CJUE, n° C-475/20, Arrêt de la Cour, Admiral Gaming Network Srl e.a. contre Agenzia delle Dogane e dei Monopoli e.a, 22 septembre 2022

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 22 sept. 2022, C-475/20
Numéro(s) : C-475/20
Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 22 septembre 2022.#Admiral Gaming Network Srl e.a. contre Agenzia delle Dogane e dei Monopoli e.a.#Demandes de décision préjudicielle, introduites par le Consiglio di Stato.#Renvoi préjudiciel – Liberté d’établissement – Restrictions – Jeux de hasard – Concessions de gestion des jeux pratiqués sur des appareils de jeu – Législation nationale imposant un prélèvement aux concessionnaires – Principe de protection de la confiance légitime.#Affaires jointes C-475/20 à C-482/20.
Date de dépôt : 28 septembre 2020
Solution : Renvoi préjudiciel
Identifiant CELEX : 62020CJ0475
Identifiant européen : ECLI:EU:C:2022:714
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Sur les parties

Texte intégral

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

22 septembre 2022 (*)

« Renvoi préjudiciel – Liberté d’établissement – Restrictions – Jeux de hasard – Concessions de gestion des jeux pratiqués sur des appareils de jeu – Législation nationale imposant un prélèvement aux concessionnaires – Principe de protection de la confiance légitime »

Dans les affaires jointes C-475/20 à C-482/20,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), par décisions du 31 août 2020, parvenues à la Cour le 28 septembre 2020, dans les procédures

Admiral Gaming Network Srl (C-475/20),

Cirsa Italia SpA (C-476/20),

Codere Network SpA (C-477/20),

Gamenet SpA (C-478/20),

NTS Network SpA (C-479/20),

Sisal Entertainment SpA (C-480/20),

Snaitech SpA, anciennement Cogetech SpA (C-481/20),

Snaitech SpA, anciennement Snai SpA (C-482/20),

contre

Agenzia delle Dogane e dei Monopoli,

Ministero dell’Economia e delle Finanze (C-475/20, C-477/20),

Presidenza del Consiglio dei Ministri (C-475/20, C-477/20, C-481/20),

IGT Lottery SpA, anciennement Lottomatica Holding Srl (C-475/20),

Se. Ma. di Francesco Senese (C-481/20),

en présence de :

Lottomatica Videolot Rete SpA (C-475/20),

Coordinamento delle associazioni per la tutela dell’ambiente e dei diritti degli utenti e consumatori (Codacons) (C-476/20, C-478/20, C-480/20, C-482/20) e.a.,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, MM. J. Passer (rapporteur), F. Biltgen, N. Wahl et Mme M. L. Arastey Sahún, juges,

avocat général : M. A. Rantos,

greffier : M. C. Di Bella, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 27 janvier 2022,

considérant les observations présentées :

– pour Admiral Gaming Network Srl et Codere Network SpA, par Mes F. Cardarelli et F. Lattanzi, avvocati,

– pour Cirsa Italia SpA et Gamenet SpA, par Mes C. Barreca et F. Tedeschini, avvocati,

– pour NTS Network SpA, par Mes C. Barreca, F. Tedeschini et A. Tortora, avvocati,

– pour Sisal Entertainment SpA et Snaitech SpA, par Mes A. Lauteri et L. Medugno, avvocati,

– pour IGT Lottery SpA et Lottomatica Videolot Rete SpA, par Mes S. Fidanzia et A. Gigliola, avvocati,

– pour Coordinamento delle associazioni per la tutela dell’ambiente e dei diritti degli utenti e consumatori (Codacons), par Me M. Servino, avvocata,

– pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de MM. P. G. Marrone et G. Palatiello, avvocati dello Stato,

– pour la Commission européenne, par Mme L. Armati et M. L. Malferrari, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 7 avril 2022,

rend le présent

Arrêt

1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation des articles 49 et 56 TFUE ainsi que du principe de protection de la confiance légitime.

2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant Admiral Gaming Network Srl (affaire C-475/20), Cirsa Italia SpA (affaire C-476/20), Codere Network SpA (affaire C-477/20), Gamenet SpA (affaire C-478/20), NTS Network SpA (affaire C-479/20), Sisal Entertainment SpA (affaire C-480/20) et Snaitech SpA, anciennement Cogetech SpA et Snai SpA (affaires C-481/20 et C-482/20), des sociétés opérant dans le secteur des jeux de hasard, à l’Agenzia delle Dogane e dei Monopoli (Agence des douanes et des monopoles, Italie) (ci-après l’« ADM ») ainsi qu’à d’autres autorités italiennes, au sujet de la réduction des commissions auxquelles ont droit les opérateurs exerçant l’activité organisée de collecte de paris par le biais d’appareils de jeu.

Le cadre juridique

3 Les articles 1er à 3 du decreto legislativo n. 496 – Disciplina delle attività di giuoco (décret législatif no 496, concernant le régime des activités de jeu), du 14 avril 1948 (GURI no 118, du 22 mai 1948), disposent :

« 1. L’organisation et l’exploitation de jeux d’adresse et de concours de pronostics pour lesquels est versée une récompense de quelque nature que ce soit et qui supposent le paiement d’une mise à valeur monétaire pour y participer sont réservées à l’État.

2. L’organisation et l’exercice des activités visées à l’article précédent sont confiés au ministère des Finances qui peut en assurer la gestion que ce soit directement ou par l’intermédiaire de personnes physiques ou morales, qui donnent des garanties adéquates quant à leur aptitude à cet égard. Dans ce second cas, le montant de la rémunération due aux gestionnaires et les autres modalités de la gestion sont établies dans des conventions spéciales […]

3. Les revenus provenant de l’exercice des activités visées aux articles précédents doivent être versés sur un poste de recettes dédié du ministère des Finances. »

4 La République italienne a confié la gestion du secteur des jeux à l’ADM en vertu de l’article 8 du decreto-legge n. 282 – Disposizioni urgenti in materia di adempimenti comunitari e fiscali, di riscossione e di procedure di contabilità (décret-loi no 282, portant dispositions urgentes en matière d’obligations communautaires et fiscales, de recouvrement et de procédure comptable), du 24 décembre 2002 (GURI no 301, du 24 décembre 2002).

