Tribunal administratif de Bordeaux, 3ème chambre, 29 décembre 2022, n° 2005873

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Chronologie de l’affaire

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Deloitte Société d'Avocats · 24 janvier 2023

Le TA de Bordeaux juge que doit être écartée l'application du report d'imposition prévu à l'article 150-0 B ter du CGI à l'apport de titres à une société contrôlée, dans l'hypothèse où la soulte, bien qu'inférieure à 10 % de la valeur nominale des titres reçus, ne présente pas un intérêt économique pour la société bénéficiaire de l'apport et est uniquement motivée par la volonté de l'apporteur d'appréhender des liquidités en franchise d'impôt. Rappel On sait que le dispositif de report d'imposition applicable en cas d'apport à une société contrôlée permet la rémunération de l'opération …

 
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Sur la décision

Référence :
TA Bordeaux, 3e ch., 29 déc. 2022, n° 2005873
Juridiction : Tribunal administratif de Bordeaux
Numéro : 2005873
Type de recours : Plein contentieux
Dispositif : Non-lieu
Date de dernière mise à jour : 8 septembre 2023

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 18 décembre 2020 et le 15 juillet 2021, M. B, représenté par Me Moyaert, demande au tribunal :

1°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu, de prélèvements sociaux et de contribution sur les hauts revenus auxquelles il a été assujetti au titre de l’année 2015 ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

— l’administration n’a pas motivé le rejet de l’une de ses observations en méconnaissance de l’article L. 57 du livre des procédures fiscales ;

— l’administration a commis une erreur de droit en se fondant sur l’article L. 64 du livre des procédures fiscales pour regarder comme des revenus distribués la soulte reçue à hauteur de 125 800 euros en contrepartie de l’opération d’apport de titres, ainsi qu’une erreur d’appréciation ;

— la position de l’administration aurait pour effet de soumettre le montant de la soulte à une double imposition.

Par un mémoire en défense enregistré le 1er juillet 2021, le directeur régional des finances publiques de Nouvelle-Aquitaine et du département de la Gironde conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible d’être fondé sur un moyen relevé d’office, tiré de l’existence d’une erreur dans le choix de la catégorie d’imposition.

Le directeur régional des finances publiques de Nouvelle-Aquitaine et du département de la Gironde a présenté des observations en réponse à cette information, qui ont été enregistrées le 1er décembre 2022.

Il indique qu’il a accordé un dégrèvement à hauteur de 10 630 euros en cours d’instance et demande au tribunal de maintenir l’imposition de la soulte dans la catégorie des plus-values mobilières.

M. B a présenté des observations à cette information qui ont été enregistrées le 9 décembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

— le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

— le rapport de Mme Wohlschlegel, première conseillère ;

— les conclusions de M. Willem, rapporteur public ;

— et les observations de Me Lezer, représentant M. B.

Considérant ce qui suit :

1. Le 21 avril 2014, M. B a créé l’EURL Hold Sociétés Somme, société de holding dont il est gérant et associé unique. Le 28 mai 2015, il a apporté à cette société, pour un montant total de 1 383 960 euros, la totalité des parts qu’il détenait dans la SARL Laurent et associés, la SARL Laurent et Olivier et la SARL Bio Nansouty. Cet apport de titres a été rémunéré par l’attribution à M. B de 125 816 parts sociales de la société Hold Sociétés Somme, représentant 1 258 160 euros, et par une soulte de 125 800 euros qui a été inscrite au compte courant d’associé détenu par M. B dans la société Hold Sociétés Somme. En application de l’article 150-0-B ter du code général des impôts, dans sa version applicable au litige, M. B a placé la plus-value générée par ces opérations d’apport, y compris la soulte, en report d’imposition. Toutefois, à l’issue de la vérification de comptabilité de la société Hold Sociétés Somme sur la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016, l’administration a remis en cause le bénéfice du report d’imposition à hauteur du montant de cette soulte en estimant qu’il était constitutif d’un abus de droit au sens de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales. Elle a regardé la somme en litige comme des revenus distribués à M. B par la société Hold Sociétés Somme et décidé de la soumettre entre les mains de ce dernier à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers sur le fondement du 2° de l’article 109-1 du code général des impôts. M. B demande au tribunal de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu, de prélèvements sociaux et de contribution sur les hauts revenus auxquelles il a été assujetti au titre de l’année 2015 pour un montant total de 106 031 euros.

