Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 13 janvier 2022, n° 20/00576

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Douai, troisieme ch., 13 janv. 2022, n° 20/00576
Juridiction : Cour d'appel de Douai
Numéro(s) : 20/00576
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer, 30 décembre 2019, N° 16/01995
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

République Française


Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

TROISIÈME CHAMBRE

ARRÊT DU 13/01/2022


N° de MINUTE : 22/13


N° RG 20/00576 – N° Portalis DBVT-V-B7E-S34V


Jugement (N° 16/01995) rendu le 31 décembre 2019 par le tribunal de grande instance de Boulogne sur Mer

APPELANT

Monsieur A Y

né le […] à […]

de nationalité française

[…]

[…]


Représenté par Me B C D, avocat au barreau de Douai et Me André-François Bouvier, avocat au barreau de Paris substitué par Me Godet, avocat au barreau de Paris

INTIMÉES

SARL Soprepart agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.

[…]

appt 62

[…]

SAS Charlitt agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.

[…]

[…]


Représentées par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai et Me Benoît Callieu, avocat au barreau de Boulogne-sur-Mer, substitué par Me Lasuen, avocat au barreau de Boulogne sur Mer COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ


Guillaume Salomon, Président de Chambre


Claire Bertin, conseiller


Danielle Thébaud, conseiller


---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Fabienne Dufossé

DÉBATS à l’audience publique du 14 octobre 2021 après rapport oral de l’affaire par Guillaume Salomon


Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 13 janvier 2022 après prorogation du délibéré en date du 16 décembre 2021 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président, et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 27 septembre 2021

****

EXPOSE DU LITIGE :

1. Les faits et la procédure antérieure :


La SAS Charlitt exerce une activité de fabrication et de pose de charpente et d’ossature en bois.


La SARL Soprepart est la société-mère de la société Charlitt, dont elle détient 90 % du capital social. Elle en exerce la présidence depuis juillet 2015.


Le 5 janvier 2011, la société Soprepart, représentée par M. X, son président, a conclu avec la société Charlitt, qui était également dirigée à cette date par M. X, une convention règlementée d’assistance aux termes de laquelle cette holding s’engageait à fournir à sa filiale des prestations d’ordre administratif, comptable, technique et commercial, moyennant des honoraires versés par la société Charlitt et calculés en fonction du temps et de la qualification des intervenants mis à sa disposition dans le cadre de cette convention.


Alors qu’il n’était pas rémunéré par la société Charlitt, M. X a notamment fourni, en exécution de cette convention, des prestations à cette société, qui a alors procédé à la déduction fiscale des honoraires qu’elle a versés à ce titre à la société Soprepart.


Le commissaire aux comptes de la société Charlitt était M. A Y, alors que son expert-comptable était la société Comexpert.


Le 2 octobre 2015, l’administration fiscale a notifié à la société Charlitt une proposition de rectification remettant en cause la déductibilité des honoraires versés au titre des prestations réalisées pour son compte par M. X en exécution de cette convention et conduisant à un redressement total de 368 911 euros portant sur les exercices 2012 à 2014, tant au titre de la TVA déduite sur les factures payées par la société Soprepart qu’au titre de l’impôt sur les sociétés à la suite de la réintégration dans son résultat imposable des sommes versées à la société holding.


Sur les observations formulées par la société Charlitt, la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires a émis un avis favorable aux rectifications envisagées par l’administration fiscale.


Les sommes redressées ont été mises en recouvrement le 29 juillet 2016.


Par acte du 30 juin 2016, la société Charlitt a assigné en responsabilité professionnelle M. Y et la société Comexpert devant le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-mer.


Elle s’est ultérieurement désisté de son instance à l’égard de la société Comexpert, en l’absence de respect d’une conciliation préalable stipulée dans le contrat la liant à son expert-comptable.


Par acte du 14 décembre 2016, M. Y a assigné la société Soprepart pour qu’elle soit condamnée à le relever indemne et le garantir de toute condamnation qui pourraient être prononcées à son encontre.


Les instances ont été jointes.

2. Le jugement dont appel :


Par jugement rendu le 31 décembre 2019, le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-mer a :


- dit que M. Y a commis une faute, en sa qualité de commissaire aux comptes de la société Charlitt, lors du contrôle et de la certification des comptes des exercices comptables des années 2012, 2013 et 2014 ;


- condamné M. Y à payer à la société Charlitt la somme de 368 911 euros de dommages-intérêts au titre des conséquences financières de la rectification du 2 octobre 2015 ;


- débouté la société Charlitt du surplus de ses demandes de dommages-intérêts ;


- condamné la société Soprepart à relever et garantir M. Y des condamnations prononcées à son encontre à hauteur du tiers, y compris au titre des dépens et des frais irrépétibles ;


- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;


- condamné M. Y aux dépens et à payer à la société Charlitt la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;


- débouté M. Y de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile';


- autorisé la distraction des dépens ;


- ordonné l’exécution provisoire de son jugement.