5 L’article 110, paragraphe 6, du regio decreto n. 773 – Approvazione del testo unico delle leggi di pubblica sicurezza (décret royal no 773, approuvant le texte unique des lois sur la sécurité publique), du 18 juin 1931 (GURI no 146, du 26 juin 1931), dans sa version applicable aux litiges au principal (ci-après le « décret royal no 773 du 18 juin 1931 »), dispose :

« Sont considérés comme appareils de jeu licite :

a) ceux qui, dotés d’une attestation de conformité aux dispositions en vigueur délivrée par le ministère de l’Économie et des Finances […] et obligatoirement raccordés au réseau télématique visé à l’article 14 bis, paragraphe 4, du décret no 640 du président de la République, du 26 octobre 1972 […], sont activés avec l’introduction de monnaie métallique ou avec des instruments de paiement électronique spéciaux […], dans lesquels, outre l’élément aléatoire, il existe également des éléments de compétence […], le coût du jeu ne dépassant pas 1 euro, la durée minimale du jeu étant de quatre secondes et qui distribuent des gains en espèces, chacun d’une valeur ne dépassant pas 100 euros, payés par la machine. Les gains, calculés par l’appareil de manière non prédéfinie sur un cycle total de 140 000 jeux maximum, ne doivent pas être inférieurs à 75 % des montants joués. En tout état de cause, ces appareils ne peuvent pas reproduire le jeu de poker ou ses règles fondamentales ;

b) ceux faisant partie du réseau télématique visé à l’article 14 bis, paragraphe 4, du décret no 640 du président de la République, du 26 octobre 1972 […], qui sont activés exclusivement lorsqu’il y a connexion à un système de traitement du réseau. Pour ces appareils, des règlements du ministre de l’Économie et des Finances […], définissent […] :

1) le coût et les modalités de paiement de chaque lot ;

2) le pourcentage minimal des recettes à affecter aux gains ;

3) le montant maximal et les modalités de perception des gains ;

4) les spécifications d’immuabilité et de sécurité, se rapportant également au système de traitement auquel ces appareils sont liés ;

5) les solutions de responsabilisation du joueur à adopter sur les appareils ;

6) les types et caractéristiques des établissements publics et autres points autorisés à collecter des jeux dans lesquels peuvent être installés les appareils visés au présent point. »

6 L’article 14 bis, paragraphe 4, du decreto del Presidente della Repubblica, n. 640 – Imposta sugli spettacoli (décret du président de la République no 640, relatif à la taxe sur les spectacles), du 26 octobre 1972 (GURI no 292, du 11 novembre 1972, supplément ordinaire à la GURI no 2), dispose, s’agissant de la gestion de ces appareils, qu’ils doivent être obligatoirement reliés à un réseau télématique de l’administration créé à cette fin, et qu'« [u]n ou plusieurs concessionnaires [de ce réseau] doivent être sélectionnés, le 30 juin 2004 au plus tard, par la voie d’une procédure de marchés publics et dans le respect des dispositions nationales et communautaires », chaque concessionnaire gérant le réseau et les appareils dont il est responsable reliés à ce réseau, en contrepartie d’une commission.

7 Conformément à cette disposition, une procédure en vue de la sélection de concessionnaires a été lancée au moyen d’un appel d’offres (GURI no 95, série spéciale no 5, du 12 août 2011, p. 40), dont le point II 1.5 dispose, s’agissant de la commission du concessionnaire :

« […] La concession des activités données en concession entraîne l’obligation pour le concessionnaire de mettre à disposition du Trésor public et de l’Administration autonome des monopoles d’État les sommes prévues au titre du Prélèvement unique au profit du Trésor, de la redevance de concession et du dépôt de la caution en pourcentage des mises récoltées. Le concessionnaire a droit à une commission correspondant à la différence entre le montant tiré de la collecte des mises et les sommes précitées ainsi que les gains à distribuer, calculés sur la base des limites minimales prévues par la réglementation en vigueur, et la quote-part due aux tiers chargés de la collecte des mises. »

8 L’article 14 de la legge n. 23 – Delega al Governo recante disposizioni per un sistema fiscale più equo, trasparente e orientato alla crescita (loi no 23, concernant la délégation au gouvernement portant mesures pour un système fiscal plus équitable, transparent et axé sur la croissance), du 11 mars 2014 (GURI no 59, du 12 mars 2014), dans sa version applicable aux litiges au principal (ci-après la « loi no 23 du 11 mars 2014 »), dispose :

« 1. Le gouvernement est habilité à mettre en œuvre, au moyen des décrets législatifs prévus à l’article 1er, la réorganisation des dispositions en vigueur en matière de jeu, en réorganisant toutes les règles en vigueur sous la forme d’un code des dispositions relatives au jeu, sans préjudice du modèle organisationnel fondé sur le régime de la concession et de l’autorisation, dans la mesure où il est indispensable pour la protection de la confiance légitime, de l’ordre et de la sécurité publique, pour la conciliation entre les intérêts du Trésor public et les intérêts locaux ainsi que les intérêts généraux en matière de santé publique, pour la prévention du recyclage des revenus des activités criminelles ainsi que pour garantir le versement régulier des prélèvements fiscaux frappant les jeux.

2. La réorganisation prévue au paragraphe 1 est effectuée dans le respect des principes et lignes directrices suivants :

[…]

g) révision des rémunérations et commissions dues aux concessionnaires et aux autres opérateurs selon le critère de progressivité liée au volume de collecte des mises ;

[…] »

9 L’article 1er, paragraphe 649, de la legge n. 190 – Disposizioni per la formazione del bilancio annuale e pluriennale dello Stato (legge di stabilità 2015) » [loi no 190, portant dispositions pour la formation du budget annuel et pluriannuel de l’État (loi de stabilité pour 2015)], du 23 décembre 2014 (GURI no 300, du 29 décembre 2014, supplément ordinaire à la GURI no 99) (ci-après la « loi de stabilité pour 2015 »), a imposé un prélèvement annuel de 500 millions d’euros sur les ressources étatiques mises, à titre de commission, à la disposition des concessionnaires et autres opérateurs assurant la gestion des jeux et la collecte des mises pour le compte de l’État. Cette disposition est libellée comme suit :

