel à l’exception de quatre travailleurs. L’entreprise A confie ensuite le chantier à l’entreprise D, qui prend à son service une partie du personnel de l’entreprise C au titre d’une convention collective de travail sans toutefois reprendre aucun actif de l’entreprise C – laquelle existe toujours.

3. La Cour s’est déjà exprimée sur la portée de la directive dans la sous-traitance de services, en particulier dans le secteur du nettoyage . Le renvoi préjudiciel de la Cour du travail donne à la Cour l’occasion de clarifier sa jurisprudence.

II – Cadre juridique

A – Droit communautaire

4. La directive arrête des dispositions nécessaires à la protection des travailleurs en cas de changement de chef d’entreprise en particulier pour assurer la préservation de leurs droits. L’article 1er, paragraphe 1, déclare la directive applicable au transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’établissements à un autre chef d’entreprise, résultant d’une cession conventionnelle ou d’une fusion.

5. L’article 2, sous a), dispose qu’au sens de la directive on entend par «cédant» toute personne physique ou morale qui, du fait d’un transfert au sens de l’article 1er, paragraphe 1, perd la qualité de chef d’entreprise à l’égard de l’entreprise, de l’établissement ou de la partie d’établissement. L’article 2, sous b), définit le «cessionnaire» au sens de la directive comme étant toute personne physique ou morale qui, du fait d’un transfert au sens de l’article 1er, paragraphe 1, acquiert la qualité de chef d’entreprise à l’égard de l’entreprise, de l’établissement ou de la partie d’établissement.

6. Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, les droits et obligations qui résultent pour le cédant d’un contrat de travail ou d’une relation de travail existant à la date du transfert au sens de l’article 1er, paragraphe 1, sont, du fait de ce transfert, transférés au cessionnaire.

7. En vertu de l’article 4, paragraphe 1, premier alinéa, le transfert d’une entreprise, d’un établissement ou d’une partie d’établissement ne constitue pas en lui-même un motif de licenciement pour le cédant ou le cessionnaire. Cette disposition ne fait pas obstacle à des licenciements pouvant intervenir pour des raisons économiques, techniques ou d’organisation impliquant des changements sur le plan de l’emploi.

8. La directive a été révisée à deux reprises. La directive 98/50/CE du Conseil, du 29 juin 1998, modifiant la directive 77/187, a notamment codifié un certain nombre de notions à la lumière de la jurisprudence de la Cour . Pour rationaliser le texte, le Conseil a abrogé la directive 77/187 le 12 mars 2001 pour la remplacer par la directive 2001/23/CE concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements .

9. Aux termes de la directive 98/50, l’article 1er, paragraphe 1, de la directive a été renuméroté en article 1er, paragraphe 1, sous a). La directive 98/50 a introduit un nouvel article 1er, paragraphe 1, sous b), visant la notion de «transfert» et qui se lit comme suit:

«Sous réserve du point a) […], est considéré comme transfert, au sens de la présente directive, celui d’une entité économique maintenant son identité, entendue comme un ensemble organisé de moyens, en vue de la poursuite d’une activité économique, que celle-ci soit essentielle ou accessoire.»

Cette clarification a été apportée pour des motifs de sécurité juridique et de transparence juridique, mais ne modifie pas le champ d’application de la directive telle qu’elle a été interprétée par la Cour de justice .

B – Droit interne

10. Lesdites dispositions de la directive ont été transposées en droit belge par la convention collective de travail n° 32 bis, du 7 juin 1985, concernant le maintien des droits des travailleurs en cas de changement d’employeur du fait d’un transfert conventionnel d’entreprise et réglant les droits des travailleurs repris en cas de reprise de l’actif après faillite ou concordat judiciaire par abandon d’actif, rendue obligatoire par l’arrêté royal du 25 juillet 1985 .

11. De surcroît, une convention collective du 5 mai 1993 concernant la «reprise de personnel en cas de transfert de contrat d’entretien journalier», applicable au secteur du nettoyage, intéresse également la procédure. Celle-ci n’a aucun rapport avec la convention collective de travail du 7 juin 1985.

12. Aux termes de l’article 3 de la convention collective de travail du 5 mai 1993, l’entreprise qui obtient le contrat a le devoir de s’enquérir auprès de l’entreprise qui perd le contrat de l’effectif du personnel et des conditions de travail. L’article 4 dispose que l’entreprise qui obtient le contrat a l’obligation – dans les deux semaines de l’obtention et en tout cas au moins une semaine avant la reprise du chantier – de présenter, par écrit, au moins 75 % des postes de travail existant sur le chantier après transfert à des ouvriers qu’elle sélectionnera elle-même faisant partie de l’équipe de l’entreprise qui perd le contrat pour autant que ces ouvriers aient au moins six mois d’expérience sur ledit chantier. La sélection se fera selon des critères fonctionnels. En vertu de l’article 5, les ouvriers qui sont repris selon les modalités de l’article 4 doivent obtenir un nouveau contrat de travail sans période d’essai et avec maintien de leur ancienneté.

III – Faits ayant donné lieu au litige et déroulement de la procédure

13. Les faits et les antécédents de la procédure se résument comme suit.

14. La société Volkswagen a confié du 2 mai 1993 au 8 janvier 1995 le nettoyage de certaines de ses installations à la société anonyme Buyle-Medros-Vaes Associates (ci-après «BMV»). BMV a d’emblée sous-traité l’exécution de ce chantier à la société privée à responsabilité limitée General Maintenance Contractors (ci-après «GMC»). Aux dires de GMC, l’exécution de ce contrat chez Volkswagen était son unique activité à l’époque. En décembre 1994, Volkswagen n’a pas renouvelé la convention existant avec BMV et a confié les activités de nettoyage à la société anonyme Temco Service Industries (ci-après «Temco») par convention à partir du 9 janvier 1995. Pour Temco le chantier de Volkswagen s’inscrivait parmi de nombreux autres.

