Tribunal de grande instance de Paris, Service du juge de l'exécution, cabinet 4, 2 juillet 2015, n° 15/80703

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TGI Paris, service du JEX, cab. 4, 2 juill. 2015, n° 15/80703
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
Numéro(s) : 15/80703

Sur les parties

Texte intégral

T R I B U N A L

D E GRANDE

I N S T A N C E

D E P A R I S

N° RG :

15/80703

N° MINUTE :

copies exécutoires envoyées par LRAR aux parties et expéditions envoyées aux parties et aux avocats le

SERVICE DU JUGE DE L’EXÉCUTION

JUGEMENT rendu le 02 juillet 2015

DEMANDERESSE

Société F G L

X Y, […]

[…]

[…]

représentée par Me Stéphane BENOUVILLE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : #J0007

et

ayant élu domicile pour la notification du présent jugement

chez Me Stéphane BENOUVILLE

[…]

[…]

DÉFENDERESSES

DIRECTION DES CREANCES SPECIALES DU TRESOR (DCST)

[…]

[…]

représentée par Me Alain Léopold STIBBE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : #P211

SA ETABLISSEMENTS MAUREL & PROM

[…]

[…]

[…]

représentée par Me Frédéric LALANCE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : #P0134, substitué par Me Julie LOMBARD

JUGE : Madame Z A, Juge

Juge de l’Exécution par délégation du Président du Tribunal de Grande Instance de PARIS.

GREFFIER : Madame B C

DÉBATS : à l’audience du 21 Mai 2015 tenue publiquement,

JUGEMENT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe

contradictoire

susceptible d’appel

EXPOSÉ DU LITIGE

La société F G L est une société immatriculée aux Iles Vierges britanniques.

D E est un E dont l’administration était assurée par BETTY & DICKSON J L et dont l’administration est actuellement assurée par la société K J L, établie à Guernesey.

Au cours de l’année 2001, D E et la société F G L ont constitué la société F H & GAS, immatriculée aux Iles Vierges britanniques, détenue par chacune des entités à 50 %, dans le but d’investir dans des explorations et des projets de développement et de production de pétrole et de gaz en Afrique.

De 2001 à 2004, la société F H & GAS a conclu plusieurs contrats de licence pétrolière avec l’Etat gabonais lui permettant de disposer de droits exclusifs de prospection et de productions pétrolières sur certaines zones territoriales.

Le 14 février 2005, D E et F G L ont cédé à la société Etablissements MAUREL & PROM, immatriculée en France, l’intégralité des titres détenus dans le capital de la société F H & GAS.

Les parties s’accordent pour dire que ce contrat de cession, qui n’est pas produit aux débats, était soumis au droit anglais et prévoyait le versement par l’acquéreur aux cédants d’un prix de cession constitué de deux éléments :

— le paiement d’une somme forfaitaire de 54.171.066 euros,

— le paiement différé de deux types de compléments de prix calculés en fonction des réserves totales et des productions mensuelles des différentes zones d’exploitation et de production au titre desquelles F H & GAS détentait un droit d’exploitation au moment de la cession.

Le contrat de cession a été renégocié en 2006 puis en 2007. Aux termes de ces négociations, D E et F G L ont perçu 123.850.957 euros et il a été prévu que de nouveaux compléments de prix seront versés jusqu’à l’expiration des contrats d’exploration et de partage de production signés par F H & GAS.

* * *

Le 20 mars 2014, le Directeur général des impôts gabonais a adressé un courrier à K J L dans lequel il indiquait que l’administration avait reçu le 7 février 2014 des informations du Ministère du Pétrole concernant l’opération de cession des titres F H & GAS réalisée en février 2005 laissant apparaître que cette cession présentait toutes les caractéristiques d’une opération frauduleuse. Il a précisé que notamment, la plus-value de cession n’avait pas fait l’objet de déclarations auprès de l’administration fiscale gabonaise par les cédants au titre des exercices 2005 à 2013 au cours desquels le prix initial et des compléments de prix ont été versés. Il a indiqué que conformément à l’article P-862 du Code général des impôts gabonais, le droit de reprise de l’administration s’exerçait, en cas de révélation d’une opération présumée frauduleuse, jusqu’à la fin de la quatrième année suivant celle au cours de laquelle les faits ont été révélés. Le Directeur général des impôts gabonais a terminé en mettant en demeure K J L de déposer l’ensemble des déclarations fiscales depuis l’exercice 2005 et de procéder au paiement des droits éludés, en mentionnant qu’à défaut elle ferait l’objet d’une taxation d’office.

