Tribunal de grande instance de Paris, 1re chambre 3e section, 20 septembre 2010, n° 09/16076

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TGI Paris, 1re ch. 3e sect., 20 sept. 2010, n° 09/16076
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
Numéro(s) : 09/16076

Sur les parties

Texte intégral

T R I B U N A L

D E GRANDE

I N S T A N C E

D E P A R I S

1re chambre

3e section

N° RG :

09/16076

N° MINUTE :

Assignation du :

5 octobre 2009

PAIEMENT

Après expertise :

— Docteur E Z

[…]

[…]

— Professeur F G

[…]

[…]

[…]

(footnote: 1)

JUGEMENT

rendu le 20 septembre 2010

DEMANDEUR

Monsieur H Y

[…]

[…]

représenté par Me O P (Association ARPEJ') avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J103

DÉFENDEURS

Docteur Q-K X

Clinique Saint Q l’Hermitage

[…]

[…]

représenté par Me Valérie-Flore DUBOIS (Association Cabinet HELLMANN) avocat au barreau de PARIS, vestiaire R001

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE (CPAM) DE PARIS

[…]

[…]

représentée par la SELARL BOSSU & ASSOCIES (Me Rachel LEFEBVRE) avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R295

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Lors des débats et du délibéré :

Florence LAGEMI, Vice-Président

Marie-Andrée BAUMANN, Vice-Président

K L, Vice-Président

Lors du prononcé :

Marie-Andrée BAUMANN, Vice-Président

K L, Vice-Président

Ghislaine SILLARD, Vice-Président

GREFFIER

I J

DÉBATS

A l’audience du 21 juin 2010, tenue en audience publique

Après clôture des débats, avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu le 20 septembre 2010

JUGEMENT

Prononcé en audience publique

Contradictoire

En premier ressort

Sous la rédaction de K L

Vu le rapport d’expertise du professeur E Z et du docteur F G daté du 5 mai 2008, déposé à la suite de l’ordonnance du juge des référés de ce siège le 9 mars 2007, rendue à la requête de Monsieur H Y et au contradictoire notamment de Monsieur Q-K X, docteur en médecine et chirurgien, en raison des plaintes du demandeur relatives aux suites de l’opération de sigmoïdectomie qu’il a subie le 12 février 2003, de la réintervention, réalisée par le défendeur le 20 février suivant, toujours à la clinique M N, et des nombreux soins postérieurs subis par lui après son transfert à l’hôpital BICHAT du 25 février 2003 ;

Vu les dernières conclusions de Monsieur H Y du 8 mars 2010 à la suite de l’assignation qu’il a fait délivrer, les 5 et 7 octobre 2009 au docteur Q-K X et à son organisme social, la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de Paris, au moyen desquelles il fait valoir qu’il a subi de graves préjudices ensuite des opérations litigieuses,

— qu’il résulte de l’expertise que le docteur X a commis des fautes au sens de l’article L.1142-1-1 du code de la santé publique puisque, lors de la première opération du 12 février 2003, il a manqué de prudence en s’abstenant d’effectuer l’ensemble des examens nécessaires notamment un scanner abdo pelvien seul à même de permettre de poser l’indication opératoire qu’il a préconisée d’emblée en considération du seul historique de la maladie et sans attendre les effets de l’antibiothérapie correctement ordonnée pour la première fois,

— que, la reprise chirurgicale du 20 février 2003 pour prévenir une occlusion mécanique sur la colostomie a également été précipitée sans prendre la mesure du bénéfice et des risques d’une telle ré intervention ni envisager une alternative thérapeutique pourtant existante,

— qu’en outre, il a manqué à son obligation d’information complète en l’absence de tout schéma explicatif retrouvé par l’expert ou de feuille de consentement éclairé,

— que les fautes relevées sont indubitablement à l’origine de ses préjudices et non pas seulement d’une perte de chance car les gestes chirurgicaux n’avaient aucune justification et que sa diverticulose du colon ne devait tout simplement pas être opérée, de sorte qu’il doit indemniser la totalité de ses dommages ainsi évalués :

— frais divers 2 873,32 euros,

— tierce personne temporaire

du 12 février 2003 au

12 novembre 2005 35 393,53 euros, – tierce personne définitive

du 12 novembre 2005 au

30 juin 2010 65 093,33 euros,

— tierce personne définitive

à compter du 1er juillet 2010 65 093,33 euros,

— déficit fonctionnel temporaire 1 302 euros,

— déficit fonctionnel permanent 13 000 euros,

— pretium doloris 40 000 euros,

— préjudice esthétique 20 000 euros,

— préjudice d’agrément 20 000 euros,

— préjudice sexuel 20 000 euros,

de sorte qu’il demande au tribunal :

