CJCE, n° C-57/01, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Makedoniko Metro et Michaniki AE contre Elliniko Dimosio, 11 juillet 2002

  • Rapprochement des législations·
  • Libre prestation des services·
  • Liberté d'établissement·
  • Directive·
  • Entrepreneur·
  • Marchés publics·
  • Pouvoir adjudicateur·
  • Droit communautaire·
  • Modification·
  • Droit national

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 11 juill. 2002, Makedoniko Metro et Michaniki, C-57/01
Numéro(s) : C-57/01
Conclusions de l'avocat général Stix-Hackl présentées le 11 juillet 2002. # Makedoniko Metro et Michaniki AE contre Elliniko Dimosio. # Demande de décision préjudicielle: Dioikitiko Efeteio Athinon - Grèce. # Marchés publics de travaux - Règles de participation - Groupement d'entrepreneurs soumissionnaire - Modification de la composition du groupement - Interdiction prévue dans le cahier des charges - Compatibilité avec le droit communautaire - Recours. # Affaire C-57/01.
Date de dépôt : 9 février 2001
Solution : Renvoi préjudiciel
Identifiant CELEX : 62001CC0057
Identifiant européen : ECLI:EU:C:2002:450
Télécharger le PDF original fourni par la juridiction

Sur les parties

Texte intégral

Avis juridique important

|

62001C0057

Conclusions de l’avocat général Stix-Hackl présentées le 11 juillet 2002. – Makedoniko Metro et Michaniki AE contre Elliniko Dimosio. – Demande de décision préjudicielle: Dioikitiko Efeteio Athinon – Grèce. – Marchés publics de travaux – Règles de participation – Groupement d’entrepreneurs soumissionnaire – Modification de la composition du groupement – Interdiction prévue dans le cahier des charges – Compatibilité avec le droit communautaire – Recours. – Affaire C-57/01.


Recueil de jurisprudence 2003 page I-01091


Conclusions de l’avocat général


I – Observations liminaires

1. La présente procédure concerne l’interprétation d’une directive de coordination en matière de marchés publics de travaux ainsi que l’interprétation de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (ci-après la «directive relative aux procédures de recours»). Elle porte plus spécialement sur la licéité de la modification de la composition d’un groupement d’entrepreneurs au cours d’une procédure d’adjudication et sur les effets d’une telle modification du point de vue de la protection juridique.

II – Le cadre juridique

A – Le droit communautaire

2. Parmi les directives en matière de marchés publics, c’est la directive 71/305/CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux , dans sa version modifiée par la directive 89/440/CEE , qui s’applique en l’espèce; cette directive correspond, pour l’essentiel, à la directive 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (ci-après la «directive de coordination des marchés de travaux»), dont il sera question également ci-après.

3. L’article 1er de cette directive dispose notamment:

«Aux fins de la présente directive:

a) les marchés publics de travaux sont des contrats à titre onéreux, conclus par écrit entre, d’une part, un entrepreneur et, d’autre part, un pouvoir adjudicateur défini au point b) et ayant pour objet soit l’exécution, soit conjointement l’exécution et la conception des travaux relatifs à une des activités visées à l’annexe II ou d’un ouvrage défini au point c), soit la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d’un ouvrage répondant aux besoins précisés par le pouvoir adjudicateur;

[…]

d) la concession de travaux publics est un contrat présentant les mêmes caractères que ceux visés au point a), à l’exception du fait que la contrepartie des travaux consiste soit uniquement dans le droit d’exploiter l’ouvrage, soit dans ce droit assorti d’un prix;

[…]»

4. L’article 21 dispose:

«Les groupements d’entrepreneurs sont autorisés à soumissionner. La transformation de tels groupements en une forme juridique déterminée ne peut être exigée pour la présentation de l’offre, mais le groupement retenu peut être contraint d’assurer cette transformation lorsque le marché lui a été attribué.»

5. Du point de vue de la protection juridique, ce sont les dispositions de la directive relative aux procédures de recours qui s’appliquent en l’occurrence.

6. L’article 1er, paragraphe 1, disposait, à l’époque pertinente en l’espèce:

«Les États membres prennent, en ce qui concerne les procédures de passation des marchés publics relevant du champ d’application des directives 71/305/CEE et 77/62/CEE, les mesures nécessaires pour assurer que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l’objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible, dans les conditions énoncées aux articles suivants, et notamment à l’article 2 paragraphe 7, au motif que ces décisions ont violé le droit communautaire en matière de marchés publics ou les règles nationales transposant ce droit.»

7. L’article 2, paragraphe 2, dispose notamment:

«1. Les États membres veillent à ce que les mesures prises aux fins des recours visés à l’article 1er prévoient les pouvoirs permettant :

[…]

b) d’annuler ou de faire annuler les décisions illégales, y compris de supprimer les spécifications techniques, économiques ou financières discriminatoires figurant dans les documents de l’appel à la concurrence, dans les cahiers des charges ou dans tout autre document se rapportant à la procédure de passation du marché en cause;

c) d’accorder des dommages-intérêts aux personnes lésées par une violation.»

B – Le droit national

8. La procédure d’appel à la concurrence, en cause en l’espèce, est régie à titre principal par les dispositions de la loi no 1418/1984, relative aux travaux publics et à des questions connexes (23 A) ainsi que par le décret présidentiel no 609/1985 (223 A).

9. Dans la procédure en cause en l’espèce, le pouvoir adjudicateur a décidé de recourir à une procédure d’attribution du marché telle qu’elle est prévue à l’article 4, paragraphe 2, sous b), de la loi no 1418/1984. Cette procédure s’articule autour des phases suivantes:

10. Choix préalable des soumissionnaires; remise des offres; examen des offres du point de vue technique, examen des offres du point de vue économique et financier, et négociations avec ce qu’il est convenu d’appeler les adjudicataires provisoires.

