Cour d'appel de Colmar, Chambre 1 a, 30 mars 2010, n° 10/00513

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Colmar, ch. 1 a, 30 mars 2010, n° 10/00513
Juridiction : Cour d'appel de Colmar
Numéro(s) : 10/00513
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Colmar, 20 janvier 2010
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

MH/SD

MINUTE N°

Copie exécutoire à

— Me François-Xavier HEICHELBECH

— la SCP CAHN & Associés

Le 30.03.2010

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE COLMAR

PREMIERE CHAMBRE CIVILE – SECTION A

ARRET DU 30 Mars 2010

Numéro d’inscription au répertoire général : 1 A 10/00513

Décision déférée à la Cour : 21 Janvier 2010 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE A COMPETENCE COMMERCIALE DE COLMAR

APPELANTE :

SA Z A D’B C X DIT Y

XXX

représentée par Me François-Xavier HEICHELBECH, avocat à la Cour

Avocats plaidants : Me PARLEANI et Me POCAN, avocats à PARIS

INTIMEES :

SAS UNIVERS PHARMACIE

79A route de Neuf-Brisach 68000 COLMAR

UNION DES GROUPEMENTS DE PHARMACIENS D’OFFICINE UGDPO

XXX

Société DIRECT LABO

XXX

Représentées par la SCP CAHN & Associés, avocats à la Cour

Avocat plaidant : Me Hubert BENSOUSSAN, avocat à PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 09 Février 2010, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. HOFFBECK, Président de Chambre, entendu en son rapport

M. CUENOT, Conseiller

M. ALLARD, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme MUNCH-SCHEBACHER, Greffier

ARRET :

— Contradictoire

— prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.

— signé par M. Michel HOFFBECK, président et Mme Christiane MUNCH-SCHEBACHER, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Début décembre 2009, la SAS UNIVERS PHARMACIE et l’UNION DES GROUPEMENTS DE PHARMACIENS D’OFFICINE (UGDPO) ont fait assigner la SA Z A D’B C X (ci-après dénommée le Y), en se plaignant de ce que le groupe X, qui avait déjà mené en 2008 une campagne de publicité désobligeante à l’égard des offices de pharmacie, avait entrepris depuis le 20 novembre 2009 une nouvelle campagne de communication visant à la fois à discréditer les officines et à valoriser la parapharmacie X de manière fallacieuse et dommageable pour les demanderesses.

Elles ont indiqué que cette campagne était d’une grande ampleur, puisque l’ensemble des supports de communication a été mobilisé par le Y (télévision, radio, internet, journaux et magasines).

Elles ont notamment mis en avant une page intégralement consacrée à cette campagne, insérée dans le journal des Dernières Nouvelles d’Alsace du mardi 24 novembre 2009, rédigée en ces termes :

'En France, le prix d’un même médicament peut varier du simple au triple : il faut changer de traitement !

(suit la représentation d’un grand verre d’eau dans lequel se dissout une pièce d’un euro à l’image d’un cachet effervescent)

L’expérience le prouve, le prix des médicaments déremboursés subit une forte augmentation qui réduit le pouvoir d’B des consommateurs. 36% des Français ont déjà renoncé à l’B d’un médicament non remboursé en raison de son prix.

C’est inacceptable ! La ministre de la Santé a demandé aux officines, en juillet 2008, de mettre en libre-service ce type de médicaments afin que les consommateurs puissent comparer les prix.

Cette mesure n’a pas eu d’effet suffisant au point que les prix des 30 médicaments non remboursés les plus achetés peuvent varier du simple au triple ! Alors, pourquoi s’acharne-t-on à préserver le monopole officinal de la distribution des médicaments non remboursés '

Une vraie concurrence sur les prix doit être organisée. Comme ailleurs en Europe !

Nos parapharmacies sont des espaces spécialisés dédiés à la santé.

Nos docteurs en pharmacie ont toutes les compétences pour assumer conseils et commercialisation des médicaments non remboursés.