15. Le choix fait par Volkswagen en faveur de Temco a eu des conséquences pour le personnel de GMC qui effectuait les activités de nettoyage chez Volkswagen.

16. La convention entre Volkswagen et BMV expirant le 8 janvier 1995, GMC a régulièrement licencié son personnel à l’exception de quatre personnes, à savoir MM. Imzilyen, Belfarh, Afia-Aroussi et Lakhdar, qui bénéficiaient d’une protection particulière contre le licenciement en leur qualité de délégués syndicaux . GMC a respecté les préavis prévus par la législation belge et accompli les formalités requises en cas de fermeture d’entreprise et de licenciement collectif. Le licenciement collectif a été autorisé le 30 novembre 1994 par l’office régional bruxellois de l’emploi.

17. Conformément à la convention collective de travail du 5 mai 1993, Temco a engagé, le 9 janvier 1995, 42 des 80 anciens travailleurs de GMC. Les quatre délégués syndicaux n’ont pas été repris.

18. GMC ne travaillant à cette époque que pour Volkswagen, elle a demandé le 13 janvier 1995 à la commission paritaire concernée de reconnaître des motifs d’ordre économique ou technique pour pouvoir licencier les quatre délégués syndicaux. Cette demande a été rejetée le 28 février 1995. Saisi à son tour, le Tribunal du travail a décliné sa compétence pour connaître de la demande le 13 septembre 1995. La Cour du travail a confirmé ce jugement dans un arrêt du 23 novembre 1995.

19. Il ressort du dossier que les quatre délégués syndicaux ont reçu une rémunération de GMC jusqu’en décembre 1995 alors que GMC estimait dans le même temps, selon une correspondance échangée avec Temco, qu’ils étaient tous les quatre déjà juridiquement passés chez Temco au titre de la convention collective de travail n° 32. Ils ont été licenciés par GMC le 12 décembre 1995.

20. C’est dans ce contexte qu’ils ont tous les quatre saisi le Tribunal du travail de Bruxelles d’actions contre GMC, BMV et Temco.

21. Par jugement du 12 mars 1998, le Tribunal du travail de Bruxelles a jugé l’action des quatre délégués contre Temco recevable et partiellement fondée. Le Tribunal du travail a notamment dit pour droit que les demandeurs MM. Afia-Aroussi et Lakhdar sont passés de plein droit au service de Temco le 9 janvier 1995 au titre de la convention collective n° 32.

22. Temco a relevé appel du jugement devant le juge de renvoi. Celui-ci motive les questions préjudicielles comme suit.

23. La situation de fait soumise à la Cour du travail est particulière en ce sens que Volkswagen a confié le nettoyage de ses installations industrielles à BMV qui ne l’a pas assumé elle-même, mais l’a sous-traité à la société GMC qui, lorsqu’elle l’a perdu, le contrat entre Volkswagen et BMV ayant été rompu, a licencié l’ensemble de son personnel, sauf les quatre délégués syndicaux, tout en continuant, comme l’indiquent les procès-verbaux des assemblées tenues en 1996 et en 1997, à poursuivre ses activités et à chercher de nouveaux clients. Cela confirme que la réalisation de son objet social tel que celui-ci est décrit dans ses statuts dépasse la seule réalisation du chantier Volkswagen même si, en 1994, il s’agissait de son activité principale, voire unique.

24. D’autre part, jusqu’en décembre 1995, les quatre délégués syndicaux, qui estimaient bénéficier d’une protection spéciale contre le licenciement, ont, par leur comportement, manifesté qu’ils appartenaient toujours au personnel de GMC. Le juge de renvoi relève qu’ils n’ont jamais prétendu être passés au service de Temco au titre de la convention collective de travail n° 32 bis. À travers les procédures introduites devant les juridictions du travail, GMC a, elle aussi, même si c’est en exprimant des réserves, considéré que les quatre délégués étaient toujours à son service. Les procédures visant à obtenir la reconnaissance de motifs d’ordre technique ou économique justifiant leur licenciement n’auraient eu sinon aucun sens. Le fait que ces procédures n’aient pas abouti est sans importance.

25. Le juge de renvoi constate au reste qu’il n’existe aucune relation entre GMC et Volkswagen et qu’aucun élément d’actif, de quelque nature que ce soit, n’est passé de GMC à Temco. Il ressort des pièces que Volkswagen met à la disposition des entreprises de nettoyage avec lesquelles elle contracte les moyens nécessaires au nettoyage industriel de ses installations.

IV – Les questions préjudicielles

26. L’arrêt de la Cour du travail (sixième chambre) de Bruxelles, du 14 février 2000, est parvenu au greffe de la Cour le 17 février 2000. Les questions préjudicielles sont énoncées comme suit:

«1) L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 77/187 du Conseil du 14 février 1977, s’applique-t-il lorsqu’une entreprise A ayant concédé les travaux de nettoyage de ses installations industrielles à une entreprise B, voit celle-ci confier ces travaux à une entreprise C qui, suite à la perte du marché par l’entreprise B, licencie tout son personnel, sauf quatre personnes; alors, qu’ensuite, une entreprise D se voit attribuer ce chantier par l’entreprise A, engage en application d’une convention collective de travail, une partie du personnel de l’entreprise C mais ne recueille aucun élément de l’actif de cette dernière qui continue à exister et qui persiste dans la poursuite de son objet social?