11. L’article 5, paragraphe 6, de la loi no 1418/1984 dispose:

«La substitution d’un tiers aux fins de la réalisation d’une partie ou de la totalité des travaux (extériorisation des tâches) est interdite sans l’autorisation du maître de l’ouvrage. Dans tous les cas de substitution, l’attributaire reste pleinement responsable, conjointement avec son remplaçant, vis-à-vis du maître de l’ouvrage, du personnel occupé à l’ouvrage et de tout tiers quelconque. À titre exceptionnel, l’attributaire peut être déchargé de sa responsabilité vis-à-vis du maître de l’ouvrage et remplacé lorsque ce remplacement s’impose dans l’intérêt des travaux et que l’attributaire se trouve manifestement dans l’incapacité de les poursuivre. Un décret présidentiel détermine les qualités requises de l’entrepreneur remplaçant, les conséquences pour l’attributaire, la procédure d’autorisation de la substitution; ce décret présidentiel règle les questions liées à la substitution d’un attributaire membre d’une association d’entreprises ainsi que toutes les mesures qui s’appliquent dans un tel cas.»

12. L’article 51 du décret présidentiel no 609/1985, promulgué entre autres sur le fondement de l’habilitation conférée par la disposition précédente, dispose en son paragraphe 1:

«1. La substitution d’une autre entreprise de construction aux fins de la réalisation des travaux conformément à l’article 5, paragraphe 6, de la loi no 1418/1984 est proposée par le service en charge du dossier et est autorisée par l’autorité supérieure. Pour que la substitution soit autorisée, l’entreprise de travaux qui se substituera à l’attributaire devra présenter les mêmes qualités que celles qui ont été exigées de l’attributaire pour l’attribution des travaux ainsi que les garanties jugées indispensables pour la réalisation des travaux aux yeux de l’autorité supérieure.»

13. Les autres dispositions de cet article contiennent des prescriptions relatives à l’autorisation de la substitution comportant exonération de la responsabilité de l’attributaire initial (paragraphe 2), au remplacement d’un membre d’un groupement d’entrepreneurs attributaire à la demande de ce membre (paragraphe 3), à la résolution du marché en cas de faillite de l’attributaire (paragraphe 5), et à la résolution du marché, en principe, lorsque l’attributaire est une entreprise personnelle et que son exploitant décède (paragraphe 6).

14. Enfin, l’article 35 du décret présidentiel précité comporte des dispositions relatives aux obligations des membres d’un groupement d’entrepreneurs attributaire en ce qui concerne l’exécution des travaux confiés au groupement, et les paragraphes 6 et 7 de ce même article comportent des dispositions relatives au sort du groupement et aux obligations de ses membres en cas de décès de personnes physiques qui participaient à ce groupement en qualité d’entrepreneurs à titre personnel comme en cas de faillite d’un membre du groupement.

15. Il résulte de l’ensemble de ces dispositions que la législation relative aux marchés publics de travaux prévoit, sous certaines conditions, le remplacement d’un membre d’un groupement d’entrepreneurs déclaré attributaire d’un marché donné. Ce remplacement, qui s’effectue toujours après autorisation du maître de l’ouvrage, n’est prévu qu’au stade de l’exécution des travaux, soit l’étape qui suit la signature du marché entre l’attributaire et le maître de l’ouvrage et non à un stade antérieur à l’attribution du marché .

16. L’avis complémentaire de marché (avis relatif à la deuxième phase de la procédure d’appel à la concurrence) prévoit que peuvent participer, à ce stade, les huit groupements qui ont présenté une déclaration d’intérêt au premier stade de la procédure et qui ont été présélectionnés. Il est prévu également que ces groupements sont autorisés à participer selon la configuration qu’ils présentaient lors de la première étape de la procédure, que la création de groupements ou d’autres formes de coopération entre eux est exclue formellement et, enfin, que l’élargissement d’un groupement à un nouveau membre est possible, pour autant que celui-ci n’ait en aucune façon fait partie d’autres groupements présélectionnés pour la seconde phase de la procédure d’appel à la concurrence.

17. En outre, l’article 12 de cet avis dispose que le dossier de chacun des soumissionnaires devra comporter tous les documents montrant que le soumissionnaire a la forme juridique de groupement d’entrepreneurs. Ces documents devront inclure entre autres un acte notarié attestant la constitution d’un groupement d’entrepreneurs entre tous les membres du groupement qui a été présélectionné, y compris les éventuels nouveaux membres, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’avis. Ces dossiers contiendront également les procès-verbaux authentifiés des conseils d’administration des membres du groupement autorisant leur participation audit groupement, auxquels auront participé tous les membres, mentionnés nommément, ainsi que les copies, visées par les autorités compétentes, des statuts des éventuels nouveaux membres du groupement. Enfin, le même article prévoit que tous les éléments mentionnés aux points 7.1, 7.2, 7.3 et 7.4 de l’avis relatif à la première phase du marché qui concernent les éventuels nouveaux membres du groupement d’entrepreneurs doivent figurer au dossier.

