Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 26 novembre 2015, n° 14/04895

  • Licenciement·
  • Associations·
  • Comités·
  • Autorisation·
  • Inspecteur du travail·
  • Employeur·
  • Détournement·
  • Loyauté·
  • Faute grave·
  • Faute

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CA Aix-en-Provence, 26 nov. 2015, n° 14/04895
Juridiction : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Numéro(s) : 14/04895
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Nice, 20 janvier 2014, N° 12/1374

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL D’AIX EN PROVENCE

17e Chambre B

ARRÊT AU FOND

DU 26 NOVEMBRE 2015

N°2015/762

SP

Rôle N° 14/04895

Y Z G B

C/

XXX

Grosse délivrée le :

à :

Me Emmanuel PARDO, avocat au barreau de NICE

Me Jean-Baptiste ALLANIC, avocat au barreau de PARIS

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NICE – section AD – en date du 21 Janvier 2014, enregistré au répertoire général sous le n° 12/1374.

APPELANTE

Madame Y Z G B, demeurant XXX

représentée par Me Emmanuel PARDO, avocat au barreau de NICE

INTIMEE

XXX, demeurant XXX – XXX

représentée par Me Jean-Baptiste ALLANIC, avocat au barreau de PARIS

(XXX – XXX

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l’article 945-1 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 01 Octobre 2015, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Sophie PISTRE, Conseiller, chargé d’instruire l’affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président de Chambre

Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller

Madame Sophie PISTRE, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Caroline LOGIEST.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 26 Novembre 2015

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 26 Novembre 2015

Signé par Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président de Chambre et Madame Caroline LOGIEST, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

Apria RSA est une association créée par les assureurs qui lui ont délégué la gestion des organismes d’assurance maladie obligatoire que sont notamment la RAM et le GIE SINTIA.

Mme Y B épouse Z, embauchée le XXX, a occupé au dernier état de sa situation, la fonction de Responsable du service des assurés du centre de gestion de Nice. En cette qualité, elle dirigeait une équipe de 10 collaborateurs exerçant notamment les missions d’agents techniques en charge de la liquidation des dossiers maladie et du paiement des prestations d’assurance maladie.

Madame Z était en outre titulaire de différents mandats de représentant du personnel, à savoir :

' membre titulaire du Comité Inter établissements province (CIEP) à compter du 8 juin 2010, dont elle a en outre été la trésorière jusqu’au 16 avril 2012

' membre titulaire du Comité central d’entreprise à compter du 8 juin 2010

' déléguée syndicale nationale du 5 novembre 2010 au 29 février 2012.

Au cours de sa réunion du 12 janvier 2011, le CIEP a constaté une anomalie au sein de la comptabilité présentée par Madame Z en sa qualité de trésorière pour l’exercice 2009.

Se heurtant à la carence de Madame Z, le président du Comité et l’association ont assigné l’intéressée et le CIEP devant le juge des référés du tribunal de Grande instance de Bobigny afin de se faire remettre les documents comptables.

Madame Z a alors reconnu « avoir utilisé à des fins personnelles le chéquier du comité Inter établissements, à l’insu, non seulement de l’association, mais également de la secrétaire du CIEP de l’association », et a remboursé au CIEP une somme de 21 985 €. Parallèlement, elle a démissionné de son mandat de trésorière, mais pas de celui de son mandat de représentant du personnel.

Par ordonnance du 25 mai 2012, le président du tribunal de Grande instance de Bobigny, a condamné Madame Z à remettre l’ensemble des relevés de comptes et des pièces comptables sous astreinte.

Parallèlement, l’association Apria a poursuivi ses investigations, aux termes desquelles il ressort que Madame Z a commis des détournements de fonds à son profit personnel au préjudice du comité pour un montant non définitif de plus de 200 000 € au 24 août 2012, au titre des exercices comptables 2009 à 2012.