— de juger que le docteur X a commis une faute de nature à engager sa responsabilité à la suite des interventions chirurgicales des 12 et 20 février 2003,

— de condamner le docteur X à lui payer la somme de 217 662,18 euros à titre de dommages-intérêts,

— de condamner le docteur X à lui payer la somme de 14 042 euros versée sous forme de rente trimestrielle indexée sur le SMIC et suspendue au 46e jour d’hospitalisation,

— de condamner le docteur X à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

— d’ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir ;

Vu les dernières conclusions du docteur Q-K X du 12 avril 2010 qui fait valoir :

— que les conclusions de l’expertise sur l’absence d’information suffisante ne tiennent pas compte des déclarations du concluant sur les explications qu’il a dûment dispensées au patient – de même que l’anesthésiste durant sa consultation- ni de la circonstance que l’entier dossier médical n’a pas pu être retrouvé par la clinique M N ni du fait que Monsieur Y a donné son consentement puisqu’il a affirmé que si le docteur X lui avait “parlé d’une poche”, il n’aurait pas refusé l’intervention,

— que le reproche qui lui est fait de n’avoir pas fait pratiquer un scanner abdominal préopératoire et de ne pas avoir laissé un intervalle suffisant entre le début de l’antibiothérapie et l’opération est sans conséquence dès lors que la décision d’opérer était tout à fait défendable, position d’ailleurs adoptée par le sapiteur chirurgien, le docteur Z, au vu de l’histoire de la maladie marquée par deux poussées de sigmoïdite diverticulaire traitées de façon correcte infructueusement, que si la diverticulose du colon ne doit être opérée qu’en présence d’une complication, son caractère aigu compliqué ou non d’abcès ou de péritonite, sténose ou fistule est en lui-même considéré comme une telle complication, d’ailleurs manifestée par le lavement baryté qui a été pratiqué,

— que si les experts ont relevé, a posteriori, qu’un scanner aurait dû être pratiqué pour éliminer l’hypothèse d’une simple colopathie fonctionnelle, il n’en reste pas moins qu’il s’agissait bien d’une diverticulose aiguë et que le bon diagnostic a été posé au vu du résultat des analyses biologiques ultérieurement confirmées par les données d’anatomopathologie de même que la bonne indication opératoire a été préconisée, prise après plusieurs crises soignées médicalement mais avec reprise des symptômes de sorte que l’intervention chirurgicale était nécessaire selon les données acquises de la science médicale en 2003, dans un but prophylactique pour éviter la récidive aggravée et les complications,

— que c’est encore par un raisonnement a posteriori que les experts ont considéré que les syndromes postopératoires de la deuxième intervention étaient ceux d’une situation de postopératoire qualifiée de simple retard sans nécessité de réintervention alors que, même si le mécanisme de cette occlusion n’a pas été compris par le praticien, la prudence l’imposait, ce qui a été confirmé au cours de l’opération qui a, au demeurant, mis en évidence qu’une anse du grêle était coincée et devait, en tout état de cause, être libérée,

— que sa pleine condamnation exige la certitude d’un lien de causalité entre les prétendues fautes et les préjudices alors que tel n’est pas le cas entre l’absence de scanner préopératoire et la première opération dès lors que cet examen s’est révélé inutile, que s’agissant de la deuxième, les experts se sont contentés d’estimer qu’elle a “peut être … aggravé” la situation et que les éventrations “pouvaient être en partie” liées aux interventions, ce qui ne caractérise pas un lien de causalité certain et justifie, subsidiairement, que seule une perte de chance soit retenue, laquelle ne saurait être supérieure à 20 %,

— sur l’indemnisation des préjudices, que certains postes ne sont pas justifiés et d’autres surévalués notamment quant à l’aide de la tierce personne qui est assurée en réalité par Madame Y et dont le coût ne saurait donc être supérieur à 11 euros de l’heure sur 365 jours annuels seulement, de sorte qu’il sollicite du tribunal :

— qu’il lui donne acte de ce qu’il s’en rapporte à son appréciation quant aux fautes relevées éventuellement commises lors des opérations des 12 et 20 février 2003,