2) La directive précitée fait-elle obstacle, dans l’hypothèse où l’entreprise C serait déclarée cédante, tout en continuant à exister, qu’elle puisse conserver certains travailleurs à son service?»

27. Des observations écrites ont été déposées par Temco, MM. Imzilyen et Belfarh, MM. Afia-Aroussi et Lakhdar, la société anonyme Three S (anciennement GMC) et BMV, et la Commission. Une audience s’est tenue le 17 mai 2001 au cours de laquelle toutes les parties et la Commission ont exposé leur point de vue.

V – Appréciation

A – Le champ d’application de la directive

Introduction

28. La première question de la Cour du travail permet à la Cour de délimiter le champ d’application de la directive au regard d’une situation dans laquelle une entreprise n’a pas renouvelé un contrat de prestation de services avec une autre entreprise pour poursuivre ensuite le contrat avec une autre entreprise.

29. C’est la quatrième fois que la Cour est confrontée au titre de l’article 234 CE à la question de l’application de la directive à des opérations dans le secteur du nettoyage. Il s’agissait à chaque fois de situations de fait qui se distinguaient quelque peu les unes des autres. L’arrêt Schmidt visait une entreprise qui assumait elle-même auparavant directement la responsabilité des activités de nettoyage et les avait cédées ensuite par contrat à une autre entreprise. Dans l’arrêt Hernández Vidal e.a. , c’est la situation inverse qui s’est présentée et une entreprise, qui avait confié à une autre entreprise le nettoyage de ses locaux ou d’une partie d’entre eux, avait décidé de résilier le contrat en question et d’effectuer désormais elle-même les activités de nettoyage.

30. Les faits dans l’arrêt Süzen se rapprochent le plus des circonstances du litige au principal. Un donneur d’ouvrage avait confié l’entretien de ses locaux à une première entreprise, a résilié le contrat en question et conclu ensuite un nouveau contrat avec une deuxième entreprise pour effectuer des tâches similaires. Dans l’arrêt Süzen, la Cour a dit pour droit que la directive ne s’applique pas «à une situation dans laquelle un donneur d’ouvrage, qui avait confié le nettoyage de ses locaux à un premier entrepreneur, résilie le contrat qui le liait à celui-ci et conclut, en vue de l’exécution de travaux similaires, un nouveau contrat avec un second entrepreneur si l’opération ne s’accompagne ni d’une cession, entre l’un et l’autre entrepreneur, d’éléments d’actif, corporels ou incorporels, significatifs, ni d’une reprise, par le nouvel entrepreneur, d’une partie essentielle des effectifs, en termes de nombre et de compétence, que son prédécesseur affectait à l’exécution de son contrat».

31. La Commission et toutes les parties à l’exception de Temco en arrivent à estimer, en se livrant à une interprétation extensive des considérations juridiques émises dans l’arrêt Süzen, qu’il y a en l’espèce un transfert d’entreprise résultant d’une cession conventionnelle au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive.

32. Cette approche ne me satisfait toutefois pas. J’estime que cette conclusion prend trop peu en compte le contexte économique dans lequel les services sont sous-traités. Les circonstances économiques particulières dans lesquelles interviennent les contrats de sous-traitance de services, mais aussi l’objectif de la directive, la jurisprudence de la Cour ainsi que les circonstances de l’espèce indiquées par le juge de renvoi, me conduisent à conclure que la directive ne s’applique pas en l’espèce.

Sous-traitance de services: le contexte économique

33. Pour étayer mon propos, il est nécessaire de commencer par examiner plus avant le contexte économique dans lequel interviennent les contrats de sous-traitance.

34. Le procédé de Volkswagen est typique de la tendance actuelle des entreprises de sous-traiter des tâches, qui s’exécutent dans leurs établissements mais ne relèvent pas de leur activité principale, à des entreprises spécialisées dans les services d’appoint en sous-traitance. On songera aux entreprises qui se concentrent sur le nettoyage, le gardiennage, la restauration, le service à la clientèle, la formation, la fourniture de matériel et de logiciels informatiques, le développement de produits, etc. Les fournisseurs de services opèrent souvent à un niveau local et à petite échelle et ils accomplissent leurs activités dans les locaux du donneur d’ouvrage, étant entendu qu’il n’est pas exclu que des entreprises concurrentes exercent dans le même temps des activités pour le même donneur d’ouvrage . Ces marchés de services consistent en substance à accomplir des lots spécifiés d’activités économiques pour une période donnée. Cette période peut varier d’un jour, par exemple pour la restauration lors d’un événement spécifique, à plusieurs années pour le nettoyage. À l’issue du contrat, le prestataire de services doit à nouveau gagner la confiance du donneur d’ouvrage qui lui préférera un concurrent si celui-ci offre de meilleures conditions et prestations. Lorsque, par exemple, le personnel d’une institution se plaint de la restauration, le donneur d’ouvrage cherchera un contrat avec une entreprise de restauration qui offre un meilleur service.

35. Dans ces activités économiques le facteur travail constitue d’ordinaire un poste important. Les contrats que le donneur d’ouvrage passe avec le prestataire de services étant le plus souvent conclus pour une période relativement courte, le personnel connaît une grande mobilité dans ce secteur.

36. Les marchés pour ces types de services sont en progression constante. Le grand nombre de donneurs d’ouvrage est croissant et le nombre de fournisseurs de services augmente lui aussi. C’est là une différence importante par rapport aux concessions qui sont offertes sur des marchés où l’offre et la demande sont relativement restreintes, comme les marchés du transport ferroviaire et des fréquences de radio et de télévision. Sur ces marchés, le choix du concédant pour un opérateur déterminé a une incidence importante sur la position des concurrents sur le marché et la perte d’un chantier peut même compromettre la survie du prestataire de services. Dans la sous-traitance de services qui nous occupe en l’espèce, celui qui perd un chantier se mettra normalement à rechercher de nouveaux clients.