Le même jour, un courrier identique a été adressé à la société F G L.

Le 13 mai 2014, des notifications de redressement ont été adressées à la société K J L et à la société F G L par l’administration fiscale gabonaise, au titre d’une imposition d’office des profits réalisés lors de la cession de la société F H & GAS. Le redressement portait sur une somme de 46.818.546.222 francs CFA pour chacune des entités.

Le 30 mai 2014, la société F G L et la société K J L, agissant en qualité de trustee de D E, ont chacune adressé un courrier au Directeur général des impôts gabonais dans lequel elles contestaient formellement le redressement mis en oeuvre à leur encontre. Elles faisaient notamment valoir que la transaction intervenue le 14 février 2015 était un simple transfert d’action non imposable au Gabon. Elles ajoutaient qu’en tout état de cause, l’action en redressement était prescrite.

Le 24 juillet 2014, la Direction générale des impôts du Gabon a répondu à K J L et à F G L que leurs arguments étaient insuffisants et irrecevables et qu’elle entendait confirmer les redressements qui leur avaient été préalablement notifiés.

K J L, agissant en qualité de trustee de D E, et F G L ont réitéré leurs contestations dans deux courriers datés du 18 août 2014.

Le 21 octobre 2014, le Directeur des grandes entreprises au sein du Ministère de l’économie et de la prospective du Gabon a émis un avis de mise en recouvrement (AMR) n°2014101014369 à l’encontre de la société K J L pour un montant en droits et pénalités de 46.818.546.222 francs CFA. Cet AMR, portant date de mise en recouvrement au 22 juillet 2014, a été notifié à la société K J L le 23 octobre 2014.

Le 21 octobre 2014, le Directeur des grandes entreprises au sein du Ministère de l’économie et de la prospective du Gabon a également émis un avis de mise en recouvrement n°2014101014370 à l’encontre de la société F G L pour un montant en droits et pénalités de 46.818.546.222 francs CFA. Cet AMR, portant date de mise en recouvrement au 22 juillet 2014, a été notifié à la société F G L le 23 octobre 2014.

Le 25 novembre 2004, le directeur général des impôts gabonais a adressé à la société F G L et à la société K J L des mises en demeure datées du 21 novembre 2014 valant commandement de payer sous huit jours, consécutives aux AMR émis par la Direction générale des impôts et rendus exécutoires par le receveur des impôts.

Les sociétés K J L et F G L ont renouvelé leurs contestations contre ces actes dans des courriers datés du 17 novembre 2014 et du 4 décembre 2014.

* * *

Par ailleurs, le 25 novembre 2014, le conseil de la Direction générale des impôts gabonais a officiellement demandé l’assistance au recouvrement de l’Etat français, sur le fondement de l’article 29-1 “Assistance au recouvrement” de la convention franco-gabonaise du 20 septembre 1995 pour les impositions dues et exigibles au Gabon par la société F G L (pour 78.511.854,96 euros) et par la société K J L (pour 78.511.854,96 euros également). Il a demandé la mise en place immédiate dans ce cadre de mesures conservatoires à l’encontre des sociétés redressées, plus particulièrement entre les mains de la société MAUREL & PROM pour toutes sommes que cette société leur devrait au titre des compléments de prix suite à la cession de la société F H & GAS.

La Direction des créances spéciales du Trésor (DCST) a déposé le 31 décembre 2014 deux requêtes devant le juge de l’exécution du Tribunal de grande instance de Paris aux fins d’être autorisée à prendre des mesures conservatoires susceptibles d’assurer la sauvegarde des droits de l’administration fiscale gabonaise, sur le fondement de l’article 29 de la convention franco-gabonaise conclue le 20 septembre 1995.

