Tribunal de grande instance de Paris, 4e section, 27 mars 2014

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Sur la décision

Référence :
TGI Paris, 4e sect., 27 mars 2014
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris

Texte intégral

La société Librairie Droz est une société d’édition suisse de livres d’érudition, dont le catalogue est en grande partie composé d’œuvres du Moyen âge et de la Renaissance ainsi que d’ouvrages s’y rapportant.

Le 10 septembre 1996, elle a conclu avec les Editions Honoré Champion et les Editions Chadwyck-Healey France un contrat par lequel elle autorisait la reproduction dans un CD Rom intitulé “poésie française” d’un certain nombre d’œuvres lui appartenant et énumérées dans une annexe. Ce contrat a fait l’objet de deux avenants les 18 et 23 septembre 1996.

Un CD Rom constituant un corpus de la poésie médiévale et comprenant des textes sur lesquels la société Librairie Droz revendique des droits, a été publié en 2001.

Par lettre du 6 juillet 2004, la société Librairie Droz a mis fin au contrat de 1976, en application de son article 10.

En 2009, la société Librairie Droz a constaté que ses textes étaient repris dans un Grand corpus des littératures françaises, francophone du Moyen-âge au XXème siècle accessible sur le site internet www.classiques-garnier.com/ numérique, auquel était intégré un Corpus de la littérature médiévale accessible de façon indépendante.

Après un échange de lettres qui n’a pas permis d’aboutir â un accord, le 12 janvier 2011, la société Librairie Droz a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Paris les sociétés Classiques Garnier et Editions classiques Garnier sur le fondement de la contrefaçon de 197 œuvres du Moyen-âge pour lesquelles elle est titulaire des droits d’édition. Elle sollicite l’indemnisation de son préjudice sur la base de 1000 € par texte reproduit sans son autorisation et elle demande la publication du jugement dans des journaux et sur le site internet de Garnier numérique. Enfin, elle réclame une indemnité de 10 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Le 17 novembre 2011, la société Classiques GN anciennement Classiques Garnier et la société Classiques G anciennement Editions classiques Garnier ont fait assigner en intervention forcée la société suisse Champion électronique. Elles exposent que le contrat du 10 septembre 1996 a été cédé par la société Honoré Champion à la société Champion électronique, laquelle par une extension du contrat a été autorisée en 2003 par la société Librairie Droz à exploiter en ligne les textes visés. Elles ajoutent que la société Champion électronique a elle-même cédé le bénéfice du contrat à la société Champion électronique France désormais appelée Classiques GN, qui a poursuivi l’exploitation de la base de données.

La société Classiques GN et la société Classiques G sollicitent donc la garantie de la société suisse Champion électronique, sur le fondement de l’article 1603 du code civil. Elles réclament, en outre, une indemnité de 5000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La jonction avec la 1re instance a été prononcée par une ordonnance du 19 janvier 2012.

Le 13 juin 2012, la société Champion electronique a fait assigner Claude B. en intervention forcée devant le tribunal de grande instance de Paris. Elle expose que Claude B. a acquis sa filiale créée en 2004 dénommée Champion electronique France dont il est devenu l’associé unique. Elle ajoute que la société Champion electronique France s’appelle désormais Classiques GN et exploite le site internet www.classiques-garnier.com/ numérique. Elle explique que Claude B., directeur éditorial aux Editions Honoré Champion jusqu’au 31 juillet 2008, a été chargé de créer une base de données sur la littérature médiévale pour le compte de la société Champion électronique et que depuis le 1er août 2008, il est directeur éditorial des sociétés Classiques G et Classiques GN dont il détient directement ou indirectement l’intégralité du capital.

Elle fait valoir que Claude B. a manqué à ses obligations contractuelles à l’égard de la société suisse Champion electronique jusqu’en 2006 et qu’après le 30 juin 2006, date de la vente de la base de données Corpus de la littérature médiévale à la société Champion electronique France devenue Classiques GN, il a contribué aux actes de contrefaçon allégués, en sa qualité de directeur éditorial de Classiques GN. Elle sollicite donc sa garantie pour toutes condamnations éventuellement prononcées à son encontre et elle lui réclame également une indemnité de 6000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La jonction avec les précédentes instances a été prononcée par une ordonnance du 27 septembre 2012.

Dans ses dernières écritures signifiées le 28 octobre 2013, la société Librairie Droz s’oppose à la demande de mise hors de cause de la société Editions classiques Garnier désormais dénommée Classiques G.

