Tribunal de grande instance de Paris, 17e chambre presse - civile, 5 février 2014, n° 12/13976

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TGI Paris, 17e ch. presse - civ., 5 févr. 2014, n° 12/13976
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
Numéro(s) : 12/13976

Sur les parties

Texte intégral

T R I B U N A L

D E GRANDE

I N S T A N C E

D E P A R I S

MINUTE N° :

17e Ch. Presse-civile

N° RG :

12/13976

AMS

Assignation du :

28 septembre 2012

(footnote: 1)

République française

Au nom du Peuple français

JUGEMENT

rendu le 5 Février 2014

DEMANDERESSE

L X

[…]

[…]

représentée par Me André SCHMIDT de la SCP SCHMIDT – GOLDGRAB, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0391

DÉFENDEURS

S.A. SOCIÉTÉ D’EDITION DE CANAL PLUS

[…]

[…]

B C, directeur de publication de la SOCIÉTÉ D’ÉDITION DE CANAL PLUS

demeurant en cette qualité au siège de la SOCIÉTÉ D’EDITION DE CANAL PLUS

[…]

[…]

représentés par Me Olivier CHAPPUIS de la SCP DAUZIER & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0224

S.A.R.L. BANGUMI

[…]

[…]

D E et F G, directeurs de publication de la Société BANGUMI

demeurant en cette qualité au siège de la société BANGUMI

[…]

[…]

représentés par Me Richard MALKA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0593

MONSIEUR LE PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE PRÈS LE TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS auquel l’assignation a été régulièrement dénoncée.

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Magistrats ayant participé aux débats et au délibéré :

Marie MONGIN, Vice-Président

Président de la formation

Anne-Marie SAUTERAUD, Vice-Président

[…], Vice-Président

Assesseurs

Greffiers :

H I lors des débats,

J K à la mise à disposition

DÉBATS

A l’audience du 11 décembre 2013

tenue publiquement

JUGEMENT

Mis à disposition au greffe

Contradictoire

En premier ressort

Vu l’assignation délivrée le 28 septembre 2012 à la SOCIÉTÉ D’ÉDITION DE CANAL PLUS, à B C, directeur de publication de la SOCIÉTÉ D’ÉDITION DE CANAL PLUS, à la SARL BANGUMI, à D E et F G, directeurs de publication de la société BANGUMI, ainsi que les dernières conclusions du 8 novembre 2013, par lesquelles L X demande au tribunal de :

— dire que constituent à son préjudice le délit de diffamation publique envers un particulier, prévu et réprimé par les articles 23, 29 alinéa 1 et 32 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881, divers passages associés à la diffusion d’images des émissions “Le Petit Journal” des 4 et 12 septembre 2012,

— dire que la publication de ces passages et images engagent la responsabilité de B C en qualité de directeur de publication de la SOCIÉTÉ D’ÉDITION DE CANAL PLUS, de D E et F G en leur qualité de directeurs de publication de la société BANGUMI, de la SOCIÉTÉ D’ÉDITION DE CANAL PLUS en sa qualité de civilement responsable de B C, et de la société BANGUMI en sa qualité de civilement responsable de D E et F G,

— condamner in solidum les cinq défendeurs à lui payer les sommes de 50.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice personnel et 50.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice professionnel,

— ordonner la publication du jugement dans trois revues ou journaux de son choix aux frais des défendeurs,

— condamner ces derniers in solidum au paiement de la somme de 10.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile,

— ordonner l’exécution provisoire du jugement,

Vu l’offre de preuve notifiée le 5 octobre 2012 par la société BANGUMI,

Vu les dernières conclusions signifiées le 10 juin 2013 par la SOCIÉTÉ D’ÉDITION DE CANAL PLUS et B C qui :

— invoquent la nullité de l’assignation sur le fondement de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881,

— sollicitent subsidiairement le débouté des prétentions adverses, au motif que les passages incriminés ne sont pas diffamatoires, et plus subsidiairement au bénéfice de l’exception de vérité et de l’excuse de bonne foi,

— demandent la condamnation de L X à verser à chacun d’eux la somme de 10.000 € au titre de leurs frais irrépétibles,

Vu les dernières conclusions de la société BANGUMI, D E et F G en date du 10 octobre 2013 :

— soulevant la nullité de l’assignation et subsidiairement l’irrecevabilité de l’action formée contre eux,

— demandant que L X soit déboutée de l’intégralité de ses demandes en raison de l’absence de caractère diffamatoire des propos et images poursuivis, de la vérité des faits allégués de diffamation et de la bonne foi des défendeurs,

— réclamant la condamnation de la demanderesse à leur verser la somme de 10.000 € pour procédure abusive et celle de 10.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre l’exécution provisoire de la décision,

[…]

Sur l’exception de nullité :

Les défendeurs invoquent la nullité de l’assignation en raison, d’une part, des imprécisions concernant les passages poursuivis – certains passages étant soulignés et d’autres non et les images n’étant pas clairement délimitées- et, d’autre part, des imprécisions relatives aux allégations soi-disant diffamatoires qui ne sont pas corrélées avec les passages incriminés.

