Conseil de prud'hommes de Paris, 29 août 2022, n° F21/01979

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Sur la décision

Référence :
Cons. prud’h. Paris, 29 août 2022, n° F21/01979
Juridiction : Conseil de prud'hommes de Paris
Numéro(s) : F21/01979

Sur les parties

Texte intégral

CONSEIL DE PRUD’HOMMES

DE PARIS

27 rue R Blanc

[…]

Tél : 01.40.38.52.00

SG

SECTION

Encadrement chambre 6

N° RG F 21/01979

No Portalis 3521-X-B7F-JND3D

Notification le :

Date de réception de l’A.R. : par le demandeur:

par le défendeur :

Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée : le :

à:

[…]

fait par :

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

JUGEMENT contradictoire et en premier ressort

Prononcé par mise à disposition au greffe le 29 août 2022

Débats à l’audience du 13 juin 2022

Composition de la formation lors des débats :

M. A-Q R-S, Président

Employeur M. Francis DEPERNET, Conseiller Employeur M. Jacques DARMON, Conseiller Salarié Mme Gwenola XANTOPOULOS, Conseillère Salarié

Assesseurs

assistée de Madame T U, Greffière

ENTRE
M. B X

[…]

[…]

CHIKIANAssisté de Me Olivier KHATCHIKIAN G 0619

(Avocat au barreau de PARIS)

DEMANDEUR

ET

S.A.S. SOCIETE D’EDITION DE J K

[…]

[…]

Représenté par Me Antoine VIVANT R 245 (Avocat au barreau de PARIS)

DEFENDEUR



PROCÉDURE

Saisine du Conseil le 08 mars 2021 par demande déposée au greffe.

Convocation de la partie défenderesse à l’audience de conciliation du 27 octobre 2021 par lettre recommandée dont l’accusé réception a été retourné au greffe par la Poste sans date.

En l’absence de conciliation, les parties ont été renvoyées à l’audience de jugement du 13 juin 2022.

Débats à l’audience de jugement du 13 juin 2022 au cours de laquelle les conseils des parties ont déposé des conclusions, visées par le greffe.

Les parties ont été avisées de la date et des modalités du prononcé.

DEMANDES PRÉSENTÉES AU DERNIER ETAT DE LA PROCÉDURE
M. B X

- Réintégration dans l’entreprise sous astreinte de 1 000 € par jour de retard à compter de la décision

à intervenir. paiement des salaires ayant couru à compter de la mesure de licenciement frappée de nullité jusqu’à la date effective de réintégration dont le montant sera à parfaire en fonction de la date du jugement et de la réintégation effective de B X en ses fonctions, qui à la date de l’audience de jugement s’élève à 302 727 €

- Dommages et intérêts pour préjudice moral 250 000,00 €

- Indemnité de licenciement nul 1 300 000,00 €

- Article 700 du Code de Procédure Civile 5 000,00 €

- Exécution provisoire article 515 C.P.C.

- Dépens

S.A.S. SOCIETE D’EDITION DE J K

- Débouter M. B C l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

- Article 700 du Code de Procédure Civile 5 000,00 €

- Dépens

EXPOSE DES FAITS

Le 9 décembre 2020, B X a fait l’objet d’une mise à pied conservatoire à effet immédiat, assortie d’une convocation à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement pour

< faute grave ». Cet entretien était fixé au 18 décembre 2020.

B X s’est rendu à cet entretien, assisté de Monsieur D E, rédacteur en chef. Lors de cet entretien qui s’est tenu en présence de Monsieur F G, Directeur des Sports de J K, et H I, Responsable des Ressources Humaines, il fut reproché à l’intéressé d’avoir tenu des propos dénigrants à l’encontre de la chaîne les 22 novembre et 5 décembre 2020.

B X a protesté vigoureusement de sa bonne foi en exposant qu’il ne s’agissait pour la première phrase que d’une « galéjade », et pour la seconde « d’un salut amical à un collaborateur historique de la chaine J K, ni K ni moins ».