Alors pourquoi ne pourrait-on pas les vendre à prix E.X '

La Parapharmacie

E.X

www. sesoigner-moinscher.com'

Dans le dernier état de ses conclusions de première instance, visant les articles

L.121-1, L.121-8 et L.121-9 du Code de la Consommation, ainsi que l’article 1382 du Code Civil, la SAS UNIVERS PHARMACIE et l’UGDPO ont demandé au tribunal de condamner le Y à payer une somme de 250.000 Euros à la première et une somme de 1 million d’euros à la seconde en réparation du préjudice occasionné, d’ordonner la publication d’un extrait de la décision à intervenir dans quatre journaux quotidiens et deux hebdomadaire nationaux, d’ordonner également la publication intégrale sur le site 'www. sesoigner-moinscher.com', d’ordonner au Y de transmettre à chacune des demanderesses les références de chacun des supports utilisés pour la communication litigieuse sous peine d’astreinte, enfin d’ordonner au Y de cesser sans délai toute communication ayant un

sens proche ou similaire de celui repris à la page2 de la présente assignation (soit de la page des DNA reproduite en tête de la présente décision), sur tous supports (Internet, Télévision, Radio, Presse), sous peine d’astreinte.

La Société DIRECT LABO est intervenue volontairement à la procédure et a pris des conclusions similaires à celles des demanderesses initiales. Elle a réclamé, en ce la concerne, le paiement d’une somme de 100.000 Euros en réparation de son préjudice.

Par un jugement du 21 janvier 2010, la Chambre commerciale du Tribunal de Grande Instance de Colmar :

— a condamné le Y à cesser toute communication publicitaire faisant la promotion de ses produits, de son domaine d’activité, de son objet social, en utilisant une référence au prix des médicaments distribués en officine ;

— a dit que toute infraction constatée par huissier serait sanctionnée par une astreinte de 10.000 Euros, et ce dans les 48 heures de la signification du jugement ;

— a condamné le Y, éditeur du site 'www.se soigner-moinscher.com’ à publier en tête de site un avertissement au consommateur, expliquant que sa campagne d’opinion est soumise au changement de législation et en interdisant toute indication de prix des médicaments par mention ou comparaison ;

— a dit que la modification du site devrait être effective dans les huit jours de la signification du jugement, à peine d’une astreinte de 10.000 Euros par jour passé ce délai ;

— a condamné le Y à payer à chaque demanderesse et intervenante volontaire une somme de 30.000 Euros à titre de dommages-intérêts et une somme de 4000 Euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile,

— et a ordonné l’exécution provisoire.

Pour statuer dans ce sens, le tribunal retient essentiellement :

— que la communication litigieuse, par définition commerciale puisqu’elle vise à obtenir des parts de marché dans le secteur du médicament non remboursé, ne peut constituer une communication objective sur l’évolution du monopole ;

— que la notion de médicament qu’elle banalise n’est qu’un prétexte valorisant pour le secteur de la parapharmacie, et au-delà pour l’enseigne X, dès lors que l’argument du prix du médicament 'au prix X’ est celui de l’argumentaire naturel lancé sur les autres produits de la marque et invitant clairement à confondre les parapharmacies installées en grande surface avec celles relevant des officines ;

— que toute la présentation vise à générer chez le consommateur l’idée de l’effet thérapeutique indispensable et qui serait fourni chez 'X';

— que grâce à une méthode de publicité interprétative tendant à une stratégie conférant à la marque (X) les signes d’un groupe valorisant, agissant sur le consommateur moyen pour le changement de la norme lié à la santé moins chère, le communicant n’a en aucune façon respecté les règles déontologiques de l’information ;

— qu’il s’agit en outre d’allégations fausses sur la disponibilité du produit (médicament non remboursé), telles que prévues à l’article L.121-1 du Code de la Consommation ;

— qu’enfin, l’amalgame par l’assemblage de toutes ces informations, renvoyant à la profession de pharmacien, soit en utilisant sa réputation, soit en la dénigrant sur le terrain des prix par une emphase 'à prix X', dénuée de toute objectivité, et surtout en procédant subtilement à une confusion de présentation sur sa potentialité à vendre des médicaments, constitue un comportement de concurrence déloyale, principalement parasitaire ;

— que le Groupe X utilise la notoriété et la valeur du médicament tout en discréditant le dispensateur légal, et ce dans son seul intérêt.

