Tribunal Judiciaire de Bordeaux, 8 novembre 2021, n° 18/11288

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Sur la décision

Référence :
TJ Bordeaux, 8 nov. 2021, n° 18/11288
Numéro(s) : 18/11288

Sur les parties

Texte intégral

6EME CHAMBRE CIVILE SUR LE FOND

59C

RG nE N° RG 18/11288

Minute n°

AFFAIRE :

Y X

C/

CAISSE REGIONALE DE

CREDIT AGRICOLE MUTUEL

AQUITAINE

Grosse Délivrée le :

à

Avocats : la SELAS ELIGE BORDEAUX

Me Thibault SAINT-MARTIN

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BORDEAUX 6EME CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 08 Novembre 2021

COMPOSITION DU TRIBUNAL : Lors des débats et de la mise à disposition :

Madame Louise LAGOUTTE, vice-président, statuant en juge unique.

Madame Odile PARNIN, faisant fonction de greffier présente lors des débats et de la mise à disposition,

DEBATS :

à l’audience publique du 06 Septembre 2021

JUGEMENT :

Contradictoire en premier ressort

Par mise à disposition au greffe

DEMANDEUR

Monsieur Y X né le […] à […]

[…]

[…]

représenté par Me Thibault SAINT-MARTIN, avocat au barreau de

BORDEAUX et de Maître Z Y-B du Barreau de PARIS

DEFENDERESSE

CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL

AQUITAINE prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualités audit siège

[…]

[…]

[…]

représentée par Maître Thierry WICKERS de la SELAS ELIGE

BORDEAUX, avocats au barreau de BORDEAUX

1


EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Le 20 mai 2016, Monsieur Y X a déposé plainte pour escroquerie après avoir confié des sommes, aujourd’hui disparues, à un tiers lui promettant un investissement sur les marchés financiers avec un rendement rapide.

Monsieur X a, entre le 18 mars 2015 et le 14 janvier 2016, réalisé à cette fin les virements bancaires suivants depuis son compte ouvert à la CAISSE REGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE

MUTUEL AQUITAINE (le CRÉDIT AGRICOLE) :

- 10.900 € le 18 mars 2015 vers […] ;

- 35.000 € le 25 juin 2015 vers VOLKSBANK WIEN AG ;

- 40.000 € le 4 août 2015 vers VOLKSBANK WIEN AG ;

- 20.000 € le 4 août 2015 vers VOLKSBANK WIEN AG ;

- 40.000 € le 4 août 2015 vers VOLKSBANK WIEN AG ;

- 19.080 € le 23 novembre 2015 vers RAIFFEISEN BANK POLSKA SA ;

- 19.080 € le 14 janvier 2016 vers RAIFFEISENBANK CZ ;

Soit un montant total de 173.160 €.

Après s’être rendu compte de l’escroquerie, Monsieur X a demandé le remboursement de ces sommes à sa banque, ce qui lui a été refusé.

Monsieur X a, par acte délivré le 19 décembre 2018, fait assigner devant le présent tribunal le CRÉDIT AGRICOLE pour se voir dédommager à hauteur des sommes perdues.

Par conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 11 décembre 2020, Monsieur

X, au visa de l’article 1231-1 du Code civil, demande au tribunal de :

- dire et juger que la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE

a commis une faute à l’origine des préjudices subis par lui consécutivement à la perte des fonds investis sur la plate-forme de trading en ligne litigieuse ;

En conséquence,

A titre principal :

- CONDAMNER la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE

à payer à Monsieur Y X la somme de 173 160 euros en réparation du préjudice qu’il

a subi du fait de la perte des sommes investies sur la plate-forme de trading en ligne DIRECT

EPARGNE ;

- CONDAMNER la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE,

à payer à Monsieur Y X la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

A titre subsidiaire :

- CONDAMNER la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE

à payer à Monsieur Y X la somme de 138 528 euros en réparation du préjudice qu’il

a subi du fait de la perte de chance de ne pas avoir investi 173 160 euros la plate-forme de trading en ligne DIRECT EPARGNE ;

2



En tout état de cause :

- ORDONNER l’exécution provisoire du jugement à intervenir ;

- CONDAMNER la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE

à payer à Monsieur Y X la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL

D’AQUITAINE aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Z

Y-B, Avocat au Barreau de Paris.

Par conclusions responsives et récapitulatives notifiées par voie électronique le 27 janvier 2021, le

CRÉDIT AGRICOLE demande au tribunal de :

- DIRE ET JUGER que la Caisse Régionale du Crédit Agricole d’Aquitaine n’a pas commis de faute;

- DIRE ET JUGER que la Caisse Régionale du Crédit Agricole d’Aquitaine n’est pas responsable du préjudice subi par Monsieur X ;

DEBOUTER Monsieur X de l’intégralité ses demandes ;

- Le condamner aux dépens et 2.400 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Pour l’exposé des moyens venant au soutien de ces demandes, il est renvoyé aux conclusions écrites des parties.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 29 juin 2021 et l’affaire a été appelée à l’audience du 6 septembre 2021 au cours de laquelle elle a été retenue puis mise en délibéré par mise à disposition au greffe à la date de ce jour, les parties en ayant été informées selon les modalités de l’article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION
Monsieur X soutient que la banque est tenue d’un devoir général de vigilance, qu’elle aurait dû déceler les anomalies apparentes sur son compte et qu’elle ne l’a jamais mis en garde contre les risques de fraudes alors même qu’elle ne pouvait ignorer l’existence de ce type d’escroquerie ce qui constitue dès lors un manquement de nature à contribuer à la réalisation du dommage subi par
Monsieur X.