C’est dans ces conditions que par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 25 avril 2012, l’association a adressé à Madame Z une convocation à entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé au 11 mai 2012. Cette convocation était assortie d’une mise à pied conservatoire. Compte tenu du statut de salarié protégé de Madame Z, l’inspection du travail était en outre informée de l’engagement de la procédure. Madame Z ne s’est pas présentée à l’entretien. Par courrier recommandé avec accusé de réception du 16 mai 2012, elle a été informée qu’un conseil de discipline devait être réuni, conformément aux dispositions de l’article 90 de la convention collective des sociétés d’assurances, et par mail du 23 mai 2012, l’intéressée a renoncé à la tenue de ce conseil.

Compte-tenu de ses mandats électifs, l’association a consulté le CIEP le 1er juin 2012 sur le projet de licenciement, et Madame Z régulièrement convoquée à cette réunion ne s’est pas présentée. À l’issue, le comité a rendu un avis favorable.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 5 juin 2012, l’inspection du travail a été sollicitée. L’inspecteur a transmis sa décision d’autorisation du licenciement selon courrier recommandé du 3 août 2012.

Par courrier recommandé en date du 28 août 2012, l’association a notifié son licenciement à Madame Z en ces termes :

« Il convient de rappeler que, en votre qualité de trésorière du CIEP, vous avez été sollicitée dès le mois de janvier 2011 s’agissant de diverses anomalies constatées au sein de la comptabilité du CIEP dont vous aviez la charge. Malgré de multiples demandes de la part des membres du comité, du président du comité, du directeur général de l’association Apria et des experts-comptables mandatés par le comité, vous n’avez pas produit les pièces comptables et les explications nécessaires à la rectification de la comptabilité, ce qui a contraint le président du comité et l’association Apria à saisir le juge des référés du tribunal de Grande instance de Bobigny afin qu’il soit mis un terme à cette situation.

Dans le cadre de cette procédure judiciaire, vous avez avoué « avoir utilisé à des fins personnelles le chéquier du Ciep à l’insu de l’association » et ce pour un montant reconnu alors par vos soins de 21 985 €. À cet égard, il est nécessaire de préciser que le montant à ce jour et probablement non définitif de vos détournements, s’élève non à 21 985 € mais à près de 200 000 € au titre des exercices comptables 2009, 2010,2011, selon les photocopies de chèques et relevés bancaires produits grâce aux investigations réalisées par le nouveau bureau du CIEP, ce qui caractérise l’absolue mauvaise foi dont vous avez fait preuve.

De tels agissements répétés et sur cette durée sont par principe inacceptables.

En outre, compte tenu de vos fonctions de responsable de service vous êtes tenue à des exigences particulières de probité, de loyauté et de confiance, dans la mesure où vous êtes amenée à assurer l’encadrement hiérarchique d’une équipe de collaborateurs chargés de la liquidation des prestations des régimes d’assurance-maladie obligatoires qui nous sont confiées.

En cette qualité vous vous devez d’adopter un comportement particulièrement exemplaire.

De surcroît, votre niveau de responsabilité vous permet de bénéficier des habilitations informatiques les plus larges qui vous autorisent, sans contrôle systématique, à procéder à de nombreuses actions particulièrement sensibles en termes de versement des prestations financières.

Les conséquences de votre comportement sont d’une particulière gravité :

'à l’égard du comité dont le fonctionnement n’a pu s’effectuer normalement, à tout le moins depuis l’exercice 2009, date des plus anciennes anomalies constatées à ce jour

'à l’égard de l’ensemble des salariés de l’association, victimes directes du détournement des fonds destinés au CIEP. À cet égard, nous sommes contraints de constater le trouble important que provoque la révélation des faits au sein du centre de gestion de Nice où vous exercez vos fonctions, et plus généralement, au sein de l’ensemble des services de l’association.

En conséquence, votre comportement, outre le fait qu’il rend impossible votre maintien dans notre entreprise, constitue un manquement particulièrement grave à vos obligations contractuelles de loyauté et de probité à l’égard de l’employeur. Nous avons donc le regret de vous informer que nous avons décidé de donner suite à notre projet de vous licencier pour faute grave. »

Aucun recours n’a été exercé par l’une quelconque des parties contre la décision de l’inspecteur du travail.