Enfin, pour condamner le Y à cesser toute communication publicitaire faisant la promotion de ses produits, de son domaine d’activité, de son objet social, en utilisant une référence au prix des médicaments distribués en officine, le premier juge relève :

— que le monopole des pharmaciens, toujours légal, doit être respecté jusqu’à modification de la législation ;

— qu’il implique des contraintes et des responsabilités pour les pharmaciens, que les distributeurs n’assument aucunement ;

— qu’il convient donc d’interdire au Y de se prononcer sur le prix des médicaments qu’elle ne peut pas vendre et qu’elle ne doit pas vendre en l’état de la législation;

— que la défenderesse devra également faire paraître un avertissement sur son site Internet, lequel développe la question de l’évolution de la vente envisagée par d’autres circuits que le monopole.

Selon une déclaration enregistrée au greffe le 25 janvier 2010, la SA Z A D’B C X (Y) a interjeté appel de ce jugement.

Par ses dernières conclusions déposées à l’audience, elle demande à la Cour d’infirmer la décision entreprise et, statuant à nouveau au visa des articles 10 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et 1382 du Code Civil, de dire et juger qu’elle n’a commis aucune faute en diffusant la communication litigieuse, d’infirmer en conséquence intégralement le jugement et de prononcer la restitution des sommes versées au titre de l’exécution provisoire. Elle a demandé en outre le paiement par chacune des intimées d’une somme de 10.000 Euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi que leur condamnation aux dépens.

Au soutien de son appel, le Y fait plus précisément valoir :

— que la campagne litigieuse s’insère dans un vaste débat d’intérêt public général ;

— que le message est clair et unique : il vise évidemment la vente des médicaments non remboursés dans les parapharmacies à l’enseigne X et signale l’aptitude de ces parapharmacies à distribuer ces médicaments dès le vote d’une loi encore éventuelle ; il ne fait que revendiquer un changement de législation afin que les parapharmacies X puissent vendre des médicaments non remboursés ;

— que sauf à la dénaturer, il ne peut être donné un autre sens à la communication litigieuse ;

— que la partie adverse ne saurait lui opposer une prétendue illicéité en raison de la non disponibilité de médicaments dans les parapharmacies X, ce qui l’empêcherait de communiquer sur un prix auquel ils seraient vendus, dans la mesure la communication est en faveur d’un changement de législation ; qu’il est licite de communiquer sur les conséquences qui en résulteraient ; que cette discussion relève pleinement de l’article 10 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme ;

— que tout consommateur sait parfaitement ce qu’est un médicament non remboursé;

— que la capacité des 'parapharmacies E.X’ à distribuer des médicaments non remboursés dans un cadre légal est un engagement tout à fait possible ; que l’on peut et doit informer les consommateurs de cette réalité ;

— que les parapharmacies X sont d’ailleurs animées par des docteurs en médecine, titulaires du même diplôme que les officinaux ; qu’il ne peut être question de vendre des médicaments comme des produits alimentaires ;

— que si des textes du Code de la Santé Publique interdisent la publicité pour les offres commerciales des officines ou de leurs réseaux, ils ne concernent aucunement les opérateurs qui n’ont pas cette qualité ; que ces restrictions sont la conséquence du monopole légal des pharmaciens en officine, lesquels ne peuvent chercher à les imposer à ceux qui voudraient justement supprimer ledit monopole ;

— qu’il ne s’agit pas d’une publicité pour la vente de produits de parapharmacie ; qu’en effet, une lecture globale montre que le message ne concerne que la question du monopole de la vente des médicaments non remboursés ; que si le mot 'parapharmacie X’ figure dans le message, c’est uniquement parce que la vente de médicaments non remboursés hors officine ne pourrait se concevoir que dans les espaces actuels de parapharmacie animés par des docteurs en pharmacie ; qu’ensuite, le message est simplement l’affirmation d’une 'capacité’ à distribuer un jour les médicaments non remboursés ;

— qu’à supposer que le message puisse être compris comme valorisant la vente des produits de parapharmacie, les reproches des intimées ne sont pas fondés ; qu’en effet, le message ne contient pas l’affirmation que le 'prix X’ serait toujours et en tout lieu le prix le plus bas ; qu’en second lieu, le Mouvement X a toujours limité en faveur de la concurrence la plus large possible ; que le prix X est un prix compétitif dans une situation de marché ouvert, c’est-à-dire de vraie concurrence ; qu’enfin, les constats produits par la SAS UNIVERS PHARMACIE, tendant à établir que certains produits de parapharmacie vendus par elle seraient moins chers que chez X, doivent être pris avec précaution, notamment en raison du faible nombre de produits dont les prix sont comparés ;

