Conseil constitutionnel, décision n° 88-244 DC du 20 juillet 1988, Loi portant amnistie

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Roseline Letteron · Liberté, Libertés chéries · 25 novembre 2023

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Conseil Constitutionnel · Conseil constitutionnel · 12 août 2022

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Sur la décision

Référence :
Cons. const., 20 juill. 1988, n° 88-244 DC
Décision n° 88-244 DC
Loi déférée : Loi portant amnistie
Publication : Journal officiel du 21 juillet 1988, page 9448, Recueil, p. 119
Dispositif : Non conformité partielle
Identifiant Légifrance : CONSTEXT000017667408
Identifiant européen : ECLI:FR:CC:1988:88.244.DC
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Texte intégral

Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 8 juillet 1988, par MM Bernard Pons, Claude Labbé, Jacques Chirac, Alain Juppé, Jacques Toubon, Mme Elisabeth Hubert, M Jean Ueberschlag, Mme Suzanne Sauvaigo, MM Jean Kiffer, Jean-Louis Goasduff, Pierre Pasquini, Mme Roselyne Bachelot, MM Michel Cointat, Philippe Auberger, François Grussenmeyer, Jacques Godfrain, Alain Peyrefitte, Claude Dhinnin, René Couveinhes, Robert Pandraud, Gabriel Kaspereit, Jean-Paul de Rocca Serra, Alain Devaquet, Jacques Limouzy, Benjamin Brial, Etienne Pinte, Arnaud Lepercq, Patrick Balkany, Jean Besson, Patrick Ollier, Henri de Gastines, Lucien Richard, Jean-Luc Reitzer, Bernard Schreiner, Mme Michèle Alliot-Marie, MM Alain Cousin, Jean-Claude Mignon, Emmanuel Aubert, Claude-Gérard Marcus, Jacques Baumel, André Berthol, Jean Tibéri, Jean-Pierre Delalande, Robert-André Vivien, Dominique Perben, Mme Michèle Barzach, MM Arthur Dehaine, Léon Vachet, Jean Valleix, Jean-Claude Thomas, Guy Drut, Michel Inchauspé, Mme Martine Daugreilh, MM Jean Falala, Christian Estrosi, Xavier Dugoin, Michel Péricard, Christian Bergelin, Michel Noir, Mmes Françoise de Panafieu, Louise Moreau, MM Jean Brocard, Jean Bégault, Paul Chollet, Louis Colombani, Jean Seitlinger, Rudy Salles, Francis Delattre, Hervé de Charette, Ladislas Poniatowski, François-Michel Gonnot, Léonce Deprez, Pierre Lequiller, Charles Fèvre, Jean-Marie Caro, députés, et le 11 juillet 1988, par MM Charles Pasqua, Pierre Carous, Michel Chauty, Pierre Dumas, Marcel Fortier, Philippe François, Philippe de Gaulle, Alain Gérard, Emmanuel Hamel, Maurice Lombard, Michel Maurice-Bokanowski, Paul Moreau, Arthur Moulin, Jean Natali, Lucien Neuwirth, Alain Pluchet, Christian Poncelet, Claude Prouvoyeur, Josselin de Rohan, Maurice Schumann, André-Georges Voisin, René-Georges Laurin, Jean Amelin, Jacques Bérard, Raymond Bourgine, Jacques Braconnier, Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Auguste Cazalet, Jean Chamant, Charles Descours, Franz Duboscq, Mme Nicole de Hauteclocque, MM Jacques Delong, Michel Alloncle, Hubert d’Andigné, Jean Barras, Henri Belcour, Amédée Bouquerel, Yvon Bourges, Jacques Chaumont, Jean Chérioux, Henri Collette, Maurice Couve de Murville, Désiré Debavelaere, Luc Dejoie, Alain Dufaut, Adrien Gouteyron, Paul Graziani, Hubert Haenel, André Jarrot, Paul Kauss, Gérard Larcher, Marc Lauriol, Christian de La Malène, Jean-François Le Grand, Paul Malassagne, Christian Masson, Paul Masson, Geoffroy de Montalembert,
Mme Hélène Missoffe, MM Jacques Oudin, Sosefo Makapé Papilio, Henri Portier, Jean-Jacques Robert, Mme Nelly Rodi, MM Roger Romani, Michel Rufin, Jean Simonin, Dick Ukeiwé, René Trégouët, Raymond Brun, Yves Goussebaire-Dupin, Guy de La Verpillière, Modeste Legouez, Pierre Louvot, Roland du Luart, Marcel Lucotte, Serge Mathieu, Henri de Raincourt, Roland Ruet, Pierre-Christian Taittinger, François Trucy, Michel d’Aillières, Maurice Arreckx, José Balarello, Bernard Barbier, Jean Bénard Mousseaux, Christian Bonnet, Philippe de Bourgoing, Jean Boyer, Louis Boyer, Roger Chinaud, Louis de La Forest, Auguste Chupin, Jean Francou, Jean Huchon, Kléber Malécot, Louis Moinard, Jacques Mossion, Raymond Poirier, Pierre Salvi, Paul Séramy, Pierre Sicard, Pierre Vallon, Xavier de Villepin, Etienne Dailly, Pierre Jeambrun, Ernest Cartigny, Joseph Raybaud, Paul Girod, Raymond Soucaret, Jacques Moutet, Pierre Laffitte, Charles-Edmond Lenglet, sénateurs, dans les conditions prévues à l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi portant amnistie.

Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que les députés auteurs de la première saisine demandent au Conseil constitutionnel de déclarer contraires à la Constitution, d’une part, l’article 7 de la loi portant amnistie dans la mesure où il établit des règles particulières pour les départements et territoires d’outre-mer et les collectivités territoriales de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon, d’autre part, l’article 15 relatif à l’amnistie des sanctions professionnelles et à la réintégration de certains salariés ;

2. Considérant que les sénateurs auteurs de la seconde saisine présentent la même demande en ce qui regarde l’article 15 de la loi ;
Sur l’article 7 de la loi :

3. Considérant qu’en vertu de l’article 7 c, sont amnistiées les infractions commises avant le 22 mai 1988 qui sont ou seront punies de « peines d’emprisonnement inférieures ou égales à un an avec application du sursis simple et, dans les départements d’outre-mer, les territoires d’outre-mer et les collectivités territoriales de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon, peines d’emprisonnement inférieures ou égales à dix-huit mois avec application du sursis simple » ;

4. Considérant que, selon les députés auteurs de la première saisine, celles de ces dispositions qui sont relatives aux départements d’outre-mer, aux territoires d’outre-mer et aux collectivités territoriales à statut particulier sont contraires au principe constitutionnel d’égalité des citoyens devant la loi ;

5. Considérant qu’aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse » ;

6. Considérant qu’il appartient au législateur d’apprécier si, pour des raisons objectives en rapport avec les buts de la loi d’amnistie, il convient d’édicter des dispositions particulières visant les auteurs d’infractions commises en relation avec des événements déterminés et, par suite, de se référer aux dates et aux lieux caractérisant ces événements ; que, par contre, le simple fait que certaines infractions aient été commises ou sanctionnées dans telle ou telle partie du territoire national ne saurait permettre, sans que soit méconnu le principe d’égalité, que leurs auteurs bénéficient d’un régime d’amnistie différent de celui applicable aux auteurs d’infractions identiques ayant conduit à des condamnations elles-mêmes identiques dans les autres parties du territoire national ;

7. Considérant, dès lors, qu’il convient de déclarer contraires à la Constitution les dispositions de l’article 7 c de la loi présentement examinée incluses dans le membre de phrase ainsi rédigé : « et, dans les départements d’outre-mer, les territoires d’outre-mer et les collectivités territoriales de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon, peines d’emprisonnement inférieures ou égales à dix-huit mois avec application du sursis simple » ;
Sur l’article 15 de la loi :

8. Considérant que l’article 15 de la loi est ainsi conçu :
" I – Sont amnistiés, dans les conditions fixées à l’article 14, les faits retenus ou susceptibles d’être retenus comme motifs de sanctions prononcées par un employeur. – L’inspection du travail veille à ce qu’il ne puisse être fait état des faits amnistiés. A cet effet, elle s’assure du retrait des mentions relatives à ces sanctions dans les dossiers de toute nature concernant les travailleurs qui bénéficient de l’amnistie. – Les règles de compétence applicables au contentieux des sanctions sont applicables au contentieux de l’amnistie.
« II. – Tout salarié qui, depuis le 22 mai 1981, a été licencié pour une faute autre qu’une faute lourde ayant consisté en des coups et blessures sanctionnés par une condamnation non visée à l’article 7 de la présente loi, commise à l’occasion de l’exercice de sa fonction de représentant élu du personnel, de représentant syndical au comité d’entreprise ou de délégué syndical, peut invoquer cette qualité, que l’autorisation administrative de licenciement ait ou non été accordée, pour obtenir, sauf cas de force majeure, sa réintégration dans son emploi ou dans un emploi équivalent chez le même employeur ou chez l’employeur qui lui a succédé en application de l’article L 122-12 du code du travail. – Il doit, à cet effet, présenter une demande dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi. – L’employeur est tenu, dans le mois qui suit la demande de réintégration, de notifier à l’intéressé soit qu’il accepte de le réintégrer, soit qu’il s’y oppose. Dans ce dernier cas, il doit indiquer les motifs de sa décision et, en même temps qu’il la notifie à l’intéressé, en adresser une copie à l’inspecteur du travail. Avant de prendre sa décision, l’employeur consulte le comité d’entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel, s’il en existe, leur avis étant communiqué à l’inspecteur du travail. – Si l’inspecteur du travail estime que le refus de l’employeur n’est pas justifié, il propose la réintégration. Sa proposition écrite et motivée est communiquée aux parties. – Le contentieux de la réintégration est soumis à la juridiction prud’homale qui statue comme en matière de référés. Le salarié réintégré bénéficie pendant six mois, à compter de sa réintégration effective, de la protection attachée par la loi à son statut antérieur au licenciement. »

9. Considérant que les auteurs de l’une ou de l’autre saisine font valoir que les dispositions de l’article 15, prises dans leur ensemble, excèdent la compétence du législateur en matière d’amnistie et qu’en outre le paragraphe II de cet article va à l’encontre de la chose jugée par le Conseil constitutionnel, méconnaît le principe selon lequel l’amnistie ne peut comporter la remise en l’état de la situation de ses bénéficiaires, et porte, enfin, atteinte aux droits des victimes et des tiers ;
En ce qui concerne la compétence du législateur en matière d’amnistie :