« Aux fins de participation à l’amélioration des objectifs de finance publique et dans l’attente d’une réorganisation en profondeur des rémunérations et commissions dues aux concessionnaires et autres opérateurs de la filière dans le cadre du réseau de collecte des mises pour le compte de l’État, en application de l’article 14, paragraphe 2, sous g), de la loi no 23 du 11 mars 2014, les ressources étatiques mises, à titre de commission, à la disposition des concessionnaires et des personnes qui, en fonction de leurs compétences respectives, opèrent dans la gestion des jeux et la collecte des mises à l’aide des appareils visés à l’article 110, paragraphe 6, du décret royal no 773 du 18 juin 1931, sont réduites d’un montant de 500 millions d’euros par an, à compter de l’année 2015. Par conséquent, à partir du 1er janvier 2015 :

a) le montant total des mises récoltées au moyen des appareils précités net des gains versés est versé aux concessionnaires par les opérateurs de la filière. Les concessionnaires communiquent à l’[ADM] le nom des opérateurs de la filière qui ne procèdent pas à ce versement, aux fins notamment d’une éventuelle plainte auprès de l’autorité judiciaire compétente ;

b) les concessionnaires, dans le cadre de l’exercice des fonctions publiques qui leur sont confiées, en plus de ce qui est versé à l’État ordinairement, à titre d’impôts et autres charges dus en vertu de la législation en vigueur et sur la base des conventions de concession, verseront également, annuellement, la somme de 500 millions d’euros, entre le mois d’avril et le mois d’octobre de chaque année, chacun en proportion du nombre d’appareils qui lui était attribué à la date du 31 décembre 2014. Le nombre d’appareils visés à l’article 110, paragraphe 6, sous a) et b), du décret royal no 773 du 18 juin 1931 attribué à chaque concessionnaire ainsi que les modalités par lesquelles le versement est effectué sont fixés par une décision du directeur de l’[ADM], adoptée pour le 15 janvier 2015 au plus tard, après examen des données. Il sera procédé par une décision analogue à la modification du nombre d’appareils fixés conformément à ce qui précède, à compter de 2016 ;

c) les concessionnaires, dans le cadre de l’exercice des fonctions publiques qui leur sont confiées, répartissent entre les autres opérateurs de la filière les sommes restantes, disponibles pour leurs rémunérations et commissions, en renégociant les contrats correspondants et en versant les rémunérations et commissions exclusivement au regard de la conclusion des contrats renégociés. »

10 Par le decreto n. 388, prot. n. 4076/RU, del Direttore dell’Agenzia delle dogane e dei monopoli (décret no 388, prot. N. 4076/RU, du directeur de l’ADM), du 15 janvier 2015, le nombre d’appareils liés à chaque concessionnaire au 31 décembre 2014 a été relevé et les sommes dues en conséquence ont été liquidées, moyennant une répartition de la charge du prélèvement au prorata du nombre d’appareils liés à chaque concessionnaire. Conformément à l’article 3 de ce décret, chaque concessionnaire devait verser 40 % de sa part avant le 30 avril 2015, et 60 % avant le 31 octobre 2015.

11 L’article 1er, paragraphes 920 et 921, de la legge n. 208 – Disposizioni per la formazione del bilancio annuale et pluriennale dello Stato (legge di stabilità 2016) [loi no 208, relative au budget annuel et pluriannuel de l’État (loi de stabilité pour 2016)], du 28 décembre 2015 (GURI no 302, du 30 décembre 2015, supplément ordinaire à la GURI no 70) (ci-après la « loi de stabilité pour 2016 »), a, en abrogeant l’article 1er, paragraphe 649, de la loi de stabilité pour 2015, limité la portée de cette disposition, et donc le prélèvement, à l’année 2015 (ci-après le « prélèvement de 2015 »). Cette disposition est libellée comme suit :

« 920. Le paragraphe 649 de l’article 1er de la [loi de stabilité pour 2015], est abrogé.

921. Le paragraphe 649 de l’article 1er de la [loi de stabilité pour 2015] s’interprète en ce sens que la réduction annuelle des ressources étatiques mises, à titre de commission, à la disposition des concessionnaires et des personnes qui, en fonction de leurs compétences respectives, opèrent dans la gestion des jeux et la collecte des mises à l’aide des appareils visés à l’article 110, paragraphe 6, du décret royal no 773 du 18 juin 1931, s’applique à chacun des opérateurs de la filière en proportion de sa participation à la distribution de la commission, sur la base des accords contractuels correspondants, en tenant compte de leur durée en 2015. »

Les litiges au principal et les questions préjudicielles

12 Les requérantes au principal sont des sociétés actives dans le secteur du jeu au moyen des appareils de jeu licite visés à l’article 110, paragraphe 6, du décret royal no 773 du 18 juin 1931. Ces sociétés ont été sélectionnées comme concessionnaires du réseau de collecte des mises pour le compte de l’État au terme de la procédure de sélection visée au point 7 du présent arrêt. Elles ont chacune formé un recours devant le Tribunale amministrativo regionale del Lazio (tribunal administratif régional du Latium, Italie) tendant à l’annulation du décret no 388 du 15 janvier 2015, aux motifs qu’il réduirait de façon importante leur marge bénéficiaire et serait illégal dès lors que les dispositions qu’il mettrait en œuvre violeraient le droit de l’Union ou la Constitution italienne.

13 Le Tribunale amministrativo regionale del Lazio (tribunal administratif régional du Latium) a saisi la Corte costituzionale (Cour constitutionnelle, Italie) d’une question de constitutionnalité de l’article 1er, paragraphe 649, de la loi de stabilité pour 2015, instaurant le prélèvement annuel. Cette juridiction, par l’arrêt no 125 du 8 mai 2018, a renvoyé cette question au Tribunale amministrativo regionale del Lazio (tribunal administratif régional du Latium) en raison de la modification législative introduite, en cours d’instance, par l’article 1er, paragraphes 920 et 921, de la loi de stabilité pour 2016.

14 Au vu de cette modification législative, le Tribunale amministrativo regionale del Lazio (tribunal administratif régional du Latium) a levé ses doutes sur la constitutionnalité et la conformité au droit de l’Union du dispositif en cause, et cette juridiction a rejeté au fond les recours des requérantes au principal.

15 Celles-ci ont interjeté appel devant le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie).

16 La juridiction de renvoi doute de la compatibilité des dispositions législatives nationales concernées avec le droit de l’Union.

17 Premièrement, la mesure imposée par l’article 1er, paragraphe 649, de la loi de stabilité pour 2015, tel qu’abrogé et interprété par l’article 1er, paragraphes 920 et 921, de la loi de stabilité pour 2016, aurait eu pour effet que les requérantes au principal ont subi un prélèvement économique. Il s’agirait d’une restriction aux libertés garanties par les articles 49 et 56 TFUE. Le prélèvement de 2015 aurait eu un effet rétroactif, en ce sens qu’il était imposé en 2015 et frappait les revenus réalisés en 2014.