18. Ces dispositions de l’avis prévoient en outre que les groupements d’entrepreneurs concernés devront exposer leurs intentions quant à leur niveau de participation au financement de l’ouvrage et déposer une déclaration affirmant qu’ils sont disposés à contribuer à l’apport des capitaux indispensables pour, outre les subventions de toute espèce, assurer l’achèvement, la conservation et le fonctionnement de l’ouvrage. Cet avis énonce aussi que toute entreprise de construction ou bureau d’étude est tenu de présenter une attestation d’inscription au registre professionnel du pays où il est établi et de déposer des documents justifiant sa capacité financière et économique de même que ses capacités et aptitudes techniques. L’avis prévoit enfin que les entreprises du groupement qui s’occuperont plus spécialement de l’exploitation des ouvrages sont tenues de présenter des certificats adéquats établissant leur aptitude et leur expérience dans l’exploitation d’installations de transport et en particulier d’un métro.

19. Il résulte des dispositions combinées des avis de marché exposées ci-dessus que, pour la seconde phase de la procédure, la possibilité d’élargir à de nouveaux membres un groupement d’entrepreneurs qui a été présélectionné lors de la première phase est prévue. Toutefois, cet élargissement n’est possible que jusqu’au moment fixé pour le dépôt des offres des soumissionnaires. Cette limite dans le temps est manifestement dictée par le souci de voir les commissions de marché, responsables de la désignation de l’attributaire provisoire, disposer, d’abord en vue de l’appréciation des soumissions techniques et ensuite en vue de l’appréciation des études économiques ainsi que du calcul des dépenses revenant à la collectivité, de tous les éléments requis par l’avis, concernant chacun des membres du groupement pris séparément, les éléments relatifs à la capacité financière et économique de chacun de ces membres, les capacités et aptitudes techniques dont il dispose, ainsi que ses aptitudes et son expérience par rapport à la gestion de l’ouvrage litigieux .

III – Les éléments de fait, la procédure au principal et la question

préjudicielle

20. Par avis approuvé par l’arrêté no D1d/2/207, du 18 juin 1992, du ministre de l’Environnement, de l’Aménagement du territoire et des Travaux publics, le ministère précité a engagé la procédure d’appel à la concurrence relative à la première phase (phase de présélection) de l’appel international à la concurrence visant la désignation d’un attributaire pour «l’étude, la construction, l’auto-financement et l’exploitation de l’ouvrage Métro de Thessalonique», pour un budget de 65 000 000 000 GDR. Pour cette phase, la commission de marché a présélectionné huit groupements de sociétés qui avaient déclaré un intérêt, au nombre desquels figurait le groupement appelant. Ensuite, l’arrêté no D1/4/37, du 1er février 1993, du ministre de l’Environnement, de l’Aménagement du territoire et des Travaux publics a approuvé les dossiers d’appel à la concurrence relatifs à la deuxième phase du marché, comportant entre autres l’avis complémentaire et le cahier spécial des charges. Cette phase a donné lieu à la présentation de soumissions techniques, d’études économiques et d’offres financières, émanant entre autres du groupement d’entrepreneurs, Makedoniko Metro (ci-après «Makedoniko»), dans sa composition initiale ainsi que du groupement «Thessaloniki Metro» (Bouygues).

21. Au moment où s’est opérée la présélection, le groupement d’entrepreneurs appelant avait pour membres les sociétés Michaniki AE Fidel SpA, Edi-Stra-Edilizia Stradale SpA et Teknocenter-Centro Servizi Administrativi-SRL.

22. Lors de la seconde phase du marché litigieux, donc après qu’il eut été procédé à la présélection et que les adjudicataires provisoires eurent été invités à déposer leurs offres, le groupement s’est étendu à la société AEG Westinghouse Transport Systems (ci-après «AEG»). C’est dans cette composition que le groupement a lui aussi remis une offre.

23. Comme cela résulte des éléments du dossier, telle était la composition du groupement au moment de la désignation de l’attributaire provisoire (soit le 14 juin 1994), et cette composition n’est pas contestée entre parties.

24. Après la constitution de la commission chargée des négociations et l’engagement des négociations entre l’État hellénique et le groupement d’entrepreneurs en sa qualité d’attributaire provisoire, par sa lettre du 23 mars 1996, le groupement a notifié au ministre de l’Environnement, de l’Aménagement du territoire et des Travaux publics une nouvelle composition [les membres de ce groupement sont désormais la société Michaniki AE, la société ABB Daimler – Benz Transportation (Adtranz) GmbH et le groupement Fidel Group, groupement composé des trois sociétés italiennes].

25. Ultérieurement, par sa lettre du 14 juin 1996 adressée à la commission des grands travaux, répondant à des questions portant sur les rumeurs de faillite et de mise en liquidation relatives aux membres du groupement précité des sociétés italiennes, le groupement d’entrepreneurs a fait savoir à cette commission que les sociétés du groupement précité ne faisaient plus partie du groupement d’entrepreneurs et que, à cette date, le groupement d’entrepreneurs avait pour membres les sociétés Michaniki AE, Adtranz GmbH et Transurb Consult. Comme le montrent les éléments du dossier, le contrat constitutif du groupement d’entrepreneurs, dans cette dernière composition, n’a pas été présenté à l’administration. La signature de ce contrat date du 27 novembre 1996, soit à peine deux jours avant l’adoption de la décision du ministre de l’Environnement, de l’Aménagement du territoire et des Travaux publics constatant l’échec des négociations et environ deux ans et demi après la désignation de l’appelant comme attributaire provisoire. C’est conformément à cette dernière composition que le groupement a introduit l’action en justice.

26. Constatant, à propos de la situation de l’appelant, des différences substantielles par rapport aux prescriptions imposées pour le marché, le ministre de l’Environnement, de l’Aménagement du territoire et des Travaux publics, agissant pour le maître de l’ouvrage, a estimé que les négociations avaient échoué. Le ministre a ordonné la fin des négociations entre l’État hellénique et l’appelant et il a invité le deuxième groupement d’entrepreneurs, en qualité de premier candidat attributaire provisoire, à entamer des négociations.