3. La déclaration d’appel :


Par déclaration du 29 janvier 2020, M. Y a formé appel de ce jugement en limitant la contestation du jugement critiqué aux seuls chefs du dispositif numérotés 1, 2, 4, 5, 6, 7 et 9 ci-dessus.
4. Les prétentions et moyens des parties :

4.1.Aux termes de ses dernières conclusions n°5 notifiées le 4 juin 2021, M. Y, appelant, demande à la cour d’infirmer le jugement critiqué des chefs visés par sa déclaration d’appel et statuant à nouveau, de :


-> déclarer irrecevable comme prescrite la société Charlitt, dans toutes ses demandes se rapportant aux redressements sur l’exercice clos le 31 décembre 2012 soit la somme de 193 101 euros ;


-> sur le fond,

* débouter la S.A.S. Charlitt de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions à l’égard de M. Y et de son appel incident ;


- subsidiairement, dans l’hypothèse où M. Y ferait l’objet d’une condamnation quelconque :

* fixer le préjudice réparable à la perte de chance d’éviter les redressements réglés par la société Charlitt trouvant leur cause dans des règlements postérieurs au 31 décembre 2013 ;

* condamner la société Soprepart à garantir entièrement M. Y de l’ensemble des condamnations mises à sa charge en principal, intérêts et frais ;


- en tout état de cause,

* «'condamner solidairement la société Charlitt et la société Soprepart à lui verser chacune la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile'» ;

* condamner la société Charlitt et la société Soprepart aux entiers dépens dont distraction au profit de Maitre B-C D.


A l’appui de ses prétentions, M. Y fait valoir que :


- l’action en responsabilité à son encontre est prescrite pour les faits antérieurs au 31 décembre 2012 : l’ordonnance du conseiller de la mise en état rendue le 15 avril 2021 est définitive, à défaut d’avoir été déférée à la cour. La demande en paiement de la somme de 193 101 euros correspondant au redressement au titre de l’année 2012 n’est ainsi pas recevable.


- l’action n’est pas fondée au titre des exercices 2013 et 2014. La preuve d’une défaillance en qualité de commissaire aux comptes n’est pas rapportée, alors qu’au titre d’une convention réglementée, il n’appartient pas à ce professionnel de procéder à un audit technique ou juridique destiné à évaluer son utilité ou son bien-fondé, mais seulement de communiquer à l’organe délibérant les caractéristiques et les modalités essentielles d’une telle convention. À cet égard, l’expert comptable est soumis à une obligation de non-immixtion prévue par l’article L. 823-10 du code de commerce qui lui fait interdiction de délivrer des conseils en matière fiscale. Il vise également l’article L. 822-11 II du même code. Par conséquent, il ne peut lui être reprochée de ne pas avoir procédé à une analyse fiscale de cette convention.


En outre, une telle convention s’inscrit dans le cadre normal d’une externalisation de certaines prestations au sein d’un groupe, alors que le droit des sociétés autorise la rémunération de tiers pour des fonctions de direction. En l’absence de toute irrégularité apparente, il ne lui appartenait pas de mettre en cause la déductibilité des honoraires versés à Soprepart figurant dans les charges de la société Charlitt, alors qu’au surplus, cette convention avait été conseillée par un expert-comptable et par la société Soprepart elle-même, qui avait reçu une mission de conseil en matière fiscale à l’égard de sa filiale.
- il n’a pas reconnu son obligation de procéder à un tel contrôle de déductibilité dans le cadre de ses conclusions devant les premiers juges. En droit, seul un aveu sur une question de fait est admis, et non sur une règle de droit. Il n’a ainsi admis que son absence de connaissance de la convention litigieuse, alors que la suite de son argumentaire devant les premiers juges concerne l’hypothèse qu’il conteste où il en aurait été informé. Le contexte des termes employés révèle en outre qu’il n’admettait pas à sa charge une obligation d’analyser les conséquences fiscales de la convention, et notamment un risque de redressement par l’administration fiscale. Alors que sa mission contractuelle ne lui fait pas une telle obligation, la référence au recours à des SACC (services autres que la certification des comptes), qui excède la seule mission de certification dont il a été chargé, est sans incidence.