— que ce n’est pas discréditer ou dénigrer que de constater une très importante variabilité des prix selon les pharmacies, et donc selon leurs zones de chalandise, et de l’imputer à une concurrence sans doute insuffisante ;

— que la communication litigieuse ne contient aucun jugement de valeur sur les qualités ou les capacités des officinaux ; qu’elle se borne à dresser un bilan économique et en termes de prix de la situation actuelle de monopole légal ;

— qu’au-delà de la concurrence qui existe aujourd’hui entre les pharmaciens, il est certain qu’il ne s’agit pas d’une concurrence pleine et entière entre plusieurs circuits de distribution ;

— qu’il est loisible d’appeler à un changement de législation, soit de 'traitement’ ; que ce terme n’est qu’un jeu de mots évoquant l’activité en cause ;

— que le message aux termes duquel une 'vraie concurrence sur les prix doit être organisée’ ne dit pas qu’il n’y a pas de vraie concurrence entre les pharmacies ; qu’il dit seulement que l’affichage public des prix des médicaments en vente libre sur le comptoir n’a pas eu d’effet suffisant, les prix pouvant varier du simple au triple ;

— qu’une vraie concurrence est celle dans laquelle plusieurs canaux de distribution différents coexistent, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui ;

— que les écarts de prix anormaux constatés signifient que nombre de pharmacies ne subissent pas actuellement de pression concurrentielle suffisante ;

— que faire suite à l’argumentaire adverse conduirait à une interdiction de se prononcer sur un sujet d’intérêt général, ce qui viderait de sa substance l’article 10 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme ; qu’en tout état de cause, une publicité peut être d’opinion, même si elle a quelque effet commercial ;

— qu’enfin, les demandes indemnitaires formées par les intimées n’ont aucune justification et le lien de causalité avec la campagne litigieuse n’est même pas esquissé.

Par des conclusions déposées le 8 février 2010, la SAS UNIVERS PHARMACIE, l’UGDPO et la Société DIRECT LABO demandent à la Cour de :

— statuer ce que de droit sur la recevabilité de l’appel interjeté par le Y, en toute hypothèse le déclarer non fondé ;

— débouter le Y de toutes ses prétentions, fins et conclusions ;

— confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions autres que celles liées au montant du préjudice, et non contraires au présent dispositif ;

L’infirmer sur ce dernier point, et statuant à nouveau sur le montant du préjudice,

— porter la condamnation du Y en réparation du préjudice des concluantes à la somme de 250.000 Euros pour chacune d’elles ;

— dire et juger que le Y devra retirer la mention actuelle figurant en tête du site 'www.se soigner-moinscher.com', ayant fait l’objet d’un constat d’huissier, et qu’elle devra respecter les dispositions du jugement sous l’astreinte prévue à cet effet par les premiers juges;

— condamner le Y à payer à chacune des trois sociétés requérantes la somme de 10.000 Euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu’aux dépens.

Les intimées font essentiellement observer en réplique :

— que le communiqué litigieux constitue une publicité trompeuse et déloyale injustifiable ;

— qu’en premier lieu, il s’agit d’une publicité trompeuse qui méconnaît les dispositions de l’article L.121-1. I .2°, a) et c) du Code de la Consommation, qualifiant de trompeuse toute pratique commerciale qui repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l’un ou plusieurs des éléments suivants :

+ l’existence, la disponibilité ou la nature du bien ou du service ;

+ le prix ou le mode de calcul du prix, le caractère promotionnel du prix et les conditions de vente, de paiement et de livraison du bien ou du service ;

— que ces pratiques commerciales trompeuses ne concernent pas seulement les sociétés en situation de concurrence ; que le droit de la concurrence régule le comportement des opérateurs sur les marchés en prenant en compte une clientèle potentielle ou en devenir ; qu’en l’occurrence, la clientèle pour les médicaments qui seraient en vente libre est potentielle ;

