Tribunal administratif de Grenoble, 6ème chambre, 23 janvier 2024, n° 2102130

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TA Grenoble, 6e ch., 23 janv. 2024, n° 2102130
Juridiction : Tribunal administratif de Grenoble
Numéro : 2102130
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Décision précédente : Cour administrative d'appel de Lyon, 30 octobre 2023
Dispositif : Satisfaction partielle
Date de dernière mise à jour : 10 février 2024

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 2 avril 2021, 8 septembre 2022 et 14 septembre 2022, Mme B, représentée par Me Alberto, demande au tribunal :

1°) de condamner le centre hospitalier de Vienne à lui verser la somme de 46 169 euros, outre intérêts de droit et capitalisation annuelle à compter de sa demande indemnitaire préalable ;

2°) de mettre à la charge du centre hospitalier une somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

— les décisions refusant la prise en charge financière de sa formation à l’IFCS sont illégales et engagent la responsabilité du centre hospitalier.

— elles sont illégales car :

* insuffisamment motivées ;

* méconnaissent l’article 7 du décret du 21 aout 2008 ;

* sont entachées d’erreur manifeste d’appréciation.

— le centre hospitalier a commis une faute en ayant eu une attitude vexatoire à son égard vis-à-vis de son droit à formation.

— elle demande à être indemnisée des préjudices suivants :

* 17 000 euros au titre de la perte de salaire ;

* 7 393 euros au titre des frais de scolarité qu’elle a dû assumer ;

* 2 604 euros au titre de la perte de ses droits à congés payés ;

* de la perte de ses droits à retraite ;

* 1 722 euros au titre de ses frais de déplacements et 2 450 euros au titre de ses frais de repas ;

* 15 000 au titre de son préjudice moral et de ses troubles dans ses conditions d’existence.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 juin 2022, le centre hospitalier Lucien Hussel, représenté par Me Brocheton conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la requérante la somme de 1 200 euros au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative.

Le centre hospitalier conteste les moyens invoqués.

Par lettre du 19 aout 2022, les parties ont été informées qu’en application des dispositions de l’article R. 611-11-1 du code de justice administrative l’instruction est susceptible d’être close le 9 septembre 2022, par l’émission d’une ordonnance de clôture ou d’un avis d’audience, sans information préalable.

La clôture immédiate de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 21 novembre 2023.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible d’être fondé sur un moyen relevé d’office, tiré de ce que les conclusions tendant à l’indemnisation de la perte de son traitement, de ses droits à congés annuels, de ses frais de scolarité, déplacement et de repas sont tardives en application de la jurisprudence CE, 9 mars 2018, n°405355, Communauté de commune du Pays Roussillonnais.

Un mémoire en réponse au moyen d’ordre public a été enregistré pour Mme B le 3 janvier 2024.

Vu :

— les autres pièces du dossier ;

— la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

— la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ;

— le décret n°2008-824 du 21 aout 2008 relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie des agents de la fonction publique hospitalière ;

— le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

— le rapport de Mme Fourcade,

— les conclusions de M. Argentin, rapporteur public,

— et les observations de Me Brocheton, représentant le centre hospitalier de Vienne.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B, infirmière employée par le centre hospitalier de Vienne depuis novembre 2011, a demandé à celui-ci la prise en charge financière de sa scolarité à l’institut de formation des cadres de santé (IFCS) de Saint-Etienne où elle a été admise en mai 2017. Après s’être vu opposer un premier refus par une décision du 11 avril 2017, elle a sollicité un report de scolarité qui lui a été accordé. La requérante a ensuite présenté auprès de l’association nationale de la formation hospitalière (ANFH) une demande de prise en charge des frais de sa scolarité pour l’année 2018/2019 qui a été refusée par une décision 27 février 2018. Mme B a alors sollicité un second report de sa scolarité qui lui a été accordé. Par un courrier du 2 juillet 2018, elle a de nouveau demandé à son employeur la prise en charge financière de sa formation pour l’année 2019/2020. Sa demande a été rejetée par une décision du 8 août 2018 et son recours gracieux formé le 9 octobre 2018 n’a pas reçu de réponse. Le recours en annulation pour excès de pouvoir de la décision du 8 août 2018 formé par Mme B a été rejeté par un jugement rendu par le tribunal administratif de Grenoble rendu le 16 mars 2021. Ce jugement a été confirmé par un arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon rendu le 31 octobre 2023.

2. Mme B, placée à sa demande en disponibilité, a effectué du mois du septembre 2019 au mois de juin 2020 sa scolarité l’Institut de formation des cadres de santé de Saint-Etienne.