Elle fait valoir qu’elle a reçu de cette société le paiement de redevances de telle sorte qu’il existe une confusion de patrimoine entre les deux sociétés G et GN ou que la société Classiques G est effectivement responsable de l’exploitation contrefaisante. Elle ajoute qu’elle a également reçu deux lettres à entête Classiques Garnier. Elle invoque la confusion entretenue entre ces diverses sociétés dirigées par Claude B. et demande en conséquence leur condamnation in solidum.

La société Librairie Droz se prévaut ensuite de l’article L112-3 du code de la propriété intellectuelle et elle soutient qu’elle détient les droits d’édition sur les textes en cause ainsi qu’il ressort du contrat du 10 septembre 1996 et des 44 ouvrages qu’elle communique et qui contiennent les 197 textes en cause.

Elle fait valoir que ces textes ont été divulgués sous son nom, que les sociétés défenderesses ont contracté avec elle pour obtenir le droit de les publier et qu’elles ont reconnu ses droits dans une lettre d’un de leurs conseils. Elle ajoute qu’il importe peu qu’elle ne communique pas les contrats conclus avec les auteurs.

La société Librairie Droz soutient que ces textes sont originaux et protégés par le droit d’auteur même s’ils sont publiés sans apparat critique ni index. Elle déclare que la paléographie repose sur des choix opérés par l’auteur et qui reflètent sa personnalité.

Elle fait valoir que ces textes ne pouvaient pas être reproduits sous une forme numérique sans autorisation. Elle fait valoir que si Claude B. n’avait pas qualité pour signer le contrat du 10 septembre 1996, celui-ci doit être déclaré nul et qu’elle est bien fondée à solliciter la condamnation in solidum des défenderesses. Elle soutient également qu’elle a résilié ce contrat par lettre du 6 juillet 2004 et qu’il est donc caduc. Elle ajoute que s’agissant d’un contrat sans durée déterminée, elle pouvait y mettre fin même sans respecter les règles fixées par l’article 10 dudit contrat. En toutes hypothèses, elle déclare que ce contrat portait sur un CD Rom consacré à la poésie française qui devait intégrer 96 œuvres de son catalogue et qu’il ne peut donc valoir autorisation pour la publication de 197 textes sur un site internet. Elle ajoute que ce contrat ne pouvait pas être cédé ainsi qu’il ressort de son article 12 et elle conteste les différentes opérations qui auraient conduit la société Champion electronique France devenue Classiques GN à détenir les droits résultant de ce contrat. Elle conteste également l’existence d’un avenant qui aurait autorisé la publication sur internet ainsi que de son accord à cette extension de l’objet du contrat.

La société Librairie Droz invoque la perte de revenus qu’elle subit du fait de la reproduction de ses textes sans son autorisation et de la large accessibilité que leur confère leur présence dans la base de données des défenderesses. Elle évalue ce préjudice à la somme de 1000 € par texte et réclame la somme totale de 197 000 € in solidum aux sociétés Classiques GN et G et à la société Champion electronique. Elle maintient en outre l’ensemble de ses demandes.

Dans leurs dernières écritures du 1er octobre 2013, les sociétés Classiques GN (anciennement Classiques Garnier) et Classiques G ( anciennement dénommée Editions classiques Garnier) ainsi que leur directeur éditorial Claude B., exposent que la société Librairie Droz a conclu le 10 septembre 1996 avec la société Honoré Champion un contrat l’autorisant à éditer sur Cdrom, 28 textes médiévaux sans apparat critique et que le bénéfice de ce contrat a été cédé à la société Champion electronique puis à la société Champion electronique France rachetée par Claude B. en 2004 et devenue depuis lors la société Classiques GN. Ils précisent que cette société est spécialisée dans la production et la diffusion de bases de données destinées aux bibliothèques universitaires et centres de recherche et qu’elle exploite le site internet accessible à l’adresse www.classiques-garnier.com/ numérique.

Ils indiquent que la société Classiques G autrefois Classiques Garnier est spécialisée dans l’édition papier de livres d’érudition et qu’elle exploite le site internet accessible à l’adresse www.classiques-garnier.com/ editions. Ils ajoutent que Claude B. a été directeur éditorial pour la société Honoré Champion jusqu’au 31 juillet 2008 et qu’il est actuellement directeur éditorial pour les deux sociétés Classiques G et Classiques GN.

Les défendeurs expliquent également que Claude B. a développé l’activité éditoriale électronique de la société suisse Champion electronique depuis 1997 et qu’en 2001, celle-ci a créé une filiale pour la France, Champion electronique France à laquelle elle a cédé ses actifs numériques, le 30 juin 2006.