Sur l’étendue du litige :

2. Postérieurement à l’introduction de la requête, l’administration fiscale a prononcé un dégrèvement des cotisations supplémentaires mises à la charge de M. B d’un montant de 10 630 euros. Les conclusions de la requête relatives à ces impositions sont, dans cette mesure, devenues sans objet. Il n’y a, par suite, pas lieu d’y statuer.

Sur la régularité de la procédure d’imposition :

3. Aux termes de l’article L. 57 du livre des procédures fiscales : « () Lorsque l’administration rejette les observations du contribuable sa réponse doit également être motivée. ».

4. Dans son courrier du 11 juin 2018, l’administration a précisé que l’article L. 64 du livre des procédures fiscales lui permettait de remettre en cause le bénéfice du report d’imposition de la seule soulte et de procéder à son imposition immédiate. Dans ces conditions, M. B ne peut sérieusement soutenir que l’administration se serait abstenue de répondre à son observation selon laquelle cette soulte serait susceptible de faire l’objet d’une double imposition à l’expiration d’un report qui n’a pas été accordé, en méconnaissance des dispositions précitées.

Sur le bien-fondé de l’imposition :

En ce qui concerne l’abus de droit et l’exclusion partielle du report d’imposition :

5. Aux termes de l’article L.64 du livre des procédures fiscales : « Afin d’en restituer le véritable caractère, l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l’avis du comité de l’abus de droit fiscal. L’administration peut également soumettre le litige à l’avis du comité. Si l’administration ne s’est pas conformée à l’avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification. () ». Il résulte de ces dispositions que, lorsque l’administration use des pouvoirs que lui confère ce texte dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable dès lors qu’elle établit que ces actes ont un caractère fictif, ou bien, à défaut, recherchent le bénéfice d’une application littérale des textes à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs et n’ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, s’il n’avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles. L’administration fiscale apporte cette preuve par la production de tous éléments suffisamment précis attestant du caractère fictif des actes en cause ou de l’intention du contribuable d’éluder ou d’atténuer ses charges fiscales normales. Dans l’hypothèse où l’administration s’acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au contribuable, s’il s’y croit fondé, d’apporter la preuve de la réalité des actes contestés ou de ce que l’opération litigieuse est justifiée par un motif autre que celui d’éluder ou d’atténuer ses charges fiscales normales.

6. Aux termes de l’article 150-0-B ter du code général des impôts : " I.- L’imposition de la plus-value réalisée, directement ou par personne interposée, dans le cadre d’un apport de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres ou de droits s’y rapportant tels que définis à l’article 150-0 A à une société soumise à l’impôt sur les sociétés ou à un impôt équivalent est reportée si les conditions prévues au III du présent article sont remplies. Le contribuable mentionne le montant de la plus-value dans la déclaration prévue à l’article 170. Les apports avec soulte demeurent soumis à l’article 150-0 A lorsque le montant de la soulte reçue excède 10 % de la valeur nominale des titres reçus. () III.- Le report d’imposition est subordonné aux conditions suivantes : 1° L’apport de titres est réalisé en France () ; 2° La société bénéficiaire de l’apport est contrôlée par le contribuable () ".

7. En instituant un mécanisme de report d’imposition, le législateur a entendu favoriser les restructurations d’entreprises susceptibles d’intervenir par échange de titres en évitant que l’imposition immédiate de la plus-value constatée à l’occasion d’une telle opération, alors que le contribuable ne dispose pas des liquidités lui permettant d’acquitter cet impôt, fasse obstacle à sa réalisation. Si, dans la version du texte applicable au litige, le report d’imposition bénéficie à la totalité de la plus-value résultant d’une opération d’apport avec soulte lorsque le montant de celle-ci n’excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus en rémunération de l’apport, le but ainsi poursuivi par le législateur n’est pas respecté si la stipulation d’une soulte au profit de l’apporteur en complément de l’attribution de titres de la société bénéficiaire de l’apport n’a aucune autre finalité que de permettre à celui-ci d’appréhender, en franchise immédiate d’impôt, des liquidités détenues par cette société ou par celle dont les titres sont apportés. Dans ce cas, l’administration est fondée, sur le fondement de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, à considérer qu’en stipulant l’octroi de cette soulte, les parties à l’opération d’apport ont recherché le bénéfice d’une application littérale des dispositions de l’article 150-0 B ter du code général des impôts à l’encontre des objectifs poursuivis par le législateur, dans le seul but d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’apporteur aurait normalement supportées.