3. Mme B a formé le 21 décembre 2020 une réclamation préalable tendant à l’indemnisation des préjudices qu’elle a subis en raison des fautes commises par le centre hospitalier dans la gestion de sa carrière et plus particulièrement la méconnaissance de son droit à la formation. Cette réclamation a été rejetée par un courrier du 2 février 2021.

Sur les conclusions relatives à la perte de son traitement, de ses droits à congés annuels, de ses frais de scolarité, déplacement et de repas :

4. D’une part, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l’absence de preuve qu’une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l’exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance. Cette règle, qui a pour seul objet de borner dans le temps les conséquences de la sanction attachée au défaut de mention des voies et délais de recours, ne porte pas atteinte à la substance du droit au recours, mais tend seulement à éviter que son exercice, au-delà d’un délai raisonnable, ne mette en péril la stabilité des situations juridiques et la bonne administration de la justice, en exposant les défendeurs potentiels à des recours excessivement tardifs. Il appartient dès lors au juge administratif d’en faire application au litige dont il est saisi, quelle que soit la date des faits qui lui ont donné naissance.

5. D’autre part, l’expiration du délai permettant d’introduire un recours en annulation contre une décision expresse dont l’objet est purement pécuniaire fait obstacle à ce que soient présentées des conclusions indemnitaires ayant la même portée.

6. Au soutien de ses conclusions, Mme carton invoque l’illégalité fautive des trois refus successifs de financement qui lui ont été opposés.

7. En premier lieu, la légalité du troisième refus qui a été opposé le 8 août 2018 à Mme B a été confirmée par un jugement de ce tribunal rendu le 16 mars 2021 et un arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon rendu le 31 octobre 2023. Par suite, aucune illégalité fautive de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier ne peut être retenue au titre de cette décision.

8. En deuxième lieu, si la requérante fait valoir qu’un second refus lui a été notifié le 14 mars 2018, il n’est pas versé au dossier alors qu’est produite une décision du 27 février 2018 de l’association nationale de la formation hospitalière, association relevant de la loi de 1901. Une décision émanant d’une personne morale distincte du centre hospitalier de Vienne, ne saurait en tout état de cause engager la responsabilité de ce dernier.

9. En troisième lieu, la requérante a eu connaissance du premier refus de financement du 11 mars 2017 et du deuxième refus du 14 mars 2018, en admettant qu’il existe, au plus tard aux dates auxquelles elle a sollicité les reports de scolarités pour lesquels elle a eu des retours positifs de l’Institut de formation des cadres de santé respectivement le 13 juin 2017, pour la première demande et le 21 mars 2018, pour la seconde demande. En l’absence de recours gracieux ou juridictionnels tendant à l’annulation de ces décisions, celles-ci étaient devenues définitives en application des principes rappelés au point 4 du présent jugement, à la date d’enregistrement de la présente requête. Par suite, les conclusions tendant à l’indemnisation de la perte de son traitement, des droits à congés annuels, des frais de scolarité, déplacement et de repas, qui se rattachent aux conséquences pécuniaires qui sont inséparables de ces décisions doivent être rejetées comme irrecevables.

Sur les conclusions relatives à la réparation de son préjudice moral :

10. En revanche, les conclusions de Mme B tendant à la réparation du préjudice moral résultant de l’illégalité de la décision du 11 mars 2017 n’ont pas la même portée que les conséquences pécuniaires de cette décision et sont donc recevables.

11. D’une part, l’article 1er du décret du 21 août 2008 relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie des agents de la fonction publique hospitalière, dans sa version applicable au litige, dispose que : " La formation professionnelle tout au long de la vie comprend principalement les actions ayant pour objet : () / 3° De proposer aux agents des actions de préparation aux examens et concours et autres procédures de promotion interne ; / 4° De permettre aux agents de suivre des études favorisant la promotion professionnelle, débouchant sur les diplômes ou certificats du secteur sanitaire et social dont la liste est fixée par arrêté du ministre chargé de la santé ; () ".

12. D’autre part, l’article 6 dudit décret dans sa rédaction applicable au présent litige : « Le plan de formation de l’établissement est établi chaque année selon les modalités définies à l’article 37. Il détermine les actions de formation initiale et continue organisées par l’employeur ou à l’initiative de l’agent avec l’accord de l’employeur relevant des 1°, 2°, 3°, 4° et 5° de l’article 1er. Il prévoit leur financement. ». Aux termes de l’article 8 de ce décret : « Les agents qui suivent une formation inscrite au plan de formation de l’établissement bénéficient, pendant leur temps de travail, du maintien de leur rémunération () ».