27. Le groupement d’entrepreneurs appelant a alors saisi le Conseil d’État et a demandé la suspension de la décision du maître de l’ouvrage en vertu de laquelle les négociations avaient été rompues. Pour le Conseil d’État, la modification de la composition d’un groupement d’entrepreneurs n’est autorisée que jusqu’à la remise des offres. Partant, dans sa composition modifiée, le groupement d’entrepreneurs ne serait pas fondé à demander la suspension.

28. Par l’action introduite devant le Dioikitiko Protodikeio Athinon (Grèce) (tribunal administratif de première instance d’Athènes), Makedoniko, le groupement d’entrepreneurs appelant et les autres sociétés membres de ce groupement demandent à ce que soit reconnue l’obligation, pour l’État, de verser les sommes réclamées à titre de dommages-intérêts et de réparation financière du dommage moral qu’ils auraient subi par suite de l’acte illicite et du manquement précités.

29. Le tribunal administratif de première instance d’Athènes a rejeté cette action au motif que, dans sa nouvelle composition, celle dans laquelle il avait engagé l’action en justice, le groupement d’entrepreneurs n’était pas habilité à réclamer une réparation.

30. Makedoniko a interjeté appel de ce jugement devant le Dioikitiko Efeteio Athinon (Grèce) (cour administrative d’appel d’Athènes), contestant le bien-fondé de l’interprétation et de l’application des dispositions pertinentes, données dans la décision attaquée et, à titre subsidiaire, il a présenté une demande visant à adresser à la Cour de justice des Communautés européennes une question préjudicielle relative à l’interprétation des dispositions communautaires pertinentes.

31. Par son ordonnance du 14 juin 2000, la cour administrative d’appel d’Athènes a soumis à la Cour de justice la question préjudicielle suivante:

«La modification de la composition d’un groupement d’entrepreneurs qui participe à des procédures d’appel à la concurrence relatives à un marché public de travaux, modification intervenue après la soumission des offres et le choix du groupement d’entrepreneurs en qualité d’attributaire provisoire et tacitement admise par le pouvoir adjudicateur, doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle a pour effet de priver ledit groupement du droit de participer à la procédure d’appel à la concurrence et, par voie de conséquence, du droit et de l’intérêt qui seraient siens au regard de l’attribution du marché relatif à l’exécution des travaux?»

IV – Sur la question préjudicielle

32. Afin que la Cour puisse donner une réponse en rapport avec l’objet de la procédure au principal, il convient de reformuler les deux questions préjudicielles .

33. Ainsi, dans le cadre de l’article 234 CE, la Cour n’est compétente pour se prononcer ni sur l’interprétation de dispositions législatives ou réglementaires nationales ni sur la conformité de telles dispositions avec le droit communautaire. Elle peut cependant fournir à la juridiction nationale les éléments d’interprétation relevant du droit communautaire qui permettront à celle-ci de résoudre le problème juridique dont elle se trouve saisie .

34. Enfin, selon une jurisprudence constante, il reste réservé à la Cour, en présence de questions formulées de manière imprécise, d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale et du dossier du litige au principal les éléments de droit communautaire qui appellent une interprétation, compte tenu de l’objet du litige .

35. Eu égard aux indications que comporte l’ordonnance de renvoi, et étant donné que la juridiction de renvoi pose la question tant du point de vue de la directive comportant les dispositions de droit matériel concernées, soit la directive de coordination des marchés de travaux, que du point de vue de la directive relative aux procédures de recours, il se recommande de scinder la question posée, qui s’articulerait comme suit:

Convient-il d’interpréter les dispositions de la directive de coordination des marchés de travaux en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation interdisant la modification de la composition d’un groupement d’entrepreneurs après la remise d’une offre?

La directive relative aux procédures de recours s’applique-t-elle aux décisions relatives à la modification de la composition d’un groupement d’entrepreneurs, telle que celle dont il est question dans la procédure au principal?

A – Arguments des parties

36. Makedoniko soutient que l’élargissement du groupement d’entrepreneurs à AEG avant la remise correspondait à l’avis complémentaire de marché. S’agissant de la modification ultérieure du groupement d’entrepreneurs, à savoir le départ d’AEG et l’intégration d’Adtranz, Makedoniko relève que cette dernière société est issue de la fusion d’AEG qui, entre-temps, avait changé son nom en AEG Schienenfahrzeuge GmbH, avec AEG Nahverkehr und Wagen GmbH. En sa qualité d’ayant droit, cette nouvelle société aurait, selon Makedoniko, repris les droits et obligations d’AEG. Il n’y aurait pas eu de modification substantielle ultérieure dans la composition du groupement d’entrepreneurs.

37. La dernière modification de la composition du groupement d’entrepreneurs s’explique par la situation dans laquelle se sont trouvées les sociétés du groupe Fidel, mises dans l’obligation de quitter le groupement d’entrepreneurs par suite de modifications intervenues dans leur situation juridique. Les sociétés du groupe Fidel ont été liquidées en 1995. La dernière modification a conduit à l’entrée dans le groupement de la société Transurb Consult dont, par ailleurs, selon Makedoniko, la part détenue dans le groupement n’est que très modeste.

38. Makedoniko soutient qu’il s’agit, en l’espèce, d’un processus typique d’un marché public de travaux. Pour Makedoniko, même dans le cas d’une concession de travaux publics, la directive relative aux procédures de recours s’applique, car cette directive n’est qu’une émanation particulière du principe général de la protection effective des droits des justiciables.