— qu’il juge que le lien de causalité entres les dites interventions et les séquelles n’est pas certain et que sa responsabilité ne peut entraîner qu’une perte de chance de 20 %,

— qu’il y a lieu de surseoir à statuer dans l’attente de la communication de la créance définitive de la Caisse,

— subsidiairement qu’il fasse l’évaluation suivante des postes de préjudices :

— frais divers suivant justificatifs,

— tierce personne temporaire 4 048 euros,

— tierce personne définitive 7 431,60 euros,

— tierce personne future 1 606 euros

sous forme de rente annuelle indexée sur l’indice de revalorisation des rentes suspendue au 31e jour d’hospitalisation,

— déficit fonctionnel temporaire 600 euros mensuels,

— déficit fonctionnel permanent 2 200 euros,

— pretium doloris 2 6000 euros,

— préjudice esthétique 1 600 euros,

— préjudice d’agrément néant,

— préjudice sexuel néant,

— qu’il réduise les sommes demandées au titre des frais irrépétibles,

— qu’il dise que la créance de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie ne pourra être prise en charge que dans la limite des 20 % ;

Vu les dernières conclusions de la Caisse primaire d’assurance maladie de Paris du 2 novembre 2009 qui sollicite du tribunal, sur le fondement de l’article L.376-1 du code de la sécurité sociale et sous le bénéfice de l’exécution provisoire du jugement à intervenir, qu’il condamne solidairement le docteur X à lui payer la somme de 69 859,84 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la demande, outre celle de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et de dire que les frais d’huissier exposés dans le cadre d’une éventuelle exécution forcée seront supportés par le débiteur ;

Vu l’ordonnance de clôture rendue le 7 juin 2010 ;

SUR CE

Attendu qu’il ressort notamment des commémoratifs non contestés de l’expertise :

— que Monsieur Y a connu des troubles digestifs pour lesquels il a consulté à compter du 18 janvier 2002 le docteur A qui a prescrit des examens biologiques dont un hémogramme mettant en évidence une CRP très élevée (signe d’inflammation quelle qu’en soit la cause), qu’il a été hospitalisé à la clinique BLOMET le 26 janvier 2002 en raison de douleurs abdominales diffuses, nausées et diarrhée et qu’après plusieurs examens et administration de médicaments il en est sorti le 28 janvier 2002 sans diagnostic précis,

— que le 26 février ont été prévus une échographie pelvienne, des examens de selles, bactériologique des urines, un hémogramme, une CRP et un dosage PSA, l’ensemble ne montrant pas d’anomalie significative,

— que Monsieur Y a consulté à nouveau le 15 octobre 2002 le docteur B qui a prescrit de nouveaux bilans, sans ordonnance médicamenteuse, qui ne révéleront rien d’anormal hormis sur le cholestérol et le taux de glycémie,

— qu’il a consulté, le 11 décembre 2002 le docteur C à la clinique M-N pour ses troubles digestifs et que lui ont été prescrits une échographie abdominale et un lavement baryté qui ont été réalisés le 18 décembre 2002, le lavement révélant l’existence d’un sigmoïde diverticulaire avec une absence de mobilité de la bouche pré sacrée,

— que le docteur C ayant pris sa retraite, il a été remplacé par le docteur X, lequel a revu le patient le 3 février 2003 en prescrivant notamment des antibiotiques (Augmentin) sur dix jours sans toutefois que le dossier de cette consultation ne soit disponible auprès de la clinique malgré les demandes des experts, ni des notes auprès du praticien,

— qu’il est cependant constant que le docteur X a, lors de cette consultation du 3 février 2003, posé une indication opératoire et que Monsieur Y a subi, les 10, 11 et 12 février 2003, deux consultations pré anesthésiques,

— que le 12 février, il a passé une coloscopie préopératoire et a été opéré par le docteur X avec cette conclusion du compte rendu opératoire “sigmoïdite diverticulaire ; colectomie et exérèse de la charnière colorectale ; rétablissement de la continuité, colostomie latérale transverse”,

— que le 18 février 2003 l’étude anatomopathologique note “l’existence de nombreux orifices diverticulaires parfois comblés de matières”,

— que les suites opératoires ont été marquées par la survenue d’un syndrome sub-occlusif dont vont témoigner plusieurs examens radiologiques, mais ont été simples jusqu’au 15 février où le patient était apyrétique et reprenait le transit gazeux avec ablation de la perfusion,