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Pour autant, le 23 décembre 2020, J K a notifié à Monsieur B X son licenciement en mettant en avant que les propos susmentionnés constituaient une violation de son obligation de loyauté. Ce licenciement était assorti d’un préavis de 3 mois que Monsieur B X a été dispensé d’effectuer.

C’est dans ces conditions que l’affaire est portée devant le Conseil de Prud’hommes de céans.

EXPOSE DU DEMANDEUR
Monsieur X fait plaider par son conseil :

Qu’en l’espèce, il est patent que les propos tenus par B X ne constituent en aucune manière un abus dans l’usage de la liberté d’expression; dès lors son licenciement, intervenu au mépris flagrant de cette liberté fondamentale devra être annulé, avec toutes les conséquences de droit qui s’y attachent.

Qu’en effet, il n’est pas démontré tout d’abord que B X aurait eu des propos injurieux, diffamatoires ou dictés par une intention de nuire à son employeur.

Qu’il n’est pas sérieusement contestable que les propos qui lui sont reprochés sont en réalité insignifiants, et seraient passés inaperçus si J K n’en avait pas fait la matière du motif de congédiement.

Que ni la saillie espiègle sur le plateau de « Match of Ze Day » à l’égard d’un camarade d’antenne, ni l’hommage teinté d’humour à l’endroit d’un ancien collaborateur ne constituent un abus dans la liberté d’expression.

Que cette liberté d’expression doit naturellement s’apprécier in concreto, rapportée au contexte, à la personnalité, à l’historique de la relation contractuelle, mais également à la fonction assumée et enfin. à l’esprit de l’entreprise au sein de laquelle les propos incriminés ont été tenus.

Qu’à cet égard et en premier lieu, il convient de rappeler que B X est journaliste titulaire d’une carte de presse et possède par la même le statut correspondant.

Qu’il ne viendra à l’esprit de personne de dénier au journaliste, fût-il spécialisé dans le football, sa liberté d’expression, inhérente à l’essence même de sa fonction.

Que cela est d’autant K vrai que la chaîne J K est une entreprise qui s’est développée historiquement auprès de ses abonnés et dans l’esprit du public en déployant dans tous ses programmes une liberté de ton où l’humour et l’autodérision ont toujours fait florès.

Que cette liberté de ton dont B X a usé à cette occasion comme depuis toujours dans tous ses commentaires de matchs ou les émissions qu’il a pu présenter est totalement dépourvue d’une quelconque déloyauté vis-à-vis de son employeur.

Que ce procès en déloyauté est d’autant K insupportable pour l’intéressé que ce reproche est aux antipodes de la vérité connue de tous au sein de la chaîne et auprès du public.

Que cette loyauté a au surplus, été encore dans les tous derniers temps explicitement reconnue par sa hiérarchie.

Que cette loyauté sans faille de B X était soulignée de manière particulièrement appuyée par D E, rédacteur en chef et présentateur de l’émission de référence de football de J K, qui l’a côtoyé pendant K de 20 années dans ses fonctions.

Que les dirigeants de J K savent parfaitement que Monsieur B X n’a jamais dénigré son employeur, que ce soit en interne comme à l’antenne.



Qu’il est donc permis de s’interroger sur les raisons profondes de cette éviction.

Qu’à ce chapitre, le Conseil de céans prendra connaissance avec intérêt des conclusions de l’enquête réalisée par l’Inspection du travail au sein de la Direction des Sports de la Société d’Edition de J K, dans les mois qui ont suivi l’éviction, particulièrement éclairante sur le climat de travail et les pressions qui pèsent sur les journalistes de la Direction des sports.

Que là encore, le témoignage d’D E dans le cadre de l’entretien préalable au licenciement de B X s’avère particulièrement précieux pour replacer les faits reprochés au concluant dans le contexte très particulier qui faisait suite à l’éviction de L M et à l’émoi que cette décision avait suscitée, se traduisant en particulier par cette pétition que ni B X, ni D E n’avaient signée.