Contestant son licenciement, Madame Z a saisi le conseil des prud’hommes de Nice lequel par décision du 21 janvier 2014 a jugé que le licenciement ne repose pas sur une cause grave mais sur une cause réelle et sérieuse, et a condamné l’association à payer à Madame Z les sommes de :

—  5361,62 euros bruts au titre du préavis

—  536 € bruts au titre des congés payés sur préavis

—  52 903 € nets au titre d’indemnité de licenciement confessionnel

—  10 723,24 euros bruts au titre de la mise à pied conservatoire.

Le conseil des prud’hommes a en outre débouté les parties du surplus de leurs demandes, et condamné l’association Apria aux entiers dépens.

Tant Madame Z que l’association Apria ont régulièrement interjeté appel de ce jugement.

Jonction a été ordonnée.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Madame Z appelante demande à la cour de recevoir son appel et de réformer le jugement rendu par le conseil des prud’hommes. Elle sollicite de voir déclarer son licenciement à titre principal nul et à titre subsidiaire sans cause réelle ni sérieuse. En conséquence elle sollicite la condamnation de l’association Apria RSA à lui régler les sommes de :

— au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, en vertu de l’article L 1234'5 du code du travail : 2 mois de salaire : 2680,81 x 2 = 5361,62 euros

— au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis, en vertu de l’article L3141'22 du code du travail : 10 % de l’indemnité compensatrice de préavis : 536 €

— au titre de l’indemnité de licenciement, en vertu de l’article L 1234'9 du code du travail sur la base de la convention collective nationale du 27 mai 1992 : ancienneté 38 années, pour une salariée de plus de 50 ans, avec une rémunération annuelle sur 14 mois soit 2680x14= 37 520€

' pour les 10 premières années : 3 %x 37 520x 10= 11 256 €

' pour la 10e à la 20e année : 3,5 %x 37 520 €x 10= 13 132 €

' pour la 20e à la 30e année : 4 %x 37 520 x 10= 15 008 €

' pour la 30 à la 38e année : 4,5 %x 37 520 x8= 13 507 €

— à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul en vertu de l’article L2411'8 du code du travail: 12 mois de salaire à savoir 32 160 €, et subsidiairement à titre de dommages et intérêts pourlicenciement sans cause réelle ni sérieuse 12 mois de salaires soit 32 160 €

— au titre de la mise à pied conservatoire du 25 avril 2012 au 28 août 2012,10 723,24 euros

— au titre de l’indemnité forfaitaire sanctionnant la violation du statut protecteur, sachant qu’il restait de l’éviction jusqu’à la période de la fin de protection 2 ans 4 mois, la somme de 75 060 €

— sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile : 3000 €

A cet effet, Madame Z fait valoir essentiellement que l’employeur justifie le licenciement par des détournement de fonds commis à l’encontre du comité d’entreprise dont Madame Z était la trésorière ; que toutefois Madame Z, sans nier les détournement de fonds réalisés à l’encontre du comité d’entreprise, a toujours estimé que ses fonctions de trésorière du CIEP ne pouvait d’une façon ou d’une autre permettre son licenciement du fait de l’absence de tout lien de subordination avec l’association Apria lors des faits ; que c’est l’objet de son courrier en date du 7 mai 2012 à la directrice des ressources humaines de l’association, car dès cette date elle craignait que son licenciement intervienne sur un plan disciplinaire, et de surcroît sur la base d’une faute grave privative de ses indemnités de licenciement.

Madame Z ajoute que sur l’invitation de l’inspection du travail, par courrier du 30 juillet 2012, elle a fait part à celui-ci de ses observations et du fait que l’employeur créait une confusion en tenant à rattacher un acte malhonnête à l’égard du comité d’entreprise, étranger à ses fonctions au sein de l’entreprise, au licenciement dont il était demandé l’autorisation ; qu’elle a sollicité que son licenciement n’intervienne pas sur une base disciplinaire ; que le risque de troubles visé dans la lettre de licenciement, ne pouvait justifier qu’un licenciement pour « trouble objectif caractérisé » .