18 La juridiction de renvoi doute que le prélèvement de 2015 puisse être considéré comme ayant été inspiré par des raisons impérieuses d’intérêt général. En effet, son adoption semblerait avoir été exclusivement motivée par la nécessité économique d’accroître les recettes fiscales de l’État, ainsi qu’il ressort de l’article 1er, paragraphe 649, de la loi de stabilité pour 2015, lequel souligne que ce prélèvement avait pour objectif la « participation à l’amélioration des objectifs de finance publique ».

19 Deuxièmement, le prélèvement de 2015 semblerait avoir été adopté en méconnaissance du principe de protection de la confiance légitime. Cette mesure aurait eu une incidence sur les relations de concession en cours. Elle en aurait considérablement alourdi les conditions économiques et aurait été imprévisible pour un entrepreneur prudent et attentif.

20 C’est dans ce contexte que le Consiglio di Stato (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’introduction d’une disposition telle que celle contenue à l’article 1er, paragraphe 649, de la loi de stabilité pour 2015, qui réduit les rémunérations et commissions uniquement à l’égard d’une catégorie limitée et spécifique d’opérateurs, à savoir uniquement les opérateurs des jeux pratiqués avec des appareils de jeu, et non pas à l’égard de tous les opérateurs du secteur du jeu, est-elle compatible avec l’exercice de la liberté d’établissement garantie par l’article 49 TFUE et avec l’exercice de la libre prestation des services garantie par l’article 56 TFUE ?

2) L’introduction d’une disposition telle que celle précitée, contenue à l’article 1er, paragraphe 649, de la loi de stabilité pour 2015, qui, pour des raisons exclusivement économiques, réduit, au cours de la durée d’une convention de concession conclue entre une société et une administration de l’État italien, la commission stipulée dans ladite convention, est-elle compatible avec le principe de droit de l’Union de la protection de la confiance légitime ? »

La procédure devant la Cour

21 Par une demande d’éclaircissements du 16 novembre 2020, la Cour a invité la juridiction de renvoi à préciser sa position quant à certains éléments susceptibles de déterminer la recevabilité de ses demandes de décision préjudicielle.

22 Par acte du 17 décembre 2020, la juridiction de renvoi a répondu à cette invitation en indiquant, en substance, tout d’abord, que les requérantes au principal se seraient vu attribuer les concessions en cause dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres ouverte à toutes les entreprises de l’Union. Ensuite, si toutes les requérantes au principal sont, certes, des sociétés italiennes, quatre d’entre elles sont entièrement contrôlées par des sociétés d’autres États membres. Au moins une entreprise d’un autre État membre est gestionnaire chargée de la collecte des mises de jeu au moyen d’un établissement stable situé en Italie. Enfin, la violation du principe de protection de la confiance légitime engendrée par le prélèvement de 2015 aurait généré une discrimination à rebours des concessionnaires que ce prélèvement frappe, au profit de tous les opérateurs de jeux comparables pratiqués en ligne, parmi lesquels de nombreuses entreprises d’autres États membres de l’Union européenne. Ce prélèvement affecterait donc indirectement, voire directement, le résultat financier de sociétés d’autres États membres actives sur le marché italien des jeux.

23 Par décision du 26 janvier 2021, le président de la Cour a joint les présentes affaires aux fins des phases écrite et orale de la procédure ainsi qu’aux fins de l’arrêt.

Sur les questions préjudicielles

Sur la recevabilité

24 Dans ses observations écrites, la Commission européenne a exprimé des doutes quant à l’utilité des questions posées pour la solution des litiges au principal à la suite de l’abrogation de la loi de stabilité pour 2015.

25 À cet égard, il convient de rappeler que, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales, instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que la question posée porte sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer. Le refus de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation du droit de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait ou de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées [arrêt du 23 novembre 2021, IS (Illégalité de l’ordonnance de renvoi), C-564/19, EU:C:2021:949, points 60 et 61 ainsi que jurisprudence citée].

26 Or, en l’occurrence, il y a lieu de relever que l’article 1er, paragraphe 649, de la loi de stabilité pour 2015 visé dans les questions préjudicielles, bien qu’abrogé en 2016 et applicable – de ce fait – uniquement en 2015, constitue, serait-ce dans sa version telle qu’interprétée rétroactivement par l’article 1er, paragraphes 920 et 921 de la loi de stabilité pour 2016, le fondement du prélèvement de 2015. De plus, la détermination éventuelle que cette disposition aurait porté atteinte aux libertés garanties par les articles 49 et 56 TFUE serait de nature à entraîner la constatation par le juge de renvoi de l’illégalité de ce prélèvement. Partant, il n’apparaît pas que l’interprétation du droit de l’Union sollicitée est sans rapport avec la réalité ou l’objet des litiges au principal ou que le problème est de nature hypothétique.

27 Pour sa part, le gouvernement italien a remis en cause la recevabilité de la première question posée, en soutenant que la juridiction de renvoi, en violation de l’article 94 du règlement de procédure de la Cour, n’a pas exposé les raisons pour lesquelles la réduction de commissions et rémunérations pourrait enfreindre les articles 49 et 56 TFUE du fait que celle-ci était opérée uniquement à l’égard des opérateurs de jeux pratiqués sur des appareils de jeu et non vis-à-vis des autres opérateurs du secteur des jeux en Italie, ni fourni, à cet égard, une évaluation comparative de ces différentes catégories d’opérateurs qui permette d’apprécier la différence de traitement ainsi invoquée.

28 À cet égard, il convient de rappeler que, ainsi qu’il résulte de l’article 94, sous a) et c), du règlement de procédure, la demande de décision préjudicielle doit notamment contenir « un exposé sommaire de l’objet du litige ainsi que des faits pertinents, tels qu’ils ont été constatés par la juridiction de renvoi ou, à tout le moins, un exposé des données factuelles sur lesquelles les questions sont fondées », de même que « l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal ».

29 Toutefois, en vertu de l’esprit de coopération qui préside aux rapports entre les juridictions nationales et la Cour dans le cadre de la procédure préjudicielle, l’absence de certaines constatations préalables par la juridiction de renvoi ne conduit pas nécessairement à l’irrecevabilité de la demande de décision préjudicielle ou de l’une des questions contenues dans cette demande si la Cour, eu égard aux éléments qui ressortent du dossier, estime qu’elle est en mesure de donner une réponse utile à la juridiction de renvoi (voir, en ce sens, arrêt du 1er octobre 2020, Elme Messer Metalurgs, C-743/18, EU:C:2020:767, point 42 et jurisprudence citée).

