Tribunal administratif de Lyon, 7ème chambre, 30 décembre 2022, n° 2107296

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TA Lyon, 7e ch., 30 déc. 2022, n° 2107296
Juridiction : Tribunal administratif de Lyon
Numéro : 2107296
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Dispositif : Rejet
Date de dernière mise à jour : 8 septembre 2023

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires complémentaires enregistrés les 15 septembre et 9 décembre 2021 et le 20 janvier 2022, M. C B et M. A B, représentés par Me Lantheaume, demandent au tribunal :

1°) de condamner l’Etat à verser à M. C B, la somme de 1 022,50 euros avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par le ministre de l’intérieur de leur demande préalable, en réparation du préjudice matériel, avec capitalisation des intérêts ;

2°) de condamner l’Etat à verser à M. C B et à M. A B la somme globale de 10 000 euros avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par le ministre de l’intérieur de leur demande préalable, en réparation du trouble dans leurs conditions d’existence, avec capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

— M. C B, tiers à l’opération de police, est fondé à rechercher la responsabilité sans faute de l’Etat pour risques exceptionnels du fait de l’utilisation de lanceurs de balles de défense (LBD) au cours de l’opération de maintien de l’ordre du 15 juillet 2018, leur utilisation ayant causé un dommage à l’appartement dont il était locataire ;

— la responsabilité pour faute de l’Etat est engagée en raison de la violation de l’article 1 du protocole 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dès lors que M. C B a été privé de débat contradictoire ;

— M. A B est fondé à rechercher la responsabilité pour faute simple de l’Etat lors de l’opération de maintien de l’ordre du 15 juillet 2018 :

* l’usage à deux reprise de tirs de LBD par un brigadier n’était ni approprié ni proportionné au regard de l’article R. 211-13 du code de la sécurité intérieure et de l’article R. 434-18 du code de déontologie de la police nationale,

* il n’existe aucun fait exonératoire à la responsabilité de l’Etat dès lors qu’il ne peut être considéré que les policiers se trouvaient en situation de légitime défense ;

— ils ont subi, chacun, des préjudices en lien direct avec les tirs de balles de défense :

* le préjudice matériel résultant du trou causé dans l’appartement familial par l’impact de LBD qui devra être indemnisé par le versement de la somme de 1 022,50 euros,

* le préjudice moral et les troubles dans leurs conditions d’existence devront être indemnisés par le versement de la somme de 10 000 euros.

Par des mémoires en défense, enregistrés au greffe les 15 novembre 2021 et 7 janvier 2022, le préfet du Rhône conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

— la responsabilité sans faute de l’Etat pour risques exceptionnels ne peut être retenue dès lors que les lanceurs de balles de défense (LBD) ne peuvent être qualifiés d’armes présentant des risques exceptionnels et que M. A B n’était pas tiers à l’opération puisqu’il a participé aux violences exercées à l’égard des forces de l’ordre ;

— les opérations de maintien de l’ordre du 15 juillet 2018 relèvent du régime de responsabilité pour faute lourde et l’utilisation du LBD n’était pas disproportionnée au vu du désordre et des violences existant au moment de l’intervention :

— s’agissant de la responsabilité pour faute de l’Etat en raison de la violation de l’article 1 du protocole 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la juridiction administrative est incompétente pour apprécier l’existence d’une faute imputable à l’activité de police judiciaire ;

— en tout état de cause, le comportement de M. A B est de nature à exonérer ou à atténuer la responsabilité de l’Etat dès lors qu’il a été reconnu coupable de délit d’outrage et n’a pas fait cesser les jets de projectiles émanant de son appartement, ;

— s’agissant des préjudices :

* la réalité du préjudice matériel n’est pas certaine en l’absence de production d’une facture, le devis produit ne portant d’ailleurs pas uniquement sur la seule dégradation causée par le tir de LBD ;

* le remboursement des frais éventuellement exposés ne pourrait en tout état de cause être prise en charge qu’à hauteur de 50% en raison de la faute de la victime,

* la réalité du préjudice moral invoqué par les requérants n’est pas établie.

Par un mémoire enregistré au greffe les 6 décembre 2021, le ministre de l’intérieur déclare s’en remettre aux pièces et écritures du préfet du Rhône.

Par une ordonnance du 11 janvier 2022 la clôture de l’instruction a été fixée au 14 février 2022.

