Tribunal administratif de Toulon, 22 novembre 2013, n° 0901783

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TA Toulon, 22 nov. 2013, n° 0901783
Juridiction : Tribunal administratif de Toulon
Numéro : 0901783

Sur les parties

Texte intégral

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE TOULON

N° 0901783

___________

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

M. Gilbert COZZONE-PAUL

___________

Mme Steck-Andrez AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Présidente-rapporteure

___________

Mme Schaegis Le Tribunal administratif de Toulon

Rapporteure publique

___________ 2e Chambre

Audience du 18 octobre 2013

Lecture du 22 novembre 2013

___________

Vu la requête, enregistrée le 21 juillet 2009, présentée pour M. Gilbert COZZONE-PAUL, demeurant 150 bd enseigne de vaisseau Gues, La Savonnerie lot 10 à Toulon (83000), par la Scp Teissonniere & associés, avocats ;

M. COZZONE-PAUL demande au Tribunal :

1° d’annuler la décision implicite de rejet du ministre de la défense de sa demande du 14 mai 2009 d’indemnisation de son manque à gagner du fait de sa cessation anticipée d’activité ;

2° de condamner l’Etat à lui verser la somme de 60 079, 68 euros au titre de son préjudice économique ;

3° de condamner l’Etat à lui verser la somme de 10 000 euros au titre du préjudice d’anxiété ;

4° de condamner l’Etat à lui verser la somme de 1 600 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

5° d’ordonner l’exécution provisoire du jugement ;

M. COZZONE-PAUL expose qu’il a travaillé au sein des services de la Direction des constructions navales de Toulon, du 14 septembre 1970 au 30 juin 2006 ; qu’il a été exposé dans ces conditions de travail, à l’inhalation de poussières d’amiante ; qu’il n’a jamais bénéficié de protection individuelle ou collective pour manipuler l’amiante ; que son espérance de vie est de ce fait diminuée ; que par suite, il a demandé à bénéficier de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante ( ACAATA ), prévue par le décret n° 2001-1269 du 21 décembre 2001, s’appliquant aux ouvriers de l’Etat relevant du ministère de la défense employés dans le secteur de la construction et de la réparation navales ; que le bénéfice de cette allocation lui a été accordé ; qu’il perçoit cette allocation depuis le 1er juillet 2006 à hauteur de 1 822, 40 euros, tandis qu’il touchait un salaire net moyen de 2 475, 44 euros ;

M. COZZONE-PAUL soutient que l’exécution fautive du contrat de travail est à l’origine de la rupture, l’employeur étant tenu envers le salarié d’une obligation de sécurité de résultat, selon la jurisprudence de la Cour de cassation ; que la DCN n’a jamais appliqué le décret n° 77-949 du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d’hygiène applicables dans les établissements où le personnel était exposé à l’action des poussières d’amiante ; que sur l’arsenal de Toulon, la présence d’amiante sur les navires, sur lesquels intervenaient les salariés de l’arsenal, n’était pas ignorée ; que les salariés ont travaillé sans aucune protection jusqu’en 2000, alors que les risques liés à l’exposition à l’amiante étaient connus dès le 19e siècle ; que les études sur les risques liés à l’exposition à l’amiante ont conduit à créer l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante ; qu’il n’aurait pas eu à prendre la décision de cesser par anticipation son activité si son employeur avait pris les mesures propres à le préserver de l’inhalation des poussières d’amiante ; que la perte de revenus résultant du dispositif réglementaire, dès lors que l’allocation représente 65% du salaire brut moyen perçu durant les douze derniers mois, est la conséquence directe du non respect de l’obligation de sécurité de résultat ; qu’il en résulte un préjudice économique certain, direct et déterminé pour tous les bénéficiaires de l’ACAATA ; que le différentiel entre le salaire que M. COZZONE-PAUL aurait perçu s’il n’avait pas été contraint de partir en préretraite amiante et l’ACAATA s’élève, sur une période de 92 mois, à la somme de 60 079, 68 euros ; qu’il souffre en outre d’un préjudice d’anxiété dès lors que l’inhalation de poussières d’amiante le conduit à s’inquiéter sur un avenir incertain imposant un suivi médical régulier générateur d’angoisse pour lequel il demande le versement d’une somme de 10 000 euros en réparation de ce préjudice ;