30 En l’occurrence, s’il eût certes été souhaitable que la juridiction de renvoi exposât de manière plus détaillée les raisons l’ayant amenée à considérer que les dispositions du droit de l’Union sur lesquelles portent sa première question auraient pu être enfreintes en l’occurrence, il se déduit des informations contenues dans les demandes de décision préjudicielle que seuls les titulaires de concessions de gestion des jeux pratiqués sur des appareils de jeu et leurs contractants en aval, et non les autres acteurs du secteur des jeux, tels que les opérateurs de jeux en ligne, sont visés par le prélèvement de 2015. Partant, ni l’absence d’identification et de description précises par la juridiction de renvoi des différentes autres catégories d’opérateurs du secteur des jeux, ni celle d’explications plus circonstanciées de la part de cette même juridiction quant au point de savoir dans quelle mesure une telle restriction affectant le champ d’application dudit prélèvement est susceptible de jouer un rôle aux fins de déterminer si une méconnaissance des dispositions des articles 49 et 56 TFUE doit en l’occurrence être constatée ne font obstacle ni à une compréhension suffisante du contexte dans lequel s’inscrivent les demandes de la juridiction de renvoi et des liens susceptibles d’exister entre lesdites dispositions du droit de l’Union et la réglementation en cause au principal, ni à ce que la Cour fournisse à ladite juridiction certaines indications minimales susceptibles de la guider dans l’application qu’elle pourrait, le cas échéant, être appelée à faire desdites dispositions dans le contexte des affaires dont elle se trouve saisie au principal.

31 Il s’ensuit que les questions préjudicielles posées par le Consiglio di Stato (Conseil d’État) sont recevables.

Sur le fond

Sur la première question

32 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 49 et 56 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale, telle que celle contenue à l’article 1er, paragraphe 649, de la loi de stabilité pour 2015, qui, pour des raisons exclusivement liées à l’amélioration des finances publiques, impose un prélèvement ayant pour effet de réduire la rémunération d’une catégorie limitée d’opérateurs du secteur des jeux de hasard, à savoir les concessionnaires chargés de la gestion des jeux pratiqués sur des appareils de jeu.

33 Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, doivent être considérées comme des restrictions à la liberté d’établissement et/ou à la libre prestation des services toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice des libertés garanties par les articles 49 et 56 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 20 décembre 2017, Global Starnet, C-322/16, EU:C:2017:985, point 35 et jurisprudence citée).

34 En l’occurrence, il ressort des indications fournies par la juridiction de renvoi que, par l’article 1er, paragraphe 649, de la loi de stabilité pour 2015, la République italienne a imposé, en 2015, aux concessionnaires du secteur des jeux pratiqués sur des appareils de jeu, par le prélèvement de 2015, une réduction globale de 500 millions d’euros de la commission mise à leur disposition en application des conventions de concession, réduction répartie entre eux au prorata du nombre d’appareils contrôlés par chacun au 31 décembre 2014, puis ventilée par chaque concessionnaire entre lui-même et ses propres contractants en aval, en proportion de la participation de chacun à la distribution de la commission.

35 Par ailleurs, il ressort notamment des précisions figurant au point 22 du présent arrêt que, parmi les concessionnaires affectés par le prélèvement de 2015, figurent des sociétés italiennes contrôlées par des sociétés établies dans d’autres États membres.

36 À cet égard, il convient de rappeler que la liberté d’établissement que l’article 49 TFUE reconnaît aux ressortissants des États membres et qui comporte pour eux l’accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises, dans les mêmes conditions que celles définies par la législation de l’État membre d’établissement pour ses propres ressortissants, comprend, conformément à l’article 54 TFUE, pour les sociétés constituées en conformité avec la législation d’un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de l’Union, le droit d’exercer leur activité dans l’État membre concerné par l’intermédiaire d’une filiale, d’une succursale ou d’une agence (arrêt du 21 décembre 2016, AGET Iraklis, C-201/15, EU:C:2016:972, point 45 et jurisprudence citée).

37 Relève ainsi, notamment, de la liberté d’établissement la situation dans laquelle une société établie dans un État membre crée une filiale dans un autre État membre. Il en va de même, aux termes d’une jurisprudence constante, lorsqu’une telle société ou un ressortissant d’un État membre acquiert, dans le capital d’une société établie dans un autre État membre, une participation lui permettant d’exercer une influence certaine sur les décisions de cette société et d’en déterminer les activités (arrêt du 21 décembre 2016, AGET Iraklis, C-201/15, EU:C:2016:972, point 46 et jurisprudence citée).

38 Au contraire, les indications en possession de la Cour ne lui permettant pas de déterminer avec suffisamment de précision dans quelle mesure l’article 56 TFUE serait, lui aussi, susceptible d’être concerné par les situations en cause au principal, il y a lieu, en l’occurrence, de privilégier un examen des interrogations exprimées par la juridiction de renvoi au regard du seul article 49 TFUE.

39 Le gouvernement italien conteste que le prélèvement de 2015 ait pu constituer une restriction à la liberté garantie par cette disposition, dès lors que son montant aurait été trop faible pour porter un tel effet.

40 Or, il convient de rappeler que même une restriction de faible portée ou d’importance mineure à une liberté fondamentale est, en principe, prohibée par le traité FUE (arrêt du 3 décembre 2014, De Clercq e.a., C-315/13, EU:C:2014:2408, point 61 et jurisprudence citée).

41 Cela étant, il y a lieu d’observer que le prélèvement de 2015 revêt le caractère d’une mesure fiscale, ainsi que le gouvernement italien l’a notamment souligné dans ses observations et qu’il ressort de l’expression « prélèvements fiscaux frappant les jeux » figurant à l’article 14, paragraphe 1, de la loi n° 23 du 11 mars 2014.

42 À cet égard, il importe, certes, de rappeler d’emblée que, si la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, il est de jurisprudence constante que ces derniers doivent exercer celle-ci dans le respect du droit de l’Union et, notamment, des libertés fondamentales garanties par le traité FUE (arrêt du 11 juin 2015, Berlington Hungary e.a., C-98/14, EU:C:2015:386, point 34).