37. Les marchés de la sous-traitance de services se caractérisent au reste par une grande diversité. Il s’agit aussi bien de services coûteux à grande valeur ajoutée comme les activités liées aux logiciels et à l’ingénierie, que de services qui sont effectués par une main-d’oeuvre peu qualifiée comme les services de nettoyage. On rencontre en plus des sous-spécialités par secteurs. Le présent cas d’espèce illustre cette diversité: à l’audience on a indiqué que le nettoyage d’installations industrielles occupe une place particulière dans le nettoyage et n’est pas comparable au nettoyage ordinaire des écoles ou des bureaux.

38. Compte tenu du caractère hétérogène et dynamique de ces marchés, j’estime que la Cour doit envisager avec circonspection l’application de la directive au changement de contractant. La dynamique du marché risque d’être perturbée si l’on admet avec trop de souplesse qu’il y a transfert au sens de la directive. Le risque d’être confronté à l’obligation de respecter les droits de tous les membres du personnel d’une entreprise uniquement en raison du transfert d’un contrat et du transfert d’une partie du personnel en place incitera moins un éventuel nouveau prestataire de services à décrocher le contrat. Des entreprises pourraient même se garder d’entrer en concurrence pour remporter le chantier. Tout cela peut conduire à geler le marché. Les faits dans le litige au principal en donnent à nouveau un exemple. On se demande si Temco aurait été prête à conclure le contrat de nettoyage chez Volkswagen aux mêmes conditions si l’entreprise avait dû reprendre l’ensemble du personnel de GMC au lieu des 42 travailleurs.

39. On pourrait exposer à cet égard que la reprise obligatoire de tout le personnel constitue une part du risque ordinaire de toute entreprise. Cela est exact s’il s’agit d’une reprise effective de l’exploitation d’une entreprise au sens du droit des sociétés. Dans ce cas l’acquéreur fait une analyse des coûts et bénéfices de l’entreprise à reprendre et le prix de reprise est fixé notamment par les prestations du passé et la reprise obligatoire du personnel. C’est ce qui se passe également dans les concessions de longue durée attribuées par adjudications publiques. Dans la sous-traitance de services, l’élément central est toutefois uniquement l’attribution d’un contrat pour une période relativement courte et, selon moi, la reprise obligatoire du personnel ne s’inscrit pas dans ce contexte comme un risque d’entreprise.

40. Le but de la directive est de garantir la continuité des relations de travail existant dans une entreprise en cas de changement de chef d’entreprise . La directive est fondée sur l’article 100 du traité CE (devenu article 94 CE) et, à ce titre, il ne faut pas perdre de vue les considérations intéressant le marché et la concurrence. Dans un marché qui se caractérise par des spécialités, des contrats de courte durée entre le donneur d’ouvrage et le prestataire de services et une mobilité importante dans le personnel, la protection du travailleur s’inscrit mieux dans le cadre du droit du travail classique que dans le cadre de la protection prévue en cas de transfert d’entreprise . Si le prestataire de services est trop rapidement obligé de reprendre tout le personnel, l’objectif de la directive s’en trouvera disproportionné par rapport au principe de la liberté de contracter et la liberté d’entreprendre.

Les critères d’application de la directive et l’évolution dans la jurisprudence de la Cour

41. Il ressort également de la jurisprudence de la Cour de justice qu’il faut apprécier une opération en tenant compte du contexte économique dans lequel elle s’inscrit. Ainsi qu’on le sait, le législateur communautaire n’a pas donné de définition des notions de «transfert», «entreprise», «cession», «conventionnelle» ou «fusion» figurant à l’article 1er, paragraphe 1, de la directive. C’est la raison pour laquelle il appartient à la Cour de délimiter les contours de ces notions communautaires. Ces notions fondamentales ont été interprétées avec souplesse dans une jurisprudence circonstanciée et à la lumière de l’objectif social de la directive. La Cour a choisi de travailler non pas avec des définitions rigides et strictes, mais avec des critères qui doivent être appliqués par le juge interne en fonction des circonstances de l’espèce.

42. Les critères d’application de la directive se résument comme suit. Tout d’abord, le transfert doit concerner une «entreprise» qui se définit comme étant une entité économique organisée de manière stable . L’entreprise doit faire l’objet d’une cession «conventionnelle» et, à cet égard, la Cour a précisé que le rapport conventionnel doit emporter changement de la personne, physique ou morale, responsable de l’exploitation de l’entreprise, et qui, de ce fait, contracte les obligations d’employeur vis-à-vis des salariés travaillant dans l’entreprise .

43. Pour savoir ensuite s’il y a «transfert» au sens de la directive, le critère décisif est de déterminer si l’entreprise en question garde son identité ce qui résulte notamment du fait que son exploitation est effectivement poursuivie ou reprise par le nouveau chef d’entreprise avec les mêmes activités économiques ou des activités analogues . Ce critère a été codifié dans l’intervalle par la directive 98/50 à l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive révisée.

44. C’est au juge interne qu’il appartient de vérifier si cette condition est remplie dans un cas concret en recourant aux éléments d’interprétation déterminés par la Cour. Selon la Cour, le juge interne doit tenir compte de toutes les circonstances de fait qui caractérisent l’opération en cause, au nombre desquelles figurent notamment le type d’entreprise ou d’établissement dont il s’agit, le transfert ou non des éléments corporels, tels que les bâtiments et les biens mobiliers, la valeur des éléments incorporels au moment du transfert, le transfert ou non de la clientèle, ainsi que le degré de similarité des activités exercées avant et après le transfert et la durée d’une éventuelle suspension de ces activités. Il convient, toutefois, de préciser que tous ces éléments ne sont que des aspects partiels de l’évaluation d’ensemble qui s’impose et ne sauraient, de ce fait, être appréciés isolément .