— qu’au 4e jour, Monsieur Y s’est plaint de nausées, et de vomissements avec selles diarrhéiques dans la poche de colostomie puis de ballonnements, que le 19 février une radiographie de l’abdomen a noté la persistance d’air dans le tractus digestif et qu’il a été remis en place une sonde nasogastrique,

— que le 20 février, après une nouvelle radio, et un lavement à la gastrografine le docteur X a décidé de réopérer Monsieur Y en raison du syndrome sub occlusif, le compte-rendu relevant “il existe des adhérences inflammatoires du petit bassin avec une anse grêle terminale coincée. Le petit bassin n’est pas libéré en totalité compte tenu des adhérences et de l’absence d’abcès. Libération et entérolyse”,

— qu’en raison de la persistance du syndrome sub occlusif, Monsieur Y a été transféré le 25 février 2003 à l’hôpital BICHAT, un scanner abdominal permettant de constater un abondant épanchement intra abdomen, une distension modérée de l’intestin, grêle avec niveaux hydro-aréiques, une laparotomie exploratrice étant décidée, le patient étant transféré en réanimation jusqu’au 3 mars 2003, puis au service de chirurgie générale du 5 au 21 mars,

— qu’il a ensuite été traité du 21 mars au 3 avril au Centre Médical de Forcilles qu’il a quitté, selon ses dires “en étant gêné par la colostomie et en ayant beaucoup maigri”,

— qu’il a été réhospitalisé du 3 au 18 juillet 2003 à l’hôpital BICHAT pour rétablissement de la continuité colo-rectale réalisée le 4 juillet, puis à nouveau du 3 au 14 mars 2003 pour le traitement médical d’une éventration médiane avec reprise opératoire le 4 mars,

— qu’après une amélioration progressive de son état, il a été hospitalisé en urgence le 2 octobre 2005 dans un tableau d’occlusion intestinale aiguë avec décision de nouvelle intervention sur une importante éventration au niveau de la fosse iliaque gauche et qu’il est traité depuis le 12 octobre 2005 par son médecin traitant,

— qu’il s’est plaint auprès des experts de constipation, d’asthénie avec perte d’activité, de la réduction de l’activité sexuelle, d’être dépendant de sa femme qui porte les charges et effectue tout ce qui implique qu’il se baisse ce qu’il ne peut plus faire, d’être privé de travaux de bricolage, de la réduction de ses activités de retraité et du périmètre de marche (2 à 3 km) ainsi que de la gêne liée à l’aspect de son abdomen déformé par l’éventration et du fait du port d’une ceinture abdominale de contention et des cicatrices ;

Sur la responsabilité

Attendu qu’en application de l’article L.142-1 du code de la santé publique, le contrat médical conclu entre le chirurgien et son patient met à la charge du médecin l’obligation de lui prodiguer des soins attentifs, consciencieux et conformes aux données acquises de la science médicale à la date de ceux-ciྭ; que cette responsabilité du médecin est engagée dès lors qu’il est établi un manquement à cette obligation en relation directe et certaine avec le préjudice invoquéྭ;

Attendu qu’en outre, ce contrat met aussi à la charge du chirurgien l’obligation de délivrer au patient une information claire, loyale et adaptée sur la nature des actes envisagés, son évolution prévisible, le traitement proposé, les conséquences et les risques de celui-ci, et ce, afin de permettre au patient de se déterminer en évaluant le bénéfice escompté du traitement et les risques qu’il comporte afin de l’accepter ou le refuser en toute connaissance de cause ;

Attendu qu’il ressort de l’expertise que les examens médicaux et pièces du dossier de Monsieur H Y antérieurement à ses consultations des docteurs C, le 18 décembre 2002, puis X, le 3 février 2003, ne permettaient que très imparfaitement de connaître l’histoire de la maladie et qu’en particulier, il n’était pas objectivé que les épisodes de douleurs abdominales des mois de février et d’octobre 2002 soient imputables à une sigmoïde diverticulaire plutôt qu’à une autre cause comme une gastro-entérite ou une colopathie fonctionnelle ;

Qu’en revanche, au vu du tableau en résultant, il n’est pas contesté que le docteur X a légitimement pu penser que Monsieur Y “avait fait deux poussées de sigmoïdite mal documentées et que cette deuxième poussée (débutée au mois de décembre 2002 et perdurant lors de la consultation du 3 février 2003) n’avait pas évolué favorablement du fait du traitement insuffisant institué” ;