— qu’il s’agit d’une communication illicite sur le prix, en l’absence de disponibilité des produits ; que le médicament n’étant pas disponible pour le Groupe X, celui-ci ne peut communiquer sur un prix auquel il le vendrait ; qu’il viole ainsi les dispositions légales sus-visées ;

— qu’ensuite, X valorise confusément ses 'espaces dédiées à la santé’ ; qu’à travers les termes du communiqué, le consommateur vulnérable (celui à prendre en compte dans toute communication liée à la santé) peut comprendre que, désormais, l’on va soigner chez X ; que la présentation vise à générer chez le consommateur l’idée de l’effet thérapeutique indispensable qui serait fourni chez X ; que cela conduit à donner une apparence de certitude à une communication trompeuse ;

— qu’en second lieu, il ya concurrence déloyale et parasitaire ;

— que le dénigrement consiste notamment à jeter le discrédit sur un concurrent ou un concurrent potentiel en répandant à son propos ou au sujet de ses produits ou services, des informations fausses ;

— qu’en l’occurrence, le dénigrement et la pratique déloyale sont caractérisés d’emblée sur le thème 'il faut changer de traitement’ et sur l’expression 'c’est inacceptable… une vraie concurrence sur les prix doit être organisée', le pharmacien étant réduit à un 'traitement’ qu’il est impérieux de changer ; qu’il faut passer du pharmacien au distributeur X ; que le ton de cette communication et l’absence de nuances ne sont pas admissibles ; qu’il s’agit d’un dénigrement ouvert et non fondé de la pharmacie, qui ne seraient pas capables d’instaurer une vraie concurrence ;

— qu’en troisième lieu, le Y ne saurait mettre en avant les dispositions de l’article 10 de la la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme, dans la mesure où la communication n’entre pas dans le cadre de ce texte ; qu’en effet, s’il n’est pas question de contester la liberté de la partie adverse d’exprimer une opinion, la seule question est de

savoir si la campagne publicitaire litigieuse respecte loyalement les devoirs et les responsabilités qui s’attachent naturellement à l’exercice de cette liberté fondamentale ;

— qu’en l’occurrence, la publication vise exclusivement à satisfaire des intérêts purement commerciaux, puisque non seulement le Y revendique des parts d’un marché qu’il souhaite ouvrir la concurrence, mais surtout il clame par avance sa capacité à pratiquer des prix plus bas que ses concurrents potentiels, violant au passage les règles fondamentales applicables à ce marché où la publicité est très strictement réglementée ;

— que cette publicité est odieusement déloyale en ce qu’elle vise à discréditer auprès de la clientèle des concurrents potentiels qui eux, sont privés par la loi de toute possibilité de répondre à cette agression par la voie de la publicité.

SUR CE, LA COUR

Vu le dossier de la procédure, les pièces régulièrement versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles la Cour se réfère pour plus ample exposé des faits et moyens ;

Attendu préalablement que les sociétés intimées, qui concluent à ce qu’il soit statué ce que de droit sur la recevabilité de l’appel formé par le Y, n’indiquent pas ce qui justifierait éventuellement une telle déclaration d’irrecevabilité ; que dès lors, en l’absence de motif d’ordre public susceptible d’être soulevé d’office, il y a lieu de déclarer l’appel recevable ;

Attendu ensuite que, s’agissant de la recevabilité des demandes émanant de la SAS UNIVERS PHARMACIE et de la Société DIRECT LABO, c’est de façon très laconique que le Y soutient que le préjudice ou l’intérêt des clients non associés d’une entreprise ne constituerait pas un préjudice propre ou un intérêt personnel, ce qui justifierait de prime abord la réformation du jugement entrepris ; qu’en effet, d’une part elle ne soulève même plus cette irrecevabilité dans le dispositif de ses conclusions ; que d’autre part et en tout état de cause, comme le premier juge l’a retenu à bon droit, il existe manifestement pour ces deux sociétés un intérêt à agir, celles-ci étant constituées en centrales de référencement et d’achats, apportant par ailleurs une assistance aux officines de pharmacie pour réduire les coûts, tout en prônant le modèle de la pharmacie française fondé sur l’indépendance et la propriété aux pharmaciens ; que l’une et l’autre ont ainsi un intérêt économique direct à démontrer que la campagne entreprise par le Y, qui vise à promouvoir la vente des médicaments non remboursés hors de la pharmacie d’officine, leur est préjudiciable ;