Que pour autant, c’est très exactement cette conception de la « loyauté », propre à la Direction des sports de J K et dont l’Inspection du travail a fait un état des lieux pour le moins glaçant dans son rapport d’enquête, qui a présidé au licenciement de B X, J K ayant qualifié de manquement à l’obligation de loyauté, ce qui constituait uniquement « l’expression d’un minimum de soutien confraternel ».

Que, surtout, il est capital d’observer que par son intervention, B X n’a en aucune manière porté atteinte à J K ni écorné l’image du groupe.

Qu’a plusieurs reprises dans les conclusions adverses, il est indiqué que B X aurait reçu des rappels à l’ordre pour ses déclarations à l’antenne, et même qu’il aurait reçu une sanction en septembre 2020.

Qu’en réalité, il n’y a jamais eu de rappel à l’ordre ni encore moins de sanction au sens disciplinaire du terme (ce qui aurait nécessité le respect d’une procédure préalable nullement mise en place en l’espèce).

Qu’il s’est agi en réalité d’une simple conversation téléphonique, sur un non-sujet qui est aujourd’hui

< monté en épingle » par J K, combinée à un courriel de B X témoignant d’une tentative de clarification suite à une ingérence étonnante dans le contenu de ses commentaires.

Qu’en l’espèce, aucune disposition du contrat de travail de B X, que ce soit directement ou par renvoi à un document interne, ne contient de clause qui viendrait restreindre ou encadrer sa liberté

d’expression.

Que de manière générale, ni le règlement intérieur, ni l’avenant journalistes de l’accord collectif de l’UES J K, ni la charte déontologique communiquée en dernier lieu par J K, ni même une quelconque note de service qui serait venue fixer la supposée « nouvelle ligne éditoriale », ne contiennent davantage de dispositions en ce sens.

Qu’il en ressort ainsi que B X n’a commis aucune faute contractuelle, ce qui est pourtant la condition première érigée par la Cour de Cassation aux termes de sa jurisprudence la K récente pour que les propos qui lui sont reprochés puissent être sanctionnés.

Que s’agissant des propos reprochés à B X, abstraction faite des tentatives d'«< interprétations » exégétiques largement délayées par J K dans ses écritures pour tenter de faire illusion si l’on s’en tient à l’essentiel, l’évidence du caractère abusif et disproportionné de la position adoptée par J K ne peut échapper à la juridiction de céans.

Que si l’on se rattache à la grille d’analyse prônée par la Cour de Cassation, outre qu’ainsi qu’il a été vu les propos reprochés à B X ne caractérisent aucun manquement à une obligation contractuelle ou violation d’une charte interne ou autre, l’ingérence ainsi opérée par J K dans la liberté d’expression de B X ne saurait s’autoriser du moindre but légitime.

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Que surabondamment et à toutes fins utiles, B X conteste avec la K grande fermeté l’interprétation qui est faite dans les conclusions de J K de ses propos, qui sont totalement déformés et détournés de leur sens réel.

Que par son intervention, B X a tout à la fois réussi à aborder le sujet délicat du départ de L M, qui lui était en pratique impossible de ne pas évoquer compte tenu des remous et de l’émoi que ce départ a suscités tant en interne qu’auprès du public et des abonnés, en faisant écho à cette émotion sans pour autant lui-même prendre position (encore moins contre son employeur), et tout au contraire en introduisant en des termes élogieux le successeur de L M, rassurant par là-même ses abonnés sur le maintien de la qualité du programme et d’un certain esprit de « notre belle chaîne J ».

Qu’il n’y a, de nouveau, ni diffamation, ni injure, ni excès.

Que pour toutes ces raisons, le Conseil de céans ne pourra que juger que le licenciement de B X procède d’une atteinte particulièrement abusive à sa liberté d’expression, qui ne peut s’autoriser d’aucun but légitime, de sorte que ce licenciement encourt la nullité et que B X devra être réintégré de manière immédiate dans ses fonctions.

Que dès-lors, le licenciement intervenu en méconnaissance de cette liberté fondamentale qu’est la liberté d’expression sera frappé de nullité, assortie à titre principal d’une demande de réintégration à son poste, et intégrant l’ensemble des attributions et avar ages attachés au contrat de travail au sens large du terme.