Attendu qu’il ressort du corps de l’expertise que Monsieur Y, le 3 février 2003, ne présentait pas – en dépit de l’évolution non favorable de la poussée de sigmoïdite de la fin de l’année 2002, mal documentée en l’absence de scanner et mal soignée à défaut de traitement antérieur adéquat – un état justifiant l’abandon de la voie de traitement médical au profit d’une chirurgie à visée curative qui ne s’imposait que dans des cas précis ne recouvrant pas celui du demandeur (péritonite, abcès pelvien, abcès mésocoliques, sténose colique) ;

Attendu qu’il résulte de l’exposé des experts que la tendance antérieure à opérer tout malade guéri par médicament d’une diverticulite aiguë dans un but prophylactique d’évitement des récidives tenues pour aggravantes n’était, déjà au cours de l’année 2003, plus une donnée acquise de la science et que l’on s’accordait alors sur le fait qu’une chirurgie prophylactique ne devait être mise en oeuvre que si le diagnostic de chaque poussée était confirmé par un scanner abdominal et qu’en l’absence de signes de gravité remarqués grâce à cet examen, “le bénéfice réel de la chirurgie… … même après deux poussées restait à évaluer”, “un délai de deux mois après la dernière poussée de diverticulite était conseillé avant une chirurgie prophylactique” ;

Que les experts affirment donc, sans être contredits par des pièces médicales probantes contraires, “que le docteur X a fait une omission en ne demandant pas un bilan biologique et un scanner abdominal en février 2003, avant son traitement médical, ce qui lui aurait permis d’affirmer :

- soit le diagnostic de sigmoïdite diverticulaire compliquée, justifiant un traitement chirurgical rapide,

- soit le diagnostic de sigmoïdite non compliquée, lui permettant d’envisager à ce stade, après évaluation de l’efficacité de son traitement antibiotique, correct à nos yeux : soit un traitement chirurgical plus à distance soit une simple surveillance, après avoir vérifié l’efficacité de son traitement médical par un nouveau scanner en discutant avec Monsieur Y des avantages et inconvénients d’une intervention chirurgicale”,

Qu’ils concluent donc qu’il n’existait “aucun argument” lors de la consultation du 3 février 2003, avant d’avoir évalué l’efficacité du traitement médicamenteux “pour la première fois bien conduit”et de prendre connaissance des résultats de la coloscopie”, en faveur d’un recours d’emblée à la chirurgie ;

Attendu qu’en effet, il apparaît que la coloscopie réalisée le jour même de l’opération dont le docteur X n’a, à tout le moins, pas tiré de conclusion, n’a mis en évidence que “la présence d’une diverticulose constituée de quelques diverticules de petite taille avec aspect banal de la muqueuse, située au niveau de sigmoïde, et a“conclu à l’existence d’une diverticulose banale, bénigne du sigmoïde” ;

Qu’à l’observation qui lui en a été faite au cours de la réunion d’expertise, le docteur X a répondu qu’il avait prescrit cet examen, qui devait initialement être réalisé le 11 février et non le 12, pour “éliminer un cancer ou une colite ischémique” mais qu’il avait prévu d’opérer Monsieur Y si la coloscopie était normale, ce qui était le cas ;

Qu’à l’interpellation qui lui a été faite sur l’absence de scanner abdomino pelvien, il a déclaré “accepté le reproche de ne pas avoir fait cet examen” tout en affirmant que “si le scanner avait été normal cela n’aurait pas modifié ma décision d’opérer”, dès lors qu’il avait précédemment exposé qu’il avait effectivement posé l’indication chirurgicale dès le 3 février 2003, “cette indication reposant sur l’histoire de la maladie” et sur la circonstance qu’elle était nécessaire “en raison d’au moins deux poussées de sigmoïdite que je pensais bien traitées car les traitements l’avaient soulagé” ;

Attendu cependant qu’il doit être observé que les experts ont relevé, au vu de l’ensemble des pièces du dossier que, selon, eux, le traitement médicamenteux d’antibiothérapie à l’Augmentin mis en place par le docteur X a été le premier à être adéquat et qu’ils n’ont pu retrouver trace d’une ordonnance traduisant un traitement antérieur bien conduit, de sorte que le défendeur ne peut utilement soutenir l’affirmation selon laquelle Monsieur Y avait réitéré ses poussées de sygmoïdite en dépit d’une bonne thérapeutique médicale, simplement déduite du soulagement momentané de Monsieur Y ;