Attendu que la recevabilité de la demande émanant de l’UGDPO, qui défend l’intérêt collectif des officines de pharmacie, n’est pas discutée ;

Attendu au fond qu’il convient de fixer strictement les contours du débat ;

Attendu que le tribunal ne pouvait pas, à travers une formulation générale, condamner le Y à cesser toute communication publicitaire faisant la promotion de ses produits, de son domaine d’activité, de son objet social, en utilisant une référence au prix des médicaments distribués en officine ; qu’en effet, il ne pouvait que se prononcer sur la licéité de pratiques bien définies et sur leur interdiction éventuelle ;

Attendu au demeurant que la demande initiale, qui tendait à obtenir la cessation de toute communication, sur tous supports (Internet, Télévision, Radio, Presse), 'ayant un sens proche ou similaire de celui repris à la page2 de la présente assignation’ (soit celle reproduite en tête de la présente décision), apparaissait elle-même trop générale pour être suivie en tant que telle ;

Attendu ainsi que la seule communication précisément définie et discutée par les parties est celle reproduite en tête de la présente décision, correspondant à la page insérée dans le journal des Dernières Nouvelles d’Alsace du mardi 24 novembre 2009 ; qu’il y a lieu de se tenir strictement aux seuls termes de cette communication pour apprécier tant sa licéité que pour juger de l’éventuelle interdiction de sa poursuite ;

Attendu au fond que le communiqué litigieux se présente effectivement comme une campagne d’opinion sur la nécessité d’ouvrir à la concurrence la vente des médicaments non remboursés ; que la société appelante est dès lors fondée à se prévaloir de la liberté d’expression reconnue à l’article 10 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme pour mettre en avant les résultats d’une enquête, dont l’objectivité n’est pas sérieusement mise en cause, tendant à établir que les prix des médicaments non remboursés les plus demandés, vendus en officines de pharmacie, varient aujourd’hui du simple au triple, et prônant en conséquence le fin du monopole des pharmaciens pour la vente des médicaments non remboursés ;

Attendu certes que, comme le soutiennent les intimées, la liberté d’expression trouve ses limites dans le respect des droits et libertés d’autrui ;

Attendu que la Société UNIVERS PHARMACIE, la Société DIRECT LABO et le Syndicat UGDPO soutiennent à cet égard que la communication litigieuse ne saurait se justifier par la liberté d’expression, compte tenu du caractère 'odieusement déloyal’ de cette publicité commerciale, uniquement faite pour satisfaire des intérêts personnels commerciaux, en ce qu’elle vise à discréditer auprès de la clientèle des concurrents potentiels, soit les offices de pharmacie, qui sont privées de la possibilité de répondre à cette agression par la voie publicitaire ;

Attendu que, dans l’instance d’appel, elles invoquent précisément d’une part la publicité trompeuse sur le fondement de l’article L.121-1 du Code la Consommation, d’autre part la concurrence déloyale et parasitaire (mais elles ne soutiennent plus qu’il y aurait une publicité comparative illicite, fondée sur les articles L.121-8 et L.121-9 du Code de la Consommation) ;

Sur l’article L.121-1 du Code de la Consommation :

Attendu que les demanderesses et intimées invoquent en premier lieu les dispositions de l’article L.121-1. I .2°, a) et c) du Code de la Consommation, qualifiant de trompeuse toute pratique commerciale qui repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l’un ou plusieurs des éléments suivants :

— l’existence, la disponibilité ou la nature du bien ou du service ;

— le prix ou le mode de calcul du prix, le caractère promotionnel du prix et les conditions de vente, de paiement et de livraison du bien ou du service ;

Attendu que le tribunal a accueilli la demande au visa de ce texte, en retenant qu’il ressortait de la communication litigieuse des allégations et indications fausses tant sur la disponibilité du produit (médicament non remboursé) que sur les prix annoncés, amenant à une confusion dans l’esprit du consommateur entre les espaces santé, médicaments et parapharmacie ;