10. Considérant que les députés auteurs de la première saisine soutiennent que l’article 15 déborde du domaine d’une loi d’amnistie en ce qu’il s’applique non pas seulement « au domaine pénal et parapénal » mais entend régir « des faits intervenus dans le cadre d’un contrat de travail entre deux personnes privées » ; qu’il y aurait là une violation tant de la tradition républicaine que de la volonté du constituant ;
- Quant à la tradition républicaine :
11. Considérant que la tradition républicaine ne saurait être utilement invoquée pour soutenir qu’un texte législatif qui la contredit serait contraire à la Constitution qu’autant que cette tradition aurait donné naissance à un principe fondamental reconnu par les lois de la République ;

12. Considérant que, si dans leur très grande majorité les textes pris en matière d’amnistie dans la législation républicaine intervenue avant l’entrée en vigueur du préambule de la Constitution de 1946 ne comportent pas de dispositions concernant, en dehors des incriminations pénales dont ils ont pu être l’occasion, les rapports nés de contrats de travail de droit privé, il n’en demeure pas moins que la loi d’amnistie du 12 juillet 1937 s’est écartée de cette tradition ; que, dès lors, la tradition invoquée par les auteurs de la saisine ne saurait, en tout état de cause, être regardée comme ayant engendré un principe fondamental reconnu par les lois de la République au sens de l’alinéa premier du préambule de la Constitution de 1946,
- Quant à la volonté du constituant :
13. Considérant qu’aux termes de l’article 34 de la Constitution : " La loi fixe les règles concernant : la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ; la procédure pénale ; l’amnistie ; la création de nouveaux ordres de juridiction et le statut des magistrats » ;

14. Considérant que l’on ne saurait déduire des termes de ces dispositions qui ne concernent pas seulement le droit pénal et de la place qui y est faite à l’amnistie que la Constitution aurait limité la compétence du législateur en matière d’amnistie au domaine des crimes et délits et, plus généralement, des infractions pénalement réprimées ;

15. Considérant ainsi que le législateur a pu, sans méconnaître aucun principe non plus qu’aucune règle de valeur constitutionnelle, étendre le champ d’application de la loi d’amnistie à des sanctions disciplinaires ou professionnelles dans un but d’apaisement politique ou social,
En ce qui concerne la méconnaissance de la chose jugée par le Conseil constitutionnel :

16. Considérant que, selon les sénateurs auteurs de la seconde saisine, les dispositions de l’article 15-II méconnaissent la décision n° 82-144 DC du 22 octobre 1982 par laquelle le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution des dispositions interdisant toute action à l’encontre de salariés, de représentants élus ou désignés ou d’organisations syndicales de salariés, en réparation des dommages causés par un conflit collectif de travail ou à l’occasion de celui-ci, hormis les actions en réparation du dommage causé par une infraction pénale et du dommage causé par des faits manifestement insusceptibles de se rattacher à l’exercice du droit de grève ou du droit syndical ;

17. Considérant qu’en vertu du deuxième alinéa de l’article 62 de la Constitution les décisions du Conseil constitutionnel « s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles » ;

18. Considérant que l’autorité de chose jugée attachée à la décision du Conseil constitutionnel du 22 octobre 1982 est limitée à la déclaration d’inconstitutionnalité visant certaines dispositions de la loi qui lui était alors soumise ; qu’elle ne peut être utilement invoquée à l’encontre d’une autre loi conçue, d’ailleurs, en termes différents ;
En ce qui concerne le moyen tiré de ce que l’amnistie ne pourrait comporter la remise en l’état de la situation de ses bénéficiaires :

19. Considérant qu’il est soutenu par les députés auteurs de la première saisine qu’ « une loi d’amnistie a pour but d’effacer les faits qui ont donné lieu à une sanction, mais ne supprime les conséquences de ceux-ci qu’à partir de la date de sa mise en application » et que, par suite, en tant que l’article 15, dans son paragraphe II, impose la réintégration de salariés régulièrement licenciés à l’époque où se sont déroulés les faits aujourd’hui amnistiés, il méconnaît le principe selon lequel l’amnistie ne comporte pas de « remise en l’état » ;

20. Considérant que, s’il est exact, notamment en matière pénale, que l’amnistie ne comporte pas normalement la remise en l’état de la situation de ses bénéficiaires, l’exception que le législateur peut juger opportun d’apporter à cette règle ne contrevient à aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle, sous l’expresse réserve, cependant, que la remise en l’état ne soit pas contraire aux droits et libertés de personnes tierces ;
En ce qui concerne l’atteinte portée aux droits des victimes et des tiers :

21. Considérant que les signataires de l’une et de l’autre saisine font valoir que, même si le législateur a le pouvoir d’effacer le caractère illicite de certains comportements et d’en supprimer ou d’en atténuer les conséquences pour leurs auteurs, le résultat recherché ne saurait justifier l’atteinte que la loi d’amnistie porte aux droits de personnes étrangères à ces comportements et encore moins aux droits des victimes de ceux-ci ; qu’au regard de cet impératif ils font grief aux dispositions du paragraphe II de l’article 15 de méconnaître la liberté de contracter des employeurs en imposant à ceux-ci la réintégration de salariés dont le contrat de travail a pris légalement fin et, dans nombre de cas, par l’effet d’une décision de justice en force de chose jugée ; qu’il est soutenu par ailleurs qu’une triple atteinte est portée au principe d’égalité ; en premier lieu, en ce que les charges économiques et sociales pesant sur les employeurs différeront, au gré du hasard, selon les entreprises ; en deuxième lieu, en ce que le droit à réintégration est réservé aux seuls anciens salariés ayant rempli les fonctions de représentant élu du personnel, de représentant syndical au comité d’entreprise ou de délégué syndical ; enfin, en ce que les auteurs d’actes délictueux ou illicites se verront réserver un traitement favorable au détriment de ceux qui ont pu être victimes de ces actes ;