Attendu, surtout, que le docteur X n’apporte aucune pièce médicale ou avis probant de nature à contredire les conclusions des experts sur le caractère prématuré de sa première opération au vu du consensus alors en cours qui exigeait un délai entre la fin de la crise de diverticulite et l’appréciation de l’effet de l’antibiothérapie avant d’envisager les bénéfices et risques d’une intervention chirurgicale ;

Qu’il a expressément reconnu l’absence fautive de scanner abdomino pelvien sans étayer médicalement son avis selon lequel il aurait fallu recourir à l’opération quel qu’en ait été le résultat sur la gravité de la diverticulite sygmoïdienne aiguë de Monsieur Y, alors que les experts ont exposé longuement en quoi l’appréciation de cette gravité au vu de cet examen était indispensable pour évaluer l’opportunité d’une éventuelle intervention chirurgicale et en quoi le simple lavement baryté était insuffisant à cet égard ;

Attendu qu’il résulte de ce qui précède et du rapport d’expertise – en dépit de l’expression employée dans la réponse apportée à la question n° 7 qui renvoie à l’ensemble de l’expertise – que la décision d’opérer Monsieur Y du 3 février 2003 et l’intervention subséquente du 12 février ont été prématurées, l’ indication opératoire à la date à laquelle l’intervention a été réalisée n’étant pas justifiée, ce qui constitue une faute imputable au docteur Q-K X, bien que les experts n’aient aucunement critiqué les actes per opératoires accomplis ;

Attendu, en revanche, que l’ensemble de la réintervention du 20 février 2003, décidée en raison d’une suspicion de sub occlusion postopératoire, a été jugée critiquable par les experts “les alternatives non opératoires n’ont pas suffisamment été discutées, des examens complémentaires tel un scanner auraient du être effectués préalablement. L’indication de réintervention a été mal pesée. Les examens radiologiques ont été insuffisants. Les gestes effectués au cours de cette réintervention ont été inappropriés, n’ont pas permis de comprendre le mécanisme de l’occlusion et donc de répondre à la problématique ; ils ont peut être aggravé les conséquences de la fistule qui était probablement colmatée et ont permis la constitution d’une péritonite ayant conduit à une troisième intervention à l’ hôpital BICHAT” ;

Attendu que, quoiqu’il en soit de l’appréciation de cette seconde opération du docteur X, elle trouve incontestablement son origine dans la première opération dont l’indication a été jugée fautive et à défaut de laquelle elle n’aurait pas eu lieu, de même, selon les experts, que “les interventions ultérieures” qui se sont “enchaînées au gré de l’apparition des complications et étaient parfaitement justifiées puisqu’aucune d’entre elles ne comportaient une alternative opératoire” ;

Attendu qu’il résulte de la solution adoptée plus haut que l’indication opératoire étant jugée erronée de manière fautive, le docteur X doit répondre intégralement de tous des préjudices consécutifs et particulièrement des opérations suivantes et de leurs conséquences corporelles qui, contrairement à ce que soutient le défendeur, sont toutes en lien de causalité direct et certain avec l’intervention du 3 février 2003 ;

Qu’en effet, il n’est pas établi que Monsieur Y aurait dû, en tout état de cause, subir une opération alors qu’un traitement médicamenteux bien conduit et une surveillance auraient pu être envisagés et qu’à supposer même une intervention chirurgicale inéluctable, il est encore moins acquis que celle-ci, qui se serait donc déroulée à distance de la fin de la dernière poussée de sygmoïdite aiguë, après une appréciation des bénéfices risques au vu des examens nécessaires, aurait indubitablement conduit aux mêmes complications qu’a connues Monsieur Y ;

Attendu qu’en conséquence la faute retenue du docteur X est bien à l’origine de l’intégralité des dommages subis par Monsieur H Y qui apporte la preuve du lien direct et certain avec les dommages subis ;

Sur la réparation

Attendu que, selon le rapport d’expertise, les suites de l’opération du 3 février 2003 ont entraîné les préjudices ainsi médicalement évalués :