Il y a lieu de rappeler :

— que l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 exige que la citation précise et qualifie le fait incriminé et qu’elle indique le texte de loi applicable à la poursuite ;

— que cet acte introductif d’instance a ainsi pour rôle de fixer définitivement l’objet de la poursuite, afin que la personne poursuivie puisse connaître, dès sa lecture et sans équivoque, les faits dont elle aura exclusivement à répondre, l’objet exact de l’incrimination et la nature des moyens de défense qu’elle peut y opposer ;

— qu’en particulier, les propos poursuivis doivent être clairement définis ; que s’ils sont très longs et contiennent de nombreux faits, il est en outre nécessaire que l’assignation indique la ou les imputations que la demanderesse y distingue ;

— que les formalités prescrites par ce texte, applicables à l’action introduite devant la juridiction civile dès lors qu’aucun texte législatif n’en écarte l’application, sont substantielles aux droits de la défense et d’ordre public ;

— que leur inobservation entraîne la nullité de la poursuite elle-même aux termes du 3e alinéa de l’article 53.

S’il est exact que l’assignation n’explique jamais pourquoi certains propos sont ou non soulignés et si la durée des images poursuivies n’est pas toujours indiquée, l’acte introductif de la présente instance apparaît cependant suffisamment clair dans la détermination des passages poursuivis dès lors qu’il est précisé en page 9 que sont visés les propos et images rapportés aux points 8 et 12 de l’assignation, et que les passages et images constituant la diffamation sont à nouveau reproduits dans le dispositif de l’acte en pages 14 à 16 de façon détaillée.

Par ailleurs, la demanderesse précise en page 9 les imputations diffamatoires qu’elle distingue dans l’ensemble des propos et images incriminés, ce qui permet aux défendeurs de comprendre ce qui leur est reproché, sans qu’il soit indispensable d’ajouter à quelle allégation se rattache chacun de ces passages.

Ainsi l’assignation est conforme aux prescriptions de l’article 53 de la loi sur la liberté de la presse.

Sur l’irrecevabilité des demandes :

La SARL BANGUMI fait valoir qu’elle est une société de production, D E et F G étant les co-gérants de cette société.

En conséquence, c’est à E droit qu’ils soutiennent que sont irrecevables les demandes formées à l’encontre de D E et F G en qualité de directeurs de publication de la société BANGUMI, ainsi que de la société BANGUMI en qualité de civilement responsable de D E et F G, aucun de ces défendeurs n’ayant ces qualités.

Sur les faits :

L X expose qu’elle est une chanteuse apolitique qui rencontre depuis longtemps un succès populaire à l’étranger et notamment en Russie, qu’en novembre 2008 elle a donné un concert public à MOSCOU au grand palais du Kremlin, qu’à l’entracte elle a été félicitée par le président russe Vladimir A, accompagné du président lybien Mouammar Z, et que pour la quatrième année consécutive, elle était l’invitée d’honneur du Festival international de musique militaire organisé sur la Place Rouge du 1er au 8 septembre 2012.

A cette occasion, elle a donné une interview le 27 août 2012 à une journaliste de la télévision russe TV Tsentr, qui l’a interrogée sur l’action des jeunes femmes du groupe de punk-rock “Pussy Riot” qui avaient en février 2012 chanté une prière “Marie mère de Y, chasse A !” dans la cathédrale du Christ -Sauveur de MOSCOU, trois d’entre elles ayant été condamnées le 17 août 2012 à deux ans de détention en camp de travail.

L X poursuit comme diffamatoires des propos et images diffusés le 4 septembre 2012 sur la chaîne de télévision CANAL+ dans l’émission “Le Petit Journal”, produite par la société BANGUMI et présentée par F G. Celui-ci y déclare notamment que “le groupe russe les Pussy Riot symbolise désormais la lutte pour la liberté d’expression en Russie” et présente ironiquement L X comme un “soutien de choix” de ce groupe. Pendant ce reportage, il est fait état de son interview donnée à la télévision russe avec ces sous-titres “Je pense que ces jeunes filles sont un peu inconscientes. Choisir une église, c’est pas un lieu pour pouvoir manifester, on peut manifester autrement, une église est un lieu de recueillement, c’est un sacrilège !” et sont notamment diffusées des images du Festival international de musique militaire et de la rencontre de L X avec Vladimir A et Mouammar Z en 2008.

L X a demandé un droit de réponse par sommation extrajudiciaire du 10 septembre 2012, qui lui a été refusé par lettre recommandée avec avis de réception du 13 septembre.

Dans l’émission “Le petit Journal” du 12 septembre 2012, ont été rediffusés des extraits de l’émission du 4 septembre ; F G déguisé en L X a lu le texte du droit de réponse et a en particulier expliqué que L X avait demandé de diffuser l’intégralité de l’interview russe (dans laquelle elle avait déclaré à la fin “Mais, étant femme, artiste et chrétienne, je souhaite la clémence”), mais que l’interview avait d’abord été tronquée par la télévision russe.