Par ordonnances en date du 31 décembre 2014, la DCSTa été autorisée à pratiquer deux saisies conservatoires de créance à hauteur de 78.511.854,96 euros chacune entre les mains de la société Etablissements MAUREL & PROM, au préjudice de la société F G L et de D E (K J L).

Ces saisies ont été diligentées entre les mains de la société Etablissements MAUREL & PROM le 31 décembre 2014.

Elles ont été dénoncées à la société F G L et à D E (K J L) par acte transmis le 7 janvier 2015 par l’huissier instrumentaire à l’autorité compétente, conformément à la Convention de la Haye du 15 novembre 1965 relative à la signification et la notification à l’étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale.

Le 8 janvier 2015, la société Etablissements MAUREL & PROM a déclaré détenir des créances de redevances pour le compte des débiteurs, suite à l’acquisition en 2005 auprès de BETTY & I J L (qui était alors le trustee de D E) et de F G L, des titres de la société F H & GAS L. Elle a précisé qu’elle devrait notamment s’acquitter du paiement d’une redevance mensuelle à chacun des débiteurs à compter du mois de février 2015.

* * *

Le 21 janvier 2015, en application de l’article L. 257A du Livre des procédures fiscales et de l’article 29 de la convention franco-gabonaise conclue le 20 septembre 1995, rendue applicable par décret du 21 mars 2008 et entrée en vigueur au 1er mars 2008, les AMR émis le 21 octobre 2014 à l’encontre de F G L et de K J L ont été déclarés exécutoires en France par le Directeur des créances spéciales du Trésor, pour le montant des impôts et des intérêts de retard qui étaient repris dans les avis, soit 71.374.413,60 euros chacun.

Le 23 janvier 2015, le directeur des créances spéciales du Trésor a établi une attestation selon laquelle, suite au procès-verbal de saisie conservatoire de créances en date du 31 décembre 2014, les formalités nécessaires pour rendre exécutoire en France la créance gabonaise envers K J L en application de l’article 29 de la convention du 20 septembre 1995 avaient été accomplies par l’émission le 21 janvier 2015 d’un AMR rendu exécutoire en France pour un montant de 71.374.413,60 euros. Cette attestation a été dénoncée au tiers saisi le 27 janvier 2015.

Les avis de recouvrement émis le 21 octobre 2014 et rendus exécutoires en France le 21 janvier 2015 ont été remis au Parquet le 4 mai 2015 afin de notification à l’étranger à K J L et à la société F G L.

* * *

Dans deux courriers distincts datés du 15 avril 2015, la société K J L, agissant en tant que trustee de D E, et la société F G L ont présenté devant le Directeur général des impôts gabonais une réclamation préalable en contestation de la taxation d’office ouverte à leur encontre. Elles ont précisé qu’elles contestaient le bien-fondé des redressements en se basant sur les articles P-1033 à P-1047 du Code général des impôts gabonais.

Dans deux lettres signifiées par huissier et datées du 18 mai 2015, la société K J L, agissant en qualité de trustee de D E, et la société F G L ont ensuite présenté devant le Directeur des créances spéciales du Trésor français une réclamation préalable tendant à obtenir l’annulation des avis de mise en recouvrement authentifiés et rendus exécutoires en France le 21 janvier 2015.

Par actes d’huissier en date du 20 mai 2015, la société F G L et la société K J L, agissant en sa qualité de trustee de D E, ont saisi le Tribunal de grande instance de Poitiers aux fins d’obtenir l’annulation de la décision implicite de rejet par la DCST des réclamations préalables visant à obtenir l’annulation des AMR authentifiés et rendus exécutoires en France le 21 janvier 2015. Ces instances sont toujours en cours.

* * *

Parallèlement, par actes du 13 avril 2015, la société F G L a fait délivrer à la DIRECTION DES CREANCES SPECIALES DU TRESOR (DCST) et à la société Etablissements MAUREL & PROM une assignation à comparaître devant le juge de l’exécution du Tribunal de grande instance de Paris afin d’obtenir la mainlevée des saisies conservatoires autorisées le 31 décembre 2014.