Les défendeurs soulèvent une fin de non-recevoir tenant à l’absence de qualité à agir de la société Librairie Droz sur le fondement du droit d’auteur. Ils relèvent que la société demanderesse n’identifie pas les textes sur lesquels elle revendique des droits, se contentant de communiquer des recueils. Ils font valoir que les textes sont publiés sous le nom de leurs auteurs et que la société Librairie Droz ne peut donc se prévaloir des dispositions de l’article L113-1 du code propriété intellectuelle, même si les textes ont été exploités “sous son nom et son copyright” depuis leur parution. Ils ajoutent que la demanderesse invoque le bénéfice de contrats d’édition à son profit mais qu’elle ne les produit pas, non plus que d’autres éléments susceptibles d’établir ses droits.

Ils ajoutent que le fait que la société Honoré Champion ait contracté avec elle pour acquérir ces droits, ne suffit pas à établir leur existence car la qualité d’auteur n’est pas laissée à la libre appréciation des parties.

Les défendeurs soulèvent également l’irrecevablité des demandes formées contre la société Classiques G qui n’a pas qualité et intérêt à défendre. Ils expliquent que le site www.classiques-garnier.com distingue nettement les activités de la société Classiques G et celles de la société Classiques GN, avec des mentions légales différentes et que seule la société Classiques G est responsable de l’exploitation des bases de données numériques aux pages www.garnier-classiques.com/ numérique. Ils précisent que si un chèque a été émis par la société Classiques G, il s’agissait d’une erreur comptable qui a été corrigée par un virement entre les deux sociétés Classiques G et GN.

Les défendeurs contestent, en outre, l’existence d’une contrefaçon. Ils déclarent que la société Librairie Droz découpe artificiellement les 28 recueils du contrat du 10 septembre 1996 en 197 textes. Ils font valoir que la société Librairie Droz a ensuite produit tardivement 44 ouvrages qui regrouperaient selon elle les 197 textes visés par la procédure mais qu’il n’existe pas de concordance entre ces textes et ces ouvrages et que les 197 textes en cause ne sont pas identifiés dans les ouvrages.

Les défendeurs font également valoir que la société Librairie Droz n’établit pas l’originalité des textes visés. Ils rappellent que le travail des éditeurs scientifiques ou paléographes consiste à retranscrire le texte ancien et à l’accompagner de l’apparat critique, de notes historiques, d’index, de glossaires. Ils expliquent que les textes du Moyen-âge étant tombés dans le domaine public, la protection revendiquée porte sur la transcription réalisée par les éditeurs scientifiques. Ils font valoir que cette protection ne peut être accordée que si l’œuvre seconde est elle-même originale et que le travail de transcription qui consiste à restaurer un texte ancien en cherchant à lui être le plus fidèle possible, ne peut donner lieu à un œuvre originale. Ils relèvent que la société Librairie Droz n’effectue aucune comparaison entre le texte d’origine et sa retranscription de telle sorte qu’elle ne dégage aucun élément d’originalité et ils ajoutent que la comparaison entre plusieurs transcriptions d’un même texte ancien fait apparaître qu’elles aboutissent à des résultats à peu près identiques. Ils rappellent que le travail de la librairie Droz ne consiste pas à traduire les textes anciens dans un Français moderne mais à les transcrire dans leur propre langage.

Si les textes visés étaient reconnus protégeables par le droit d’auteur, les défendeurs font néanmoins valoir qu’il n’existe aucune atteinte. Ils contestent tout d’abord le caractère probant des pièces produites telles que les copies d’écran.

Ils soutiennent ensuite que les textes ont été exploités licitement dans le cadre du contrat du 10 septembre 1996. Ils invoquent sa cession qui ressort d’une lettre du 6 juillet 2004 de l’administrateur de la société Librairie Droz à la société Champion electronique. Ils ajoutent que la société Champion electronique a exploité en ligne la base de données Corpus de la littérature médiévale sur le site championelectronique.com.

Ils contestent la nullité de ce contrat en faisant valoir que le défaut de pouvoir de Claude B. ne pouvait pas être invoqué par des tiers. Ils contestent également l’existence d’une résiliation régulière car celle-ci n’a pas été réalisée conformément aux dispositions de l’article 10 du contrat.

Les défendeurs déclarent que le contrat du 10 septembre 1996 a été ensuite cédé par la société Champion electronique à la société Champion electronique France selon un contrat de cession des actifs numériques du 30 juin 2006. Ils soutiennent que la société Librairie Droz ne s’étant pas opposée à l’exploitation de la base de données avant 2009, elle a accepté tacitement la cession au profit de la société Champion electronique France.