39. Makedoniko propose de répondre de la manière suivante à la question préjudicielle: La modification de la composition d’un groupement d’entrepreneurs qui a participé à une procédure d’appel à la concurrence relative à un marché public de travaux ou à l’attribution d’une concession de travaux publics – modification tacitement admise par le pouvoir adjudicateur et intervenue après la soumission des offres et le choix du groupement d’entrepreneurs comme attributaire provisoire – ne saurait avoir pour effet de priver ledit groupement de la qualité de soumissionnaire, ni de lui enlever, à lui ou à ses membres, son intérêt ou son droit à obtenir le marché public, pas plus qu’elle ne saurait avoir pour effet de lui ôter, par voie de conséquence, son intérêt légitime ou sa légitimation active pour faire valoir la protection des droits qui lui sont conférés par le droit communautaire. Il en va d’autant plus ainsi, estime Makedoniko, que cette modification n’est pas mentionnée parmi les raisons invoquées à l’appui de la décision d’arrêt des négociations et d’exclusion du groupement de la suite de la procédure. Pour Makedoniko, toute interprétation en sens contraire des dispositions nationales en cause viole la lettre et l’esprit de la directive de coordination des marchés de travaux, de la directive relative aux procédures de recours ainsi que, tout particulièrement, du principe général de la protection effective des droits des justiciables. À l’audience, Makedoniko a encore soutenu que l’interdiction de modifier la composition après la soumission des offres était contraire à la libre prestation de services.

40. Le gouvernement hellénique relève que ni la directive de coordination des marchés de travaux ni la directive relative aux procédures de recours ne mentionnent la modification de la composition du groupement d’entrepreneurs. Le gouvernement hellénique estime qu’il n’est pas permis de modifier la composition d’un groupement d’entrepreneurs après qu’il a été désigné comme adjudicataire provisoire, au stade des négociations. Pour le gouvernement hellénique, cette conclusion s’impose de toute évidence car, au stade des négociations, le seul objet de celles-ci est la forme définitive que prendra le contrat et non la détermination précise de l’identité de l’adjudicataire, qui est un élément acquis non susceptible d’être renégocié. Dès lors, pense ce gouvernement, l’identité d’un adjudicataire provisoire ne peut pas être modifiée.

41. En l’absence de règles de droit communautaire, pour le gouvernement hellénique, la licéité d’une modification de la composition d’un groupement d’entrepreneurs relève du droit national lequel, précisément, ne permet pas le remplacement d’un membre d’un groupement d’entrepreneurs au cours des négociations qui précèdent l’attribution du marché.

42. Le gouvernement autrichien invite tout d’abord à reformuler la question préjudicielle.

43. Le gouvernement autrichien rappelle la jurisprudence de la Cour selon laquelle les directives en matière de marchés publics n’établissaient pas une réglementation communautaire uniforme et exhaustive et estime pouvoir déduire de cette jurisprudence la possibilité, pour le législateur national, d’édicter ses propres règles, dans le cadre de la marge d’appréciation conférée par la directive. C’est d’ailleurs ce qu’a fait la République hellénique. En outre, les pouvoirs publics adjudicateurs disposent eux aussi d’une marge d’appréciation dans la détermination des règles s’appliquant aux groupements d’entrepreneurs. Les limites de cette marge d’appréciation relèvent du droit primaire, pense le gouvernement autrichien.

44. Toujours selon le gouvernement autrichien, l’objectif des directives en matière de marchés publics est d’exclure tant le risque d’une préférence donnée aux soumissionnaires nationaux que la possibilité, pour les pouvoirs publics adjudicateurs, de se laisse guider par des considérations autres qu’économiques.

45. La république d’Autriche estime que la question préjudicielle (telle qu’elle a été reformulée) appelle la réponse suivante:

«Les dispositions de la directive de coordination des marchés de travaux ne s’opposent pas à une modification de la composition d’un groupement d’entrepreneurs après la soumission des offres. Eu égard à la directive de coordination des marchés de travaux, ledit groupement ne perd pas son droit de participer à la procédure d’appel à la concurrence et, par voie de conséquence, ne perd pas le droit ni l’intérêt qui seraient siens au regard de l’attribution du marché relatif à l’exécution des travaux.»

46. La Commission considère que la première partie de la question préjudicielle pourrait être comprise comme invitant la Cour à se prononcer sur le droit national, ce qui ne relèverait pas de sa compétence. En vue de fournir une réponse utile au juge national, la Commission propose dès lors de reformuler la question en trois questions séparées.

47. En premier lieu, selon la Commission, la directive de coordination des marchés de travaux ne contiendrait pas de règles qui traitent explicitement de la modification de composition d’un groupement d’entreprises. La seule disposition portant sur les groupements serait celle de l’article 21, qui leur permet de soumissionner, sans qu’une forme juridique déterminée puisse leur être imposée avant l’attribution du marché. Par conséquent, l’approche à suivre reste du domaine de la législation nationale ou d’une décision ad hoc du pouvoir adjudicateur. Ces observations seraient aussi pertinentes dans le cadre d’un marché de concession de travaux publics.

48. Ainsi, la Commission propose de répondre à la première question, reformulée, que la directive de coordination des marchés de travaux ne contient pas de règles qui empêcheraient la législation nationale ou le cahier des charges de prévoir qu’une modification de la composition d’un groupement d’entrepreneurs ne sera pas permise après une certaine phase de la procédure de mise en concurrence, et plus particulièrement après la soumission d’une offre.