45. Le juge interne devant tenir compte de toutes les circonstances de fait, j’estime que dans des opérations de sous-traitance de services le type et les caractéristiques des marchés en question de services doivent eux aussi intervenir dans l’évaluation d’une opération. On peut le faire en faisant intervenir ces caractéristiques dans l’interprétation des notions de «conventionnelle» et d'«entreprise» au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive.

46. La jurisprudence que la Cour a consacrée à ces notions a connu une évolution remarquable.

47. C’est ainsi que la condition voulant que le transfert soit «conventionnel» ne se limite pas aux situations dans lesquelles des relations contractuelles se nouent directement entre un cédant et un cessionnaire d’une entreprise. En raison de différences entre les versions linguistiques et entre les législations internes, il faut également prendre en compte l’économie et la finalité de la directive pour saisir la portée de cette notion . C’est la raison pour laquelle la Cour a déjà étendu à ce point la notion de «conventionnelle» que la directive s’applique dans toutes les hypothèses de changement, dans le cadre de relations contractuelles, de la personne physique ou morale responsable de l’exploitation de l’entreprise, qui contracte les obligations d’employeurs vis-à-vis des employés de l’entreprise . Il est par exemple sans incidence qu’il y ait transfert de propriété ou qu’il y ait accord de volontés visant le transfert de propriété . La résolution d’un contrat de location-vente d’un restaurant suivie d’un nouveau contrat de location-vente avec un autre exploitant n’empêche pas la directive de s’appliquer. Le raisonnement de la Cour est que, dans une situation de cette nature, le transfert s’opère en deux phases par l’intermédiaire d’un tiers en ce sens que l’entreprise est d’abord transférée par le locataire initial au propriétaire, lequel la transfère à son tour au nouveau locataire .

48. La Cour n’a toutefois pas été jusqu’à admettre qu’il ne puisse exister absolument aucun lien entre le cédant et l’acquéreur. Dans l’arrêt Redmond Stichting, dans lequel l’autorité – la commune de Groningen – avait modifié sa politique de subvention et décidé de cesser d’octroyer une subvention à une fondation s’occupant d’apporter une aide à des toxicomanes pour l’octroyer ensuite à une autre fondation ayant le même objet, la Cour a estimé que la directive pouvait s’appliquer en attachant une certaine importance au fait que l’ancienne et la nouvelle fondation avaient réglé de commun accord le transfert de patients, du logement, des connaissances et des ressources . Dans un cas où une concession de vente de véhicules automobiles avait pris fin et qu’une nouvelle concession avait été accordée à une autre entreprise, la Cour a estimé que la circonstance que l’actionnaire principal de l’ancienne entreprise et le nouveau concessionnaire ont signé une «convention et garantie» comportant un règlement des frais liés au transfert du personnel confirme l’existence d’une cession conventionnelle au sens de la directive .

49. Dans l’arrêt Süzen, la Cour a considéré que l’absence de lien conventionnel direct entre les deux entrepreneurs auxquels avaient été successivement confiés les travaux de nettoyage d’un établissement scolaire ne saurait revêtir une importance déterminante pour l’application de la directive . Dans le même temps, la Cour a toutefois réaffirmé la condition voulant que, dans le cadre de relations contractuelles, un changement doive intervenir dans l’exploitation de l’entreprise .

50. L’abandon total de la condition voulant qu’il y ait des liens conventionnels entre le cédant et l’acquéreur serait au reste aussi contra legem. Le texte de la directive fait en effet expressément référence aux rapports contractuels sous forme conventionnelle ou sous forme de fusion.

51. À côté du terme «conventionnel», la notion d'«entreprise» au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive s’est elle aussi développée. La Cour considère que la directive peut s’appliquer lorsque le transfert porte sur une entité économique organisée de manière stable, dont l’activité ne se borne pas à l’exécution d’un ouvrage déterminé. La notion d'«entité» renvoie à un ensemble organisé de personnes et d’éléments permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre . Ce n’est que si une telle entité garde son identité économique que l’on peut envisager qu’il y a eu un transfert. L’entité peut toutefois garder son identité si, par exemple, le siège d’exploitation est déplacé dans une autre commune, le cédant cesse toutes activités après la cession et qu’une grande partie des travailleurs est licenciée .

52. C’est une interprétation extensive de cet ordre qui préside aussi à l’arrêt Süzen, dans lequel la notion d'«entité économique» est conçue en faisant abstraction de l’existence d’actifs. Dès lors qu’une entité économique peut, dans certains secteurs, fonctionner sans éléments d’actif, corporels ou incorporels, significatifs, le maintien de l’identité d’une telle entité par-delà l’opération dont elle fait l’objet ne saurait, par hypothèse, dans le raisonnement de la Cour, dépendre de la cession de tels éléments. Dans certains secteurs où l’activité repose essentiellement sur la main-d’oeuvre, comme le secteur du nettoyage, une collectivité de travailleurs que réunit durablement une activité commune peut correspondre à une entité économique. Une telle entité est dès lors susceptible de maintenir son identité par-delà son transfert quand le nouveau chef d’entreprise ne se contente pas de poursuivre l’activité en cause, mais reprend également une partie essentielle, en termes de nombre et de compétences, des effectifs que son prédécesseur affectait spécialement à cette tâche. Dans cette hypothèse, le nouveau chef d’entreprise acquiert en effet l’ensemble organisé d’éléments qui lui permettra de poursuivre les activités ou certaines activités de l’entreprise cédante de manière stable .

