Cour d'appel de Bordeaux, 24 décembre 2015, n° 14/01644

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Bordeaux, 24 déc. 2015, n° 14/01644
Juridiction : Cour d'appel de Bordeaux
Numéro(s) : 14/01644
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Bordeaux, 21 janvier 2014, N° 12/08197

Texte intégral

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

PREMIERE CHAMBRE CIVILE – SECTION B


ARRÊT DU 24 DÉCEMBRE 2015

(Rédacteur : Monsieur Michel BARRAILLA, Président)

N° de rôle : 14/01644

LA S.A.S. SEVERINI PIERRES ET LOISIRS

c/

Monsieur D H X C

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 22 janvier 2014 (R.G. 12/08197 – 7e chambre civile -) par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX suivant déclaration d’appel du 20 mars 2014,

APPELANTE :

LA S.A.S. SEVERINI PIERRES ET LOISIRS, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social, sis XXX – XXX

Représentée par Maître Patrice CORNILLE, membre de la S.C.P. Patrice CORNILLE – Julia POUYANNE, Avocats Associés au barreau de BORDEAUX,

INTIMÉ ;

Monsieur D H X C, né le XXX à XXX, de nationalité française, demeurant XXX,

Représenté par Maître Fabien FRANCESCHINI, substituant la S.E.L.A.R.L. LEX URBA, Avocats Associés au barreau de BORDEAUX,

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 13 octobre 2015 en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Michel BARRAILLA, Président,

Madame Catherine COUDY, Conseiller,

Madame Elisabeth FABRY, Conseiller,

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Marceline LOISON

ARRÊT :

— contradictoire

— prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

La Sas Severini Pierres et Loisirs, qui exerce l’activité de promoteur, a obtenu l’autorisation de construire un immeuble de 38 logements à Mérignac.

Le 26 décembre 2011, elle a signé avec monsieur D X C, nu propriétaire d’une maison voisine, un protocole transactionnel prévoyant le versement à son profit d’une indemnité sous diverses conditions, contre la renonciation de sa part à contester le permis de construire.

Par acte du 21 septembre 2012, monsieur X C, qui n’avait pu obtenir l’exécution du protocole, a fait assigner la société Severini devant le tribunal de grande instance de Bordeaux à l’effet de s’entendre condamner à lui verser notamment une indemnité transactionnelle de 24 500,00 € outre 8 000,00 € pour préjudice moral et 15 000,00 € pour résistance abusive.

Par jugement du 22 janvier 2014, le tribunal de grande instance de Bordeaux a condamné la société Severini à payer à monsieur X C la somme de 23 450,00 € et celle de 2 500,00 € pour résistance abusive.

Le tribunal a relevé que le protocole transactionnel prévoyait que la société Severini s’était engagée à verser à monsieur X C une indemnité de 7 % de la valeur de sa maison en contrepartie de sa dépréciation consécutive à la réalisation du projet immobilier, sous la condition notamment de l’absence de recours tiers contre le permis de construire, et qu’en contrepartie, monsieur X C s’était engagé à ne pas exercer de recours contre le permis de construire ou contre tout modificatif éventuel de celui-ci.

La société Severini soulevait la nullité du protocole sur le fondement de l’article 1172 du code civil, en soutenant qu’il ne pouvait par avance empêcher monsieur X C d’exercer un recours pour excès de pouvoir contre l’autorité ayant délivré le permis de construire.

Le tribunal a écarté ce moyen en indiquant que si le protocole transactionnel ne pouvait faire obstacle par avance à un recours pour excès de pouvoir qui n’aurait pas encore été exercé, de sorte que monsieur X C conservait le droit d’exercer un tel recours sous la seule conséquence de perdre le bénéfice de la transaction, il n’en résultait aucunement que le protocole fût lui-même entaché d’une quelconque nullité ou illicéité.

La société Severini se prévalait ensuite de la caducité du protocole en raison de la défaillance des conditions stipulées.

En l’espèce, le protocole prévoyait effectivement trois conditions, à savoir :

— l’absence de tout recours de monsieur X C et de ses ayants droit,

— l’absence de recours tiers sur le permis de construire,

— la vente effective du terrain au profit de la société Severini.

Or la société Severini s’est prévalue du recours d’un tiers auprès de la commune de Mérignac pour considérer que l’accord était caduc. Monsieur X C pour sa part, a produit un courrier de la ville de Mérignac selon lequel le permis de construire litigieux ne faisait plus l’objet d’aucun recours de tiers.

La tribunal a considéré que la rédaction du protocole était ambiguë dans la mesure où le fait de subordonner l’acquisition définitive de l’indemnité à l’absence de recours d’un tiers était contraire à l’objet de la transaction, dès lors que monsieur X C serait privé de toute indemnisation sans manquement de sa part à son engagement, et alors que le projet dépréciant sa propriété serait effectivement réalisé, ce qui était bien le cas en l’espèce, puisque le recours gracieux qui aurait été effectué par un tiers, monsieur Y, n’avait pas connu de suite.