Les défendeurs sollicitent, par ailleurs, la mise hors de cause de Claude B., appelé en garantie par la société Champion electronique. Claude B. relève le caractère inopérant des pièces 27 à 29 produites tardivement par la société Champion electronique. Il explique que par un contrat de mandat du 8 avril 1996, il a été chargé de développer 4 bases de données d’érudition électroniques pour la société Champion electronique créée en 1997. Il conteste avoir commis une faute de gestion dans le cadre de ce mandat. Il conteste également avoir commis un dol au préjudice de la société Champion electronique et déclare ne lui avoir jamais caché l’existence du contrat du 10 septembre 1996. Il fait valoir que la lettre de résiliation du 6 juillet 2004 ne lui a pas été adressée à titre personnel et qu’il ne lui appartenait pas d’en tirer les conséquences. Il soutient qu’il n’a commis aucun acte de nature à engager sa responsabilité personnelle. II ajoute que rien ne lui permettait de penser que l’exploitation en ligne de la base de données posait difficulté alors que celle-ci avait été réalisée par la société Champion electronique sans aucune objection de la société Droz. Enfin, il conteste toute responsabilité dans les difficultés financières que la société Champion electronique a rencontré à compter de 2003. Il conclut donc au rejet de la demande formée à son encontre par la société Champion electronique.

Enfin, les défendeurs soutiennent que la société Librairie Droz n’a subi aucun préjudice. Ils contestent notamment l’existence d’une atteinte à son image et d’une dévalorisation des textes. Ils font valoir que la société demanderesse aperçu les droits qui lui étaient dus. Ils ajoutent qu’il n’existe pas de lien entre les faits qui leur sont reprochés et une baisse des redevances. Enfin, ils relèvent que la demanderesse ne justifie pas de l’étendue de son préjudice.

La société Classiques GN sollicite la garantie de la société Champion electronique dont elle tire ses droits. Elle déclare qu’elle est recevable à agir et elle invoque l’article 1603 du code civil français et l’article 192 du code civil suisse qui instaurent l’un et l’autre, une garantie légale de jouissance paisible pour l’acquéreur. Enfin, les sociétés Classiques G et GN sollicitent la condamnation de la société Librairie Droz à leur payer chacune la somme de 10 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et Claude B. sollicite la condamnation, sous le même fondement, de la société Champion electronique à lui payer la somme de 15 000 €, le tout avec exécution provisoire et capitalisation des intérêts.

Dans ses dernières écritures du 9 septembre 2013, la société Champion electronique expose qu’à la fin de 2001, elle a créé une filiale Champion electronique France rachetée le 1er juillet 2004 par Claude B. qui en est depuis lors, l’associé unique. Elle déclare également que la société Editions classiques Garnier devenue Classiques G, qui a pour activité l’édition de livres d’érudition, a été créée en 2008 et est détenue à 100% par la société Classiques G.

Elle indique qu’elle-même créée en 1985, a pris la dénomination Champion electronique en 1997 et qu’elle a pour activité la production, l’édition et la diffusion de produits multimédias sur support informatique. Elle explique qu’elle a cessé toute activité en 2006, l’ensemble de ses actifs ayant été cédé à la société Champion electronique France et à Claude B.

Elle expose que Claude B. a été directeur des collections sur la Renaissance puis directeur éditorial au sein de la société Editions Honoré Champion de 1989 jusqu’au 31 juillet 2008 et actionnaire à 50 % de la société Champion electronique de sa création jusqu’en 2009. Elle ajoute qu’à compter du 1er août 2008, il est devenu directeur éditorial des deux sociétés Classiques GN et Classiques G, dont il détient directement ou indirectement l’intégralité du capital.

La société Champion electronique dirigée par la famille S. expose que Michel Edouard S. et Claude B. ont dès 1996, formé le projet de développer une activité d’édition numérique et que dans ce cadre, Claude B. a été chargé d’un mandat signé le 8 avril 1996 par la société Champion electronique pour concevoir et réaliser pour son compte quatre bases de données électroniques dont l’une consacrée au Moyen-âge. Elle déclare que le 10 septembre 1996, Claude B. sans en avoir reçu pouvoir, a conclu au nom de la société Honoré Champion, un contrat avec les sociétés Librairie Droz et Chadwyck- Hraley France ayant pour objet de permettre l’intégration de textes fournis par la société Librairie Droz dans un CD Rom intitulé “Poésie française du Moyen-âge au XXème siècle”. Elle précise que la base de données comporte 28 recueils de textes du Moyen-âge fournis par la société Librairie Droz et qu’elle a donné lieu à un CD Rom intitulé “Corpus de la littérature médiévale” paru en décembre 2001.