Qu’en définitive, B X sollicite du Conseil de céans :

Sa réintégration en ses fonctions à la date du présent jugement, sous astreinte de 1 000 € par jour de retard;

Une indemnité correspondant à l’intégralité de la rémunération entre la date de son licenciement et la date effective de sa réintégration, sans déduction des revenus de remplacement, qui à la date de l’audience de jugement représente :

Perte de salaire de la date de fin de contrat (24/03/2021) à la date de l’audience de jugement (13/06/2022) soit 14 mois et 20 jours : 14,66 x (225 272 / 12) = 275 207 €, Congés payés afférents : 27 520 €,

Total de l’indemnité correspondant à la perte de rémunération : 302 727 €.

Qu’à la date de l’audience de jugement, l’indemnité d’éviction due à B X est donc de 302 727 €, mais sera évidemment à parfaire selon la même formule de calcul, en fonction de la date du jugement et de la réintégration effective de B X en ses fonctions.

Qu’à titre infiniment subsidiaire, si par impossible compte tenu de ce qui précède le Conseil de céans n’ordonnait pas sa réintégration, B X réclame à titre d’indemnité pour licenciement nul la somme de 1,3 millions d’euros.

Qu’en tout état de cause, indépendamment des conséquences de la nullité du licenciement, les circonstances dans lesquelles B X a été évincé de la chaîne pour laquelle il travaillait depuis 23 années ont été une épreuve particulièrement douloureuse pour lui.

Qu’en particulier, le fait d’être taxé de manque de loyauté à rebours de l’ensemble de son parcours et de son attachement viscéral à J K, d’être brutalement retiré de l’antenne au vu et au su de tous, la publicité inévitable donnée à cette éviction compte tenu de la notoriété de l’intéressé, le fait d’être congédié au terme de 23 années d’ancienneté sur la base de tels « griefs », ont profondément bouleversé B X.

Qu’il serait particulièrement juste et équitable que le Conseil de céans condamne J K à une indemnisation destinée à « réparer » ce préjudice moral considérable causé à B X, à hauteur de 250 000 €.

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Qu’enfin, B X a été amené à engager des frais pour faire valoir ses droits dans le cadre de la présente procédure, légitimant une condamnation sur le fondement de l’article 700 du Code de

Procédure Civile, à hauteur de 5 000 €, outre les entiers dépens..

Que les circonstances de l’espèce, et K spécialement la demande de réintégration formulée par B X, légitiment en outre, voire même exigent, que l’exécution provisoire du jugement soit ordonnée sur l’ensemble des condamnations prononcées, sur le fondement de l’article 515 du Code de Procédure Civile.

EXPOSE DU DEFENDEUR

La SAS SOCIETE D’EDITION DE J K fait valoir par son conseil :

Sur le caractère réel et sérieux du motif du licenciement de Monsieur X :

Que ces critiques portées par Monsieur X à l’encontre de son employeur ne relèvent absolument pas d’un exercice normal de sa liberté d’expression, qu’elles ont visé à le dénigrer publiquement, c’est pourquoi ses propos sont nécessairement fautifs.

Qu’il résulte que le comportement litigieux est d’autant K sanctionnable qu’il l’a été en toute connaissance de cause par un professionnel chevronné.

Que la faute est d’autant K grave que Monsieur X, qui avait déjà été rappelé à l’ordre à plusieurs reprises par sa Direction sur le fait qu’il ne pouvait pas se permettre, pendant une émission en direct, de donner son avis sur un sujet sans rapport avec la rencontre sportive dont il avait en charge le commentaire. Que cela caractérise la déloyauté.

Que la preuve des faits est rapportée et qu’ elle n’est pas contestée par Monsieur X, qui la revendique.

Que monsieur X prétend que les propos qui lui sont reprochés sont « en réalité insignifiants » dans la mesure où il ne s’agirait, d’une part, que d’une « saillie espiègle » et d’autre part, d’un « hommage teinté d’humour ».