Lors de l’audience devant le juge de l’exécution, la société F G L, représentée par son avocat, a demandé au juge de l’exécution de :

A titre principal :

— constater que la convention fiscale franco-gabonaise du 20 septembre 1995 sur laquelle la Direction des Créances Spéciales du Trésor fonde son action est inapplicable, de sorte que ladite Direction a agi sans habilitation,

En conséquence :

— rétracter les ordonnances rendues par le Juge de l’exécution près le Tribunal de grande instance de Paris le 31 décembre 2014 à la requête de la Direction des Créances Spéciales du Trésor et ordonner la mainlevée des saisies conservatoires autorisées par lesdites ordonnances,

A titre subsidiaire :

— constater que les redressements fiscaux opérés par l’administration fiscale gabonaise à l’encontre de D E et de la société F G L sont contraires à l’ordre public international français,

En conséquence :

— rétracter les ordonnances rendues par le Juge de l’exécution près le Tribunal de grande instance de Paris le 31 décembre 2014 à la requête de la Direction des Créances Spéciales du Trésor et ordonner la mainlevée des saisies conservatoires autorisées par lesdites ordonnances,

A titre très subsidiaire :

— constater l’absence de principe de créance dans la mesure où les avis de mise en recouvrement sur lesquels se fonde la Direction des Créances Spéciales du Trésor ne visent pas D E, sont manifestement nuls car entachés d’irrégularités et sont formellement contestés devant les autorités gabonaises,

— constater l’absence de circonstances susceptibles de menacer le recouvrement des prétendues créances de l’Etat gabonais sur D E et la société F G L,

En conséquence :

— rétracter les ordonnances rendues par le Juge de l’exécution près le Tribunal de grande instance de Paris le 31 décembre 2014 à la requête de la Direction des Créances Spéciales du Trésor et ordonner la mainlevée des saisies conservatoires autorisées par lesdites ordonnances,

En tout état de cause :

— dire et juger la décision à intervenir commune et opposable aux Etablissement MAUREL & PROM,

— condamner la Direction des Créances Spéciales du Trésor à verser une somme de 10. 000 euros à D E et à la société F G L au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

— condamner la Direction des Créances Spéciales du Trésor aux entiers dépens de l’instance.

Au soutien de ses prétentions, la société F G L insiste sur la mauvaise foi de l’Etat gabonais. Elle fait en effet valoir que l’administration fiscale gabonaise n’hésite pas à prétendre qu’elle n’a été informée des circonstances ayant entouré la cession que le 7 février 2014, alors même que la cession était connue de tous de par la médiatisation de l’événement et avait même été officiellement approuvée par le Ministère des Mines, du Pétrole et des Ressources Hydrauliques en 2005.

La société F G L ajoute que la cession n’était pas taxable au Gabon. Elle souligne à cet égard que la cession n’a pas été réalisée au Gabon, qu’elle n’a pas été réalisée par des entreprises exploitées au Gabon et qu’elle avait pour objet une société elle-même immatriculée aux Iles Vierges britanniques. Elle en déduit qu’en application de l’article 4 du Code général des impôts directs et indirects gabonais (CGIDI) dans sa version en vigueur en 2005, les bénéfices issus de la cession ne peuvent être passibles de l’impôt sur les sociétés au Gabon. S’agissant des dispositions de l’article 8 du CGIDI invoquées par son contradicteur, la société F G L fait valoir qu’elles ont été instaurées par une loi du 6 février 2014, soit plusieurs années après la cession litigieuse, et qu’elles ne peuvent donc servir de fondement au redressement opéré à son encontre.

La société F G L ajoute que l’action de l’administration fiscale gabonaise est par ailleurs manifestement prescrite depuis plusieurs années. Elle se prévaut à cet égard des dispositions de l’article P. 862 alinéa 1 du CGIDI gabonais prévoyant un délai de prescription de droit commun de quatre ans à compter de l’année au titre de laquelle l’impôt est dû.