13. Il résulte de ces dispositions que l’existence d’un plan de formation au sein d’un établissement hospitalier implique que ses agents disposent d’un droit à suivre les actions de formation qui y sont inscrites. Ce droit s’exerce sous réserve, d’une part, de l’adéquation de la demande de l’agent avec les objectifs et moyens du plan et, d’autre part, de l’intérêt du service à la date où est formulée la demande. Pour apprécier l’intérêt du service, le directeur peut notamment tenir compte de l’utilité que présente la formation envisagée pour le développement de la carrière de l’agent et de la capacité de celui-ci à exercer des fonctions correspondantes

14. Il est constant que le centre hospitalier avait inscrit l’action « cadre de santé » à son plan de formation pour l’année 2017. Au titre de cette année 9 agents ont fait acte de candidature pour obtenir un financement au titre de cette action. 5 agents, dont la requérante, ont été reçus en entretien par le directeur et les cadres supérieurs et à l’issue de ces entretiens 3 agents, au nombre desquels ne figure pas la requérante, ont obtenu un financement de leurs études à l’IFCS.

15. Il ressort des fiches de notation de l’intéressée au titre des années 2012 à 2016 que son travail donne toute satisfaction à son employeur. Elle a, en outre, expérimenté les fonctions de cadre de santé au cours d’un remplacement effectué entre le 17 septembre et le 15 novembre 2015, avant d’être admise à l’IFSC en mai 2017 avec les notes de 14/20 à l’écrit et 13/20 à l’oral.

16. Si le centre hospitalier fait valoir que le contenu du projet professionnel de Mme B n’est pas « validé », il ne précise pas en quoi son projet serait perfectible. De même le centre hospitalier n’apporte aucune précision ni sur les critères qui ont conduit à hiérarchiser les candidatures retenues ni sur les mérites comparés de ces agents.

17. Il résulte du procès-verbal de la CAP qui s’est tenue le 30 novembre 2017, que le directeur des ressources humaines du CH a émis la crainte que, compte tenu du lieu de domicile de l’intéressée, elle ne parte en mutation après le financement de sa scolarité par le centre hospitalier de Vienne. Dans ces circonstances, et alors que le besoin de recrutement du centre hospitalier est établi par les offres d’emploi produites au dossier, le directeur du centre hospitalier, en écartant Mme B de la prise en charge de sa formation au titre des études promotionnelles, a entaché sa décision d’une erreur manifeste d’appréciation et a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l’établissement qu’il dirige.

18. Enfin, l’illégalité dont est entachée la décision du 11 mars 2017 ne suffit pas à elle seule à caractérise l’existence d’une attitude vexatoire du centre hospitalier à son égard, invoquée par la requérante en tant que fondement de responsabilité autonome.

19. Mme B a été contrainte de repousser sa formation puis a dû assurer celle-ci sans rémunération, sans qu’un motif satisfaisant de refus de sa prise en charge au titre des « études promotionnelles » ne lui ait été opposé. Il sera fait une juste évaluation du préjudice moral ainsi subi par l’intéressée en lui allouant la somme de 4 000 euros.

Intérêts et capitalisation

20. En application de l’article 1231-6 du code civil, Mme B a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 4 000 euros à compter du 5 février 2021, date de réception de sa réclamation préalable. Par ailleurs, en application de l’article 1343-2 du même code, elle est fondée à demander que ces intérêts soient capitalisés à compter du 5 février 2022, puis à chaque échéance annuelle.

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

21. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier de Vienne la somme de 1 500 euros à verser à Mme B. Les conclusions présentées par le centre hospitalier, partie perdante, sont rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : Le centre hospitalier de Vienne est condamné à verser à Mme B une indemnité de 4 000 euros.

Article 2 : Les intérêts au taux légal courront sur la condamnation prononcée à l’article 1er à compter du 5 février 2021et seront capitalisés au 5 février 2022 et au 5 février 2023.

Article 3 : Le centre hospitalier de Vienne versera à Mme B la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à Mme A B et au centre hospitalier Lucien Hussel.

Délibéré après l’audience du 9 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

M. Vial-Pailler, président,

Mme Frapolli, première conseillère,

Mme Fourcade, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 janvier 2024.

La rapporteure,

F. FOURCADE

Le président,

C. VIAL-PAILLERLe greffier,

G. MORAND

La République mande et ordonne au préfet de l’Isère en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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