Sur le caractère diffamatoire des propos :

Il sera rappelé à cet égard que :

— l’article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme “toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé” ;

— il doit s’agir d’un fait précis, susceptible de faire l’objet d’un débat contradictoire sur la preuve de sa vérité, ce qui distingue ainsi la diffamation, d’une part, de l’injure -caractérisée, selon le deuxième alinéa de l’article 29, par “toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait”- et, d’autre part, de l’expression d’une opinion ou d’un jugement de valeur, autorisée par le libre droit de critique, celui-ci ne cessant que devant des attaques personnelles ;

— l’honneur et la considération de la personne ne doivent pas s’apprécier selon les conceptions personnelles et subjectives de celle-ci, mais en fonction de critères objectifs et de la réprobation générale provoquée par l’allégation litigieuse, que le fait imputé soit pénalement répréhensible ou manifestement contraire aux règles morales communément admises ;

— la diffamation, qui peut se présenter sous forme d’allusion ou d’insinuation, doit être appréciée en tenant compte des éléments intrinsèques et extrinsèques au support en cause, à savoir tant du contenu même des propos que du contexte dans lequel ils s’inscrivent.

L X soutient qu’il est diffamatoire d’insinuer dans l’émission du 4 septembre 2012 :

“- qu’elle approuverait la décision judiciaire de condamnation du groupe d’artistes Pussy Riot et, par voie de conséquence, qu’elle soutient les décisions du président russe Vladimir A accusé par tous les médias d’avoir influé sur cette décision de justice ;

- qu’elle soutiendrait les régimes dictatoriaux en général et ceux en particulier de Vladimir A et Mouammar Z (avec lesquels elle organiserait des “fiestas”) qui s’escriment à supprimer toute liberté d’expression ;

- que, de manière générale, elle soutient les régimes totalitaires du monde entier, comme celui du dictateur nord-coréen Kim Jong-Un”,

et que dans l’émission du 12 septembre 2012, il est insinué qu' “en ne disant mot dans sa demande de droit de réponse, sur les images vidéos la montrant avec Vladimir A et Mouammar Z”, elle “confirmerait son soutien aux régimes totalitaires de ces derniers.”

Toutefois, c’est à juste titre que les défendeurs répondent que les propos et images poursuivis ne sont pas diffamatoires.

En effet, il sera d’abord relevé que ces allégations sont le fruit d’extrapolations de la demanderesse qui interprète le sens des passages incriminés. Dans la première émission, le présentateur souligne qu’alors qu’un ambassadeur français demandait à rencontrer les Pussy Riot dans leur prison, L X ne les avait pas soutenues, qu’elle avait “chanté sur la Place Rouge en pleine polémique sur la liberté d’expression” et avait même “enfoncé” les Pussy Riot dans son interview, tout en ajoutant “En même temps, venant d’une ambassadrice française qui, il n’y a pas si longtemps, faisait des fiestas avec A et Z, il fallait s’y attendre”.

Ce faisant, F G émet un jugement de valeur, certes critique et satirique, sur l’opinion exprimée par L X sur l’action des Pussy Riot, en lui reprochant de n’avoir soutenu ni ces dernières ni la liberté d’expression.

La diffusion d’images de la rencontre de 2008 avec MM. A et Z, comme la phrase contenue dans une interview parodique “Vous connaissez A, on vous a vue avec Z… Et j’ai envie de vous demander : il est cool en vrai le dictateur Kim Jong-Un ?”, ne signifient pas davantage qu’il serait imputé à L X de soutenir tous les régimes totalitaires et dictatoriaux.

Par ailleurs, il n’est pas contraire à l’honneur de considérer qu’il est sacrilège de manifester dans une église ou de rencontrer des chefs d’Etat connus pour ne pas respecter la liberté d’expression.

Ainsi, même si L X a légitimement pu se sentir blessée et ridiculisée par les émissions litigieuses, les propos et images poursuivis ne seront pas retenus comme diffamatoires. Elle sera donc déboutée de ses demandes.

Sur les autres demandes :

La société BANGUMI, D E et F G ne démontrent pas en l’état le caractère abusif de la présente procédure, L X ayant pu se méprendre sur la portée de ses droits. Leur demande de dommages-intérêts sera rejetée.

De même, pour des raisons tirées de considérations d’équité, il n’y a lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile au profit d’aucune des parties.

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,

Rejette l’exception de nullité de l’assignation soulevée en défense,

Déclare irrecevables les demandes formées à l’encontre de D E et F G (en qualité de directeurs de publication de la société BANGUMI), ainsi que de la société BANGUMI (en qualité de civilement responsable de D E et F G),

Déboute L X du surplus de ses demandes,

Déboute la société BANGUMI, D E et F G de leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,

Déboute tous les défendeurs de leurs demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne L X aux dépens, qui pourront être recouvrés par la SCP DAUZIER & ASSOCIES, seul avocat à en avoir fait la demande, dans les conditions de l’article 699 du même code.

Fait et jugé à Paris le 5 février 2014

Le Greffier Le Président

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