Le CRÉDIT AGRICOLE soutient quant à lui qu’il ne saurait lui être opposé la réglementation sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et qu’elle n’a pas manqué à son devoir de conseil et de mise en garde ou à son devoir général de vigilance dans la mesure où celle-ci est tenue d’un devoir de non- ingérence dans les affaires de son client, que les opérations litigieuses ne présentaient pas d’anomalie apparente et que ces virements avaient été réalisés par Monsieur X lui même.

L’article L.561-6 du Code monétaire et financier dispose que « pendant toute la durée de la relation

d’affaires et dans les conditions fixées par décret en Conseil d’Etat, ces personnes exercent, dans la limite de leurs droits et obligations, une vigilance constante et pratiquent un examen attentif des opérations effectuées en veillant à ce qu’elles soient cohérentes avec la connaissance actualisée qu’elles ont de leur relation d’affaires ».

3



Ces dispositions instituent une obligation de vigilance à la charge du banquier qui s’exprime dans le cadre de la réglementation de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme et qui l’oblige à mettre en place une procédure d’alerte et de surveillance des mouvements de fonds suspicieux pouvant aboutir à une déclaration de soupçon auprès des autorités compétentes.

Bien que ce dernier texte n’ait pas vocation à s’appliquer dans la relation entre le banquier et son client, l’article 1231-1 du Code civil dispose quant à lui que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure ».

Dans le cadre de ses obligations contractuelles, pèse sur le banquier une obligation générale de vigilance qui l’oblige à tenter de déceler les anomalies apparentes, matérielles ou intellectuelles, sur les opérations bancaires de son client. Ces anomalies doivent être inhabituelles au regard du fonctionnement habituel du compte. Il est vrai que le devoir de non-ingérence interdit au banquier de s’immiscer dans les affaires de son client, celui-ci ne saurait dédouanner la banque d’un devoir de vigilance et de mise en garde en cas d’opérations qui apparaissent anormales.

En l’espèce, il s’évince des relevés de comptes de Monsieur X sur les cinq derniers mois précédents le premier virement litigieux, que ses dépenses et encaissements ne sont jamais supérieurs

à la somme de 2.000 €, qu’il perçoit une retraite raisonnable et procède à plusieurs dépenses de la vie quotidienne relativement modestes, que ses dépenses n’ont rien de somptuaires et qu’il n’investit aucune somme sur les marchés financiers.

A partir de mars 2015 et jusqu’en janvier 2016, Monsieur X a commencé a procéder à des opérations inhabituelles par rapport à ses habitudes bancaires en raison d’une part du montant important des sommes virées, dont la plus petite s’élève à 10.900 €, d’autre part en raison de la destination de ces sommes puisque les comptes bénéficiaires sont situés à l’étranger. Ces virements importants et disproportionnés par rapport au fonctionnement normal du compte sont réalisés sur une période relativement courte et dirigés vers l’étranger. La banque aurait dû porter son attention sur ces virements, notamment lorsque Monsieur X a réalisé trois virements, le même jour et pour un montant total de 100.000 €.

Il est établi que la banque n’a pas attiré l’attention de Monsieur X sur ces anomalies et sur le risque important de fraude, le CREDIT AGRICOLE n’invoquant aucune mise en garde. Il convient donc de dire que le CRÉDIT AGRICOLE a manqué à son devoir de vigilance.

Le préjudice subi par Monsieur X est donc une perte de chance de ne pas avoir investi ses fonds, perte de chance qu’il convient de fixer à hauteur de 30 %.

Le CRÉDIT AGRICOLE sera donc condamné en réparation de préjudice à verser à Monsieur

X la somme de 51.948 € (173.960 x 30 / 100).

En revanche, il convient de le débouter de sa demande en réparation de son préjudice moral dirigée contre le CRÉDIT AGRICOLE, l’escroc étant le seul responsable du stress de Monsieur X lié au sentiment d’avoir été escroqué.

4


Sur les autres dispositions du jugement

Succombant à la procédure, le CRÉDIT AGRICOLE sera condamné aux dépens dont distraction au profit de Maître Z Y-B conformément à l’article 699 du Code de procédure civile.

D’autre part, il serait inéquitable de laisser à la charge de Monsieur X les frais non compris dans les dépens. Il convient en conséquence de condamner le CRÉDIT AGRICOLE à une indemnité en sa faveur de 1.200 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Par ailleurs, il n’y a pas lieu de prononcer l’exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal,

Après en avoir délibéré, statuant publiquement par décision mise à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort,

DIT que la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE a engagé sa responsabilité contractuelle et que les manquements à son devoir général de vigilance sur les comptes de Monsieur X et de mise en garde ont entrainé une perte de chance de 30 % de renoncer à plusieurs virements pour un montant total de 173.160 € ;

CONDAMNE la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE à payer à Monsieur Y X la somme de 51.948 euros au titre de son préjudice matériel ;

REJETTE la demande de Monsieur Y X en réparation de son préjudice moral ;

CONDAMNE la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE à payer à Monsieur Y X la somme de 1.200 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNE la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE aux dépens, et DIT que les avocats en la cause en ayant fait la demande pourront, chacun en ce qui le concerne, recouvrer sur la partie condamnée ceux des dépens dont ils auraient fait l’avance sans avoir reçu provision en application de l’article 699 du code de procédure civile ;

DIT n’y avoir lieu à exécution provisoire de la décision ;

5


REJETTE les autres demandes des parties.

Le jugement a été signé par Louise LAGOUTTE, président et par Odile PARNIN, faisant fonction de greffier.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

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