Qu’il poursuit en indiquant de manière opportune que son statut de journaliste au sein de la société J K lui conférait le droit « d’éditorialiser ses commentaires. Que cette liberté de ton constitue un aspect essentiel de son travail qui participe du succès de ses commentaires auprès des téléspectateurs : B X l’a toujours assumée et même revendiquée ».

Qu’autrement dit, ce sont de « bonnes blagues » que son statut de journaliste lui permet de faire à la télé.

Que le fait que ces critiques aient été prononcées publiquement, en direct à l’antenne, d’une part, et par un professionnel chevronné d’autre part, constituent autant de circonstances aggravantes.

*

Que ces faits caractérisent une violation de l’obligation de loyauté aggravée par leur caractère intentionnels et répétés.

Sur le premier grief:

« Le 22 novembre 2020, vous avez tenu des propos incontestablement dénigrant à l’encontre de la société lors de votre venue sur le plateau de l’émission « MATCH OF ZE DAY », en déclarant en direct « […] ils ne vous respectent K à J, qu’est-ce qu’il se passe Joris […]. Pour une affiche pareille ils vous mettent dans un cagibi ».

Que les propos de Monsieur X sont incontestablement dénigrants à l’encontre de son employeur.

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.



Que comparer les moyens mis en œuvre par la société J K pour les besoins d’une émission télévisée à un « cagibi » vise à donner au public une image dégradée des conditions de travail et des moyens techniques mis en œuvre par la Société pour faire travailler ses équipes.

Que l’attaque est « ad hominem ». Elle est directement portée contre l’employeur des intéressés qu’il nomme, Y. Elle vise à l’identifier et à l’incriminer.

Qu’ensuite, le propos est accablant et dégradant. Y ne respecterait K ses collaborateurs. J K ferait désormais travailler son personnel dans des conditions indignes.

Que le commentaire de Monsieur X constitue un jugement de valeur contre son employeur.

Qu’en réalité, les propos sont diffamatoires et attentatoires à la dignité de J K et de sa

Direction.

Que derrière la formule employée par Monsieur X se trouve une accusation personnelle dirigée contre la Direction actuelle de J K, dont il faut comprendre que contrairement à la précédente, celle-ci ne respecterait pas ses collaborateurs.

Que monsieur X N en réalité par son commentaire à stigmatiser un changement intervenu récemment dans la gestion de l’entreprise et à dénoncer de nouvelles méthodes de gestion.

Qu’enfin, dans un secteur aussi concurrentiel que celui de l’audiovisuel, ils portent atteinte à la réputation et à l’image d’excellence de la société en dévalorisant les moyens techniques et éditoriaux mis en œuvre pour le programme considéré, en le mettant en exergue à l’égard des abonnés qui payent l’abonnement à la chaîne J K.

Sur le second grief:

Que le 5 décembre 2020, alors qu’il commentait un match de football, Monsieur X a déclaré à l’antenne « […] juste peut être pour saluer l’ami L M qui n’a peut-être pas eu la sortie qu’il aurait mérité »; «on lui souhaite bon vent et puis on sait que le bel esprit de O P permettra d’assurer la continuité dans le J sport club, y’a pas de doutes là-dessus. Et comme disait Coluche […] il faut se méfier des comiques parce que quelque fois ils disent des choses pour plaisanter ».

Que Monsieur X choisi à nouveau de dire publiquement ce qu’il pense du motif et des conditions de départ de son ami, qu’il accuse son employeur d’avoir provoqué.

Que de K, il lui apporte son soutien en se moquant de son employeur en direct à un moment de grande écoute.

Que là, la démarche comme la formule sont calibrées, ciselées et mûrement réfléchies.

Que là encore, Monsieur X s’érige en redresseur de tort, prétendant faire de l’esprit et des « bons mots » et se référant à une certaine culture populaire, pour mieux prendre à témoin et se rallier l’opinion qu’il N ainsi à s’attirer.

Qu’à nouveau, Monsieur X règle ses comptes avec la nouvelle Direction de J K.

Que Monsieur X affirme que son employeur a licencié son ami pour un motif illégitime.