22. Considérant que les dispositions de l’article 15 risquent de mettre en cause la liberté d’entreprendre de l’employeur qui, responsable de l’entreprise, doit pouvoir, en conséquence, choisir ses collaborateurs ; que, dans certains cas, elles peuvent également affecter la liberté personnelle de l’employeur et des salariés de l’entreprise en leur imposant la fréquentation, sur les lieux de travail, des auteurs d’actes dont ils ont été victimes ;

23. Considérant que le respect des droits et des libertés des personnes étrangères aux faits amnistiés et, a fortiori, de ceux qui ont pu, sans faute de leur part, en subir des conséquences dommageables, impose des limites à l’exercice de la compétence confiée au législateur en matière d’amnistie ;

24. Considérant que c’est dans un souci d’apaisement politique ou social que le législateur recherche, par l’exercice de la compétence que la Constitution lui reconnaît en matière d’amnistie, l’oubli de certains faits et l’effacement de leur caractère répréhensible ; qu’il ne lui est pas interdit à cette fin de tenir compte des difficultés que présente l’exercice des fonctions de représentant élu du personnel ou de responsable syndical dont la protection découle d’exigences constitutionnelles ; qu’ainsi des dispositions spécifiques édictées au profit de la catégorie des salariés protégés ne sont pas contraires au principe d’égalité ;

25. Considérant dès lors, compte tenu de la conciliation nécessaire qui doit être opérée entre les droits et les libertés de chacun et les droits et les libertés d’autrui, que la loi d’amnistie peut valablement prévoir qu’un représentant du personnel ou un responsable syndical qui, à l’occasion de l’exercice de fonctions difficiles, a commis une faute n’ayant pas le caractère de faute lourde, a droit, dans les conditions prévues par la loi, à être réintégré dans ses fonctions ; que les contraintes découlant de cette réintégration ne dépassent pas, par leur étendue, les charges que, dans l’intérêt général, la société peut imposer à ses membres et ne sont pas manifestement disproportionnées par rapport à ce but d’intérêt général ;

26. Considérant, par contre, que le droit à réintégration ne saurait être étendu aux représentants du personnel ou responsables syndicaux licenciés à raison de fautes lourdes ; qu’en effet, dans cette hypothèse, on est en présence d’un abus certain de fonctions ou mandats protégés ; qu’en outre, la contrainte qu’une telle réintégration ferait peser sur l’employeur qui a été victime de cet abus ou qui, en tout cas, n’en est pas responsable excéderait manifestement les sacrifices d’ordre personnel ou d’ordre patrimonial qui peuvent être demandés aux individus dans l’intérêt général ; qu’en particulier, la réintégration doit être exclue lorsque la faute lourde ayant justifié le licenciement a eu pour victimes des membres du personnel de l’entreprise qui, d’ailleurs, peuvent être eux-mêmes des représentants du personnel ou des responsables syndicaux ;

27. Considérant que, sous réserve des exclusions générales du bénéfice de l’amnistie et de l’exception de force majeure, les dispositions du paragraphe II de l’article 15 précité de la loi ne privent du droit à la réintégration que les représentants du personnel ou les responsables syndicaux licenciés en raison d’une faute lourde ayant consisté en des coups et blessures sanctionnés par une condamnation non visée à l’article 7 de la loi ; qu’il en résulte que la réintégration serait imposée dans des hypothèses de coups et blessures volontaires ayant pu revêtir un caractère de réelle gravité ; que, de même, la réintégration serait de droit dans tous les cas où la faute lourde aurait été constituée par une infraction autre que celle de coups et blessures ; que de telles dispositions dépassent manifestement les limites que le respect de la Constitution impose au législateur en matière d’amnistie ;

28. Considérant dès lors qu’il sera fait droit aux principes constitutionnels ci-dessus exposés en déclarant non conformes à la Constitution les dispositions incluses dans le membre de phrase figurant au premier alinéa du paragraphe II de l’article 15 de la loi et ainsi conçues : « ayant consisté en des coups et blessures sanctionnés par une condamnation non visée à l’article 7 de la présente loi » ;

29. Considérant qu’en l’espèce il n’y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d’office aucune question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen ;

Décide :
Article premier :
Sont déclarées contraires à la Constitution les dispositions suivantes de la loi portant amnistie : à l’article 7 c, les mots : « et, dans les départements d’outre-mer, les territoires d’outre-mer et les collectivités territoriales de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon, peines d’emprisonnement inférieures ou égales à dix-huit mois avec application du sursis simple » ; à l’article 15-II, les mots : « ayant consisté en des coups et blessures sanctionnés par une condamnation non visée à l’article 7 de la présente loi ».
Article 2 :
Les autres dispositions de la loi portant amnistie ne sont pas contraires à la Constitution.
Article 3 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.


Saisine(s) des requérants, observations du Gouvernement et observations éventuelles en réplique des requérants

SAISINE SENATEURS Les sénateurs soussignés défèrent au Conseil constitutionnel l’article 15 de la loi portant amnistie, adoptée le 8 juillet 1988 par l’Assemblée nationale appelée par le Gouvernement à statuer définitivement, en exécution des dispositions du quatrième alinéa de l’article 45 de la Constitution.