Madame Z soutient que l’inspecteur du travail a donné son autorisation au licenciement tout en invitant l’association à poursuivre la procédure en excluant toute référence à un motif disciplinaire afin de verser à la salariée l’indemnité de licenciement prévue par la convention collective ; que la demande d’autorisation de licenciement formée auprès de l’inspecteur du travail, ne faisait d’ailleurs pas référence à une quelconque faute ou manquement disciplinaire, seul « le comportement incompatible avec le maintien dans l’exercice de ses fonctions » étant visé.

La salariée soutient qu’en matière de faits relevant de la vie privée, seul un trouble caractérisé au fonctionnement de l’entreprise peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement, mais un tel licenciement ne peut revêtir un caractère disciplinaire puisqu’un fait de la vie privée ne constitue pas un manquement aux obligations résultant du contrat de travail, et que c’est en méconnaissance des limites imposées par l’inspecteur du travail que l’association a cru pouvoir procéder à son licenciement sur une base disciplinaire.

La salariée fait valoir que la lettre de licenciement, intervenue sur autorisation de l’inspecteur du travail, n’est valable juridiquement, qu’à condition que le motif du licenciement soit bien celui pour lequel autorisation a été accordée ; qu’à défaut de licenciement est nul, faute d’autorisation administrative.

L’appelante invoque en outre un arrêt rendu le 18 mai 2007 par la chambre mixte la Cour de cassation et soutient qu’un trouble objectif dans le fonctionnement de l’entreprise ne permet pas, en lui-même, de prononcer une sanction disciplinaire à l’encontre de celui par lequel il est survenu.

Madame X soutient qu’en définitive, il ne subsiste qu’un seul cas où un fait tiré de la vie personnelle peut, par exception, justifier un licenciement disciplinaire, lorsque ce fait caractérise un manquement du salarié à son obligation de loyauté qui subsiste même en cas de suspension du contrat de travail ; que cette obligation de loyauté ne peut concerner que l’employeur lui-même et qu’en l’espèce les détournement opérés l’ont été à l’encontre du comité d’entreprise et n’ont pu avoir une quelconque conséquence sur l’obligation de loyauté à l’égard de l’association Apria.

Enfin, Madame Z soutient que le juge n’a pas le pouvoir de requalifier le motif disciplinaire pour retenir le motif du trouble caractérisé.

L’association Apria RAS appelante sollicite de voir confirmer le jugement prud’homal en ce qu’il a débouté Madame Z de l’ensemble de ses demandes fondées sur la nullité, à titre subsidiaire, sur l’absence de cause réelle sérieuse de son licenciement, et de voir infirmer le jugement en ce qu’il a retenu que le licenciement de l’intéressée ne reposait pas sur une faute grave et en ce qu’il a débouté l’association de ses demandes au visa des articles 32'1 et 700 du code de procédure civile.

L’association employeur sollicite de voir la cour, statuant à nouveau :

— juger que le licenciement de Madame Z repose sur une faute grave

— en conséquence, débouter celle-ci de l’ensemble de ses demandes au titre de son licenciement, et la condamner à rembourser la somme versée au titre de l’exécution provisoire à hauteur de 24 127,29 euros

— condamner Madame Z au paiement d’une somme de 3000 € au titre de l’article 32'1 du code de procédure civile, outre celle de 3000 € fondement l’article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d’appel, et la condamner aux dépens de l’instance.

L’association, à titre subsidiaire dans l’hypothèse où la cour considérerait que les demandes de dommages-intérêts formées sont fondées, sollicite de voir ceux-ci ramenés à de plus justes proportions, et juger que les dommages-intérêts alloués s’entendent comme des sommes brutes avant précompte de la CSG et CRDS et des éventuelles charges sociales salariales qui seraient dues en application de la législation en vigueur. À titre subsidiaire également elle sollicite de voir juger que les sommes allouées à titre de rappels de salaires, s’entendent comme des sommes brutes avant précompte de la CSG et CRDS et des éventuelles charges sociales salariales.