Elle soutient qu’avec le consentement de la société Droz, le contrat du 10 septembre 1996 lui a été transféré et qu’elle a payé les redevances à compter de 2004. Elle déclare également que Claude B. a pris l’initiative de mettre les bases de données en ligne en expliquant que leur accès serait réservé aux acquéreurs des CD Rom. Elle ajoute qu’à la suite de difficultés apparues entre la famille S. et Claude B. sur le contrôle de cette activité numérique, il a été décidé de céder à ce dernier la société Champion electronique France afin qu’il y poursuive les projets qu’il avait entrepris. Elle indique que dans ce cadre, elle a vendu en 2006, à Claude B. plusieurs bases de données dont celle consacrée au Moyen-âge et lui a cédé le contrat du 10 septembre 1996. Elle déclare donc avoir cessé définitivement toute exploitation du Corpus de la littérature médiévale depuis le 30 juin 2006,

A titre principal, la société Champion electronique conclut au mal-fondé de l’action de la société Droz. Elle fait valoir que la simple retranscription d’un texte médiéval n’est pas protégeable par le droit d’auteur. Elle ajoute que la société Librairie Droz entretient la confusion entre les qualités d’auteur et de titulaire des droits d’exploitation. Elle relève que la société Librairie Droz n’est pas l’auteur des poèmes médiévaux qui sont tombés dans le domaine public et que celle-ci lui a donné les textes sans apparat critique, simples retranscriptions sur support papier, exclusives d’un apport créatif. Elle ajoute que la société Librairie Droz n’apporte pas la preuve qu’elle a acquis des droits d’édition exclusifs sur les textes qu’elle invoque dans cette instance.

Elle conclut également à l’absence de tout préjudice et relève qu’il n’est pas justifié. Elle précise que le CD Rom a été mis en ligne en 2004 et que les textes litigieux ont été retirés le 1er octobre 2009. L’action de la société Librairie Droz étant mal fondée, elle fait valoir que l’appel en garantie formé à son encontre par les sociétés Classiques GN et Classiques G, est sans objet.

Elle ajoute que la demande en paiement in solidum formée à son encontre à compter de mai 2012 par la société Librairie Droz est injustifiée. Elle fait valoir qu’elle n’a jamais exploité en ligne la base de données Grand corpus des littératures et qu’elle a seulement vendu la base de données Corpus de la littérature médiévale sous forme de CD Rom. Elle indique que ce CD Rom paru en 2001 a été adressé à la société Librairie Droz qui n’a jamais émis aucune critique sur son contenu. Elle soutient qu’à compter de 2003, c’est Claude B. qui a pris l’initiative de proposer un accès en ligne du Corpus de la littérature médiévale aux acquéreurs du CD Rom et que seuls 8 acquéreurs, entre mars 2003 et juillet 2004, ont souscrit cette option, ce qui a généré un chiffre d’affaires de 1586, 17 €. Elle fait valoir que c’est la société Classiques GN anciennement Champion electronique France qui a publié en ligne les textes litigieux. Elle conclut donc au rejet de la demande en condamnation in solidum formée à son encontre par la société Droz.

Subsidiairement, elle conclut au caractère infondé de l’appel en garantie formé à son encontre par les sociétés Classiques GN et G. Elle soulève tout d’abord le défaut d’intérêt à agir de la société Classiques G. Elle ajoute que la société Classiques G n’a pas contracté avec elle.

Elle soutient ensuite que la société Classiques GN ne peut se prévaloir de la garantie légale des articles 1626 et suivants du code civil car le contrat du 30 juin 2006 conclu par les deux sociétés est soumis au droit suisse. Elle ajoute que cette demande en garantie est infondée quel que soit le droit applicable car le contrat de 2006 qui avait pour objet la cession de plusieurs bases de données exploitées par la société Champion electronique sous forme de CD Roms, à la société Champion electronique France, ainsi que la cession du contrat du 10 septembre 1996 avec la société Droz, contenait une clause de non-garantie, compte tenu du contexte dans lequel il avait été conclu. La société Champion electronique fait valoir qu’en diffusant les textes fournis par la société Librairie Droz sans avoir obtenu son accord, la société Classiques GN a méconnu les termes du contrat du 10 septembre 1996 et ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. Elle conclut donc au rejet de son appel en garantie.

La société Champion electronique ajoute que la garantie d’éviction n’est pas due quand le cessionnaire avait connaissance de la contrefaçon. Elle fait valoir que la société Classiques GN avait connaissance de celle-ci puisqu’elle en était la responsable alors qu’elle ne pouvait ignorer la limitation de l’exploitation des textes en causes au CD Rom et que Claude B. avait reçu la lettre de résiliation de juillet 2004. La société Champion electronique conclut que la société Classiques GN ayant connaissance depuis cette date, des risques d’éviction qu’elle encourait, est mal fondée à demander sa garantie.

