Tribunal administratif de Poitiers, 19 mars 2024, n° 2400475

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Sur la décision

Référence :
TA Poitiers, 19 mars 2024, n° 2400475
Juridiction : Tribunal administratif de Poitiers
Numéro : 2400475
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Dispositif : Satisfaction partielle
Date de dernière mise à jour : 2 avril 2024

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 26 février 2024, et un mémoire en production de pièces déposé le 13 mars 2024, la société par actions simplifiée « Les métiers du bois » (MDB) représentée par Me Soy demande au juge des référés, sur le fondement de l’article L. 551-1 du code de justice administrative :

— d’annuler la procédure de passation du marché public de travaux de restauration des façades de l’ancien « couvent des hommes » à Lencloître, lot n°2 « menuiserie bois », au stade de l’attribution du marché ;

— d’annuler la décision de rejet de son offre en date du 20 février 2024 ;

— d’ordonner à la commune de Lencloître de lui attribuer le lot n° 2 dès lors qu’elle a présenté l’offre économiquement la plus avantageuse ;

— de mettre à la charge de la commune de Lencloître une somme de 1 800 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

— sa requête est recevable dès lors que le marché n’a pas été signé et qu’elle a intérêt à agir en ce qu’elle a déposé une offre qui a été rejetée par le pouvoir adjudicateur ;

— la pouvoir adjudicateur a méconnu les règles de mise en concurrence, et plus particulièrement les dispositions de l’article L. 2152-7 du code de la commande publique et celles de l’article 4 du règlement de consultation, dès lors qu’elle aurait présenté l’offre économiquement la plus avantageuse et qu’elle aurait dû être l’attributaire du marché ; en effet, elle a obtenu une note de 93,96/100 soit 60 points concernant la valeur technique et 33,96 points concernant l’offre de prix tandis que la société attributaire a obtenu une note de 89/100 avec 49 points sur 60 s’agissant de la valeur technique et 40 points sur 40 s’agissant du prix des prestations.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 mars 2024, la commune de Lencloître représentée par la SCP Drouineau 1927 conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la société MDB à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune soutient que :

— il n’y a pas eu de manquement aux règles de mise en concurrence ; la société MDB a proposé une offre à hauteur de 153 727,63 € TTC, et une offre avec variante (volets intérieurs) à hauteur de 208 249,72 € TTC ; la société Authier attributaire pressenti a quant à elle proposé une offre à hauteur de 142 333,21 € TTC, et une offre avec variante (volets intérieurs) à hauteur de 176 828,09 € TTC ;

— la commune a souhaité s’assurer de la bonne réalisation technique de ces travaux et privilégier une entreprise ayant réalisé des chantiers similaires ; la société Authier dispose de nombreuses références pour des chantiers similaires ; or, le marché en cause a pour objet la restauration des façades de l’ancien « couvent des hommes » qui s’intègre dans un ensemble conventuel ancien sur le territoire de la commune et la particularité de ces édifices nécessite des compétences techniques particulières notamment s’agissant des menuiseries ; les références mentionnées par la société MDB ne concernent pas ce type de bien particulier ;

— la différence entre la note globale de la société MDB et celle de la société Authier est minime, c’est-à-dire de moins de 5 points et ces deux offres sont équivalentes ; c’est pourquoi la commune a souhaité privilégier l’offre la moins-disante et la société Authier a été la mieux notée en termes de prix des prestations ; la commune a ainsi entendu choisir l’offre la moins-disante, pour limiter au mieux les dépenses de deniers publics.

La procédure a été communiquée à la SAS Patrimoine Authier qui n’a pas produit d’observations en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— le code de la commande publique ;

— le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. A en application de l’article

L. 551-1 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience du 13 mars 2024 qui s’est tenue en présence de Mme Carole Bompas, greffière d’audience :

— le rapport de M. A,

— les observations de Me Soy, représentant la société « Les métiers du bois », qui reprend ses écritures et ses moyens et insiste plus particulièrement sur les points suivants : elle a obtenu la meilleure note par addition des deux critères et a donc déposé l’offre économiquement la plus avantageuse au regard des critères choisis dans le règlement de consultation, ainsi la commune devait lui attribuer le marché sans pouvoir se retrancher derrière un quelconque pouvoir discrétionnaire de choix ; la question des références de la société en matière de travaux similaires est un moyen inopérant au stade de l’appréciation de la valeur technique de l’offre, ce moyen n’aurait de réelle portée que pour la vérification des candidatures ; à supposer que les références des sociétés auraient dû être prises en compte dans l’appréciation de l’offre, il aurait fallu insérer ces considérations dans la valeur technique et mieux noter ce critère ; s’agissant de sa compétence technique, elle est une filiale du groupe Aurige qui intervient sur des chantiers de restauration de prestige et ne souffre d’aucun déficit dans la comparaison avec la société pressentie ; sur le critère du prix, la commune a choisi de coter ce critère 40 sur 100 ; dans le cadre d’une procédure adaptée, la commune aurait pu appeler les sociétés pour rediscuter le prix de l’offre ; dans ces conditions, la note finale étant l’addition automatique des résultats obtenus à chacun des deux critères, elle devait se voir attribuer le marché ; c’est pourquoi, elle est en droit de demander au juge des référés d’ordonner à la commune de lui attribuer le marché ;

— les observations de Me Finkelstein représentant la commune de Lencloître qui développe ses écritures et indique que sans revenir sur la pondération choisie des critères, la commune a estimé que la société Authier qui a mené des chantier au sein de châteaux, d’abbayes, de cathédrales, d’églises, collégiales, et de presbytères présentait de meilleures références que la société requérante pour des travaux si spécifiques et qu’il y avait une différence de 5 points sur le prix en faveur de la société Authier, raisons pour lesquelles elle a choisi cette société.