8. En l’espèce, l’administration soutient que la stipulation de la soulte en litige n’a pas eu pour objet de faciliter la restructuration d’entreprises engagée par M. B et qu’elle ne présente aucun intérêt économique pour la société Hold Sociétés Somme. Ayant par ailleurs relevé que cette somme a été mise à disposition de ce dernier sur son compte courant d’associé, elle en a déduit qu’elle n’avait eu d’autre but que de lui procurer des liquidités en franchise immédiate d’impôt. Le requérant, qui se borne à soutenir que les opérations de l’année 2015 ne se sont pas limitées à un simple apport de titres et que la société Hold Sociétés Somme a poursuivi la même année ses prises de participation dans deux autres sociétés, qu’il a seulement appréhendé la somme de 20 000 euros en 2015 à titre d’avance, que la somme de 106 780 euros est demeurée sur son compte courant d’associé jusqu’au 31 décembre 2016, et que cette soulte a été réinvestie en intégralité dans une des sociétés contrôlées au cours de l’année 2017 afin de soutenir son activité de cette filiale, ne démontre pas que sa stipulation répondrait à un motif autre que celui d’éluder son imposition immédiate. Il en résulte que c’est sans commettre d’erreur de droit et d’erreur d’appréciation que l’administration a estimé que la stipulation de cette soulte poursuivait un but exclusivement fiscal par application littérale des dispositions de l’article 150-0 B ter du code général des impôts, contraire à l’intention du législateur, et remis en cause le bénéfice de report d’imposition prévu par ces dispositions à hauteur du montant correspondant.

En ce qui concerne la catégorie d’imposition de la soulte :

9. Il résulte de l’instruction que l’administration n’a pas regardé comme constitutive d’un abus de droit l’opération d’apport elle-même mais seulement le choix de rémunérer l’apport au moyen d’une soulte bénéficiant du report d’imposition, de telle sorte que la mise en œuvre de la procédure de répression des abus de droit n’a pu avoir d’autre conséquence que la remise en cause, à concurrence de la soulte, du bénéfice du report d’imposition de la plus-value d’apport et la soumission immédiate de celle-ci à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine. Par suite, c’est à tort que l’administration a regardé la soulte comme des revenus distribués et l’a soumise à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers.

10. Toutefois, l’administration demande, par voie de substitution de base légale, que l’imposition contestée soit maintenue dans la catégorie des plus-values mobilières. Il y a lieu de faire droit à cette demande qui, contrairement à ce que soutient M. B, est suffisamment précise quand bien même elle ne mentionne pas l’article 150-0-A du code général des impôts, et ne le prive d’aucune garantie, dès lors qu’il a pu faire valoir ses observations le 9 décembre 2022 sur cette nouvelle catégorie d’imposition en réponse au mémoire de l’administration qui lui a été communiqué le 1er décembre 2022, par lesquelles il se borne à s’interroger sur le mode de calcul de l’imposition de la soulte litigieuse selon les règles applicables en matière de plus-value, sans contester sérieusement le montant de l’imposition moindre maintenue à sa charge, et à soutenir que la proposition de rectification comporterait de ce fait une motivation erronée en droit, alors qu’une telle circonstance est inopérante.

En ce qui concerne l’existence d’une double imposition :

11. La soulte faisant l’objet d’une imposition immédiate, le moyen tiré de ce que cette soulte serait susceptible de faire l’objet d’une seconde taxation lors de l’expiration du report d’imposition, qui n’a pas été accordé, ne peut qu’être écarté.

12. Il résulte de ce qui précède que les conclusions aux fins de décharge présentées par M. B doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

13. L’Etat n’étant pas la partie perdante, les conclusions tendant à la mise en œuvre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative présentées par M. B doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : Il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. B tendant à la décharge de la somme de 10 630 euros, dont le dégrèvement lui a été accordé en cours d’instance.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. A B et au directeur régional des finances publiques de Nouvelle-Aquitaine et du département de la Gironde.

Délibéré après l’audience du 15 décembre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Ferrari, président,

Mme D et Mme C, premières conseillères.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 décembre 2022.

La rapporteure,

E. D

Le président,

D. FERRARI La greffière,

C. POTTIER

La République mande et ordonne au directeur régional des finances publiques de Nouvelle-Aquitaine et du département de la Gironde, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N°2005873

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