Que l’atteinte à la réputation de la société J K est explicite et assumée.

Qu’il critique ouvertement la politique sociale de la nouvelle Direction qu’il ridiculise en prétendant qu’elle aurait manqué d’humour.

Que tout cela n’a rien à voir avec l’exercice de la liberté d’expression.

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Qu’en réalité Monsieur X se réfugie derrière elle, pour cacher le fait qu’il règle ses comptes avec une nouvelle Direction qui change les choses, n’appartient pas à « la famille » et qu’il n’approuve pas.

Que même si aujourd’hui Monsieur X le nie avec une parfaite mauvaise foi, soutenant désormais qu’il ne s’agissait en l’espèce que « d’un salut amical à un collaborateur historique de la chaine J K, ni K ni moins », l’attaque était intentionnelle et préméditée. Qu’elle a été réelle et largement diffusée.

Qu’il assume publiquement dans un interview qu’il donne au journal « L’Équipe » le 15 juin 2021. Interrogé par le journaliste sur le point de savoir si, « avec le recul, vu les proportions prises, [il] regrettait d’avoir adressé ce message amical à L M en direct », Monsieur X répond très clairement: « absolument pas. On fait des métiers publics, c’était devenu une affaire publique, il était important qu’on se manifeste. L M était un membre de la famille J. Certains ont signé une pétition, moi j’ai préféré utiliser cette voie ».

Qu’aussi, la prise de parole de Monsieur X serait un acte courageux, de rébellion.

La réalité est toute autre. Lorsque ses collègues utilisent les voies de droits qui leurs sont ouvertes et signent une pétition, Monsieur X prend celle de l’illégalité, de la mise en scène, du coup d’éclat spectaculaire, et dénonce à l’antenne en direct, pour mieux se démarquer et entretenir son image.

Que le fait que ces propos aient été prononcés à l’antenne en direct constitue en tout état de cause un abus de sa liberté d’expression et autant de circonstances aggravantes justifiant le licenciement.

En premier lieu, le choix de Monsieur X d’exprimer ses critiques à l’antenne est non seulement intentionnel, mais délibéré et vise uniquement à donner un retentissement extérieur à l’entreprise de son point de vue sur la gestion de son employeur.

En second lieu, il était commentateur sportif des K belles affiches programmées par la chaîne J K. De ce fait il avait, auprès d’un large public, une certaine notoriété et un certain statut.

Qu’aussi, il savait qu’en dénigrant son employeur à l’antenne, compte tenu de son statut, ses propos auraient un retentissement. Que ce faisant il a N à maximiser son effet et sa nuisance. Qui K est, en s’exprimant en direct il a empêché toute possibilité à son employeur de prévenir l’attaque et de se protéger.

Que la publicité des critiques constitue donc une circonstance aggravante de l’abus ainsi commis.

En troisième lieu, à l’évidence compte tenu de ses fonctions et de son ancienneté dans la profession, Monsieur X devait nécessairement s’astreindre à une obligation renforcée de loyauté vis-à-vis de son employeur.

Que le licenciement de Monsieur X est d’autant K justifié qu’il avait déjà été recadré à plusieurs reprises par sa Direction sur des faits de même nature.

Qu’à cet égard, on rappellera que la convention collective nationale des journalistes en son article 3 prévoit expressément que «l’expression publique de [son] opinion [ne doit] en aucun cas porter atteinte aux intérêts de l’entreprise dans laquelle ils travaillent ».

Que la persistance du comportement de Monsieur X, dont les propos critiques au point d’être dénigrants et même diffamatoires exprimés en public, en direct à l’antenne devant des milliers de spectateurs à une heure de grande écoute, ne saurait relever de l’exercice normal de sa liberté d’expression, et son licenciement ne saurait encourir la moindre nullité, celui-ci reposant nécessairement sur une cause réelle et sérieuse.

Que sur la demande de réintégration au sein de la société J, le licenciement de Monsieur X, prononcé pour un motif licite, repose sur une cause réelle et sérieuse. Cette demande qui ne peut être ordonnée qu’en cas de nullité du licenciement, devra donc être rejetée, de même que toutes celles qui en découlent, et notamment sa demande d’astreinte.