Les sénateurs soussignés demandent au Conseil constitutionnel de décider que l’article 15 susmentionné est non conforme à la Constitution et de reconnaître qu’il n’est pas inséparable des autres dispositions de la même loi et cela pour les motifs suivants :

Dès son adoption par le Parlement le 6 octobre 1982, la loi n° 82-915 du 28 octobre 1982 relative au développement des institutions représentatives du personnel fut déférée au Conseil constitutionnel dans les conditions prévues à l’article 61, alinéa 2, de la Constitution.

Par décision n° 82-144 DC du 28 octobre 1982, le Conseil constitutionnel décida que seul l’article 8 de la loi susmentionnée était non conforme à la Constitution mais qu’il n’était pas inséparable des autres dispositions de ladite loi, laquelle fut, de ce fait, promulguée le 28 octobre 1982 sans son article 8 susmentionné et publiée au Journal officiel du 29 octobre 1982.

Cet article 8 était le suivant : « Aucune action ne peut être intentée à l’encontre de salariés, de représentants du personnel élus ou désignés ou d’organisations syndicales de salariés, en réparation des dommages causés par un conflit collectif de travail ou à l’occasion de celui-ci, hormis les actions en réparation du dommage causé par une infraction pénale et du dommage causé par des faits manifestement insusceptibles de se rattacher à l’exercice du droit de grève ou du droit syndical. Ces dispositions sont applicables aux procédures en cours, y compris devant la Cour de cassation. »

Quant à la décision n° 82-144 DC du 22 octobre 1982 du Conseil constitutionnel, elle était assortie de onze considérants, dont il y a lieu de rappeler les cinquième, sixième, septième, huitième, neuvième et dixième d’entre eux, savoir :

«  Considérant cependant que le droit français ne comporte, en aucune matière, de régime soustrayant à toute réparation les dommages résultant de fautes civiles imputables à des personnes physiques ou morales de droit privé, quelle que soit la gravité de ces fautes ;

«  Considérant qu’ainsi l’article 8 de la loi déférée au Conseil constitutionnel établit une discrimination manifeste au détriment des personnes à qui il interdit, hors le cas d’infraction pénale, toute action en réparation ; qu’en effet, alors qu’aucune personne, physique ou morale, publique ou privée, française ou étrangère, victime d’un dommage matériel ou moral imputable à la faute civile d’une personne de droit privé ne se heurte à une prohibition générale d’agir en justice pour obtenir réparation de ce dommage, les personnes à qui seraient opposées les dispositions de l’article 8 de la loi présentement examinée ne pourraient demander la moindre réparation à quiconque ;

«  Considérant, il est vrai, que, selon les travaux préparatoires, les dispositions de l’article 8 de la loi trouveraient leur justification dans la volonté du législateur d’assurer l’exercice effectif du droit de grève et du droit syndical, l’un et l’autre constitutionnellement reconnus, et qui serait entravé par la menace ou la mise en uvre abusives, à l’occasion de conflits collectifs de travail, d’actions en justice à l’encontre des salariés, de leurs représentants ou d’organisations syndicales ;

«  Considérant cependant que le souci du législateur d’assurer l’exercice effectif du droit de grève et du droit syndical ne saurait justifier la grave atteinte portée par les dispositions précitées au principe d’égalité ;

«  Considérant en effet que, s’il appartient au législateur, dans le respect du droit de grève et du droit syndical ainsi que des autres droits et libertés ayant également valeur constitutionnelle, de définir les conditions d’exercice du droit de grève et du droit syndical et, ainsi, de tracer avec précision la limite séparant les actes et comportements licites des actes et comportements fautifs, de telle sorte que l’exercice de ces droits ne puisse être entravé par des actions en justice abusives, s’il lui appartient également, le cas échéant, d’aménager un régime spécial de réparation approprié conciliant les intérêts en présence, il ne peut en revanche, même pour réaliser les objectifs qui sont les siens, dénier dans son principe même le droit des victimes d’actes fautifs, qui peuvent d’ailleurs être des salariés, des représentants du personnel ou des organisations syndicales, à l’égalité devant la loi et devant les charges publiques ;

«  Considérant, dès lors, que l’article 8 de la loi déférée au Conseil constitutionnel, dont les dispositions ne sont pas inséparables des autres dispositions de la même loi, doit être déclaré contraire à la Constitution ; "

Or le paragraphe II de l’article 15 que les sénateurs soussignés défèrent au Conseil constitutionnel est précisément rédigé comme suit :

«  Tout salarié qui, depuis le 22 mai 1981, a été licencié pour une faute, autre qu’une faute lourde ayant consisté en des coups et blessures sanctionnés par une condamnation non visée à l’article 7 de la présente loi, commise à l’occasion de l’exercice de sa fonction de représentant élu du personnel, de représentant syndical au comité d’entreprise ou de délégué syndical peut invoquer cette qualité, que l’autorisation administrative de licenciement ait ou non été accordée, pour obtenir, sauf cas de force majeure, sa réintégration dans son emploi ou dans un emploi équivalent chez le même employeur ou chez l’employeur qui lui a succédé en application de l’article L 122-12 du code du travail.

«  Il doit, à cet effet, présenter une demande dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi.

«  L’employeur est tenu, dans le mois qui suit la demande de réintégration, de notifier à l’intéressé soit qu’il accepte de le réintégrer, soit qu’il s’y oppose. Dans ce dernier cas, il doit indiquer les motifs de sa décision et, en même temps qu’il la notifie à l’intéressé, en adresser une copie à l’inspecteur du travail. Avant de prendre sa décision, l’employeur consulte le comité d’entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel, s’il en existe, leur avis étant communiqué à l’inspecteur du travail.