Vu la demande d’indemnisation des préjudices du 14 mai 2009 ;

Vu le mémoire, enregistré le 25 novembre 2010, présenté par le ministre de la défense, tendant au rejet de la requête ;

Le ministre fait valoir que le Tribunal administratif n’est pas compétent dans le cadre d’une requête demandant réparation de préjudices causés par une maladie professionnelle insuffisamment réparés par le versement de l’ACAATA, lesquels seraient nés de la « faute inexcusable » du ministère de la défense, résultant d’un manquement à l’obligation de sécurité ; que seul le Tribunal de sécurité sociale apparaît compétent, conformément aux articles L. 451-1 et L. 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale ; que le tribunal administratif ne peut être saisi que d’une requête invoquant la faute du ministère de la défense dans l’application au requérant du régime de l’ACAATA dès lors que ce régime limiterait son droit à réparation ; que si la requête est regardée comme tendant à la réparation de la faute de l’administration qui résulterait de l’application de l’ACAATA, l’intéressé n’établit pas l’illégalité des dispositions du décret du 21 décembre 2001 ; que les conclusions tendant à la réparation du préjudice d’anxiété ne sont pas recevables, faute d’avoir fait l’objet d’une demande préalable et en ce que les conclusions de la requête excèdent la somme demandée dans la réclamation préalable ; que l’administration n’a fait qu’appliquer à la situation personnelle du requérant, et sur sa demande expresse, les dispositions du décret du 21 décembre 2001, fixant le régime juridique de l’ACAATA ; qu’elle n’a donc pas commis la moindre faute ; qu’il n’existe aucun lien de causalité direct entre le préjudice économique et le manquement à une obligation de sécurité de résultat ; que la perte de 35 % de salaire ne résulte donc pas d’un manquement à une obligation de sécurité de résultat mais du dispositif réglementaire lui-même, à savoir l’article 4 du décret de 2001 précité ; que le requérant ne peut invoquer de préjudice économique alors même que ce dernier a fait la demande expresse de cessation anticipée ; qu’il n’était pas contraint de solliciter et d’accepter l’application des dispositions du décret ; qu’au demeurant, le préjudice économique allégué par un demandeur n’ayant jamais développé de pathologie liée à l’amiante mais titulaire d’une allocation au titre de l’exposition au risque n’est pas avéré et ne peut être retenu ; que l’intéressé disposait de la faculté statutaire de demander une mutation sur des postes équivalents dans d’autres ateliers ;

Vu, en date du 27 août 2013, l’ordonnance fixant la clôture d’instruction au 23 septembre 2013 à 12h ;

Vu, enregistré le 19 septembre 2013, le mémoire présenté pour M. COZZONE-PAUL par lequel ce dernier demande au tribunal de condamner l’Etat à lui verser la somme de 15 000 euros au titre de son préjudice moral, 15 000 euros au titre des troubles dans ses conditions d’existence, majorés des intérêts au taux légal outre la capitalisation des intérêts échus et ce, depuis la première demande d’indemnisation ; il porte en outre sa demande de condamnation présentée au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative à 2 000 euros ;

Il soutient que ses conclusions présentées au titre du préjudice moral et des troubles dans ses conditions d’existence sont recevables ; que les juridictions administratives sont compétentes pour connaître du présent litige puisqu’il est né de l’exécution fautive du contrat de travail par la DCN, la liant à un ouvrier d’état ; que l’Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité du fait de sa carence dans la prévention des risques liés à l’exposition des travailleurs aux poussières d’amiante ; que l’espérance de vie moyenne d’une personne exposée à l’amiante est considérablement réduite ; que les maladies provoquées par l’inhalation de fibres d’amiante sont nombreuses ; que le lien de causalité entre la carence fautive de l’Etat et les préjudices allégués est établi par la circonstance qu’il bénéficie du régime de cessation anticipée des travailleurs de l’amiante ; que l’exposition à l’amiante génère chez lui une anxiété permanente quant à son avenir ; que les troubles dans ses conditions d’existence sont constitués par le suivi médical post professionnel régulier dont il fait l’objet ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999 et notamment son article 41 ;

Vu la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001 et notamment son article 53 ;

Vu le décret du 26 février 1897 modifié relatif à la situation du personnel civil d’exploitation des établissements militaires ;