La société F G L déduit de l’ensemble de ces éléments que les créances revendiquées à son encontre ne sont pas fondées en leur principe. Elle estime que dans ces conditions, la DCST aurait dû refuser son concours, d’autant plus que la procédure est entachée d’autres irrégularités.

La société F G L considère en effet que la DCST a agi sans habilitation, en se fondant sur les dispositions de la convention fiscale franco-gabonaise du 20 septembre 1995 alors que celle-ci n’est pas applicable à la cession litigieuse. Elle indique à cet égard que les dispositions de la convention fiscale de 1995 ne sont applicables qu’aux impositions dont le fait générateur est intervenu à compter du 1er janvier 2009, ce qui n’est pas le cas en l’occurrence puisque le fait générateur de l’impôt (l’acte de cession) a eu lieu au cours de l’exercice fiscal 2005. F G L estime que c’est vainement que la DCST tente de sauver sa procédure en prétendant que sa compétence serait également fondée sur la convention fiscale bilatérale conclue entre la France et le Gabon le 21 avril 1966 alors que les conditions requises par les articles 38-5 et 38-10 pour son application ne sont pas remplies.

F G L reproche en outre aux redressements litigieux d’avoir été opérés en méconnaissance de l’ordre public international français, en violant plusieurs principes fondamentaux tel que le respect des droits de la défense, malgré les contestations répétées soulevées tant par D E que par la société F G L.

La société F G L indique de plus que les AMR sont entachés de plusieurs vices de forme, les privant de tout effet juridique. Elle soutient ainsi que plusieurs des mentions prévues à peine de nullité par l’article P-193 du CGIDI gabonais sont manquantes. Elle affirme que les avis de mise en recouvrement n’indiquent pas de date de notification, qu’ils ne précisent pas les impôts, droits ou taxes en cause, qu’ils indiquent un montant de pénalités erroné et que leur signataire était dépourvu de compétence pour agir. F G L estime que la nullité manifeste des AMR interdit de les considérer comme constituant l’apparence de créance nécessaire pour fonder la saisie conservatoire litigieuse.

Pour finir, F G L fait valoir que la DCST ne justifie d’aucune menace sur le recouvrement des créances fiscales de l’Etat gabonais. F G L soutient en effet qu’une entité qui présente une situation financière bénéficiaire ne saurait être suspecte d’insolvabilité du simple fait que son siège social n’est pas situé en France. Elle estime que la DCST ne peut donc tirer argument de ce que D E et son administrateur, la société K J L, de même que la société F G L, sont établis respectivement selon les lois de Guernesey et des Iles Vierges britanniques. F G L ajoute que la menace pesant sur le recouvrement ne peut pas non plus être déduite de l’importance du redressement fiscal, car seule l’appréciation de la situation financière d’un débiteur est un indice pertinent pour apprécier ce risque de menace. F G L indique qu’en l’espèce, le recouvrement des éventuelles dettes dont elle pourrait être débitrice est assuré car elle perçoit des revenus réguliers de la part des Etablissements MAUREL & PROM au titre des compléments de prix.

* * *

La DIRECTION DES CREANCES SPECIALES DU TRESOR, représentée par son avocat, a pour sa part demandé au juge de l’exécution de :

— se déclarer incompétent sur la contrariété de l’ordonnance à l’ordre public international français et dire n’y avoir lieu à saisine du juge de l’exécution sur ce point,

— débouter F G L de toutes ses demandes, fins et conclusions,

— déclarer reconventionnellement bonne, valable et régulière la saisie pratiquée le 31 décembre 2014 par la DCST,

— condamner reconventionnellement F G L au paiement d’un montant de 10.000 euros à Monsieur le Directeur des créances spéciales du Trésor, représentant l’Etat, au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et en tous les dépens.