Une mesure supplémentaire d’instruction a été diligentée le 10 novembre 2022, en application des dispositions de l’article R. 613-1-1 du code de justice administrative, afin que les requérants produisent tout document utile (factures, contrat ou attestation d’assurance) justifiant du paiement effectif par M. B des travaux de remise en état, consécutifs au dommage subi le 15 juillet 2018, et de ce que ces frais, évalués par le devis du 9 janvier 2019, ont bien été exposés par M. B et non par une compagnie d’assurance.

Par un courrier du 22 novembre 2022, les parties ont été informées, en application des dispositions de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible d’être fondé sur un moyen relevé d’office tiré de ce que la responsabilité sans faute de l’Etat est susceptible d’être engagée sur le fondement de l’article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— le code de la sécurité intérieure ;

— le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

— le rapport de M D,

— les conclusions de M. Arnould, rapporteur public,

— et les observations de Me Lantheaume, représentant de MM. B.

Considérant ce qui suit :

1. Le 15 juillet 2018, lors d’une intervention des forces de police en vue d’assurer le maintien de l’ordre place Bellecour, à Lyon, lors d’un rassemblement à l’occasion de la finale de la coupe du monde de football, le plafond de l’appartement de M. C B, alors occupé par son fils M. A B, a été endommagé par un tir de lanceur de balle de défense effectué par des policiers se trouvant rue Gasparin. Par un courrier en date du 4 mai 2021, notifié le 10 mai suivant, MM B ont adressé au ministre de l’intérieur une demande tendant à obtenir l’indemnisation du préjudice matériel causé au cours de l’opération de maintien de l’ordre sus-décrit et l’indemnisation des troubles dans leurs conditions d’existence. En l’absence de réponse à cette demande d’indemnisation préalable, les requérants demandent au tribunal de condamner l’Etat à verser à M. C B la somme de 1 022,50 euros au titre du préjudice matériel qu’il estime avoir subi et à MM B, la somme globale de 10 000 euros au titre des troubles dans leurs conditions d’existence et de leur préjudice moral.

Sur la compétence de la juridiction administrative :

2. M. C B indique dans ses écritures rechercher la responsabilité pour faute de l’Etat en raison de la violation de l’article 1 du l’article premier du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, lequel stipule : « Toute personne physique ou morale à droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes ». Le requérant fait notamment état de son dépôt de plainte, le 28 janvier 2019, auprès du procureur de la République, de ses relances ultérieures par courriers, de ce qu’aucun acte d’enquête n’aurait été réalisé et de ce qu’aucun avis de classement sans suite ne lui aurait été adressé de telle sorte qu’il aurait été privé de tout débat contradictoire. A supposer que M. C B entende ainsi rechercher la responsabilité pour faute de l’Etat du fait du dysfonctionnement du service public de la justice judiciaire, une telle action, qui ne concerne pas le fonctionnement administratif des services judiciaires mais est relative à une procédure engagée devant le juge judiciaire ne peut être portée que devant la juridiction judiciaire, ainsi que le fait valoir le préfet du Rhône en défense, dès lors qu’en vertu du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, il n’appartient pas à la juridiction administrative de connaître du fonctionnement du service public de la justice judiciaire.

Sur les conclusions à fin d’indemnisation :

En ce qui concerne la demande de M. C B tendant à obtenir la réparation d’un préjudice matériel par le versement d’une somme de 1 022,50 euros :

3. M. C B demande à être indemnisé des préjudices résultant des dommages occasionnés par l’impact d’un projectile de LBD ayant endommagé le plafond de l’appartement dont il était locataire, sis 29 rue Gasparin, à Lyon, lors de l’intervention des forces de l’ordre, le 15 juillet 2018, dans le cadre d’une opération de maintien de l’ordre sur la place Bellecour où avait lieu un rassemblement à l’occasion de la finale de la coupe du monde de football. A cet égard, le requérant fait état de ce que, se trouvant alors en vacances en Corse, il était tiers à cette opération. Si les dommages invoqués par l’intéressé pourraient relever du régime légal de responsabilité sans faute de l’Etat prévu par les dispositions de l’article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure, il incombe toutefois à M. C B d’apporter la preuve du préjudice qu’il invoque et dont il entend obtenir réparation. Or, en l’espèce, si l’intervention des forces de police lors du rassemblement du 15 juillet 2018 a abouti à la dégradation sus-décrite du plafond de l’appartement alors occupé par le requérant, ce dernier se borne à verser, à l’appui de sa demande de réparation du préjudice, un simple devis daté du 9 janvier 2019 d’un montant de 1 022,55 euros pour une prestation de réfection du plafond de la chambre, la réfection d’une boiserie et le lessivage complet des murs des deux chambres. Or, ainsi que le fait valoir le préfet en défense, la simple production d’un devis ne permet pas d’établir que le requérant aurait effectivement exposé les frais qu’il demande au tribunal de mettre à la charge de l’Etat. En outre, malgré la mesure d’instruction susvisée diligentée par le tribunal, M. C B n’a produit aucun justificatif permettant d’établir la réalité du préjudice dont il demande réparation alors qu’il résulte de l’instruction que M. B a été amené à quitter le logement qu’il occupait 29 rue Gasparin, depuis le 23 octobre 2018. Par suite, dès lors que la réalité du préjudice dont il est demandé réparation n’est nullement établie, les conclusions à fin d’indemnisation de M. C B ne peuvent qu’être rejetées.