À cet effet, l’association employeur fait valoir essentiellement qu’ en vertu du principe de séparation des pouvoirs judiciaires et administratives, si la juridiction judiciaire est seule compétente pour statuer sur le litige qui oppose salarié protégé à l’employeur, elle ne saurait en aucun cas se prononcer sur la légalité de la décision d’autorisation de licenciement accordée par l’administration ; que dès lors que l’autorité administrative s’est prononcée sur la rupture du contrat travail, la Cour de cassation en déduit que le juge judiciaire n’est pas compétent pour statuer sur les éléments qui ont fait l’objet de la décision administrative et n’est pas compétent pour se prononcer sur le caractère réel sérieux du motif de licenciement invoqué par l’employeur.

L’association ajoute que l’autorisation de licenciement a été sollicitée auprès de l’autorité administrative en toute transparence, et que c’est en parfaite connaissance de cause que l’inspecteur du travail a donné cette autorisation désormais définitive ; que c’est au regard des seuls faits soumis à l’inspecteur ayant donné lieu à cette autorisation que le licenciement a été notifié.

Concernant le comportement de Madame Z constitutif d’une faute grave privative de toute indemnité de rupture, l’association Apria RSA soutient que si par principe l’employeur ne peut recourir à l’exercice du pouvoir disciplinaire à l’égard des salariés en considération de faits relevant du contrat de travail, par exception, des faits commis dans le cadre du mandat peuvent être invoqués au soutien de sanction disciplinaire dès lors qu’ils caractérisent l’exercice abusive d’un tel mandat ; que de la même manière le juge admiratif entérine le recours de l’employeur au licenciement pour faute grave, dès lors qu’un détournement du mandat par le salarié est caractérisé ( CE 29 janvier 2014 numéro 357 287 pour un conseiller prud’homal s’étant livré à des déclarations d’heures de vacations fictives ).

L’appelante soutient, que si l’employeur ne peut invoquer des faits relevant de la vie privée du collaborateur au soutien d’une sanction disciplinaire, il ressort de la jurisprudence que de tels faits peuvent parfaitement justifier le recours de l’employeur à son pouvoir disciplinaire lorsque les faits tirés de la vie privée du salarié caractérisent un manquement à son devoir de loyauté, ou lorsque ces faits génèrent un trouble objectif au sein de l’entreprise.

L’employeur invoque différentes jurisprudences de cour d’appel qui selon lui ont admis que des faits de détournement de fonds commis par le représentant du personnel au préjudice de l’instance représentative, compte tenu de leur gravité, justifient le prononcé d’un licenciement pour faute grave.

Concernant les faits précis reprochés à Madame Z, l’association indique que celle-ci a fait usage de son habilitation de trésorière afin d’établir 20 chèques à son ordre personnel pour un montant de 129 295,82 euros entre le 2 mai 2009 et le 20 novembre 2011, d’effectuer des retraits d’espèces pour une somme totale de 5800 € entre le 18 février 2011 et le 28 juin 2011, et procéder au règlement de dépenses personnelles au moyen du chéquier pour un montant de 45 667,10 euros (Fnac de Nice, hôtel La plantation dans les Caraïbes, régie de l’eau, etc.) ; que parmi ces dépenses personnelles un montant de 26 542,56 euros a été détourné au profit de la société gérée par son époux. L’employeur ajoute que la mauvaise foi de Madame Z est apparue à plusieurs égards notamment parce que ce n’est que dans le cadre de la procédure judiciaire qu’elle a reconnu avoir utilisé les fonds à des fins personnelles tout en feignant de ne pas pouvoir évaluer le montant des détournements, et que c’est dans le cadre des investigations réalisées avec le nouveau trésorier que l’étendue des détournements a pu être démontrée, et qu’elle a persisté pendant plus de 18 mois à dissimuler son comportement frauduleux malgré les sollicitations de toutes parts.