Au soutien de ses prétentions, la DCST fait valoir que le juge de l’exécution n’a aucun pouvoir d’appréciation et/ou de jugement sur le fondement de la créance fiscale de l’Etat gabonais, pas plus que la procédure suivie par cet Etat pour asseoir et recouvrer sa créance fiscale. Elle considère par conséquent que le juge de l’exécution est radicalement incompétent pour déterminer si la procédure fiscale gabonaise a été conduite en violation des droits de la défense comme le prétend la demanderesse, seul le juge du fond pouvant se prononcer sur l’existence d’une éventuelle contrariété de l’ordonnance à l’ordre public international français. De la même façon, elle estime qu’il n’appartient pas non plus au juge de l’exécution de statuer sur l’éventuelle prescription de l’action des services fiscaux gabonais. La DCST considère qu’en tout état de cause, cette prescription n’est pas acquise car eu égard au caractère frauduleux des agissements de F G L, le point de départ de la prescription a été reporté à la date à laquelle la fraude fiscale a été découverte, soit en 2014.

S’agissant de sa qualité pour agir pour le compte de l’Etat gabonais, la DCST soutient qu’elle repose à la fois sur la convention fiscale franco-gabonaise du 21 avril 1966 et sur la convention du 20 septembre 1995 qui lui a succédé. La DCST estime en effet que le fait générateur de l’impôt est fixé par l’AMR du 21 octobre 2014 émis par l’Etat gabonais, qui indique “période concernée de 2005 à 2014". La DCST en conclut que pour les années 2009 à 2014, il convient de faire application de l’article 29 de la convention du 20 septembre 1995, tandis que pour les années 2005 à 2008, le texte applicable est la convention franco-gabonaise du 21 avril 1966 entrée en vigueur le 7 mars 1969 et publiée par décret du 16 avril 1969 (plus particulièrement les articles 38 et 40). La DCST reconnaît qu’elle n’a pas visé la convention du 21 avril 1966 dans sa requête aux fins de saisie conservatoire, mais elle estime que cet oubli n’altère pas la régularité de l’ordonnance et ne peut servir de fondement à une demande de mainlevée, le juge devant se prononcer sur les éléments qui lui sont présentés au jour où il statue.

La DCST fait valoir qu’un titre fiscal, même contesté, suffit à asseoir le principe de créance. Elle en déduit qu’en l’espèce, l’AMR du 21 octobre 2014 suffit à asseoir le principe de créance au sens de l’article L. 511-1 du Code des procédures civiles d’exécution, le débat concernant le bien fondé de cet AMR ne relevant pas de la compétence du juge du fond et le juge de l’exécution français ne pouvant examiner les conditions de forme et de fond de son émission.

Pour finir, la DCST fait valoir que le péril concernant le recouvrement des créances fiscales gabonaises est suffisamment caractérisé. Elle souligne qu’il n’est en effet produit aucune pièce, aucun justificatif relatif à la situation juridique ou financière de F G L, ni aucune pièce comptable ou autre document relatif à sa propre solvabilité. Elle ajoute que le montant considérable du redressement fiscal accroît le risque de dissipation des fonds, d’autant plus élevé que la demanderesse a choisi de s’établir dans un lieu qu’elle qualifie de “paradis fiscal”.

* * *

La société Etablissements MAUREL & PROM, représentée par son avocat, a demandé au juge de l’exécution de :

— lui donner acte de ce qu’elle s’en rapporte à justice quant au mérite des prétentions de la demanderesse tendant à la mainlevée de la saisie-conservatoire de créance pratiquée par la DCST,

— condamner la demanderesse à lui verser la somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens.

Au soutien de ses prétentions, la société Etablissement MAUREL & PROM fait valoir qu’elle a parfaitement rempli les obligations lui incombant en qualité de tiers saisi. Elle estime que dans ces conditions, la demanderesse ne justifie d’aucun motif légitime pour l’avoir attrait en justice. Elle considère par conséquent que cette dernière devra l’indemniser pour les frais irrépétibles qu’elle a exposés.

* * *

Pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions déposées et reprises oralement lors des débats, conformément aux dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile.

A l’issue des débats, la décision a été mise en délibéré au 2 juillet 2015.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Vu l’assignation précitée et les explications des parties lors des débats ;

Sur la demande de mainlevée de la saisie conservatoire :

— sur l’existence d’un texte permettant à la DCST d’assister l’Etat gabonais pour la prise de mesures conservatoires :

Le juge de l’exécution est compétent pour apprécier si les conventions fiscales franco-gabonaises invoquées sont applicables au présent litige.