Le tribunal en a déduit que monsieur X C était fondé à revendiquer l’application du protocole transactionnel. Il a alloué à ce dernier une indemnité de 23 450,00 € correspondant à 7 % de la moyenne de la valeur de son bien telle qu’elle ressortait de l’évaluation de trois professionnels de l’immobilier, conformément aux stipulations du protocole.

Le tribunal a débouté monsieur X C de sa demande de dommages et intérêts au titre d’un préjudice moral qu’il a considéré comme non justifié, mais a condamné la société Severini au paiement de dommages et intérêts pour résistance abusive au motif qu’elle avait fait preuve de mauvaise foi en se retranchant derrière des stipulations ambiguës du protocole, qu’elle avait elle-même soumises à la signature de monsieur X C.

La société Severini a relevé appel de ce jugement le 20 mars 2014.

Par conclusions du 10 septembre 2015, elle demande à la cour, au visa des articles 1156 à 1164 et 1172 du code civil, de :

— infirmer le jugement déféré, sauf en ce qu’il a débouté monsieur X C de sa demande de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral,

— débouter monsieur X C de ses demandes,

— en conséquence, constater que l’engagement par avance de ne pas porter de recours contre un permis de construire est impossible et contraire à la loi,

— dire et juger en conséquence que le protocole d’accord conclu entre la société Severini Pierres et Loisirs et monsieur X C est nul de nullité absolue,

— constater la défaillance des conditions subordonnant l’exécution du protocole d’accord litigieux,

— dire et juger en conséquence ledit protocole caduc de sorte que la société Severini Pierres et Loisirs n’est plus tenue à verser une indemnité à monsieur X C,

— débouter monsieur X C de l’ensemble de ses demandes contraires ou plus amples,

— condamner monsieur X C au paiement de la somme de 3 000,00 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Par conclusions du 24 juillet 2014, monsieur X C demande à la cour, au visa des articles 1134 et 2044 du code civil, de :

— confirmer purement et simplement le jugement déféré,

— rejeter la requête en appel introduite par la société Severini,

— condamner la société Severini au paiement de la somme de 3 000,00 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 29 septembre 2015.

Motifs :

En vertu de la transaction relative au permis de construire portant sur les 38 logements collectifs que devait réaliser la société Severini, cette dernière s’est engagée à verser à monsieur X C une indemnité égale à 7% de la valeur de sa maison pour compenser la dépréciation devant résulter pour cet immeuble de la future réalisation du projet immobilier. Il était précisé que cette indemnité serait acquise à monsieur X C « définitivement » en l’absence de recours tiers sur ce permis de construire porté à la connaissance de la mairie et si la vente du terrain sur lequel devaient être édifiés les logements était réalisée au profit de la société Severini.

En contrepartie, monsieur X C s’est engagé ainsi que ses ayants droit à ne pas porter de recours à l’encontre du permis de construire et contre tout modificatif qui pourrait être demandé.

La société Severini soutient, comme elle l’avait fait en première instance, que le protocole transactionnel est entaché de nullité absolue en application de l’article 1172 du code civil, dans la mesure où la disposition par laquelle monsieur X C a renoncé par avance à exercer un recours contre le permis de construire revient à renoncer à l’exercice d’un recours pour excès de pouvoir, ce qui constitue une condition contraire à la loi au sens de l’article 1172 susvisé.

Toutefois la référence à l’article 1172 n’est pas pertinente car, contrairement à ce que prétend la société Severini, la condition relative à la renonciation à recours mise à la charge de monsieur X C n’est ni impossible, ni immorale, ni même prohibée par la loi, la clause litigieuse ne privant pas monsieur X C d’exercer un recours administratif, auquel il est exact qu’il ne peut renoncer par avance, sauf à lui faire perdre le bénéfice de la transaction.

La société Severini soutient ensuite que le protocole est à tout le moins caduc, car le versement de l’indemnité transactionnelle était subordonné à la réunion cumulative de trois conditions, dont celle de l’absence de recours de tiers à l’encontre du permis de construire. Elle prétend que dès lors que la mairie de Mérignac avait enregistré le recours d’un tiers (en l’occurrence celui d’un monsieur Y), l’une des conditions faisait défaut et que la transaction devenait caduque.

La société Severini critique l’interprétation du tribunal, qu’elle qualifie de « finaliste », selon laquelle le fait de subordonner l’acquisition de l’indemnité à l’absence de recours d’un tiers quand bien même celui-ci ne serait suivi d’aucun retrait du permis de construire, serait contraire à l’objet de la transaction. Selon la société Severini, dès lors qu’un tiers a exercé un recours contre le permis de construire, la condition est défaillie, quelle que soit l’issue, favorable ou défavorable, donnée à ce recours.