Enfin, la société Champion electronique soutient qu’elle n’a commis aucune faute en tant que cédante de la base de données intitulée Corpus de la littérature médiévale. Elle maintient qu’elle ne l’a jamais exploitée en ligne mais a conféré un accès en ligne aux seuls acquéreurs du CD Rom, à l’initiative de Claude B. Elle relève que la date de la mise en ligne du Corpus de la littérature médiévale est indéterminée et que celle-ci a été réalisée pour le compte de la société Champion electronique France. Elle ajoute que le produit tiré de ces accès en ligne réservés aux acquéreurs de CD Roms est très modeste jusqu’en juin 2006. Elle soutient que l’accès en ligne indépendamment de l’achat du CD Rom, a commencé après le 30 juin 2006 et que ce n’est qu’à compter de cette date que les profits ont augmenté.

A titre très subsidiaire, la société Champion electronique sollicite la garantie de Claude B. qui, sous ses diverses qualités, porte l’entière responsabilité des actes de contrefaçon allégués. Elle relève ainsi qu’il a assuré seul la maîtrise d’œuvre de la base de données sur le Moyen âge, qu’il a été l’interlocuteur pour tous les contrats conclus avec les tiers et qu’il a signé frauduleusement le contrat du 10 septembre 1996 avec la société dz, qu’il n’a jamais communiqué, non plus que la lettre de résiliation de juillet 2004. Elle considère en outre qu’à compter du rachat de la société Champion electronique France par Claude B., l’exploitation en ligne des deux bases de données Corpus de la littérature médiévale et Grand corpus de la littérature relève de la responsabilité conjointe de cette société et de Claude B. en sa qualité de directeur éditorial. Elle ajoute que les agissements de Claude B. constituent des manquements graves à ses obligations de mandataire et un dol à son préjudice. Aussi elle demande sa condamnation à la garantir de toutes condamnations éventuellement prononcées à son encontre. Elle sollicite également la condamnation in solidum des sociétés Classiques GN et G ainsi que de Claude B. à lui payer la somme de 12 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ce avec exécution provisoire.

La société Librairie Droz fonde son action sur la violation des droits d’auteur attachés à des textes médiévaux qui proviennent de recueils dont elle est l’éditrice et qui sont publiés en ligne sur le site internet www.classiques-garnier.com/ numérique, sans son autorisation.

Sur la recevabilité des demandes à l’encontre de la société Classiques G anciennement Editions Classiques Garnier

Pour permettre de déterminer qui est l’éditeur des pages en cause, la société Librairie Droz verse pour seule pièce un “extrait du site internet de la défenderesse” (pièce 5) à entête de Classiques Garnier numérique, qui ne fait apparaître ni l’adresse du site ni les mentions légales.

Les défenderesses versent aux débats en pièce 4 un extrait du site Classiques Garnier numérique à l’adresse http//:www.classiques-garnier.com/numérique avec dans les mentions légales l’indication d’un numéro de RCS 439…. correspondant à la société Champion electronique France créée en 2001 et radiée en 2008 puis Classiques GN ayant pour nom commercial Classiques Garnier numérique ou Classiques Garnier créée le 2 décembre 2008 (pièces 1, 2 et 3).

Les défenderesses versent également aux débats l’extrait de RCS de la société Editions classiques Garnier créée le 6 juin 2008 et radiée le 23 juin 2009 et de la société Classiques G créée le 19 janvier 2009 ayant pour nom commercial Classiques Garnier dont le 8 de RCS à Paris est 504….

Au vu de ces éléments il y a lieu de retenir que l’éditeur du site en cause est la société Classiques GN immatriculée au RCS de Paris sous le n°439….

La société Librairie Droz fait valoir qu’elle a reçu en octobre 2009 un chèque de la société Classiques G (anciennement Editions Classiques Garnier) pour le paiement des redevances dues en exécution du contrat du 10 septembre 1996.

Néanmoins les défenderesses produisent une attestation de Marine Esprit-Condé déclarant s’être trompée de carnet de chèques ainsi que des relevés bancaires de la société Editions Classiques Garnier Faisant apparaître une régularisation en novembre 2009.

Ainsi en l’absence d’autres éléments permettant de retenir la responsabilité de la société Classiques G anciennement Editions classiques Garnier, il y a lieu de déclarer les demandes formées à son encontre irrecevables, pour défaut de qualité à défendre.

Sur les demandes à l’encontre de la société Classiques GN ou Classiques Garnier

La société Librairie Droz revendique des droits d’auteur sur les transcriptions de textes médiévaux qu’elle a fait réaliser par des savants et qu’elle a éditées.