43 Dans ce contexte, la Cour a toutefois jugé que, en l’absence d’une harmonisation au niveau de l’Union, les désavantages pouvant découler de l’exercice parallèle des compétences fiscales des différents États membres, pour autant qu’un tel exercice n’est pas discriminatoire, ne constituent pas des restrictions aux libertés de circulation [voir, en ce sens, arrêts du 26 mai 2016, NN (L) International, C-48/15, EU:C:2016:356, point 47, et du 9 septembre 2021, Real Vida Seguros, C-449/20, EU:C:2021:721, point 38]. La Cour a ainsi notamment précisé que ne sont pas visées par l’article 56 TFUE des mesures dont le seul effet est d’engendrer des coûts supplémentaires pour la prestation en cause et qui affectent de la même manière la prestation de services entre États membres et celle interne à un État membre (arrêt du 11 juin 2015, Berlington Hungary e.a., C-98/14, EU:C:2015:386, point 36 ainsi que jurisprudence citée). De la même manière, ne sont pas visées par l’article 49 TFUE des mesures dont le seul effet est d’engendrer des coûts supplémentaires pour la prestation en cause et qui affectent celle-ci de façon analogue selon qu’elle est purement interne ou qu’elle est effectuée par un opérateur contrôlé par une société établie dans un autre État membre.

44 Or, il ne ressort pas des dossiers dont dispose la Cour dans les présentes affaires que, ce qu’il revient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier, le prélèvement de 2015 ait induit une discrimination entre les concessionnaires du secteur des jeux pratiqués sur des appareils de jeu, en réservant un traitement moins favorable aux situations transfrontières par rapport aux situations internes, ni, au demeurant, dans quelle mesure ledit prélèvement aurait pu induire une discrimination à rebours, à supposer de telles discriminations proscrites par le droit national, en réservant un traitement moins favorable aux situations internes par rapport aux situations transfrontières.

45 Il n’apparaît pas non plus clairement, ce qu’il appartient là encore à la juridiction de renvoi de vérifier, que ce même prélèvement pourrait avoir eu pour conséquence de faire obstacle à une exploitation rentable des appareils de jeu par les concessionnaires existants en privilégiant de la sorte d’autres secteurs de jeu, notamment le secteur du jeu en ligne, ni en quoi, en pareille hypothèse, les situations transfrontières se seraient vues discriminées par rapport aux situations internes (voir, à cet égard, arrêt du 11 juin 2015, Berlington Hungary e.a., C-98/14, EU:C:2015:386, points 39 à 41).

46 Dans ce contexte, il appartient au juge national de déterminer si, que ce soit au sein du secteur des jeux pratiqués sur des appareils de jeu ou entre ce secteur et les autres secteurs du jeu, la République italienne, par l’effet du prélèvement de 2015 imposé aux opérateurs des jeux pratiqués sur des appareils de jeu, a induit un traitement discriminatoire des situations transfrontières par rapport aux situations internes, au regard de la liberté garantie par l’article 49 TFUE.

47 C’est seulement dans le cas d’une telle constatation d’une restriction à ladite liberté que se pose la question d’une éventuelle justification de cette restriction.

48 S’agissant d’une telle justification, il convient de rappeler que la réglementation des jeux de hasard fait partie des domaines dans lesquels des divergences considérables d’ordre moral, religieux et culturel existent entre les États membres. En l’absence d’une harmonisation au niveau de l’Union en la matière, les États membres jouissent d’un large pouvoir d’appréciation en ce qui concerne le choix du niveau de protection des consommateurs et de l’ordre social qu’ils considèrent le plus approprié (arrêt du 20 décembre 2017, Global Starnet, C-322/16, EU:C:2017:985, point 39 et jurisprudence citée).

49 Les États membres sont, par conséquent, libres de fixer les objectifs de leur politique en matière de jeux de hasard et, le cas échéant, de définir avec précision le niveau de protection recherché. Toutefois, les restrictions qu’ils imposent doivent satisfaire aux conditions qui ressortent de la jurisprudence de la Cour en ce qui concerne, notamment, leur justification par des raisons impérieuses d’intérêt général et leur proportionnalité (arrêt du 20 décembre 2017, Global Starnet, C-322/16, EU:C:2017:985, point 40 et jurisprudence citée). Pour autant qu’elles satisfassent à cette dernière exigence, des restrictions aux activités des jeux de hasard peuvent ainsi être justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général, telles que la protection des consommateurs et la prévention de la fraude et de l’incitation des citoyens à une dépense excessive liée au jeu (arrêt du 22 janvier 2015, Stanley International Betting et Stanleybet Malta, C-463/13, EU:C:2015:25, point 48 ainsi que jurisprudence citée).

50 En l’occurrence, l’article 14, paragraphe 1, de la loi no 23 du 11 mars 2014 a habilité le gouvernement italien à « mettre en œuvre […] la réorganisation des dispositions en vigueur en matière de jeu, en réorganisant toutes les règles en vigueur sous la forme d’un code des dispositions relatives au jeu, sans préjudice du modèle organisationnel fondé sur le régime de la concession et de l’autorisation, dans la mesure où il est indispensable pour la protection de la confiance légitime, de l’ordre et de la sécurité publique, pour la conciliation entre les intérêts du Trésor public et les intérêts locaux ainsi que les intérêts généraux en matière de santé publique, pour la prévention du recyclage des revenus des activités criminelles ainsi que pour garantir le versement régulier des prélèvements fiscaux frappant les jeux ».

51 L’article 14, paragraphe 2, de cette même loi imposait que cette réorganisation fût effectuée dans le respect de certains principes et lignes directrices consistant notamment, selon le point g) de cette disposition, dans la « révision des rémunérations et commissions dues aux concessionnaires et aux autres opérateurs selon le critère de progressivité liée au volume de collecte des mises ».

52 Toutefois, l’article 1er, paragraphe 649, de la loi de stabilité pour 2015 expose que la contribution demandée aux concessionnaires au titre du prélèvement de 2015 l’est « aux fins de participation à l’amélioration des objectifs de finance publique et dans l’attente d’une réorganisation en profondeur des rémunérations et des commissions dues aux concessionnaires et autres opérateurs de la filière dans le cadre du réseau de collecte des mises pour le compte de l’État, en application de l’article 14, paragraphe 2, sous g), de la loi no 23 du 11 mars 2014 ».

53 Il semble donc ressortir du texte de l’article 1er, paragraphe 649, de la loi de stabilité pour 2015 que le prélèvement de 2015 a été instauré sans que le législateur italien ne fasse plus référence à une raison impérieuse d’intérêt général, telle que la protection des consommateurs et la prévention de la fraude et de l’addiction au jeu, cette disposition visant exclusivement l’amélioration des finances publiques.