L’association appelante soutient qu’au regard de l’ensemble de ces éléments, les fautes commises par Madame Z en qualité de trésorière du CIEP :

— caractérisent un manquement à l’obligation particulière de loyauté et à la probité attendue d’un responsable de service

— ne sont pas détachables de ses fonctions impliquant en permanence la gestion rigoureuse des deniers publics et le règlement de prestations financières aux assurés sociaux

— ont inévitablement jeté un trouble objectif au sein de l’association, au regard de la nature de ses fonctions.

SUR CE

— sur le licenciement

C’est au regard de la qualité de salariée protégée de Madame Z que l’employeur a saisi préalablement l’inspecteur du travail.

En l’espèce, l’employeur a présenté une demande d’autorisation, le 5 juin 2012, auprès de l’inspecteur du travail, en ces termes :

« Les faits et motivations du licenciement envisagés sont les suivants :

Rappel des faits :

1-l’utilisation à des fins personnelles des subventions du CIEP :

Au cours de sa réunion du 12 janvier 2011, le CIEP a constaté une anomalie au sein de la comptabilité présentée par Madame Z en sa qualité de trésorière (') les malversations ainsi commises par Madame Z en sa qualité de trésorière du comité constituent une faute civile et une faute pénale incompatibles avec l’exercice de ses fonctions.

2- l’incidence sur les missions exercées par Madame Z en qualité de responsable du service des assurés justifiant l’engagement de la procédure de licenciement :

Il convient de rappeler que la jurisprudence prévoit que les fautes commises dans le cadre des fonctions élues peuvent révéler un manque de probité de nature à rendre impossible le maintien du salarié dans l’entreprise (')

Il en résulte que l’autorisation de licenciement peut parfaitement être délivrée en présence d’un comportement fautif adopté dans le cadre des seules fonctions élues dès lors qu’ils caractérisent un comportement fautif rendant impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Au surplus, il convient d’indiquer que la jurisprudence a été amenée à préciser que les fautes commises en qualité de représentant du personnel telles que l’utilisation des fonds du comité à des fins personnelles justifient le prononcé d’un licenciement pour faute grave : « le fait d’utiliser de manière réitérée les fonds du comité à des fins personnelles constituent nécessairement une faute grave, l’existence de tel détournement ne permettant pas le maintien du salarié dans l’entreprise et justifiant le recours à une mise à pied conservatoire » Cour d’appel de Paris 22 février 2012,n°10/9125

En l’espèce Madame Z a reconnu avoir commis des détournements au préjudice du CIEP au cours de l’exercice 2009. Un tel comportement revêt à la fois la nature d’une faute civile et d’une faute pénale, révélatrice d’un manquement à ses obligations de loyauté et de probité. Or, en sa qualité de responsable du service des assurés du centre de gestion de Nice, Madame Z est tenue d’une obligation particulière de loyauté et de probité dès lors qu’elle exerce à la fois des fonctions de management et des fonctions ayant trait à la gestion des deniers publics. (')

Dans ces circonstances, compte tenu du caractère sensible de la mission exercée et de son niveau de responsabilité, le maintien de Madame Z à la tête du service des assurés ne peut être envisagé.(') En conclusion, il ressort de l’ensemble de ces éléments que Madame Z dispose de tous les droits et habilitations nécessaires au versement de prestations financières. Dès lors le comportement adopté par Madame Z dans le cadre de ses fonctions de trésorière est incompatible avec le maintien de Madame Z dans l’exercice de ses fonctions. En tout état de cause ces faits ne permettent pas, sans risque de troubles importants, le maintien de l’intéressée au sein de notre association. C’est dans ces conditions que la procédure de licenciement a été engagée à l’égard de Madame Z.(')

3-sur l’absence de lien entre la demande d’autorisation de licenciement et le mandat détenu par Madame Z :

Nous vous précisons qu’il n’existe naturellement aucun lien entre la demande d’autorisation de licenciement et l’exercice de ses mandats par Madame Z, la demande autorisation étant fondée sur la seule incompatibilité établie entre le comportement gravement fautif adopté par Madame Z dans le cadre de ses fonctions élues et ses fonctions professionnelles.