53. Ce raisonnement trace la limite de ce que la Cour a estimé admissible pour voir appliquer la directive. D’autres arrêts vont moins loin. Le forage de tunnels et de galeries dans des mines et l’exploitation de lignes de bus ne sont pas des activités dans lesquelles le personnel est le facteur principal. Dans l’arrêt Rygaard, la Cour a clairement établi que la reprise de deux apprentis, d’un travailleur et du matériel avec lequel une entreprise avait entamé un chantier déterminé, pour achever ce chantier avec l’accord du maître d’ouvrage, n’est pas un transfert au sens de la directive. Dans cette affaire, l’entreprise A avait accepté un chantier consistant à monter une charpente pour l’entreprise B. L’entreprise A a ensuite fait réaliser une partie du chantier par l’entreprise C avec l’accord de l’entreprise B. D’après la Cour, il n’y a pas là de transfert entre les entreprises A et C parce que le transfert du chantier ne s’est pas accompagné du transfert d’un ensemble organisé d’éléments permettant la poursuite des activités ou de certaines activités de l’entreprise cédante de manière stable .

54. Dans l’arrêt Süzen, la Cour a indiqué sans ambiguïté que la seule circonstance que le service effectué par l’ancien et le nouvel attributaire d’un marché est similaire ne permet pas ainsi de conclure au transfert d’une entité économique. En effet, une entité ne saurait être réduite à l’activité dont elle est chargée. Son identité ressort également d’autres éléments tels que le personnel qui la compose, son encadrement, l’organisation de son travail, ses méthodes d’exploitation ou encore, le cas échéant, les moyens d’exploitation à sa disposition. La simple perte d’un marché de service au profit d’un concurrent ne saurait donc, par elle-même, poursuit la Cour, révéler l’existence d’un transfert au sens de la directive .

55. Cette jurisprudence concernant l’objet du transfert au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive démontre que la Cour interprète largement la pérennité de l’identité de l’entité économique, mais celle-ci doit bel et bien présenter un certain degré d’organisation et de stabilité lesquelles ne sauraient exclusivement procéder du chantier d’un seul client.

L’application des critères en l’espèce

56. Revenons à l’affaire qui nous occupe. Le juge de renvoi a relevé un certain nombre de circonstances particulières. Volkswagen avait confié dans un premier temps le chantier de nettoyage à BMV qui avait ensuite fait sous-traiter le travail par GMC. Il n’y avait donc aucun lien contractuel direct entre GMC et Volkswagen et a fortiori non plus entre GMC et le nouveau contractant Temco. De plus aucun élément d’actif de quelque nature que ce soit n’a été transféré de GMC à Temco. Une partie du personnel a certes été reprise par Temco, mais ce transfert est intervenu alors que les travailleurs, à l’exception des quatre délégués syndicaux, avaient déjà été licenciés par GMC. La reprise du personnel procède des obligations découlant pour Temco d’une convention collective de travail. Le juge de renvoi indique au reste que GMC a continué d’exister même après que BMV a perdu le contrat avec Volkswagen .

57. S’agissant d’activités de nettoyage, il serait conforme à la jurisprudence Süzen de pouvoir examiner seulement si Temco poursuit les activités que BMV-GMC exerçaient chez Volkswagen et reprend l’essentiel du personnel que GMC a affecté aux activités de nettoyage en question. Ainsi que je l’ai dit, j’estime que cet examen est trop limité. Selon la jurisprudence citée ci-dessus, les circonstances de fait qui caractérisent l’opération en question doivent s’apprécier en tenant également compte de la nature de l’entreprise , ainsi que de la nature de l’activité économique exercée . Je suggère à la Cour de recourir à cet égard à un critère plus large en faisant également jouer dans l’examen les circonstances économiques dans lesquelles l’opération intervient.

58. À cet égard il me paraît difficile de conclure sur la base des données du juge de renvoi et au vu du contexte économique que l’identité de l’entreprise de nettoyage aurait été transférée au nouveau contractant dans le cadre de relations contractuelles. On ne peut que déduire que Temco a repris une partie du personnel de GMC pour exécuter le contrat qu’elle avait conclu avec Volkswagen.

59. Pour commencer il est clair que la circonstance que Volkswagen attribue à un nouveau contractant un contrat portant sur des activités de nettoyage industriel ne constitue pas un transfert au sens du droit des sociétés. Il ne s’agit en effet que d’un contrat portant sur l’accomplissement de certaines activités économiques. À la lumière du point précité de l’arrêt Süzen , le fait que BMV a perdu, au bénéfice de Temco, les services de nettoyage à effectuer chez Volkswagen ne révèle pas un transfert d’entreprise au sens de la directive.

60. On ne peut en effet logiquement pas parler de «transfert d’entreprise […] résultant d’une cession conventionnelle ou d’une fusion», selon moi, au simple motif que, dans une sous-traitance de services, le nouveau contractant reprend le (l’essentiel du) personnel de l’ancien contractant. Il n’y a aucune différence à cet égard selon que ce transfert de personnel intervient volontairement, par exemple parce que le nouveau contractant a besoin du savoir-faire des membres du personnel pour exécuter le marché attribué, ou involontairement, par exemple parce qu’une convention collective de travail l’y contraint.