54 Or, si la circonstance qu’une restriction aux activités de jeux de hasard bénéficie accessoirement au budget de l’État membre concerné n’empêche pas cette restriction d’être justifiée dans la mesure où elle poursuit d’abord effectivement des objectifs relatifs à des raisons impérieuses d’intérêt général (voir, en ce sens, arrêts du 21 octobre 1999, Zenatti, C-67/98, EU:C:1999:514, point 36, ainsi que du 6 novembre 2003, Gambelli e.a., C-243/01, EU:C:2003:597, point 62), ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier, le seul objectif de maximiser les recettes du Trésor public ne saurait, en revanche, permettre une restriction à la libre prestation des services (arrêt du 11 juin 2015, Berlington Hungary e.a., C-98/14, EU:C:2015:386, point 60 ainsi que jurisprudence citée).

55 Il s’ensuit que, pour autant qu’existe une restriction de la liberté garantie par l’article 49 TFUE du fait de l’imposition du prélèvement de 2015, celle-ci n’apparaît pas justifiée.

56 Toutefois, le gouvernement italien a fait valoir, en particulier lors de l’audience, que le prélèvement de 2015 aurait, par la réduction des recettes des opérateurs qu’il entraînait, également poursuivi l’objectif de décourager l’infiltration par des organisations criminelles du secteur comparativement particulièrement lucratif des jeux pratiqués au moyen d’appareils de jeu. Eu égard à la croissance continue qu’aurait connue ledit secteur de jeu et à certaines caractéristiques propres à celui-ci, ce prélèvement aurait eu également pour objectif de protéger la santé des joueurs contre les effets liés aux jeux de hasard.

57 Dans la mesure où, dans le cadre de l’examen qui lui incombe, la juridiction de renvoi constaterait que le prélèvement de 2015 poursuivait effectivement, nonobstant le libellé de l’article 1er, paragraphe 649, de la loi de stabilité pour 2015 rappelé au point 52 du présent arrêt, principalement des objectifs impérieux d’intérêt général, il lui reviendrait alors de déterminer si la restriction imposée par ce prélèvement satisfaisait aux conditions qui ressortent de la jurisprudence de la Cour en ce qui concerne sa proportionnalité, c’est-à-dire si elle était propre à garantir la réalisation des objectifs poursuivis et n’allait pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre lesdits objectifs. Il y a lieu, en outre, de rappeler, dans ce contexte, qu’une législation nationale n’est propre à garantir la réalisation des objectifs invoqués que si elle répond effectivement au souci de les atteindre d’une manière cohérente et systématique (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2015, Berlington Hungary e.a., C-98/14, EU:C:2015:386, point 64 ainsi que jurisprudence citée).

58 Dans ces conditions, il convient de répondre à la première question que l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens que, pour autant qu’il soit établi qu’une législation nationale imposant un prélèvement ayant pour effet de réduire la rémunération des concessionnaires chargés de la gestion des jeux pratiqués sur des appareils de jeu comporte une restriction de la liberté garantie par cette disposition du traité FUE, ladite disposition s’oppose à ce qu’une telle restriction puisse être justifiée au regard d’objectifs exclusivement fondés sur des considérations liées à l’amélioration des finances publiques.

Sur la seconde question

59 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le principe de protection de la confiance légitime doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale, telle que celle contenue à l’article 1er, paragraphe 649, de la loi de stabilité pour 2015, qui, au cours de la durée d’une convention de concession entre une société et l’administration de l’État membre concerné, réduit la commission stipulée dans ladite convention.

60 À titre liminaire et s’agissant de l’applicabilité dudit principe, il convient de rappeler que, lorsqu’un État membre invoque des raisons impérieuses d’intérêt général pour justifier une réglementation qui est de nature à entraver l’exercice d’une liberté garantie par le traité FUE, cette justification doit également être interprétée à la lumière des principes généraux du droit de l’Union et, notamment, du principe général de protection de la confiance légitime. Ainsi, la réglementation nationale en cause ne pourra notamment bénéficier des exceptions prévues que si elle est conforme audit principe (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2015, Berlington Hungary e.a., C-98/14, EU:C:2015:386, points 74 et 75 ainsi que jurisprudence citée).

61 Il s’ensuit que, à supposer que la juridiction de renvoi conclue que le prélèvement de 2015 induit une restriction à la liberté d’établissement garantie à l’article 49 TFUE, et qu’elle entreprenne, en conséquence, d’en vérifier la proportionnalité conformément à la jurisprudence rappelée au point 57 du présent arrêt, il lui appartiendra, dans ce contexte, également de tenir compte des exigences découlant du principe de protection de la confiance légitime.

62 Selon une jurisprudence constante, la possibilité de se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime est ouverte à tout opérateur économique à l’égard duquel une autorité nationale a fait naître des espérances fondées. Toutefois, lorsqu’un opérateur économique prudent et avisé est en mesure de prévoir l’adoption d’une mesure de nature à affecter ses intérêts, il ne saurait invoquer le bénéfice d’un tel principe lorsque cette mesure est adoptée. De plus, les opérateurs économiques ne sont pas justifiés à placer leur confiance légitime dans le maintien d’une situation existante, qui peut être modifiée dans le cadre du pouvoir d’appréciation des autorités nationales [arrêt du 15 avril 2021, Federazione nazionale delle imprese elettrotecniche ed elettroniche (Anie) e.a., C-798/18 et C-799/18, EU:C:2021:280, point 42 ainsi que jurisprudence citée].

63 En revanche, en application dudit principe, de tels opérateurs demeurent, le cas échéant, fondés à remettre en cause les modalités d’application de telles modifications (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2015, Berlington Hungary e.a., C-98/14, EU:C:2015:386, point 78 ainsi que jurisprudence citée).

64 À cet égard, la Cour a, ainsi, par exemple, déjà relevé qu’un opérateur économique qui a procédé à des investissements coûteux aux fins de se conformer au régime adopté précédemment par le législateur est susceptible d’être considérablement affecté dans ses intérêts par une suppression anticipée de ce régime, et cela d’autant plus lorsque celle-ci est effectuée de manière soudaine et imprévisible, sans lui laisser le temps nécessaire pour s’adapter à la nouvelle situation législative (voir arrêt du 11 juin 2015, Berlington Hungary e.a., C-98/14, EU:C:2015:386, point 87).