4- sur l’absence de motif tiré de l’intérêt général qui justifierait le refus d’autorisation de licenciement de Madame Z :

En l’espèce il n’existe aucun élément qui pourrait constituer un motif d’intérêt général susceptible de fonder un éventuel refus de la demande autorisation de licenciement de Madame Z. (')

CONCLUSION

Pour l’ensemble de ces motifs, nous vous demandons d’autoriser le licenciement de Madame C Z

Nous restons bien évidemment à votre disposition pour toute information complémentaire dans le cadre de votre enquête. »(')

Il ressort de cette lettre que l’employeur tout en stigmatisant l’impossibilité de maintenir l’intéressée au sein de l’association, a, de manière étayée, citant précisément une jurisprudence, soutenu que le comportement adopté par Madame Z constituait une faute grave y compris vis-à-vis de l’employeur, en raison d’un manquement à ses obligations de loyauté et de probité.

L’inspecteur du travail, par décision du 3 août 2012 a autorisé le licenciement. Cette autorisation comporte un article unique : « l’autorisation de procéder au licenciement de Madame C Z est accordée ». Cette décision n’est pas subordonnée au fait que le licenciement ne puisse pas être disciplinaire. Dans la motivation l’inspecteur du travail énonce :

« considérant que l’association sollicite l’autorisation de procéder au licenciement de Madame Z au motif que la salariée, trésorière du comité d’établissement au moment des faits, a utilisé des fonds du comité à des fins personnelles ; que l’employeur précise que le comportement adopté par la salariée dans le cadre de ses fonctions de trésorière est incompatible avec son maintien dans l’entreprise au vu de ses fonctions de responsable du service des assurés, lesquels confèrent Madame Z les droits et habilitations nécessaires au versement de prestations financières ;

considérant qu’un fait fautif ne peut s’entendre que d’un fait du salarié contraire à ses obligations à l’égard de l’employeur ; que dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un acte ou un comportement du salarié survenu en dehors de l’exécution de son contrat de travail, notamment dans le cadre de l’exercice de ses fonctions représentatives, il appartient l’inspecteur du travail de rechercher si les faits en cause sont établis et de nature, compte tenu de leurs répercussions sur le fonctionnement de l’entreprise, à rendre impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, eu égard à la nature de ses fonctions et à l’ensemble des règles applicables au contrat de travail de l’intéressé ;»

Il ressort de cette motivation, que l’inspecteur du travail a accordé l’autorisation considérant que les fait invoqués dans la demande étaient matériellement établis, et qu’ils rendaient impossibles le maintien de la salariée dans l’association.

Cette décision n’a pas été contestée et s’impose. En vertu du principe de la séparation des pouvoirs, elle ne peut être remise en cause par le juge judiciaire.

La jurisprudence administrative n’exclut d’ailleurs pas la possibilité d’un licenciement disciplinaire pour le salarié protégé, dont les agissements seraient intervenus en dehors de l’exécution de son contrat de travail, dès lors que les faits traduisaient la méconnaissance par l’intéressé d’une obligation de loyauté à l’égard de son employeur qui découle de son contrat de travail ( CE 27 mars 2015 numéro 37 11 74 notamment )

Dès lors que le licenciement est intervenu pour les mêmes faits que ceux visés dans la demande après obtention d’une autorisation administrative non contestée, le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, apprécier le caractère réel et sérieux de licenciement.

À cet égard, la lettre d’accompagnement du 3 août 2012 par laquelle l’inspecteur du travail indique à l’employeur qu’il lui appartiendra, s’il entend poursuivre la procédure de licenciement, de notifier ce dernier en excluant toute référence à un motif disciplinaire, est sans incidence, dès lors que ce courrier est dépourvu de force de chose jugée, et que le contenu et la portée de la décision d’autorisation ne doivent s’ analyser qu’au regard des mentions contenues dans la décision elle-même.