Toutefois, ainsi que l’a jugé à bon droit le tribunal, il y a bien lieu à application des dispositions de l’article 1156 du code civil selon lesquelles « on doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes. »

L’objet de la convention est, à partir de concessions réciproques, de permettre à la société Severini de réaliser son programme immobilier en se prémunissant contre une éventuelle contestation du projet de la part de monsieur X C, et à ce dernier d’obtenir une compensation financière du préjudice résultant de l’implantation d’un ouvrage d’une certaine ampleur à proximité de son immeuble. Les conditions relatives à l’absence de recours contre le permis de construire de la part de monsieur X C et de ses ayants droit, et l’acquisition du terrain par la société s’inscrivent incontestablement dans cette perspective, dans la mesure où ils donnent son sens à la transaction. En revanche, la clause subordonnant le versement de l’indemnité à l’absence de recours tiers sur le permis de construire est ambiguë, dès lors que les pièces produites démontrent d’une part, qu’un recours contre le permis de construire délivré à la société Severini a bien été exercé par monsieur Z Y par lettre du 2 janvier 2012 adressée au maire de Mérignac, d’autre part que ce recours a été rejeté puisque par lettre du 6 avril 2012, la mairie de Mérignac faisait connaître que le permis de construire ne faisait plus l’objet d’aucun recours de la part de tiers et qu’aucune observation du contrôle de légalité n’avait été notifiée.

La clause litigieuse est ambiguë en ce qu’il convient de s’interroger sur le sens qu’il convient de donner à l’absence de recours de tiers, et plus précisément si cette absence de recours doit s’entendre stricto sensu indépendamment de la suite qui a pu lui être réservée, ou si elle doit s’entendre d’un recours n’ayant pas abouti. Cette disposition doit donner lieu à interprétation en application des articles 1156 et suivants du code civil.

Si l’on doit retenir que la transaction ne peut trouver à s’appliquer même en présence d’une contestation du permis de construire ayant donné lieu à une décision de rejet, cela signifie que la société Severini peut mener à bien son projet sans verser la contrepartie prévue au bénéfice de monsieur X C qui a pour sa part satisfait à la condition mise à sa charge en s’abstenant de contester le permis de construire. Cette interprétation est contraire à l’objet de la convention et aboutit à un déséquilibre des droits des parties en faveur de la société Severini. Au contraire, l’interprétation de la convention dans le sens où le recours doit s’entendre de celui qui a été accueilli par l’administration revient à rétablir l’équilibre du contrat en faisant dépendre le non versement de l’indemnité de l’impossibilité pour la société Severini de réaliser son opération immobilière. Il y a donc lieu d’interpréter la clause relative à l’absence de recours tiers comme une « absence de recours ayant abouti au défaut de délivrance du permis de construire ».

La transaction prévoyait enfin que la valeur de la maison, constituant l’assiette de l’indemnité, serait « évaluée par trois estimations réalisées par des professionnels de l’immobilier, la moyenne de ces trois estimations sera retenue comme base de calcul de cette indemnité; en cas d’écart supérieur à 10%, deux autres estimations seront réalisées et les trois plus proches de la moyenne retenues pour le calcul. »

La société Severini soutient que monsieur X C a méconnu les termes de cette disposition, en faisant valoir qu’au soutien de son assignation, il n’a produit qu’une seule estimation, réalisée par la société Laforet Immobilier, et n’a communiqué les deux autres qu’en cours d’instance, ce qui ne correspond pas aux dispositions du protocole.

Toutefois le protocole ne prévoit pas que les estimations doivent être produites de manière simultanée, et le fait que les deux dernières d’entre elles aient été communiquées postérieurement à la première ne saurait être considéré comme une défaillance de monsieur X C dans l’exécution de ses obligations ayant pour effet de le priver de l’indemnité prévue.

Force est de constater au contraire que l’intimé s’est confirmé aux modalités ci-dessus en produisant trois attestations de professionnels de l’immobilier.

Sur la base de la moyenne de ces attestations, le tribunal a retenu à bon droit que l’indemnité devant revenir à monsieur X C s’élevait à la somme de 23 450,00 €. La décision sera en conséquence confirmée.

Le jugement sera aussi confirmé en ce qu’il a débouté monsieur X C au titre d’un préjudice moral dont il ne rapporte pas la preuve, et en ce qu’il a condamné la société Severini au paiement d’une somme de 2 500,00 € pour résistance abusive à titre de sanction de son attitude qui a consisté à refuser d’exécuter le protocole en se retranchant derrière des stipulations ambiguës qu’elle avait elle-même insérées dans la convention.

La société Severini, qui succombe en ses prétentions d’appelante, sera condamnée au paiement d’une somme de 3 000,00 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par ces motifs ,

La cour,

Reçoit la société Severini Pierres et Loisirs en son appel.

Confirme en toutes ses dispositions le jugement prononcé le 22 janvier 2014 par le tribunal de grande instance de Bordeaux.

Y ajoutant,

Condamne monsieur X C à payer à la société Severini Pierres et Loisirs la somme de 3 000,00 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société Severini Pierres et Loisirs aux dépens de l’appel.

Signé par Monsieur Michel Barrailla, Président, et par Madame Marceline Loison, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le Magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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Textes cités dans la décision

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