Vu le décret du 1er avril 1920 modifié relatif au statut du personnel ouvrier des arsenaux et établissements de la marine ;

Vu le décret n° 77-949 du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d’hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l’action des poussières d’amiante ;

Vu le décret n° 2001-1269 du 21 décembre 2001 modifié relatif à l’attribution d’une allocation spécifique de cessation anticipée d’activité à certains ouvriers de l’Etat du ministère de la défense ;

Vu le décret n° 2001-963 du 23 octobre 2001 relatif au fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante institué par l’article 53 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001, notamment son chapitre II relatif à la procédure d’indemnisation des victimes de l’amiante et aux décisions du fonds ;

Vu l’arrêté du 28 février 1995, pris en application de l’article D. 461-25 du code de la sécurité sociale, fixant le modèle type d’attestations d’exposition et les modalités d’examen dans le cadre du suivi post-professionnel des salariés ayant été exposés à des agents ou procédés cancérigènes ;

Vu le code civil ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 18 octobre 2013 :

— le rapport de Mme Steck-Andrez, présidente-rapporteure ;

— les conclusions de Mme Schaegis, rapporteure publique ;

— et les observations de Me Macouillard, pour M. COZZONE-PAUL ;

1. Considérant que M. COZZONE-PAUL, ouvrier d’Etat au sein des services de la Direction des constructions navales de Toulon du 14 septembre 1970 au 15 septembre 1996 en qualité successivement d’électro-mécanicien, d’électricien service réparations, d’électricien, de radio-électricien, d’électricien hautement qualifié puis d’ouvrier des techniques de l’électricité de l’électrotechnique, a bénéficié à compter du 1er juillet 2006, du dispositif de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante prévu par le décret du 21 décembre 2001 ; qu’il demande la réparation d’un préjudice économique résultant d’une diminution de ses revenus ainsi que d’un préjudice moral, d’anxiété et de troubles dans les conditions d’existence résultant des conséquences d’une exposition à l’amiante ;

Sur la compétence de la juridiction administrative :

2. Considérant que les conclusions indemnitaires de M. COZZONE-PAUL sont étrangères à l’application de tout régime d’indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles régies par le livre IV du code de la sécurité sociale ; que les conclusions relatives à ces demandes étant fondées sur la carence fautive de l’Etat (ministère de la défense) en sa qualité d’employeur de M. COZZONE-PAUL A et ce dernier étant agent contractuel de droit public participant à l’exécution d’un service public, la juridiction administrative est compétente pour en connaître ;

Sur la fin de non-recevoir opposée à la requête par le ministre de la défense :

3. Considérant que la personne qui a demandé, dans sa réclamation préalable qui lie le contentieux indemnitaire, la réparation des conséquences dommageables d’un fait qu’elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n’avait pas fait état dans sa réclamation, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur invoqué, sous réserve des règles qui gouvernent la recevabilité des demandes fondées sur une cause juridique nouvelle ;

4. Considérant que les sommes réclamées par M. COZZONE-PAUL en réparation d’un préjudice économique, d’un préjudice moral, d’anxiété et de troubles dans les conditions d’existence, bien que distinctes par le chef de préjudice invoqué, se référent au même fait générateur constitué par la carence fautive de l’Etat (ministère de la défense) en sa qualité d’employeur dans la mise en œuvre des règles d’hygiène et de sécurité relatives à la protection des travailleurs contre les poussières d’amiante, carence fautive invoquée dès sa réclamation préalable, qui la qualifie d’inexcusable ; que des chefs de préjudices nouveaux rattachés à ce même fait générateur peuvent donc, en tout état de cause, être invoqués pour la première fois devant le tribunal, dès lors qu’ils reposent sur la même cause juridique ; que pour les mêmes motifs, le requérant est recevable à majorer ses prétentions devant le tribunal administratif ; que, dès lors, la fin de non recevoir opposée par le ministre de la défense doit être écartée ;

Sur la responsabilité :