Attendu cependant que les pratiques déloyales visées à l’article L.121-1 du Code de la Consommation, destinées à protéger le consommateur, concernent nécessairement la promotion de la vente de biens ou services effectivement proposés sur le marché ;

Attendu au demeurant que la jurisprudence communautaire (Arrêt de la Cour de Justice du 16 janvier 1992) retient que la qualification d’une publicité trompeuse suppose qu’il soit préalablement établi que la décision d’B d’un nombre significatif de consommateurs auxquels s’adresse la publicité incriminée a été prise au vu de cette publicité, dans l’ignorance de certains éléments ou dans la croyance erronée en d’autres éléments qui, s’ils avaient été connus ou avérés, auraient fait renoncer ce nombre significatif de personnes à leur décision d’B, de sorte que cette publicité a effectivement affecté le comportement économique des personnes auxquelles elle s’adresse ;

Attendu que cette jurisprudence a été reprise par la Cour de Cassation dans un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de Cassation du 7 juillet 2009 (n° 08-11660) ;

Attendu en l’occurrence que, en l’état de la législation, le médicament non remboursé, objet de la publication litigieuse, n’est pas commercialisé et ne peut être commercialisé par la grande distribution en général ou par le Y en particulier ; qu’il relève du monopole des pharmaciens en officine ; que les demanderesses et intimées ne soutiennent évidemment pas que la publication litigieuse aurait pu affecter le comportement économique des personnes auxquelles elle s’adresse, puisque le médicament non remboursé ne peut qu’être acheté en pharmacie ; qu’on ne peut donc reprocher à la défenderesse et appelante d’avoir effectué une publicité trompeuse sur un produit dont elle n’avait pas la disposition et qu’elle ne pouvait pas mettre en vente ;

Attendu dès lors que c’est à tort que le premier juge a accueilli la demande sur ce fondement ;

Sur la concurrence déloyale et parasitaire :

Attendu que les demanderesses et intimées fondent également leurs prétentions sur la concurrence déloyale et parasitaire ;

Attendu d’abord que les prétendues pratiques illicites, tenant notamment à l’aspect trompeur des termes de la publication, écartées en tant que telles dans les motifs sus-développés, ne sont évidemment pas susceptibles de fonder une action en concurrence déloyale ;

Attendu en second lieu que les demanderesses et intimées reprochent au Y une concurrence déloyale par dénigrement ; qu’elles l’estiment établie en ce qu’il est mentionné dans la communication qu’en France 'le prix d’un même médicament peut varier du simple au triple', qu’il 'faut changer de traitement’ et qu’une 'vraie concurrence sur les prix doit être organisée', ce qui voudrait dire en substance que c’est nécessairement plus cher lorsqu’on va dans une pharmacie, que les pharmaciens ne seraient pas capables d’instaurer une vraie concurrence, et qu’une vraie compétence ne se trouverait que chez les 'docteurs en pharmacie’ de la parapharmacie X, qui 'ont’ d’ores et déjà toutes les compétences pour assumer la commercialisation des médicaments non remboursés ;

Attendu cependant que ces griefs ne visent en réalité que les pharmaciens en officines, ainsi que le prix du médicament qui est le monopole du pharmacien en officine, alors qu’il est constant que les officines ne sont concurrentes de la grande distribution X que sur le terrain de la parapharmacie ;

Attendu que, pour tenter de contourner cet obstacle juridique, les demanderesses et intimées ne sauraient sérieusement soutenir que l’on serait dans une situation de concurrence 'potentielle', alors que la vente des médicaments, en l’état de la législation, relève exclusivement des pharmacies et qu’il n’est pas actuellement question de modifier cette législation ; qu’en tout état de cause, elles ne sont pas fondées à invoquer la campagne d’opinion entreprise par le Groupe X pour soutenir qu’il y aurait là une concurrence 'potentielle’ ;

Attendu dès lors que l’allégation d’une concurrence déloyale au moyen du dénigrement se trouve manifestement sans portée, puisqu’il n’y a précisément pas de concurrence en l’état actuel de la distribution des médicaments au détail ;

Attendu au surplus qu’il sera observé que les demanderesses et intimées, qui prétendent que la publication litigieuse mettrait en cause la réputation et la compétence des pharmaciens en officine, n’ont pas engagé d’action en diffamation sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881, dont les modalités ressortent d’un régime juridique particulier ;