— une incapacité temporaire totale 113 jours,

— une incapacité temporaire partielle :

de 20 % du 3 mai au 3 juillet 2003,

de 10 % du 18 août 2003 au 4 mars 2004

de 5 % du 15 avril 2004 au

20 octobre 2005

de 10 % du 12 novembre 2005 au 31 décembre 2005,

— date de la consolidation 12 novembre 2005,

— une incapacité permanente partielle 10 %,

— souffrances endurées 5/7,

— préjudice esthétique, 4/7,

— tierce personne sans qualification particulière 2 heures par jour “actuellement cette fonction est remplie par Madame Y”

— préjudice sexuel “Monsieur Y se plaint d’une activité “réduite à zéro” puisqu’il a très peu de libido et surtout une absence d’érection Il précise qu’avant les gestes incriminés, son activité sexuelle était de deux à trois rapports par semaine”, “il est à signaler qu’il n’a pas consulté de spécialiste”,

— préjudice d’agrément “ activité consistant essentiellement en des travaux de jardinage” “impossibilité de pouvoir désormais effecteur toutes les tâches et les plaisirs que sa situation de retraité et son état physique lui permettaient.. Il a cependant repris la marche, le périmètre actuel étant de 2 à 3 km ; il existe donc un préjudice d’agrément” ;

Attendu qu’en dépit d’une incapacité temporaire totale de plus de trois mois relevée par l’expert, Monsieur Y ne sollicite, seulement au titre de l’incapacité temporaire partielle (déficit fonctionnel temporaire partiel), que la somme de 1 302 euros qui n’est pas contestée en défense ;

Attendu que le demandeur justifie de frais liés à l’utilisation de télévision et de téléphone durant l’hospitalisation à hauteur de la somme demandée de 127,05 euros, de 1 200 euros d’honoraires du docteur D, de 36,27 euros de frais de copie de son dossier médical et qu’il est incontestable que son tour de taille ayant été modifié en raison de sa perte de poids, il a dû engager des frais de vestiaires, la somme demandée de 710 euros n’étant pas excessive, de sorte qu’il lui est alloué au titre de ces divers frais la somme de 2 073,32 euros ;

Attendu, s’agissant de la tierce personne, que la circonstance qu’il ne soit pas besoin qu’elle ait de qualification particulière justifie que la somme horaire de 14 euros soit retenue et que le fait que jusqu’aux opérations d’expertise et jusqu’à présent ce soit Madame Y qui s’en soit chargée, explique que le montant soit calculé sur 365 jours ;

Qu’en revanche et pour l’avenir, compte tenu de l’âge de Madame Y, en dépit du fait qu’il est très compréhensible qu’elle s’acquitte de cette assistance conjugale pour le moment, et de la nécessité pour la tierce personne de pourvoir notamment au port de charge lourdes, il y a lieu de prévoir de calculer le montant de la rente en tenant compte des congés légaux et jours fériés, donc sur 59 semaines ;

Que le montant dû jusqu’au 30 juin 2010 est donc de :

assistance temporaire :

920 jours x 14 euros X 2 heures = 25 760 euros,

assistance définitive jus’au 30 juin 2010 :

1 692 jours x 14 euros X 2 heures = 47 376 euros,

total 73 136 euros ;

Attendu qu’à compter du 1er juillet 2010, la somme annuelle représente :

14 euros x 59 semaines x 14 heures = 11 564 euros ;

Que le défendeur doit donc être condamné à payer à Monsieur Y une rente annuelle de ce montant versée sous forme de rente trimestrielle à terme échu indexée non pas sur le SMIC mais sur l’indice de revalorisation des rentes dont le versement sera suspendu à compter du 45e jour d’hospitalisation ;

Attendu, sur le préjudice d’agrément, que Monsieur Y justifie de prix de fleurissement décernés au couple et non seulement à Madame Y mais il faut observer que ces distinctions ont été remises pour la période postérieure à l’opération (2004 et 2006) ;

Qu’il est cependant indubitable que son impossibilité de se baisser le prive de toute une série de travaux de jardinage ; qu’en revanche l’activité de chine n’est pas totalement exclue par son état physique mais rendue plus difficile ;

Qu’il résulte de ces éléments en sens contraire que le préjudice d’agrément, retenu par l’expert, lié aux séquelles et spécifique doit être indemnisé par la somme de 5 000 euros ;

Attendu que le préjudice sexuel de Monsieur Y, eu égard aux différents préjudices corporels, à la nécessité de porter une ceinture de contentions et à l’emplacement des cicatrices doit être évalué à la somme de 10 000 euros ;