Dans la mesure où les textes reproduits l’on été sans les commentaires et autres éléments de compréhension fournis par les transcripteurs, il convient de rechercher si les textes bruts tels que retranscrits, peuvent à eux seuls faire l’objet d’une protection par le droit d’auteur.

Il convient tout d’abord d’indiquer que le mot éditeur ne sera pas pris dans le sens du droit de la propriété intellectuelle c’est à dire le cessionnaire des droits patrimoniaux mais dans le sens dans lequel il est utilisé dans ce domaine particulier, à savoir celui qui prend la responsabilité de transcrire des textes anciens.

La société Librairie Droz expose que le paléographe qui transcrit un texte médiéval, est amené à effectuer des choix qui seraient révélateur de sa personnalité. Elle produit plusieurs documents destinés à établir la réalité du travail de transcription d’un texte médiéval, lequel a fait l’objet de nombreuses copies qui l’ont altéré volontairement ou non, notamment du fait des erreurs commises au fil du temps.

La pièce 32 expose ainsi qu’au début du 19 siècle, une méthode a vu le jour consistant à favoriser le meilleur manuscrit c’est à dire celui qui contient le moins de fautes puis qu’elle a été concurrencée par la méthode inverse qui consiste à rechercher les erreurs communes qui renvoient à une même origine. Elle explique que l’étude de toutes les variantes textuelles permet d’élaborer l’histoire de la transmission manuscrite. Elle rappelle la méthode Lachmannienne qui consiste à reconstituer l’original à partir de la comparaison des manuscrits survivants et la méthode bedieriste qui consiste à rester au pins proche d’un manuscrit Nicole B. professeur des universités (pièce 39) explique que parvenir au texte d’origine suppose une compréhension détaillée des phénomènes de transmission ainsi qu’une implication profonde dans la recherche du sens.

Michel Z. professeur au Collège de France (pièce 40) expose que l’éditeur de textes anciens doit étudier l’écriture des manuscrits et les manuscrits eux-mêmes, il doit retracer leur histoire et les classer en se fondant sur les erreurs communes et reconnaître quelle famille ou quel manuscrit se rapproche le plus du texte original. L’éditeur doit choisir entre la méthode qui consiste à reconstituer le meilleur texte possible à partir de l’ensemble des manuscrits en choisissant à chaque variante la leçon qui lui paraît préférable ou celle qui consiste à choisir le manuscrit qui lui paraît le meilleur et le suivre aussi longtemps qu’il fournit un texte acceptable. Il explique qu’il faut déterminer où et quand le texte a été composé en analysant la phonétique, la morphologie, la syntaxe et le lexique du texte et en essayant de distinguer les traits qui sont le fait du copiste et ceux qui remontent à l’auteur.

Gilles R. professeur à l’université Paris Sorbonne (pièce 41) décrit ainsi le travail de l’éditeur: il doit repérer et corriger les fautes et discerner les interventions personnelles des copistes souvent enclins à remanier des passages. En présence de plusieurs copies, il doit les classer en repérant les fautes communes significatives qui apparentent les copies à un même modèle lui-même dérivé d’un ancêtre commun à toutes les rédactions, qui n’a pas été conservé. A partir de ce classement, il doit repérer la copie qui présente le moins d’erreurs matérielles et qui si possible est exempte de remaniements évidents. Une fois choisi le manuscrit qui servira de base à l’édition, il doit repérer les fautes de copies qui dénaturent le texte, ce qui exige une constante attention et une grande compétence linguistique. Une annotation pourra tenter d’élucider les passages obscurs quand leur correction ne s’impose pas avec évidence. L’éditeur de textes médiévaux doit proposer une ponctuation conforme au sens du texte. A chaque ligne, l’éditeur prend parti et oriente par la ponctuation qu’il introduit, la lecture du texte et son interprétation syntaxique. Cette ponctuation a pour objet de préciser la structure syntaxique de l’énoncé. Il conclut qu’une édition scientifique ne peut être considérée comme une simple transcription mais exige un engagement intellectuel de l’éditeur qui doit constamment s’interroger sur le sens du texte qu’il édite. Comme le restaurateur de tableaux, il propose des retouches qui ne sont jamais irréversibles.