Le juge judiciaire reste en revanche compétent pour apprécier le degré de gravité de la faute, au regard des indemnités de licenciement et de la mise à pied conservatoire, le contrôle du juge administratif ne portant pas sur ces points.

Le juge judiciaire peut, par conséquent, accorder des indemnités de rupture s’il considère que les critères de la faute grave invoquée par l’employeur ne sont pas remplis.

Concernant la faute grave, il s’agit d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat travail ou des relations travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée du préavis.

En l’espèce, il est constant que les détournements ont été commis à l’occasion de l’exercice de son mandat de trésorière du comité d’entreprise par Madame Z.

L’utilisation par le salarié protégé de ses heures de délégation pour se procurer les moyens de détourner des fonds versés par l’employeur au comité d’entreprise, c’est-à-dire au bénéfice collectif de l’ensemble des salariés de l’entreprise, à des fins personnelles, caractérise toutefois le manquement du salarié à son obligation de loyauté à l’égard de son employeur, obligation qui découle du contrat travail.

La gravité de la faute résulte du niveau de responsabilité de la salariée qui l’amenait à gérer des fonds publics, à diriger une équipe, et à bénéficier des habilitations informatiques les plus larges.

L’ampleur des détournements, dont il n’est pas contesté qu’il atteignent la somme de 200 000 €, le comportement de dissimulation initial de Mme Z lorsque les irrégularités ont été révélées, la durée des agissements (chèques émis frauduleusement entre mai 2009 et novembre 2011, soit pendant 18 mois), l’emploi des sommes détournées ( dépenses personnelles de loisir, de voyages, et renflouement de la société de son époux) caractérisent un usage particulièrement abusif du mandat électif.

Dès lors il y a lieu d’infirmer le jugement du conseil des prud’hommes en ce qu’il a retenu que le licenciement ne reposait pas sur une faute grave, et statuant à nouveau, de juger que le licenciement de Madame Z repose sur une faute grave, et de débouter Madame Z de sa demande de voir juger que le licenciement est nul, et à titre subsidiaire sans cause réelle ni sérieuse.

Sur les autres demandes

Dès lors que Madame Z succombe sur sa demande principale tendant à voir juger le licenciement nul, et subsidiairement, sans cause réelle ni sérieuse, il y a lieu de rejeter l’ensemble de ses demandes afférentes au licenciement.

La demande de l’association employeur tendant à voir condamner l’intéressée à rembourser les sommes d’ores et déjà payées au titre de l’exécution provisoire, est sans objet dès lors que cette obligation de remboursement résulte de l’exécution même de la présente décision.

L’association sollicite en outre la condamnation de Madame Z au titre des dispositions de l’article 32'1 du code de procédure civile.

Il y a lieu de rappeler que ces dispositions prévoient seulement la possibilité pour le juge, d’office, de condamner celui qui agit en justice de manière abusive à une amende civile. La demande indemnitaire formée par l’Apria, qui n’est pas fondée sur les dispositions de l’article 1382 du Code civil, est irrecevable.

Il serait en revanche inéquitable de laisser supporter à l’association la charge des frais irrépétibles par elle exposée à l’occasion de la procédure. Madame Z devra verser la somme de 1000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Succombant, Madame Z supportera les dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant par décision prononcée par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en matière prud’homale,

Reçoit les parties en leurs rappels

Sur le fond,

Infirme le jugement du conseil des prud’hommes de Nice du 21 janvier 2014 en toutes ses dispositions

Statuant à nouveau

Déboute Madame Y B épouse Z de sa demande tendant à voir déclarer son licenciement à titre principal nul, et à titre subsidiaire sans cause réelle ni sérieuse

Déboute Madame Y B épouse Z de l’ensemble de ses demandes indemnitaires

Déboute l’association APRIA RSA de sa demande au titre des dispositions de l’article 32'1 du code de procédure civile

Condamne Madame Y B épouse Z à payer à l’association APRIA RSA la somme de 1000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

Condamne Madame Y B épouse Z aux entiers dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 26 novembre 2015, n° 14/04895