La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Lencloître (Vienne) a souhaité procéder à la restauration des façades de l’ancien « couvent des hommes », dont elle est propriétaire et qui s’intègre à un prieuré du 12ème siècle. A cet effet, elle a lancé une consultation en vue de l’attribution, dans le cadre d’une procédure adaptée avec négociation, de deux lots de l’opération de travaux, un lot n° 1 « installation de chantier, maçonnerie, pierre de taille » et un lot n° 2 « menuiserie bois ». Le règlement de consultation a prévu un jugement des offres au regard de deux critères : la valeur technique pondérée à 60 points et l’offre de prix pondérée à 40 points. Deux offres lui ont été remises pour le lot n° 2 dont celle de la société « Les métiers du bois » (MDB). Au terme de l’examen des offres qui n’ont pas fait l’objet d’une phase de négociation, le marché a été attribué à la société Patrimoine Authier. Par un courrier du 20 février 2024, la société MDB a été informée du rejet de son offre. Par la présente requête, la société MDB, dont l’offre a été rejetée avec une note globale de 93,96/100 contre 89/100 pour la société concurrente demande au juge des référés, sur le fondement de l’article L. 551-1 du code de justice administrative d’annuler la procédure de passation du marché au stade de l’attribution et de lui attribuer le lot n° 2 du marché.

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 551-1 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l’article L. 551-1 du code de justice administrative : « Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu’il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation () / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ». Et, aux termes de l’article L. 551-2 de ce code : « I. Le juge peut ordonner à l’auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l’exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s’il estime, en considération de l’ensemble des intérêts susceptibles d’être lésés et notamment de l’intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l’emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations () ». Et, aux termes de l’article L. 551-10 du même code : « Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d’être lésées par le manquement invoqué () ».

3. Il appartient au juge administratif, saisi en application de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l’administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d’être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l’opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auxquels ils se rapportent, sont susceptibles de l’avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.

4. L’acheteur définit librement la méthode de notation pour la mise en œuvre de chacun des critères de sélection des offres qu’il a définis et rendus publics. Toutefois, ces méthodes de notation sont entachées d’irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, elles sont, par elles-mêmes, de nature à priver de leur portée les critères de sélection ou à neutraliser leur pondération et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l’ensemble des critères pondérés, à ce que l’offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie.

5. D’une part, le règlement de la consultation prévu par le pouvoir adjudicateur pour la passation d’un contrat est obligatoire dans toutes ses mentions. D’autre part, ce même règlement de la consultation prévoit que l’appréciation de l’offre économiquement la plus avantageuse s’opère en fonction de deux critères portant sur la valeur technique pour 60 points laquelle était explicitée en méthodologie des travaux et organisation du chantier (30 points), qualité des matériaux et fourniture (5 points), moyens et qualification du personnel affecté au chantier (15 points) délai (5 points), performance en matière de protection de l’environnement (5 points) et portant sur le prix des prestations pour 40 points.

6. Il résulte de l’instruction qu’après analyse des offres, la société MDB a obtenu une note globale de 93,96/100 et la société Authier, une note globale de 89/100. Alors que la société Authier a ainsi été classée en seconde position, elle a, néanmoins été désignée attributaire du marché par délibération du 15 février 2024 du conseil municipal de Lencloître aux motifs qu’elle présentait de meilleures références en travaux similaires compte tenu des spécificités des travaux à réaliser et que son offre était mieux notée en termes de prix.

7. Toutefois, en agissant ainsi, la commune a modifié les critères de sélection après le dépôt de leurs offres par les candidats. Ce changement des critères d’attribution du marché, lesquels devaient être portés à l’information des candidats dès l’engagement de la procédure, a donc conduit au choix d’une offre sur la base de critères qui n’avaient pas fait l’objet d’une information appropriée des candidats dès l’engagement de la procédure. Ce changement des critères de sélection, qui a été de nature à léser la société MDB eu égard à sa portée et au stade de la procédure auquel il se rapporte, constitue ainsi un manquement aux règles de publicité et de mise en concurrence auxquelles était soumise la commune de Lencloître. Par suite, la société requérante est fondée à soutenir que la commune de Lencloître a méconnu le règlement de la consultation de la procédure d’appel d’offres portant sur l’attribution du lot n° 2, en attribuant ce lot à la société Patrimoine Authier et a commis ainsi un manquement aux obligations de mise en concurrence.

8. L’annulation prononcée par la présente ordonnance implique nécessairement que la commune de Lencloître si elle entend passer le marché, reprenne la procédure au stade de l’analyse des offres. Il n’y pas lieu en revanche de prononcer l’injonction telle que demandée par la société MDB alors qu’il n’entre pas dans l’office du juge des référés d’attribuer un marché public.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de la société MDB qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge la commune de Lencloître le versement à la société MDB de la somme qu’elle demande sur le fondement de ces mêmes dispositions.

ORDONNE :

Article 1er : La procédure de passation du marché relatif à la restauration des façades de l’ancien « couvent des hommes » lancée par la commune de Lencloître pour l’attribution du lot n° 2 « menuiserie bois » est annulée à compter de l’analyse des offres.

Article 2 : Il est enjoint à la commune de Lencloître, si elle entend poursuivre la procédure de passation du marché, de reprendre ladite procédure au stade de l’analyse des offres.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par la société MDB est rejeté.

Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de Lencloître sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la société MDB, à la commune de Lencloître et à la société Patrimoine Authier.

Fait à Poitiers, le 19 mars 2024.

Le juge des référés,

Signé

P. A

La République mande et ordonne au préfet de la Vienne en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour le greffier en chef,

La greffière,

Signé

D. GERVIER

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N°2400475

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