«  Si l’inspecteur du travail estime que le refus de l’employeur n’est pas justifié, il propose la réintégration. Sa proposition écrite et motivée est communiquée aux parties.

« Le contentieux de la réintégration est soumis à la juridiction prud’homale qui statue comme en matière de référés. Le salarié réintégré bénéficie pendant six mois, à compter de sa réintégration effective, de la protection attachée par la loi à son statut antérieur au licenciement. »

Ces dispositions de l’article 15 ne visent donc qu’à annuler a posteriori par une loi les actions qui n’ont pu être entreprises que parce que leur interdiction par la loi avait précisément été reconnue par le Conseil constitutionnel comme non conforme à la Constitution.

On pourrait certes faire observer que ces dispositions ne sont autres que celles qui figurent à l’article 14 de la loi n° 81-736 du 4 août 1981 portant amnistie. Il y aurait alors lieu d’objecter d’une part que ladite loi n’a jamais été déférée au Conseil constitutionnel : ce qui n’a pas fourni à ce dernier l’occasion de statuer sur la constitutionnalité dudit article 14 : et d’autre part que la décision n° 82-144 DC susmentionnée du Conseil constitutionnel n’est intervenue que le 22 octobre 1982, donc postérieurement à ladite loi d’amnistie.

Tout se passe donc comme si la majorité de l’Assemblée nationale avait, sans que le Gouvernement réussisse finalement à s’y opposer, décidé non seulement d’ignorer délibérément la décision de non-conformité prise par le Conseil constitutionnel le 22 octobre 1982, mais encore de tenter de la contourner et d’en supprimer les effets en annulant aujourd’hui par une loi de circonstance ce que le Conseil constitutionnel avait antérieurement reconnu comme non conforme à la Constitution d’interdire par la loi.

C’est pour toutes ces raisons que l’article 15 doit être déclaré non conforme à la Constitution mais reconnu non inséparable des autres dispositions de la loi.

SAISINE DEPUTES

Les députés soussignés demandent au Conseil constitutionnel, en vertu de l’article 61 de la Constitution, de déclarer inconstitutionnelles les deux dispositions suivantes de la loi portant amnistie : l’article 7, dans la mesure où il est établi des règles particulières pour les départements et territoires d’outre-mer et les collectivités territoriales de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon, et l’article 15 relatif à la réintégration de certains salariés.

Pour ce qui concerne l’article 7, il est prévu une amnistie pour les peines d’emprisonnement « inférieures ou égales à dix-huit mois avec application du sursis simple », alors que pour l’ensemble de la France ne sont amnistiées que les peines d’emprisonnement inférieures ou égales à un an.

Cette distinction, outre qu’elle a un caractère profondément humiliant pour l’ensemble des territoires d’outre-mer, est contraire aux articles 72 et suivants de la Constitution, notamment l’article 73 qui subordonne « les mesures d’adaptation » à prévoir pour les départements d’outre-mer à des motifs tenant à « leurs situations particulières ».

L’organisation judiciaire est identique, l’article 477 qui étend le code pénal aux départements d’outre-mer ne fait aucune distinction, la procédure applicable est identique. Il n’est donc pas constitutionnel de prévoir des dispositions amnistiantes particulières.

En ce qui concerne la réintégration des salariés, il semble bien que les dispositions votées (art 15, paragraphe II) soient contraires à l’un des considérants de la décision par laquelle le Conseil constitutionnel a annulé le 22 octobre 1982 l’article 8 de la loi complétant l’article 521-1 du code du travail. En annulant les effets pour les victimes des fautes commises par « certains » salariés, la disposition est contraire au principe général de l’égalité par la loi.

Un autre argument tient au fait que le droit à la réintégration, dicté par l’article incriminé, aboutit à faire peser sur l’employeur l’obligation d’un nouveau contrat, c’est-à-dire qu’il y a là atteinte au principe le plus général du droit des contrats : le consentement des parties.

Les soussignés, en se réservant le droit par un mémoire ultérieur de développer les arguments qui précèdent, estiment contraires aux dispositions de la Constitution les deux dispositions incriminées, article 7, paragraphe c, article 15, paragraphe II.

Argumentaire complétant la saisine du 8 juillet 1988 deposée par les députés soussignés tendant à faire annuler par le Conseil constitutionnel les articles 7 (c) et 15 de la loi portant amnistie adoptée en dernier ressort par l’Assemblée nationale le 8 juillet 1988.

En ce qui concerne l’article 7, paragraphe c :

L’article 7, paragraphe c, instaure un avantage en faveur des DOM-TOM et collectivités territoriales, qui bénéficient d’une amnistie élargie aux infractions assorties de peines de prison avec sursis pouvant aller jusqu’à dix-huit mois, mais alors que la limite maximale est de douze mois pour les départements métropolitains.

L’article 73 de la Constitution prévoit effectivement que la législation peut faire l’objet pour ces territoires de « mesures d’adaptation nécessitées par leur situation particulière ».

De même, votre jurisprudence de votre décision 138/DC du 25 février 1982 précise que : «  le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce (le législateur) délimite ainsi le champ d’application de l’amnistie dès lors que la catégorie qu’il retient soit définie de manière objective ». En l’occurrence, la disposition concernant les DOM-TOM et collectivités territoriales ne se justifie ni par une situation particulière, ni par l’existence d’un critère objectif.