49. Ensuite, la Commission considère qu’il y aurait violation du principe d’égalité de traitement entre les soumissionnaires si un pouvoir adjudicateur dérogeait unilatéralement en faveur d’un soumissionnaire aux données et conditions fixées dans le cahier des charges, conditions présentées comme non modifiables, sans rouvrir l’ensemble de la procédure, permettant ainsi aux autres soumissionnaires, y compris les soumissionnaires potentiels, de pouvoir bénéficier de cette dérogation. En réponse à la deuxième question reformulée, la Commission estime donc que le droit communautaire ne permet pas qu’un pouvoir adjudicateur puisse continuer à négocier avec un soumissionnaire qui a modifié sa composition en violation des règles du droit national et du cahier des charges.

50. Quant à la troisième question reformulée, la Commission rappelle que, selon l’article 1er, paragraphe 1, de la directive relative aux procédures de recours, seules les décisions qui violent le droit communautaire ou les règles nationales transposant ce droit doivent pouvoir faire l’objet d’un recours. Il en résulterait que cette disposition n’oblige pas les États membres à prévoir des procédures permettant un recours contre des décisions prises dans le cadre d’une procédure d’adjudication et violant des règles de droit national qui ne transposent pas les directives communautaires en matière de marchés publics.

51. Dans ces circonstances, il conviendrait de répondre à la question que la modification de la composition d’un consortium, contraire aux règles de droit national et au cahier des charges, n’affecte pas l’exercice des droits que ce consortium pourrait faire valoir sur la base de la directive relative aux procédures de recours, et plus particulièrement le droit de demander des dommages et intérêts, pour autant que les motifs d’exclusion de ce consortium soient contraires au droit communautaire des marchés publics ou aux règles de droit national transposant ce droit.

B – Appréciation

52. Pour répondre à la question préjudicielle, il est utile de relever, à titre liminaire, que, dans le cadre d’une procédure au titre de la directive relative aux procédures de recours, la protection juridique que confère cette directive ne vaut que pour autant que soient réunies les conditions de son applicabilité. Comme toutefois ces conditions sont liées au champ d’application de la directive de coordination des marchés de travaux, il nous faut examiner si la procédure d’adjudication visée en l’espèce relève de ce champ d’application.

53. Nous pouvons tout d’abord laisser en suspens la question de savoir si la procédure d’adjudication en cause en l’espèce a pour objet une concession de travaux publics ou un marché public de travaux.

1. Sur l’applicabilité de la directive de coordination des marchés de

travaux

54. Il convient, à titre liminaire, d’examiner l’argument soulevé par le gouvernement hellénique, selon lequel le pouvoir adjudicateur n’est pas tenu de mener à son terme une procédure d’attribution d’un marché public de travaux . Ce point de vue n’est pas déterminant aux fins de la réponse à apporter à la question posée en l’espèce, car l’arrêt mentionné ci-dessus concernait un cas de figure différent de celui en cause dans la procédure au principal. En effet, dans l’affaire Fracasso et Leitschutz, il a été mis fin à la procédure sans que le marché ait été attribué parce que le maître de l’ouvrage a décidé d’utiliser un autre matériau que celui qui avait été prévu dans l’avis de marché, ce qui impliquait une modification de l’objet du marché. À la différence de la situation ayant donné lieu à l’arrêt cité par le gouvernement hellénique, en l’espèce, l’attitude du maître de l’ouvrage ne s’est pas résumée à un recours à un autre type de procédure: il se trouvait face à plusieurs offres sur lesquelles il devait porter une appréciation.

55. À l’encontre de la conception défendue par le gouvernement hellénique, il convient d’admettre l’existence de cas dans lesquels, en vertu du droit communautaire, le maître de l’ouvrage a l’obligation d’attribuer le marché; se pose alors la question de savoir si une telle obligation existait dans la procédure au principal. Or, dans le cas présent, pour que cette obligation existe, il faudrait que le droit communautaire prévoie effectivement des règles régissant les circonstances de l’espèce, soit la modification de la composition d’un groupement d’entrepreneurs.

56. Il conviendra dès lors ci-après d’examiner la question de savoir si la directive de coordination des marchés de travaux s’applique à des réglementations relatives aux groupements d’entrepreneurs telles que celle en cause dans la procédure au principal et si la réglementation nationale en cause est contraire à ladite directive.

57. À ce sujet, la Cour a fondé sa jurisprudence sur le principe suivant: il ressort de l’intitulé et des considérants de la directive de coordination des marchés de travaux que celle-ci a simplement pour objet la coordination des procédures nationales de passation des marchés publics de travaux, si bien qu’elle ne prévoit pas un régime complet de règles communautaires en la matière .

58. Nous ne trouvons de règle formelle relative aux groupements d’entrepreneurs qu’à l’article 21 de la directive de coordination des marchés de travaux. Cette disposition ne règle toutefois que certains problèmes juridiques relatifs aux groupements d’entrepreneurs. Ainsi, elle leur confère le droit de présenter des offres. Elle interdit certes d’exiger de tels groupements une forme juridique déterminée, mais admet une telle obligation une fois le marché attribué à un groupement déterminé.

59. Il convient dès lors d’admettre le bien-fondé du point de vue du gouvernement autrichien et de la Commission, lorsqu’ils affirment que les directives en matière de marchés de travaux ne prévoient pas de dispositions expresses relatives à la modification de la composition d’un groupement d’entrepreneurs.