61. S’agissant des rapports contractuels requis, il n’existe pas de lien réel entre BMV-GMC et Temco en dehors du fait qu’elles se succèdent en qualité de prestataire de services pour Volkswagen . Temco a repris une partie du personnel après que GMC avait déjà licencié régulièrement les membres de son personnel. GMC a aussi déclaré, au moment où le licenciement des 76 travailleurs a été notifié, avoir ignoré l’identité du nouveau contractant. Il ressort de l’exposé des faits du juge de renvoi que le licenciement collectif a été autorisé le 30 novembre 1994 par l’office régional bruxellois de l’emploi tandis que Volkswagen a conclu le contrat avec Temco en décembre 1994. Il n’est pas apparu que GMC, BMV et Temco se soient livrées à un montage artificiel par exemple pour échapper à l’application de la directive. J’estime qu’il ne peut dès lors pas y avoir de rapport contractuel, même indirect. Le raisonnement «à deux phases» que la Cour applique dans la jurisprudence qui ne requiert pas de rapport contractuel direct entre un cédant et un cessionnaire se fonde lui aussi sur un certain lien et une certaine entremise de l’entreprise «intermédiaire» . Il n’est toutefois pas apparu que Volkswagen se fût ingérée, en qualité de donneur d’ouvrage, dans la relation entre l’ancien et le nouveau contractant.

62. De plus l’entreprise n’a pas gardé son identité. En l’espèce cette identité ne doit pas être recherchée dans la poursuite d’activités identiques – à savoir le nettoyage industriel – parce que cette poursuite des activités est inhérente au changement de contractant dans la sous-traitance de services.

63. Une telle entité ne garde pas non plus, selon moi, son identité lorsque le nouveau chef d’entreprise ne se contente pas de poursuivre l’activité en cause, mais reprend également une partie essentielle – en termes de nombre et de compétences – des effectifs que son prédécesseur affectait spécialement à cette tâche . Les travailleurs licenciés par GMC ayant manifestement une connaissance spécifique des activités chez Volkswagen , il est parfaitement conforme à l’évolution des choses, dans la perspective du marché, que Temco a offert un contrat à une partie des membres du personnel licenciés. La simple reprise de l’essentiel du personnel par un nouveau contractant dans un marché dynamique n’a, à mes yeux, rien à voir avec l’identité d’une entreprise et ne peut dès lors pas non plus être convaincante. Dans ce cas, le nouveau chef d’entreprise n’acquiert pas l’ensemble organisé d’éléments permettant la poursuite des activités ou de certaines activités de l’entreprise cédante de manière stable . Même si le personnel est le facteur principal dans les activités exercées, l’identité d’une entreprise ne peut pas procéder exclusivement du nombre et de la compétence du personnel repris. L’identité doit être déterminée en tenant également compte d’autres facteurs propres au personnel, comme la maîtrise, la structure de l’organisation, la répartition des tâches, les régimes de formation, de rémunération et de promotion. Lorsque, dans la sous-traitance de services, une partie du personnel est reprise en changeant des contrats de travail pour exécuter ce contrat spécifique, on ne peut pas non plus parler, du fait de la nature, par définition temporaire de ce contrat, d’une poursuite durable de l’activité en question.

64. Par ces motifs, j’estime dès lors que la directive ne s’applique pas en l’espèce. La condition voulant que l’entreprise garde son identité dans le cadre de rapports contractuels n’est pas remplie.

65. J’estime aussi que c’est une conclusion justifiée.

66. Tout d’abord, une autre conception a pour résultat paradoxal que la directive qui vise à protéger tous les travailleurs en cas de transfert d’entreprises s’applique déjà en cas de sous-traitance de services si une partie des travailleurs est reprise pour effectuer un lot de travail identique. Cela serait encore moins compréhensible si la reprise du personnel par le nouveau contractant ne se fait pas volontairement mais au titre d’obligations découlant d’une convention collective de travail. Dans ce cas, en effet, le transfert d’une entreprise est dicté par la convention collective de travail.

67. Deuxièmement, on ne s’explique pas pourquoi, lorsqu’un prestataire de services perd un marché pour des motifs économiques parce qu’une autre entreprise connaîtrait de meilleures conditions, le nouveau prestataire de services devrait conserver de plein droit l’ensemble du personnel de l’entreprise qui a perdu le marché pour la raison fortuite que le personnel est le facteur principal dans l’activité économique. Une conséquence remarquable serait par exemple qu’en cas de changement de restaurateur dans une cantine d’entreprise, en raison de la médiocrité du service proposé par le personnel, le nouveau contractant se retrouve face au personnel dont le donneur d’ouvrage était mécontent. Vu du marché, une conception trop large serait injustifiée et pourrait entraîner des conséquences radicales et imprévisibles dans une réalité économique dynamique. Si l’on continue à étirer les critères d’application de la directive, cela entraînera inévitablement une insécurité juridique et un arbitraire sur ces marchés.

68. Troisièmement, la directive vise à protéger le personnel «en place», mais la sous-traitance de services implique avant tout dans mon esprit, je l’ai dit, une succession de contrats de brève durée et non pas la reprise coûteuse d’une entreprise et de son personnel en place. En l’espèce, la reprise intégrale des travailleurs avec maintien des droits qui découlent de leur contrat de travail avec GMC peut créer une discrimination à l’égard des travailleurs de Temco. Il n’est pas exclu que Temco ait un personnel mieux motivé et mieux qualifié qui, du fait de l’application de la directive, serait exclu des activités chez Volkswagen. Pour Temco, Volkswagen n’était qu’un des donneurs d’ordre parmi de nombreux autres. Temco se voit en outre privée de la possibilité de rechercher un autre personnel sur le marché du travail. La protection des travailleurs en place aboutit ainsi incontestablement à pénaliser les travailleurs venant du marché.

B – La protection de la directive

69. Si la Cour décide qu’il n’y a pas en l’espèce de transfert d’une entreprise, il n’y a pas lieu de répondre à la deuxième question. Si la Cour devait en juger autrement, je vais examiner succinctement cette question.