5. Considérant que M. COZZONE-PAUL a travaillé au sein des services de la Direction des constructions navales de Toulon, du 14 septembre 1970 au 15 septembre 1996 ; que l’Etat (ministère de la défense) en sa qualité d’employeur ne pouvait ignorer les risques inhérents à l’inhalation de poussières d’amiante, compte tenu notamment de l’édiction dès 1977 du décret n° 77-949 du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d’hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l’action des poussières d’amiante ; qu’il n’est pas contesté que depuis la parution de ce décret, aucune mesure de protection particulière contre ces poussières n’a été prise dans les ateliers concernés par les fonctions d’électro-mécanicien, d’électricien service réparations, d’électricien, de radio-électricien, d’électricien hautement qualifié puis d’ouvrier des techniques de l’électricité de l’électrotechnique exercées par M. COZZONE-PAUL l’exposant ainsi à des conditions de travail dangereuses pour son état de santé ; que dans ces conditions, l’Etat (ministère de la défense) a fait preuve d’une carence fautive de nature à engager sa responsabilité ;

Sur les préjudices :

En ce qui concerne le préjudice économique :

6. Considérant qu’aux termes de l’article 1er du décret du 21 décembre 2001 : « Une allocation spécifique de cessation anticipée d’activité est versée, sur leur demande, aux ouvriers de l’Etat relevant du régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l’Etat qui sont ou ont été employés dans des établissements ou parties d’établissements de construction et de réparation navales, sous réserve qu’ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu’ils remplissent les conditions suivantes : ( … ) » et qu’aux termes de l’article 6 du même décret : « Pour bénéficier de l’allocation spécifique de cessation anticipée d’activité, l’ouvrier de l’Etat formule une demande qui est adressée à l’administration, à la collectivité ou à l’établissement qui l’emploie, accompagnée des pièces justificatives nécessaires pour établir ses droits. » ;

7. Considérant que le salarié qui opte pour le régime de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante se trouve placé en vertu de l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 dans une situation statutaire et réglementaire de préretraite à laquelle il ne peut apporter aucune modification ni au moment de son adhésion, ni après ; que le bénéfice de ce statut légal est subordonné à la double condition expresse que le salarié ait démissionné de sa propre initiative et qu’il cesse toute activité professionnelle en vue de percevoir des allocations fixées par l’Etat ;

8. Considérant qu’il est constant que M. COZZONE-PAUL, qui remplissait les conditions lui permettant de bénéficier du régime de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante, a sollicité et obtenu le bénéfice de ce régime ; que si M. COZZONE-PAUL soutient que la Direction des constructions navales l’a exposé aux risques liés à l’usage d’amiante et manqué à son obligation de sécurité de résultat, cette circonstance n’est pas de nature à établir une faute en ce qui concerne la réduction des revenus qui en a résulté, ou ses perspectives professionnelles, dès lors que celui-ci a exercé le choix de solliciter le bénéfice du régime de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante et qu’il était en mesure de solliciter une mutation de poste de travail ; qu’ainsi, M. COZZONE-PAUL n’est pas fondé à réclamer des indemnités complémentaires pour compenser un préjudice de carrière et une diminution de revenus inhérents au statut légal auquel il a adhéré ;

En ce qui concerne le préjudice «d’anxiété», moral et les troubles dans les conditions d’existence :

9. Considérant que M. COZZONE-PAUL, estimant que son espérance de vie a été diminuée notablement, du fait de l’absorption par ses poumons de poussières d’amiante pendant ses années d’activité professionnelle, soutient vivre depuis dans un état d’anxiété justifiant une réparation à ce titre fondée sur la carence fautive susmentionnée de son employeur ;

10. Considérant, en premier lieu, que le préjudice qualifié «d’anxiété» n’est pas constitutif devant le juge administratif d’un poste de préjudice spécifique, mais doit être regardé comme incorporé dans les postes constitués par les troubles dans les conditions d’existence et le préjudice moral, susceptibles d’être indemnisés sans que soit nécessairement caractérisé un état pathologique d’anxio-dépression ;

11. Considérant, en deuxième lieu, qu’il résulte de l’instruction qu’est établi de façon statistiquement significative le lien entre une exposition suffisamment longue d’un travailleur aux poussières d’amiante et la baisse de son espérance de vie ; que la reconnaissance de ce lien statistique par le législateur a été à l’origine de la mise en place de deux dispositifs d’indemnisation fondés sur la solidarité nationale, d’une part et s’agissant des travailleurs effectivement tombés malades, par le fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, d’autre part, et s’agissant de tous les travailleurs, par le fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante ; que M. COZZONE-PAUL, qui n’est pas malade, bénéficie de ce dernier dispositif lequel, ainsi qu’il a été dit et compte tenu des termes de l’article 41 susvisé de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 éclairés par les débats parlementaires, ne l’indemnise pas intégralement des conséquences dommageables de sa période passée d’exposition aux poussières d’amiante ;