60. Au départ de ces deux éléments, soit l’absence d’harmonisation complète et l’existence simplement d’une disposition ponctuelle relative aux groupements d’entrepreneurs, il nous est permis, a contrario, de conclure que la directive de coordination des marchés de travaux ne vise pas d’autres aspects de la situation des groupements d’entrepreneurs. Nous pourrons en déduire derechef que les États membres et les pouvoirs adjudicateurs ont la faculté de définir de tels aspects, non visés par la directive, et donc de prévoir des règles relatives à la composition d’un groupement d’entrepreneurs, telles que celles portant sur les conséquences en droit de la modification de leur composition.

61. Il existe, en l’espèce, des règles nationales de ce type, qui concernent la modification de la composition d’un groupement d’entrepreneurs. Celles-ci s’appliquent à la modification – intervenant après la vérification des qualités du soumissionnaire – de la composition des groupements d’entrepreneurs. La Commission relève à bon droit, sur ce point, qu’il n’est pas possible de déduire des directives en matière de marchés publics de travaux une obligation, incombant au maître de l’ouvrage, de vérifier les qualités du groupement d’entrepreneurs dans sa nouvelle composition. Si le droit national prévoit une nouvelle vérification des qualités du groupement d’entrepreneurs après la modification de sa composition et que, néanmoins, cette vérification n’a pas lieu, il s’agit d’un problème qui doit être tranché conformément au droit national.

62. Nous pouvons dès lors en conclure que la directive de coordination des marchés de travaux ne comporte pas de disposition s’appliquant à une telle situation et que, partant, le droit national est «seul» applicable. Or, en la matière, les États membres et les pouvoirs adjudicateurs qui en dépendent ne disposent pas d’une totale liberté. Ils sont tenus de respecter les limites que leur impose le droit communautaire, auxquelles nous consacrerons les développements ci-après.

2. Principes généraux des directives en matière de marchés publics

63. Il est possible de déduire des directives en matière de marchés publics un certain nombre de principes. Le gouvernement hellénique mentionne à juste titre les principes de transparence et de concurrence. À ce sujet, la Cour a considéré que «la directive vise également, ainsi qu’il résulte de son préambule et de ses deuxième et dixième considérants, à éliminer les restrictions à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services en matière de marchés publics de travaux en vue d’ouvrir ces marchés à une concurrence effective entre les entrepreneurs des États membres» .

64. En outre, selon la jurisprudence de la Cour, le pouvoir adjudicateur est dès lors tenu de respecter le principe d’égalité de traitement des soumissionnaires, ainsi qu’il résulte, selon la Cour, d’un certain nombre de dispositions de la directive que la Cour mentionne et qui prévoient formellement l’égalité de traitement .

65. Par ailleurs, toujours pour l’État, le principe de non-discrimination implique une obligation de transparence afin de permettre au pouvoir adjudicateur de s’assurer de son respect . En admettant même qu’une obligation d’égalité de traitement ne découle pas des directives en matière de marchés publics, demeure toujours le principe d’égalité inhérent aux principes généraux.

66. L’obligation d’égalité de traitement comme le principe d’égalité ne peuvent cependant être enfreints que si, unilatéralement, le pouvoir adjudicateur s’écarte des règles qu’il s’est lui-même imposées en matière de modification de la composition des groupements d’entrepreneurs. Il en est ainsi, en particulier, lorsqu’il mène des négociations avec un soumissionnaire dont l’offre ne correspond pas aux conditions de l’avis de marché. Dans ce cas, le non-respect d’une interdiction de droit national peut impliquer l’existence d’une infraction au droit communautaire.

67. En revanche, l’interdiction de discrimination de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive, invoquée par Makedoniko, est dénuée de pertinence en l’espèce. En effet, si cette disposition comporte des prescriptions en vue de la mise en oeuvre de la protection juridique, elle n’étend toutefois pas aux infractions au droit national le champ d’application de la directive relative aux procédures de recours.

3. Droit primaire

68. Il convient en outre de rappeler que les réglementations des États membres en matière de marchés publics ainsi que les prescriptions spécifiques des pouvoirs adjudicateurs relevant de l’État sont soumises au droit communautaire primaire et en particulier aux libertés fondamentales et aux règles de concurrence adressées à l’État, y compris le droit des aides d’État .

69. D’une manière générale, il convient de relever que les libertés fondamentales n’interdisent pas seulement les discriminations, manifestes ou déguisées: elles interdisent aussi les dispositions applicables sans distinction qui restreignent de manière disproportionnée l’une des libertés fondamentales. De ce point de vue, les éléments dont dispose la Cour ne contiennent aucune indication permettant de conclure que le droit grec serait incompatible avec la libre prestation des services. L’interprétation du principe de libre prestation des services ne fait d’ailleurs pas l’objet de la question préjudicielle et donc pas de la présente procédure.

4. Les principes d’équivalence et d’effectivité

70. Étant donné, comme nous l’avons précédemment exposé, l’absence de dispositions spécifiques de droit communautaire qui régiraient la modification de la composition de groupements d’entrepreneurs, ce sont donc les États membres qui ont en principe compétence en ce domaine. Dans l’exercice de cette compétence, les États membres sont soumis, de manière générale, aux principes, développés dans la jurisprudence, d’équivalence et d’effectivité .

71. Le principe d’équivalence veut que les conditions fixées par les législations nationales, y compris donc le droit matériel des marchés, ne soient pas moins favorables que les prescriptions semblables de nature interne.

72. Le principe d’effectivité oblige les États membres, et aussi donc les pouvoirs adjudicateurs qui en relèvent, à faire en sorte que l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique communautaire ne soit pas rendu en pratique impossible ou excessivement difficile.

5. Protection juridique dans le cadre de la procédure de recours

73. Comme nous l’avons précédemment exposé, la directive relative aux procédures de recours et, partant, les procédures de correction qu’elle prévoit ne visent que les marchés qui relèvent d’une des directives en matière de marchés publics, comme la directive de coordination des marchés de travaux.