Attendu qu’en conséquence de ce qui précède, des éléments du débat et en particulier de l’expertise de Monsieur H Y, âgé de 62 ans au moment de l’opération et de 64 ans lors de la consolidation, retraité, il y a lieu de fixer ainsi qu’il suit les dommages y compris pour la créance de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie qui a fait connaître le montant de ses débours provisoires à hauteur de la somme de 69 859,84 euros :

— frais d’hospitalisation pris en charge 69 859,84 euros,

par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie

— frais divers 2 073,32 euros

— tierce personne temporaire

passée 73 136 euros,

— tierce personne future 11 564 euros

de rente annuelle,

— déficit fonctionnel temporaire 1 302 euros,

— déficit fonctionnel permanent 10 % 13 000 euros,

— pretium doloris 5/7 35 000 euros,

— préjudice esthétique 4/7 20 000 euros,

— préjudice d’agrément 5 000 euros,

— préjudice sexuel 10 000 euros ;

Attendu qu’il résulte de ce qui précède que le docteur Q-K X doit être condamné à payer à :

— Monsieur H Y la somme de 159 511,32 euros avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

— Monsieur H Y une rente trimestrielle de (11 564 / 4=) 2 891 euros et indexée sur l’indice de revalorisation des rentes, payable trimestriellement avec suspension à compter du 45e jour d’hospitalisation, comme prévu au dispositif,

— à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie la somme de 69 859,84 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la demande du 3 novembre 2009 ;

Attendu que l’exécution provisoire de la présente décision, nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire, doit être ordonnée ;

Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer sur la demande de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie relative aux frais d’exécution forcée qui ressortit à la compétence du juge de l’exécution, les modalités du règlement des frais d’huissier étant au demeurant, dans l’hypothèse d’un litige qui naîtrait à leur sujet, prévues aux dispositions des articles 8 et suivants du décret n° 96-1080 du 12 décembre 1996 ;

Attendu qu’en outre le docteur Q-K X doit être condamné à payer à Monsieur Y la somme de 3 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de Paris la somme de 1 000 euros ;

Par ces motifs

Le tribunal, statuant en audience publique, par décision contradictoire et en premier ressort,

— Déclare le docteur Q-K X responsable d’une erreur fautive quant aux indications opératoires ayant conduit aux interventions chirurgicales des 3 et 12 février 2003 ;

— Condamne le docteur Q-K X à indemniser Monsieur H Y intégralement de ses préjudices ;

— Condamne le docteur Q-K X à payer à Monsieur H Y la somme de 159 511,32 euros (cent cinquante neuf mille cinq cent onze euros trente deux centimes) de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;

— Condamne le docteur Q-K X à payer à Monsieur H Y une rente trimestrielle viagère, au titre de l’aide de la tierce personne, de 2 891 euros (deux mille huit cent quatre-vingt-onze euros) à compter du 1er juillet 2010 ;

— Dit que cette rente sera payable à terme échu, avec intérêts au taux légal à compter de chaque échéance échue et sera révisable chaque année conformément à l’article 2 de la loi 51-195 du 24 mai 1951, étant précisé que l’indexation n’interviendra et que les intérêts ne seront exigibles qu’à compter du présent jugement ;

— Dit que le versement de la rente sera suspendu à compter du 45e jour d’hospitalisation ou de prise en charge en milieu médicalisé ;

— Condamne le docteur Q-K X à payer à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie la somme de 69 859,84 euros (soixante neuf mille huit cent cinquante neuf euros quatre-vingt-quatre centimes), avec intérêt au taux légal à compter du 2 novembre 2009 ;

— Déboute Monsieur H Y du surplus de ses prétentions et la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de Paris de ses autres demandes ;

— Condamne le docteur Q-K X à payer à Monsieur H Y la somme de 3 500 euros (trois mille cinq cents euros) et à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de Paris la somme de 1 000 euros (mille euros) en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

— Ordonne l’exécution provisoire des dispositions ci-dessus ;

— Condamne le docteur Q-K X dépens de la présente instance qui comprendront les frais de l’expertise judiciaire et qui seront recouvrés par Maître O P et la SELARL BOSSU et Associés comme il est disposé à l’article 699 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 20 septembre 2010

Le Greffier Le Président

E. J M. A. BAUMANN

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Tribunal de grande instance de Paris, 1re chambre 3e section, 20 septembre 2010, n° 09/16076