12. Considérant, en troisième lieu, que les études statistiques générales susmentionnées ne suffisent pas, à elles seules, à établir les troubles dans les conditions d’existence et le préjudice moral invoqués par M. COZZONE-PAUL du seul fait d’une diminution probable de son espérance de vie, et qu’il lui appartient donc d’apporter devant le juge des éléments complémentaires probants relatifs à sa situation personnelle ; qu’il résulte à cet égard de l’instruction que M. COZZONE-PAUL, né en 1954, a travaillé du 14 septembre 1970 au 15 septembre 1996 dans des ateliers relevant de la DCN l’exposant aux poussières d’amiante pendant une période suffisamment longue pour pouvoir, d’une part, le faire bénéficier du régime de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante, d’autre part, l’inclure dans le dispositif préventif prévu par l’arrêté susvisé du 28 février 1995, dont l’annexe II prévoit une surveillance post-professionnelle par examen clinique médical et examen radiographique du thorax, tous les deux ans ; que les études dont se prévaut le requérant montrent que les poussières d’amiante inhalées sont définitivement absorbées par les poumons sans que l’organisme puisse les éliminer, et peuvent provoquer à terme, outre des atteintes graves à la fonctionnalité respiratoire, des pathologies cancéreuses particulièrement difficiles à guérir en l’état des connaissances médicales ; qu’il ne résulte pas de l’instruction que le requérant serait astreint à un suivi médical régulier et contraignant à l’origine de troubles dans ses conditions d’existence ; que toutefois, eu égard notamment à la circonstance que certains de ses anciens collègues de travail sont décédés du fait de l’amiante, l’intéressé vit dans la crainte de découvrir subitement une pathologie grave, même si son état de santé ne s’accompagne pour l’instant d’aucun symptôme clinique ou manifestation physique, et subit, à ce titre, un préjudice moral ;

13. Considérant que ce préjudice moral est en lien direct et certain avec la carence fautive de l’Etat en sa qualité d’employeur ; qu’il sera fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce en l’évaluant à hauteur de 8 000 euros ;

Sur les intérêts et leur capitalisation :

14. Considérant, qu’en application des dispositions de l’article 1153 du code civil, M. COZZONE-PAUL a droit aux intérêts au taux légal afférents à la somme qui lui est due, à compter du 18 mai 2009, date de réception de sa demande préalable ; que M. COZZONE-PAUL a demandé la capitalisation des intérêts pour la première fois dans son mémoire enregistré le 19 septembre 2013 ; qu’à cette date, les intérêts étaient dus pour au moins une année entière ; qu’en application des dispositions de l’article 1154 du code civil, il y a lieu dès lors de faire droit à cette demande ;

Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par le requérant et non compris dans les dépens ;

Sur les conclusions tendant à ce que soit ordonnée l’exécution provisoire du jugement :

16. Considérant qu’il résulte de l’article L. 11 du code de justice administrative que les jugements sont exécutoires ; qu’ainsi, les conclusions tendant à ce que soit ordonnée l’exécution provisoire du jugement sont sans objet ;

D E C I D E

Article 1er : L’Etat (ministère de la défense) est condamné à verser à M. COZZONE-PAUL une indemnité de 8 000 euros (huit mille euros). Cette somme porte intérêts à compter du 18 mai 2009. Les intérêts échus à la date du 19 septembre 2013 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : L’Etat (ministère de la défense) versera à M. COZZONE-PAUL la somme de 1 000 (mille) euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. COZZONE-PAUL est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. Gilbert COZZONE-PAUL et au ministre de la défense.

Délibéré après l’audience du 18 octobre 2013, à laquelle siégeaient :

— Mme Steck-Andrez, présidente ;

— Mme Boyer et Mme Thielen conseillers ;

Lu en audience publique le 22 novembre 2013.

Le magistrat le plus ancien, La présidente- rapporteure,

signé signé

C. BOYER F. STECK-ANDREZ

Le greffier,

signé

P. BERENGER

La République mande et ordonne au ministre de la défense en ce qui le concerne et à tous les huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

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