En effet, depuis le 1er janvier 1984, l’article 477 du code pénal étend l’ensemble des dispositions de ce code aux DOM-TOM, qui bénéficient, en outre, de la même organisation juridictionnelle en ce qui concerne le pénal.

Ces territoires français étant régis par le même système répressif que la métropole, on ne voit ce qui pourrait effectivement justifier la différence de traitement instaurée par l’article 7 (c), sauf à affabuler sur une sévérité des magistrats liée à leur affectation géographique.

De plus, il est pour le moins surprenant que la distinction ait été prévue uniquement pour les peines assorties de sursis simple soit le paragraphe c et non pour les peines de prison ferme (paragraphe a) ou le sursis avec mise à l’épreuve (paragraphe b), où là la règle s’applique uniformément à l’ensemble du territoire.

L’inégalité qu’impose l’article 7 (c) ne repose sur aucune justification sérieuse de droit, donc il doit être sanctionné afin de maintenir le principe d’égalité des citoyens devant la loi.

En ce qui concerne l’article 15 : I : L’article 15 déborde du domaine de compétence traditionnel d’une loi d’amnistie

L’article 15 concerne exclusivement des rapports de droit privé puisqu’il vise des faits intervenus dans le cadre d’un contrat de travail entre deux personnes privées (voir infra). Or il ne fait pas de doute que la loi d’amnistie doit se limiter exclusivement au domaine pénal et parapénal et ne saurait concerner des comportements privés et ce pour deux raisons :

1. La tradition républicaine.

2. La volonté du constituant telle qu’elle apparaît dans la rédaction de l’article 34, et dans votre jurisprudence.

1 La tradition républicaine

La tradition républicaine a écarté du bénéfice de l’amnistie les rapports de droit privé.

On peut noter deux exceptions à cette tradition : la loi d’amnistie du 12 juillet 1937 et celle du 4 août 1981, mais leur espacement et leur petit nombre empêche que l’on puisse parler à leur propos d’un précédent crédible, d’autant plus que la loi de 1981 ne vous avait pas été déférée et n’a donc fait l’objet d’un contrôle de votre part. C’est d’ailleurs ce qu’invoquait en 1981 le garde des sceaux de l’époque en soulignant : « Il demeure que traditionnellement l’amnistie ne peut effacer que des infractions pénales et des infractions disciplinaires commises dans des rapports de droit public soit par des fonctionnaires, soit par des personnes relevant des ordres professionnels. Les rapports de droit privé ont traditionnellement été exclus du champ d’application des lois d’amnistie ».

Il serait donc souhaitable que le Conseil constitutionnel rétablisse aujourd’hui la pérennité de cette tradition.

2 La volonté du constituant

La Constitution de 1958 se réfère implicitement à cette tradition si l’on considère la place à laquelle figure l’amnistie dans l’article 34. En effet, l’alinéa 2, paragraphe 5, de l’article 34 précise : " (la loi fixe les règles concernant la détermination des crimes et des délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ; la procédure pénale ; l’amnistie ; ".

Le fait que l’amnistie figure dans le paragraphe concernant les pouvoirs du législateur en matière pénale traduit clairement la volonté de cohérence du constituant qui a considéré l’amnistie comme la contrepartie logique de la compétence pénale.

De plus, l’amnistie, de même que les garanties accordées aux fonctionnaires (ce qui comprend les procédures disciplinaires), font toutes deux partie du domaine dans lequel « la loi fixe les règles », alors que le droit du travail entre dans la catégorie où le législateur doit se borner à déterminer « les principes fondamentaux », ce qui tendrait à prouver que le constituant a bien voulu montrer qu’ils appartenaient à deux univers juridiques différents.

Il apparaît donc clairement que le constituant a voulu marquer la spécificité pénale de la notion d’amnistie.

Votre jurisprudence a d’ailleurs elle-même reconnu ce caractère pénal de la loi d’amnistie. Dans votre décision 138 DC du 25 février 1982 sur la loi portant statut particulier de la région Corse, il est précisé : " Considérant qu’en vertu des dispositions de l’article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant l’amnistie ; qu’en vertu de cette compétence, le législateur peut effacer certaines conséquences pénales d’agissements que la loi réprime ".

L’article 15 va clairement à l’encontre de votre affirmation et doit donc être sanctionnée.

II. : L’article 15-II est contraire au principe de liberté de contracter

Il convient tout d’abord de dénoncer une argumentation qui a été utilisée lors des débats à l’Assemblée selon laquelle la protection dont bénéficient certains salariés qui ont des responsabilités sociales au sein de l’entreprise aboutirait à faire du contrat qui les lie à leur employeur un contrat de droit public.

Un contrat de travail passé entre un salarié personne privée et son employeur privé ne peut être dans notre droit qu’un contrat de droit privé quoi qu’il arrive.

Notre droit des obligations fourmille d’exemples où la personne publique peut imposer des contraintes et des restrictions à des contractants privés.

Ces contraintes d’ordre public s’imposent aux contractants sans que jamais elles ne remettent en cause le caractère privé de ces engagements. La protection des salariés représentatifs fait partie de ces contraintes d’ordre public qui imposent à l’employeur le respect d’un certain nombre d’exigences, et notamment une procédure particulière de licenciement, sans pour autant transformer le contrat qui reste de droit privé.

L’article 15-II nous semble donc contraire à la Constitution, puisqu’il concerne des rapports de droit privé (cf. notre I). Mais, de plus, en prévoyant la réintégration du salarié licencié, il contrevient à un principe fondamental de notre droit : la liberté de contracter.