En l’occurrence, F G L reproche à la DCST de se fonder sur les dispositions de l’article 29 de la convention fiscale franco-gabonaise du 20 septembre 1995, alors même que ce texte ne serait pas applicable au présent litige au regard de la date du fait générateur de la créance de l’Etat gabonais que F G L fixe à la date du 14 février 2005, date qui est contestée par la défenderesse.

L’article 32-2 c) de la convention du 20 septembre 1995 indique :

“Les dispositions de la Convention s’appliqueront […] en ce qui concerne les autres impôts, aux impositions dont le fait générateur interviendra après l’année civile au cours de laquelle la Convention est entrée en vigueur”.

Cette convention a fait l’objet d’un décret de publication au JORF du 23 mars 2008.

Il convient par conséquent de déterminer si le fait générateur de l’impôt est intervenu après l’année civile de cette entrée en vigueur.

Il n’appartient pas au juge de l’exécution de procéder à une analyse approfondie des pièces de la procédure fiscale gabonaise pour déterminer la date du fait générateur. Le juge de l’exécution est en effet tenu sur ce point par le titre émis par le Gabon, déclaré exécutoire en France par le Directeur des créances spéciales du Trésor le 21 janvier 2015.

Ce titre mentionne une “période concernée de 2005 à 2014". Aussi, la convention fiscale du 20 septembre 1995 doit recevoir application pour la période 2009-2014.

L’assistance au recouvrement est prévue par l’article 29 de la convention du 20 septembre 1995 qui précise dans son quatrième alinéa :

“A la demande de l’Etat requérant, l’Etat requis prend des mesures conservatoires en vue du recouvrement d’un montant d’impôt, même si la créance est contestée ou si le titre exécutoire n’a pas encore été émis”.

Ainsi, ce texte permet de fonder l’assistance apportée par la DCST à la prise de mesures conservatoires pour la période susvisée, nonobstant les recours intentés par la demanderesse à l’encontre des titres émis par les services fiscaux gabonais et rendus exécutoires en France.

S’agissant de la période 2005-2008, la DCST se prévaut de l’applicabilité de la convention fiscale franco-gabonaise du 21 avril 1966, entrée en vigueur le 7 mars 1969.

Il est indifférent que cette convention n’ait pas été visée dans la requête présentée le 31 décembre 2014, le juge de l’exécution saisi d’une demande de mainlevée d’une mesure conservatoire se prononçant au vu des éléments qui lui sont produits au jour où il statue.

La demanderesse ne conteste pas l’applicabilité dans le temps de la convention du 21 avril 1966. Elle considère en revanche que les conditions d’assistance prévue par l’article 38-5 ne sont pas remplies.

Ce moyen ne peut toutefois prospérer. En effet, l’article 38-5 est relatif à la demande d’assistance en vue du recouvrement d’une créance. Or, le présent litige concerne uniquement la prise de mesure conservatoire, hypothèse qui est pour sa part régie par l’article 38-10.

L’article 38-10 de la convention du 21 avril 1966 prévoit ainsi :

“Lorsqu’une créance fiscale d’un Etat contractant fait l’objet d’un recours et que les garanties prévues par la législation de cet Etat contractant n’ont pu être obtenues, les autorités fiscales de cet Etat contractant peuvent, pour la sauvegarde de ses droits, demander aux autorités fiscales de l’autre Etat contractant de prendre les mesures conservatoires que la législation ou la réglementation de celui-ci autorise.”

Ainsi, il s’évince de la combinaison de l’article 29 de la convention du 20 septembre 1995 et de l’article 38-10 de la convention du 21 avril 1966 que la DCST était fondée à apporter son assistance à l’Etat gabonais pour la prise de mesures conservatoires à l’encontre de la demanderesse.