Frédéric D. de l’Ecole nationale des chartes (pièce 42) énumère les compétences requises pour la transcription d’un texte ancien pour lequel on ne dispose plus du manuscrit original paléographiques, codicologiques, linguistiques, encyclopédiques , maîtrise de la critique textuelle : comment un texte se déforme-t-il par copies successives, comment peut-on le restaurer, jusqu’à quel point faut-il être fidèle à un manuscrit donné, si oui comment le choisir, sinon comment remonter vers l’original perdu. Il fait valoir que la pratique éditoriale s’est muée en discipline scientifique autonome et il déclare que la liberté de l’éditeur face aux manuscrits d’un texte est considérable. Il explique que même un éditeur fidèle à un manuscrit intervient dans la séquence linguistique du texte, il introduit des espaces typographiques entre (les mots agglutinés, une ponctuation moderne, des majuscules, parfois des paragraphes. Il considère que la dissociation du texte de son apparat critique (introduction, notes de bas de pages, notes critiques, glossaires, index) dénature gravement le travail de l’éditeur.

Il ressort de ces éléments que le travail de transcription d’un texte médiéval dont le manuscrit original a disparu et qui est reconstitué à partir de différentes copies plus ou moins fidèles, supposent la mobilisation de nombreuses connaissances et le choix entre plusieurs méthodes. II apparaît que la restitution du texte original se heurte à des incertitudes qui vont conduire le savant à émettre des hypothèses et à effectuer des choix dont le plus difficiles donneront lieu de sa part à des explications et des commentaires dans le cadre d’un apparat critique.

Il apparaît également que l’éditeur afin de faciliter la compréhension du texte, va en modifier la présentation par une ponctuation ou une typographie particulière (espaces, majuscules, création de paragraphes).

Ce travail scientifique ne consiste donc pas en une simple transcription automatique et repose sur des choix propres à l’éditeur.

Néanmoins, il convient de rappeler que le droit de la propriété intellectuelle n’a pas vocation à appréhender tout travail intellectuel ou scientifique mais uniquement celui qui repose sur un apport créatif qui est le reflet de la personnalité de son auteur.

Or en l’espèce, le savant qui va transcrire un texte ancien dont le manuscrit original a disparu, à partir de copies plus ou moins nombreuses, ne cherche pas à faire œuvre de création mais de restauration et de reconstitution et il tend à établir une transcription la plus fidèle possible du texte médiéval, en mobilisant ses connaissances dans des domaines divers.

Il va effectuer des choix mais ceux-ci ne sont pas fondés sur la volonté d’exprimer sa propre personnalité mais au contraire sur le souci de restituer la pensée et l’expression d’un auteur ancien, en utilisant les moyens que lui fournissent les recherches scientifiques dans différents domaines. Il ne cherche pas à donner une interprétation personnelle des idées ou sentiments de l’auteur mais à être au plus près du texte d’origine en exposant les solutions qu’il retient ou qu’il écarte en fonction de critères scientifiques dictés par les connaissances acquises dans l’étude des manuscrits et non pas en fonction de sa propre subjectivité. Il cherche à détecter les erreurs ou les remaniements personnels des copistes en s’abstenant de ces mêmes comportements et en accompagnant la transcription d’un apparat critique qui a pour objet d’expliciter les choix qu’il a effectués en fonction de données objectives, afin d’éliminer tout arbitraire.

Son travail de reconstitution ne constitue pas une adaptation ni même une traduction puisqu’il cherche à transcrire le texte tel qu’il était et non pas à l’écrire dans un langage moderne différent de celui utilisé par l’auteur du texte d’origine.

Enfin, il convient de relever que plusieurs transcriptions d’un même texte médiéval peuvent aboutir à des textes identiques ou très proches car les deux transcripteurs auront utilisé la même méthode et déployé le même savoir qui les auront conduits à effectuer les mêmes choix et que la société Librairie Droz n’a versé aucun tableau comparatif expliquant en quoi ses propres versions seraient différentes des autres et porteraient l’empreinte de la personnalité de leur auteur.

Il apparaît donc que la société Librairie Droz n’apporte pas la preuve que les textes bruts exploités par la société Classiques GN sont protégés par le droit d’auteur. Ainsi ses demandes qui sont uniquement fondées sur la contrefaçon, doivent être rejetées.

Les appels en garantie à l’encontre de la société Champion electronique et de Claude B. sont donc sans objet.

Il apparaît équitable que chaque partie supporte les frais irrépétibles qu’elle a exposés.

La nature de la décision ne rend pas nécessaire son exécution provisoire.

Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,

. Déclare irrecevables les demandes formées par la société Librairie Droz contre la société Classiques G,

. Rejette les demandes formées par la société Librairie Droz contre la société Classiques GN,

. Déclare sans objet les appels en garantie contre la société Champion électronique et contre Claude B.,

. Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,

. Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire,

. Condamne la société Librairie Droz aux dépens.

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Tribunal de grande instance de Paris, 4e section, 27 mars 2014