65 C’est à la juridiction de renvoi qu’il incombe d’examiner si une réglementation nationale est conforme au principe de protection de la confiance légitime, la Cour, statuant au titre de l’article 267 TFUE, étant uniquement compétente pour fournir à cette juridiction tous les éléments d’interprétation relevant du droit de l’Union qui peuvent lui permettre d’apprécier cette conformité. La juridiction de renvoi peut tenir compte, à cet effet, de tous les éléments pertinents qui ressortent, notamment, des termes, de la finalité ou de l’économie des législations concernées [arrêt du 15 avril 2021, Federazione nazionale delle imprese elettrotecniche ed elettroniche (Anie) e.a., C-798/18 et C-799/18, EU:C:2021:280, point 43 ainsi que jurisprudence citée].

66 À cet égard, il convient de relever que le point II 1.5 de l’appel d’offres visé au point 7 du présent arrêt dispose que « le concessionnaire a droit à une commission correspondant à la différence entre le montant tiré de la collecte des mises et les sommes [prévues au titre du Prélèvement unique au profit du Trésor , de la redevance de concession et du dépôt de la caution en pourcentage des mises récoltées] précitées ainsi que les gains à distribuer, calculés sur la base des limites minimales prévues par la réglementation en vigueur, et la quote-part due aux tiers chargés de la collecte des mises ».

67 Si les concessionnaires ne peuvent pas nourrir de confiance légitime dans la stabilité dans le temps des montants des différents postes de prélèvements et de charges ainsi identifiés au point II 1.5 de cet appel d’offres et venant en réduction du montant tiré de la collecte, il n’en reste pas moins que, selon le dossier dont dispose la Cour et ainsi qu’il appartient à la juridiction de renvoi de le vérifier, ledit appel d’offres ne comporte aucune disposition relative à la possibilité d’imposer un prélèvement pour des motifs exclusivement économiques et fiscaux.

68 En ce qui concerne la loi no 23 du 11 mars 2014, dont le gouvernement italien fait valoir qu’elle aurait largement annoncé le prélèvement de 2015, il convient d’observer que ce prélèvement ne semble pas avoir été déterminé dans le cadre de la réorganisation des rémunérations des concessionnaires que cette loi habilitait le gouvernement italien à mener. Ainsi qu’il ressort expressément de l’article 1er, paragraphe 649, de la loi de stabilité pour 2015, ce prélèvement a été opéré « dans l’attente » de cette réorganisation, donc a priori en dehors de celle-ci. Il ressort, au demeurant, du dossier que cette réorganisation n’a pas été menée, du fait de l’expiration des délais d’habilitation.

69 L’absence de lien entre le prélèvement de 2015 et la loi no 23 du 11 mars 2014 apparaît, en outre, reflétée par la circonstance que, à la différence du critère de « progressivité liée au volume de collecte des mises » qui devait s’appliquer dans le cadre de la réorganisation prévue, l’article 1er, paragraphe 649, de la loi de stabilité pour 2015 a établi le prélèvement litigieux à un niveau fixe, donc non lié au volume de collecte des mises, et l’a réparti entre concessionnaires sur la base du nombre d’appareils géré par chacun, donc là encore sans lien avec le volume de collecte des mises de chacun d’entre eux.

70 S’agissant, enfin, de l’argument des requérantes au principal selon lequel le prélèvement de 2015 a eu une portée rétroactive, il convient d’observer que ce prélèvement, adopté le 23 décembre 2014, visait la réduction des rémunérations des concessionnaires « à compter de l’année 2015 » (voir l’article 1er, paragraphe 649, de la loi de stabilité pour 2015) et qu’il prévoyait des paiements entre le mois d’avril et le mois d’octobre 2015. De ce fait, le prélèvement de 2015 n’a pas eu de portée rétroactive.

71 Cependant, il est vrai que la date de son adoption, son montant et la répartition de sa charge au prorata du nombre d’appareils de jeu attribué à chaque concessionnaire à la date du 31 décembre 2014 paraissent de nature à avoir pu affecter, à brève échéance et, selon les énonciations des décisions de renvoi, de manière importante, les prévisions financières de ces concessionnaires. À cet égard, il appartiendra, le cas échéant, à la juridiction de renvoi d’apprécier l’ampleur exacte de l’impact qu’a pu avoir un tel prélèvement temporaire sur la rentabilité des investissements effectués par les concessionnaires et si, et dans quelle mesure, lesdits concessionnaires se sont trouvés privés, du fait du caractère le cas échéant soudain et imprévisible de ce prélèvement, du temps nécessaire pour leur permettre de s’adapter à cette nouvelle situation.

72 Dans ces conditions, il convient de répondre à la seconde question que, pour autant que l’article 49 TFUE soit applicable en présence d’une telle mesure nationale, le principe de protection de la confiance légitime doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas, en principe, à une législation nationale qui réduit temporairement, au cours de la durée de conventions de concession conclues entre des sociétés et l’administration de l’État membre concerné, la rémunération des concessionnaires stipulée dans lesdites conventions, sauf s’il apparaît, en ayant égard à l’ampleur de l’impact de cette réduction sur la rentabilité des investissements effectués par les concessionnaires et à la soudaineté et au caractère imprévisible éventuels de cette mesure, que le temps nécessaire pour s’adapter à cette nouvelle situation n’a pas été laissé auxdits concessionnaires.

Sur les dépens

73 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

1) L’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens que, pour autant qu’il soit établi qu’une législation nationale imposant un prélèvement ayant pour effet de réduire la rémunération des concessionnaires chargés de la gestion des jeux pratiqués sur des appareils de jeu comporte une restriction de la liberté garantie par cette disposition du traité FUE, ladite disposition s’oppose à ce qu’une telle restriction puisse être justifiée au regard d’objectifs exclusivement fondés sur des considérations liées à l’amélioration des finances publiques.

2) Pour autant que l’article 49 TFUE soit applicable, le principe de protection de la confiance légitime doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas, en principe, à une législation nationale qui réduit temporairement, au cours de la durée de conventions de concession conclues entre des sociétés et l’administration de l’État membre concerné, la rémunération des concessionnaires stipulée dans lesdites conventions, sauf s’il apparaît, en ayant égard à l’ampleur de l’impact de cette réduction sur la rentabilité des investissements effectués par les concessionnaires et à la soudaineté et au caractère imprévisible éventuels de cette mesure, que le temps nécessaire pour s’adapter à cette nouvelle situation n’a pas été laissé auxdits concessionnaires.

Signatures


* Langue de procédure : l’italien.

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CJUE, n° C-475/20, Arrêt de la Cour, Admiral Gaming Network Srl e.a. contre Agenzia delle Dogane e dei Monopoli e.a, 22 septembre 2022