.

-8



Que sur le préjudice moral distinct allégué, au cas d’espèce, cette demande, au surplus d’être infondée, est injustifiée, Monsieur X ne prenant même pas la peine de caractériser ou de justifier le moindre préjudice en l’espèce.

Que sur la demande au titre de l’exécution provisoire, elle ne peut être décidée qu’à titre exceptionnel, lorsqu’elle est nécessaire. Que, force est de constater que Monsieur X ne démontre pas être dans une situation impérieuse nécessitant l’exécution provisoire de la décision à intervenir, la demande présentée à ce titre sera rejetée.

Que sur l’article 700 du code de procédure civile, les dépens et la condamnation au paiement des intérêts et leur capitalisation, Monsieur X sollicite différentes condamnations, sans apporter la preuve de ce qu’il serait dans une situation précaire et impérieuse les justifiant.

Qu’en effet, Monsieur X ne verse aux débats aucune pièce justifiant de sa situation professionnelle ou financière à ce jour.

Qu’il est donc demandé au Conseil de rejeter l’ensemble de ces demandes.

Qu’en revanche, il serait inéquitable de laisser à la charge de la société J K les frais qu’elle a dû engager dans le cadre de la présente instance.

Que le Conseil de prud’hommes de Paris condamnera Monsieur X à verser à la société J K la somme de 5 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

MOTIVATIONS ET DECISION DU CONSEIL

Attendu qu’aux termes de l’article L 1235-1 du Code du travail : « En cas de litige, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié. »

Attendu que pour se prononcer sur l’existence d’un droit il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’ une atteinte au droit d’expression au sens de l’article L. 1121-1 du code du travail.

Attendu que monsieur X ne démontre aucune atteinte a sa liberté d’expression.

Attendu, dès lors, que la demande de nullité du licenciement ne saurait prospérer, le Conseil le déboutera de ce chef de demande.

Attendu que les motifs invoqués au titre du licenciement n’apparaissent pas comme suffisamment sérieux, le Conseil requalifiera la rupture en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamnera la société d’Edition de J K a payer la somme de 260.238 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Attendu que monsieur X n’établit pas d’élément constitutif d’un préjudice moral, il sera débouté de la demande à ce titre.

Attendu qu’aux termes de l’article L. 1235-4 du Code du Travail, le Conseil ordonne également le remboursement par l’employeur fautif aux organismes concernés de tout ou partie des indemnités de chômage payées au salarié licencié du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé par le tribunal, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage.

-9



Le Conseil ordonnera en conséquence, à la société Y de rembourser à POLE EMPLOI la somme de 6 (six) mois d’indemnité chômage.

Attendu en fonction de la décision prise, que le Conseil accordera la somme de 1.000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

La présente décision est exécutoire dans les conditions de l’article R 1454-28 du Code du travail.

PAR CES MOTIFS

Le Conseil, après en avoir délibéré, statuant publiquement par jugement contradictoire et en premier ressort:

Requalifie le licenciement de Monsieur B X en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Condamne la S.A.S. SOCIETE D’EDITION DE J K à verser à Monsieur B X les sommes suivantes:

- à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse 260 238 €

Avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement.

- au titre de l’article 700 du code de procédure civile 1 000 €

Ordonne à la S.A.S. SOCIETE D’EDITION DE J K le remboursement des indemnités de chômage perçues par Monsieur B X au Pôle Emploi dans la limite de 6 (six) mois d’indemnités de chômage.

Déboute Monsieur B X du surplus de ses demandes.

Déboute la S.A.S. SOCIETE D’EDITION DE J K de ses demandes reconventionnelles.

Condamne la S.A.S. SOCIETE D’EDITION DE J K aux dépens.

LE PRÉSIDENT LA GREFFIERE

A-Q R-S T U

[…]

EXPEDITION CERTIFIÉE

CONFORME POUR NOTIFICATION

La Grecteur des services de greffe

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