70. Par sa deuxième question, le juge de renvoi souhaite savoir si la directive empêche GMC, en qualité de cédante, étant entendu qu’il y a transfert, de pouvoir néanmoins conserver certains travailleurs à son service. L’affaire au principal a connu un point de friction du fait que GMC n’a pas été autorisée à licencier quatre délégués syndicaux pour des raisons tenant à la législation interne sur la protection contre le licenciement. Tous les quatre n’auraient de ce fait peut-être pas pu, ou moins facilement, exercer les droits qu’ils tirent de la directive. En fait, cette question revient à se demander si les quatre travailleurs peuvent invoquer à l’encontre de Temco la protection de l’article 3, paragraphe 1, de la directive s’ils n’ont pas renoncé à un emploi chez GMC, du fait de la protection contre le licenciement, et qu’ils n’ont pas non plus été licenciés par le cédant.

71. On doit dès lors rechercher l’incidence que la législation interne en question a, dans le contexte des actes posés par les travailleurs concernés, sur l’interprétation de la directive.

72. La directive tend à assurer le maintien des droits des travailleurs en cas de changement de chef d’entreprise en leur permettant de rester au service du nouvel employeur dans les mêmes conditions que celles convenues avec le cédant. Les règles de la directive doivent, selon la Cour, être considérées comme impératives, en ce sens qu’il n’est pas permis d’y déroger dans un sens défavorable aux travailleurs. C’est ainsi que le transfert des contrats de travail ne saurait être subordonné à la volonté du cédant ou du cessionnaire . Ils n’ont pas non plus la faculté de déterminer de concert le moment à partir duquel le cessionnaire répond des obligations découlant des relations de travail, celles-ci étant transférées de plein droit au cessionnaire du seul fait du transfert de l’entreprise .

73. Il s’ensuit que GMC, en qualité de cédante, ne peut pas porter atteinte aux droits des travailleurs en question en les maintenant à son service. La circonstance que GMC y serait contrainte par la législation interne n’est pas déterminante à mon sens. Si la directive s’applique, la législation interne ne peut en effet pas être interprétée en défaveur de ces travailleurs. La jurisprudence précitée s’oppose à une telle interprétation qui, de surcroît, entame l’effet utile de la directive.

74. Le caractère impératif de l’article 3, paragraphe 1, de la directive est toutefois limité par le droit du travailleur au libre choix de son travail. La Cour a jugé que la protection que la directive vise à assurer est toutefois dépourvue d’objet lorsque l’intéressé lui-même, à la suite d’une décision prise par lui librement, ne poursuit pas après le transfert, avec le nouveau chef d’entreprise, la relation de travail . Dans ce cas, il est loisible aux États membres de décider du sort à réserver au contrat de travail ou à la relation de travail. La législation interne peut par exemple déterminer que le contrat de travail est maintenu avec le cédant .

75. On est partagé en l’espèce sur la question de savoir si les quatre délégués syndicaux ont volontairement renoncé à un transfert chez Temco. Dans la décision de renvoi, la Cour du travail indique qu’aucun des quatre n’a prétendu être passé au service de Temco avant leur licenciement par GMC en décembre 1995. Comme ils estimaient bénéficier d’une protection spéciale contre le licenciement, ils auraient, par leur comportement, manifesté qu’ils appartenaient toujours au personnel de GMC.

76. Ces constatations ont toutefois été contestées par GMC-BMV et par les quatre délégués syndicaux. Ils exposent que, dans la période du 9 janvier au 11 décembre 1995, tous les quatre figuraient certes toujours sur le «pay roll» et percevaient une partie de leur salaire de GMC, sans pour autant travailler, mais que cette attitude s’explique par le refus de Temco de les reprendre. Il n’y aurait de ce fait pas eu de renoncement volontaire à la reprise.

77. Les observations déposées et les explications apportées par les parties à l’audience ne permettent pas clairement de déterminer si, par leur comportement, tous les quatre ont volontairement renoncé aux droits qu’ils sont présumés tirer de la directive. C’est la raison pour laquelle c’est au juge interne qu’il doit revenir de statuer en définitive sur ce point à la lumière des circonstances de fait. Il lui appartient à cet égard de tenir compte du fait que les délégués syndicaux tiraient de la législation interne une protection juridique particulière qui peut expliquer une certaine réticence de leur part à vouloir aller chez Temco. Les obligations étant transférées de plein droit au cessionnaire du fait du transfert, j’incline à penser que le juge interne doit se fonder sur les comportements des travailleurs en question au moment où le transfert a eu lieu, c’est-à-dire aux alentours du 9 janvier 1995. Le principe de sécurité juridique à l’égard du cédant et du cessionnaire y incite lui aussi.

VI – Conclusion

78. Par ces motifs, je suggère à la Cour de répondre comme suit aux questions posées par la Cour du travail de Bruxelles:

«1) L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 77/187/CEE du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d’entreprises, d’établissements ou de parties d’établissements, ne s’applique pas lorsqu’une entreprise A ayant concédé les travaux de nettoyage de ses installations industrielles à une entreprise B voit celle-ci confier ces travaux à une entreprise C qui, à la suite de la perte du marché par l’entreprise B, licencie tout son personnel, sauf quatre personnes; alors, qu’ensuite une entreprise D se voit attribuer ce chantier par l’entreprise A, engage en application d’une convention collective de travail une partie du personnel de l’entreprise C, mais ne recueille aucun élément de l’actif de cette dernière qui continue à exister et qui persiste dans la poursuite de son objet social.

2) Il n’y a pas lieu de répondre à la deuxième question.»

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CJCE, n° C-51/00, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Temco Service Industries SA contre Samir Imzilyen et autres, 27 septembre 2001