— sur l’existence d’un principe de créance :

Aux termes de l’article L.511-1 du Code des procédures civiles d’exécution, toute personne dont la créance parait fondée en son principe peut solliciter du juge de l’exécution l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement. L’article R 512-1 du code des procédures civiles d’exécution précise qu’il incombe au créancier de prouver que les deux conditions cumulatives sont remplies.

Conformément à l’article L.512-1 du code des procédures civiles d’exécution, “le juge peut, à tout moment, au vu des éléments qui sont fournis par le débiteur, le créancier entendu ou appelé, donner mainlevée de la mesure conservatoire s’il apparaît que les conditions prescrites par l’article L.511-1 ne sont pas réunies”.

Le juge, auquel est déférée une mesure conservatoire, se place dans la même position que le juge qui a autorisé la mesure: il examine au jour où il statue d’une part l’apparence du principe de créance – et non la certitude, la liquidité, l’exigibilité ou le montant de la créance – et évalue d’autre part la menace qui pèse sur le recouvrement.

Pour faire droit à la demande d’autorisation d’une mesure conservatoire sur le fondement de l’article L. 511-1 du Code des procédures civiles d’exécution, le juge de l’exécution n’est pas tenu de caractériser une créance fondée en son principe mais seulement une apparence de créance.

L’apparence d’un principe de créance se trouve ainsi suffisamment caractérisée par l’existence d’un avis de mis en recouvrement, sans que ce principe soit remise en cause par les contestations portant sur cet avis puisque les conditions de l’émission de l’AMR par les autorités gabonaises, la prescription de l’action gabonaise, sa conformité à l’ordre public international français et la régularité formelle du titre émis sont des questions qui ne relèvent pas de l’appréciation du juge de l’exécution.

En l’espèce, l’AMR invoqué par la DCST a été émis le 21 octobre 2014 à l’encontre de la société F G L pour un montant en droits et pénalités de 46.818.546.222 francs CFA. Cet AMR, portant date de mise en recouvrement au 22 juillet 2014, a été notifié à la société F G L le 23 octobre 2014.

La DCST justifie donc de l’existence d’un principe de créance à l’encontre de la société F G L, d’autant plus que le 21 janvier 2015, l’AMR émis le 21 octobre 2014 à l’encontre de F G L a été déclaré exécutoire en France par le Directeur des créances spéciales du Trésor, pour 71.374.413,60 euros.

— sur les menaces sur le recouvrement :

Le créancier poursuivant doit par ailleurs rapporter la preuve que le recouvrement de sa créance est menacé et il doit étayer sa demande par des éléments précis.

En l’occurrence, il ressort des documents versés aux débats que la créance est d’un montant très important, que la société F G L ne produit aucun élément sur sa situation financière et patrimoniale et que le siège social de la société débitrice est situé dans un territoire qui n’a conclu aucune convention d’assistance au recouvrement avec l’Etat gabonais, rendant ainsi d’éventuelles démarches des services fiscaux gabonais en vue d’obtenir le paiement de leur créance particulièrement aléatoires.

Au regard de la conjugaison de l’ensemble de ces éléments, les menaces pesant sur le recouvrement sont suffisamment établies par la DCST.

Il convient par conséquent de valider la saisie conservatoire pratiquée au préjudice de la société F G L le 31 décembre 2014 en la cantonnant à la somme de 71.374.413,60 euros.

Sur les demandes annexes :

L’équité ne commande pas de faire application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile. Les demandes formulées de ce chef seront par conséquent rejetées.

F G L, partie perdante, sera condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS

LE JUGE DE L’EXÉCUTION,

Statuant publiquement, par décision par mise à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort,

Valide la saisie conservatoire pratiquée le 31 décembre 2014 au préjudice de F G L en la cantonnant à la somme de 71.374.413,60 euros,

Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,

Condamne la société F G L aux dépens,

Rejette le surplus des demandes,

Rappelle que les décisions du Juge de l’Exécution bénéficient de l’exécution provisoire de droit.

Fait à Paris, le 02 juillet 2015

LE GREFFIER LE JUGE DE L’EXÉCUTION

B C Z A

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Tribunal de grande instance de Paris, Service du juge de l'exécution, cabinet 4, 2 juillet 2015, n° 15/80703