En ce qui concerne la demande de M. A B et de M. C B tendant à obtenir la réparation d’un préjudice moral par le versement d’une somme de 10 000 euros :

4. En premier lieu, M. A B demande à ce que l’Etat soit condamné à l’indemniser du préjudice moral et des troubles dans les conditions d’existence qui résulteraient du comportement fautif des policiers ayant utilisé un lanceur de balle de défense, le 15 juillet 2018, alors que l’intéressé et ses amis se trouvaient dans l’appartement sis 29 rue Gasparin, en soutenant que, malgré les outrages que lui et ses amis avaient commis à l’encontre de ces agents, l’utilisation d’un lanceur de balles de défense en sa direction et l’impact dans le plafond de l’appartement familial aurait présenté un caractère à la fois disproportionné et inapproprié. Toutefois, alors qu’il incombe au requérant de démontrer la réalité du préjudice qu’il invoque, M. A B se borne à produire une unique attestation, datée du 8 avril 2021, décrivant sa version des évènements intervenus le 15 juillet 2018 sans élément précis et circonstancié permettant de justifier du préjudice moral et des troubles dans les conditions d’existence invoqués. Il résulte de l’instruction que les tirs de LBD n’ont occasionné aucune blessure et si le requérant fait état de ce qu’il aurait été choqué par le comportement des policiers, aucune pièce n’établit l’existence de répercussions psychologiques sérieuses, immédiates et durables sur le requérant, aucune pièce du dossier ne démontrant d’ailleurs qu’il aurait été proche des trajectoires des deux projectiles. En outre, si le requérant invoque des troubles dans ses conditions d’existence consécutifs à l’impact de LBD dans le plafond du logement familial, les pièces du dossier établissent que l’intéressé, et son père après son retour de vacances, ont continué à occuper ce logement. Par suite, dès lors que la réalité du préjudice moral et des troubles dans les conditions d’existence dont M. A B demande réparation n’est nullement établie, ses conclusions à fin d’indemnisation ne peuvent qu’être rejetées.

5. En second lieu, M. C B invoque également un préjudice moral et des troubles dans les conditions d’existence résultant du comportement des policiers en faisant état de ce qu’il a été très inquiet pour son fils lorsque ce dernier l’a informé de la situation. Toutefois, pour établir la réalité du préjudice invoqué, le requérant se borne à renvoyer à un courrier de dépôt de plainte, daté du 28 janvier 2019, où il fait état de l’appel de son fils aux alentours de 20h30, alors qu’il se trouvait en Corse, pour lui relater les faits intervenus à Lyon. Toutefois, ce simple appel téléphonique ne saurait établir la réalité du préjudice de M. B qui a su, dès cet appel téléphonique, que son fils n’était pas blessé, alors en outre qu’il résulte de l’instruction que M. B n’a pas écourté ses vacances en anticipant son retour à Lyon afin de porter assistance à son fils et d’assurer la réparation des dégâts occasionnés au logement familial qui en tout état cause, a pu continuer à être habité. Par suite, dès lors que la réalité du préjudice moral et des troubles dans les conditions d’existence invoqués par M. C B n’est pas établie, le requérant ne pouvant pas, davantage que son fils, se borner à faire valoir que la nature même des faits suffisent à constater la réalité du préjudice, ses conclusions à fin d’indemnisation ne peuvent qu’être rejetées.

6. Il résulte de l’ensemble de ces éléments que les conclusions à fin d’indemnisation de la requête de M. C B et M. A B doivent être rejetées.

Sur les frais du litige :

7. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme demandée par MM B soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de MM B est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. C B, à M. A B et au ministre de l’intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet du Rhône.

Délibéré après l’audience du 16 décembre 2022, à laquelle siégeaient :

Mme Baux, présidente,

M. Pineau, premier conseiller,

M. Gueguen, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 décembre 2022.

Le rapporteur,

N. D

La présidente,

A. Baux

La greffière,

S. Rolland

La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition,

Un greffier,

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