74. Plaide en faveur de l’applicabilité de la directive relative aux procédures de recours le fait que, ainsi que l’avance la Commission, les procédures prévues par la directive relative aux procédures de recours portent notamment sur les décisions du pouvoir adjudicateur, dont les négociations avec les soumissionnaires ont été rompues. Cette constatation se déduit aussi de la suite du libellé des articles 1er et 2 de la directive relative aux procédures de recours, qui mentionne les «décisions» sans aucune restriction. Cette interprétation large non seulement résulte des travaux préparatoires de la directive, mais encore correspond à l’objectif de la directive relative aux procédures de recours, qui vise à améliorer la protection juridique et à l’aménager de manière efficace.

À l’appui de l’applicabilité de la directive relative aux procédures de recours, il serait encore possible d’avancer que son article 1er comporte des mesures que les États membres prennent «en ce qui concerne les procédures de passation des marchés publics relevant du champ d’application des directives». Or, il n’est pas contesté que la procédure de marché dont question en l’espèce relève de l’une des directives en matière de marchés publics.

75. Il serait possible de soulever, à l’encontre de l’applicabilité de la directive relative aux procédures de recours à des décisions relatives à la composition d’un groupement d’entrepreneurs, le grief suivant: la décision du pouvoir adjudicateur concerne le droit national, soit en l’occurrence les dispositions relatives à la modification de la composition d’un groupement d’entrepreneurs. Le fondement matériel de cette décision relève dès lors du droit national.

76. Une telle interprétation se base sur l’article 1er de la directive relative aux procédures de recours. En effet, selon cet article, la directive relative aux procédures de recours s’applique aux violations «du droit communautaire en matière de marchés publics ou [d]es règles nationales transposant ce droit».

77. Comme il n’existe pas pareilles dispositions de droit communautaire à propos de la modification de la composition d’un groupement d’entrepreneurs, il ne saurait pas non plus y avoir de violation de telles règles communautaires ou des règles qui les transposent. Semblables dispositions relevant purement du droit national, il convient d’en conclure que, en l’espèce, l’une des conditions d’application de la directive relative aux procédures de recours n’est pas remplie.

78. En effet, les instruments de protection juridique prévus par la directive relative aux procédures de recours, et notamment la procédure engagée a posteriori, ne s’appliquent qu’aux décisions de pouvoirs publics adjudicateurs qui violent les dispositions mentionnées à l’article 1er de la directive relative aux procédures de recours. Il en est ainsi, par exemple, lorsqu’un pouvoir adjudicateur négocie avec un soumissionnaire dont l’offre ne correspond pas aux conditions de l’avis de marché, et enfreint de la sorte le principe d’égalité de traitement.

79. Si une décision d’un pouvoir adjudicateur viole tant le droit national que le droit communautaire ou des dispositions qui le transposent, cette décision ne relève de la directive relative aux procédures de recours que pour autant qu’il soit question de la vérification de la décision en fonction des critères du droit communautaire ou des dispositions qui le transposent. Ce n’est que sous cet aspect que s’appliquent les dispositions de la directive relative aux procédures de recours, telles que le droit d’engager une procédure a posteriori. L’objet de la question préjudicielle est étranger à la question de savoir si, dans la procédure de marché litigieuse, des décisions autres que l’exclusion du groupement d’entrepreneurs pour cause de modification de sa composition étaient concernées, telles que la poursuite de la procédure de marché avec un autre soumissionnaire. La question préjudicielle se limite à la question de l’applicabilité de la directive relative aux procédures de recours à des règles relatives à la modification de la composition de groupements d’entrepreneurs.

80. Cette conclusion n’exclut pas toutefois que, dans leurs dispositions de transposition du droit communautaire, les États membres prévoient que les prescriptions de la directive relative aux procédures de recours s’appliquent aussi aux infractions au droit national, comme aux dispositions relatives à la modification de la composition de groupements d’entrepreneurs.

6. Remarques finales

81. L’élément qui fait l’objet de la présente procédure, à savoir la modification de la composition d’un groupement d’entrepreneurs, ne relève pas de la directive de coordination des marchés de travaux: il n’est donc pas nécessaire d’examiner la question de savoir si la procédure de marché litigieuse constitue un marché public de travaux ou une concession de travaux.

82. Il convient de répondre à la question préjudicielle que les dispositions de la directive de coordination des marchés de travaux ne s’opposent pas à une disposition interdisant une modification de la composition d’un groupement d’entrepreneurs, opérée après la remise d’une offre. La directive relative aux procédures de recours ne s’applique pas aux décisions relatives à la composition d’un groupement d’entrepreneurs, telles que celle dont il est question dans la procédure au principal.

V – Conclusion

83. Eu égard à l’ensemble des éléments qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre aux questions préjudicielles de la manière suivante:

«Il convient d’interpréter les dispositions de la directive 71/305/CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, dans sa version modifiée par la directive 89/440/CEE, et celles de la directive 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, en ce sens qu’elles ne s’opposent pas à une disposition interdisant une modification de la composition d’un groupement d’entrepreneurs, opérée après la remise d’une offre.

La directive 93/37 ne s’applique pas aux décisions de modification d’un groupement d’entrepreneurs, telles que celle dont il est question dans la procédure au principal.»

Extraits similaires
highlight
Extraits similaires
Extraits les plus copiés
Extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
CJCE, n° C-57/01, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Makedoniko Metro et Michaniki AE contre Elliniko Dimosio, 11 juillet 2002