Si le législateur dans notre droit peut, en effet, imposer des contraintes à des cocontractants privés, s’il peut même parfois maintenir l’existence d’un contrat contre la volonté d’une des parties, il ne peut, en aucun cas, imposer à une personne privée de contracter avec une autre personne privée.

Or, en l’espèce, c’est ce qui est prévu.

Le salarié protégé ayant été licencié pour faute, le licenciement annule définitivement le contrat de travail qui le lie à son employeur. Sa réintégration ne saurait, à ce moment-là, être assimilée à un maintien du contrat puisque celui-ci n’a plus d’existence, mais constitue bel et bien une obligation de conclure un nouveau contrat que le législateur impose à l’employeur.

Cette contrainte n’est pas concevable en l’état actuel de notre droit, dans la mesure où elle méconnaît l’un des fondements de notre droit des obligations : la liberté de contracter, telle qu’elle est rappelée dans l’article 1108 du code civil qui précise : «  quatre conditions sont essentielles pour la validité d’une convention, parmi lesquelles le consentement de la partie qui s’oblige ».

Accepter la réintégration telle qu’elle est prévue à l’article 15-II, c’est remettre en cause la totalité de notre droit du contrat qui repose sur la liberté des cocontractants, alors même que cette liberté de contracter, indispensable à la viabilité de notre système juridique, doit être considérée comme un « principe fondamental reconnu par les lois de la République ».

Le maintien de l’article 15-II ne peut se justifier que de deux façons, l’une et l’autre aussi fallacieuse que dangereuse pour notre droit : soit l’on prétend que ce contrat est un contrat de droit public, cela permettrait, à la rigueur, de considérer la réintégration comme une prérogative de puissance publique, mais cela aboutirait à dynamiter complètement la frontière entre droit public et droit privé et, d’autre part, à reconnaître au juge administratif pleine compétence pour juger du contentieux de ces contrats, ce qui n’est pas le cas ; soit à accepter le fondement privé du contrat, mais, dans ce cas, aucune réintégration n’est possible car contraire à la liberté de consentement des deux parties.

Cette disposition représente donc un danger pour la cohérence de notre système juridique.

III. : L’article 15-II est contraire au principe de non-remise en l’état d’une loi d’amnistie

Une loi d’amnistie a pour but d’effacer les faits qui ont donné lieu à une sanction ou à une condamnation, mais elle ne supprime les conséquences de ceux-ci qu’à partir de la date de sa mise en application.

Cela revient à dire que le condamné qui a déjà effectué une partie de sa peine avant de bénéficier de l’amnistie ne saurait en aucun cas être indemnisé pour la période qu’il a passée en prison.

Or l’article 15-II contrevient à ce principe. En prévoyant la réintégration du salarié licencié, il instaure une « remise en l’état », c’est-à-dire un retour à la situation juridique telle qu’elle existait avant les faits amnistiés, puisque le salarié retrouve son emploi ou un emploi équivalent assorti de la même protection dont il bénéficiait avant son licenciement. Cette réintégration est là contraire à l’esprit même de la notion d’amnistie qui repose sur l’oubli et non la réparation.

IV. : L’article 15-II est contraire au principe d’égalité à double titre

Il est un principe constamment rappelé qui veut que « l’amnistie ne préjudicie pas au droit des tiers ». C’est-à-dire que la victime d’un préjudice issu d’un fait amnistié conserve ses droits à réparation.

En ce qui concerne la protection du droit des victimes, on doit considérer avec la doctrine (cf. Audinet, « La Loi d’amnistie et le droit du travail », JCP 1982, 3059) que l’employeur est la victime de la faute qui a motivé le licenciement du salarié, et son droit en tant que victime est un droit de rompre le contrat de travail qui le liait au salarié, afin de ne plus avoir à subir ses agissements fautifs au sein de l’entreprise.

La réintégration prive l’employeur victime de son droit à ne plus avoir le fautif dans son personnel, qui constitue, dans la pratique, la forme quasi unique de réparation dont il peut bénéficier.

Cette disposition rompt le principe d’égalité que vous avez rappelé dans votre décision du 22 octobre 1982, en précisant que le législateur «  ne peut en revanche, même pour réaliser les objectifs qui sont les siens, dénier dans son principe même le droit des victimes d’actes fautifs à l’égalité devant la loi et devant les charges publiques ».

L’employeur victime de la faute de son salarié protégé serait la seule victime qui perdrait ses droits, du fait de la loi d’amnistie, ce qui remet gravement en cause le principe même d’égalité.

Ce principe d’égalité, qui a désormais valeur constitutionnelle, est méconnu par l’article 15-II, qui instaure aussi l’inégalité devant les charges.

En effet, en imposant la réintégration comme conséquence de l’effacement du fait fautif ayant justifié la rupture du contrat de travail, le législateur imposerait à l’employeur, non fautif en l’occurrence, une obligation juridique qui peut se traduire par une charge économique qui, à défaut d’être automatique, peut être présumée dans nombre de cas, compte tenu de la situation des entreprises. Les conséquences, pour les employeurs, d’une telle disposition ne peuvent, par nature, qu’être très inégales.

Une telle solution aurait pour effet de rompre l’égalité entre les salariés, des faits identiques faisant l’objet d’un traitement différent selon qu’ils aient été ou non commis par des salariés protégés.

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Conseil constitutionnel, décision n° 88-244 DC du 20 juillet 1988, Loi portant amnistie