Attendu en troisième lieu que les demanderesses et intimées invoquent encore une 'concurrence parasitaire’ (page 8 de leurs conclusions), mais sans indiquer précisément en quoi elle serait constituée, alors qu’il a déjà été vu plus haut qu’il n’y a pas de concurrence entre le pharmacien en officine qui vend des médicaments au détail et la grande distribution qui commercialise des produits de parapharmacie ;

Attendu enfin qu’elles ne soutiennent pas que la partie adverse aurait pu commettre des agissements parasitaires, distincts de la concurrence déloyale ;

Attendu en conséquence que les demanderesses et intimées ne démontrent ni l’existence d’une publicité trompeuse, ni des actes de concurrence déloyale ou parasitaire, susceptibles de justifier une entrave à la liberté d’expression dont bénéficie le Y en vertu de l’article 10 de la la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme; que dès lors, sans qu’il soit nécessaire d’aller plus loin dans l’analyse des moyens et arguments de la société appelante, il convient d’infirmer le jugement entrepris et de débouter les demanderesses et intimées de toutes leurs prétentions initiales, y compris celles relatives au site Internet 'www.se soigner-moinscher.com’ ;

Attendu au demeurant que l’illicéité de la communication faite à partir de ce site n’a été retenue ni par le premier juge, qui admet qu’il s’agit bien d’une campagne d’opinion, susceptible de bénéficier dès lors de la liberté d’expression consacrée à l’article 10 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme, ni par la Cour qui a estimé que le contenu de ce site était hors débats, en l’absence de toute véritable discussion à son sujet ;

Attendu enfin que les intimées seront déboutées de leur demande incidente formée dans l’instance d’appel, relativement au dénigrement dont elles auraient fait l’objet à travers la publication en tête dudit site, fermé par elle sans qu’elle n’y soit contraint par le jugement, d’un communiqué libellé en ces termes : 'Par décision de justice en première instance, deux groupements de pharmaciens nous ont contraints à le fermer, considérant qu’une information sur les écarts et les niveaux de prix pratiqués sur les médicaments non remboursés portait atteinte à leur profession. Pour autant, nous restons convaincus que la transparence des prix reste le meilleur garant de l’accès aux médicaments du quotidien pour tous’ ; qu’elles estiment que cette mention repose sur des affirmations fausses et constituent une nouvelle forme de dénigrement à leur égard ; qu’elles concluent en conséquence que le Y devra retirer ladite mention figurant en tête du site actuellement fermé et qu’elle devra respecter les dispositions du jugement entrepris ;

Attendu cependant que, si effectivement le tribunal n’a pas précisément ordonné la fermeture du site, il ne peut davantage y avoir un dénigrement à travers les termes de ce communiqué pour les mêmes motifs que ceux développés plus haut ; qu’en outre, la fermeture provisoire du site, dans l’attente de la décision de la Cour, a pu constituer une mesurer de prudence indispensable pour le Y, dans la mesure où le tribunal l’avait condamné, en des termes généraux et avec exécution provisoire, à cesser toute communication utilisant une référence au prix des médicaments distribués en officine, et ce sous peine d’astreinte ;

Attendu que cette demande incidente sera donc également rejetée ;

Attendu que le résultat de la procédure commande de laisser les entiers dépens à la charge des demanderesses et intimées ;

Attendu par contre que les circonstances du litige et l’équité excluent qu’il soit fait application de l’article 700 du Code de Procédure Civile (première instance et appel) au profit de la SA Z A D’B C X ;

PAR CES MOTIFS,

Reçoit les appels, régulier en la forme ;

Au fond :

Infirmant le jugement entrepris et, statuant à nouveau,

Déboute la SAS UNIVERS PHARMACIE, la Société DIRECT LABO et l’UNION DES GROUPEMENTS DE PHARMACIENS D’OFFICINE (UGDPO) de leurs prétentions;

Les condamne aux dépens de première instance et d’appel ;

Rejette toutes autres prétentions.

Le Greffier, Le Président,

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Cour d'appel de Colmar, Chambre 1 a, 30 mars 2010, n° 10/00513