- de même, il conteste qu’ayant refusé de certifier les comptes 2017 en invoquant l’absence de justifications économiques à certaines facturations, il s’en déduise qu’il aurait dû émettre des réserves sur les comptes de 2012 à 2014. Un tel refus s’est exclusivement inscrit dans le cadre de contrôles par sondages.


- le redressement fiscal relève de la seule responsabilité de la société Charlitt, qui n’a pas opposé à l’administration fiscale les termes d’un arrêt rendu par la chambre commerciale le 24 novembre 2015 de nature à invalider l’argumentaire de la proposition de rectification dans le cadre d’une instance contentieuse à laquelle cette société a renoncé. Une telle défense aurait pourtant conduit à limiter ou supprimer les conséquences dommageables d’un tel redressement. En outre, le redressement repose également sur l’incapacité des sociétés Charlitt et Soprepart à justifier l’existence même de certaines prestations, de sorte qu’un tel grief leur incombe exclusivement et qu’il appartenait à ces sociétés d’apporter les justifications de la réalité de telles prestations contestées par l’administration fiscale.


- la renonciation par les sociétés Charlitt et Soprepart à exercer un recours contentieux ne repose pas sur un conseil ou un avis qu’il leur aurait adressé. À cet égard, il a exclusivement justifié son opinion de refuser la certification des comptes 2016 par l’absence d’inscription d’une provision dans les comptes sociaux pour prendre en compte le montant du redressement fiscal notifié en octobre 2015. Il avait d’ailleurs informé ces sociétés qu’il ne lui incombait pas de leur apporter un conseil en procédure fiscale, alors que l’initiative d’une action contentieuse leur appartenait exclusivement.


- le préjudice allégué n’est pas indemnisable, dès lors que :

. seule l’indemnisation d’une perte de chance d’éviter le redressement sur la période non prescrite pourrait être invoquée à son encontre. Sur ce point, outre que le commissaire aux comptes ne peut que constater a posteriori l’existence de la convention litigieuse, il n’est pas démontré que les sociétés Charlitt et Soprepart auraient renoncé à un tel montage ou l’aurait modifié si elles avaient été informées de l’absence de déductibilité des charges. Alors qu’il existait des arguments pour combattre la position de l’administration fiscale, aucune perte de chance n’est valablement démontrée par ces deux sociétés.


- aucun lien de causalité n’existe entre la faute alléguée au titre de la certification des comptes et le redressement subi au titre de l’exercice 2013, dès lors que cette certification n’est intervenue qu’en juin 2014, date à laquelle les sommes litigieuses avaient déjà été comptabilisées en charge dans les comptes de la société Charlitt et versées à la société Soprepart. L’hypothèse d’un remboursement n’aurait pas modifié la situation, mais confirmé au contraire la majoration reprochée par l’administration fiscale.

. le rappel d’impôt légalement dû n’est pas un préjudice indemnisable. La société Charlitt invoque elle-même auprès des services fiscaux que l’impôt sur les sociétés redressé correspond pour une partie importante à des honoraires versés à la société Soprepart qui ne résultaient pas de prestations inhérentes à la qualité de dirigeant de M. X, de sorte que le redressement n’aurait pu être évité à ce titre en nommant la société Soprepart en qualité de président. En outre, le caractère exagéré des sommes versées à M. X était de nature à exclure la déductibilité en application de l’article 39 1-1° du code des impôts, de même que leur absence de correspondance à un travail effectif au regard de la comparaison entre les montants versées et l’amplitude horaire limitée de ces prestations. En tout état de cause, l’administration fiscale aurait ainsi procédé à un redressement à ce titre.

. la TVA redressée ne peut être indemnisée. Les prestations correspondant aux fonctions de dirigeant n’étant pas déductible au titre de la TVA, la circonstance que la société Soprepart aurait été nommée président et aurait été rémunéré à ce titre aurait conduit à un tel redressement.

. les intérêts de retard ne sont pas indemnisables, alors que la société Charlitt a bénéficié d’un avantage de trésorerie en ne procédant au règlement des impositions redressées fin 2016, alors qu’elle aurait dû s’en acquitter annuellement entre 2013 et 2015.

. le préjudice résultant du trouble et des démarches engendrés par le redressement fiscal ou d’une atteinte à l’image n’est pas établi.


- la société Soprepart doit le garantir de toute condamnation prononcée à son encontre. La faute contractuelle commise par la société Soprepart, qui consiste à s’être engagé à fournir une prestation de services dans des conditions fiscalement critiquables et à avoir validé sur chaque exercice la déductibilité des honoraires que lui versait la société Charlitt, lui cause un préjudice et lui permet d’engager la responsabilité délictuelle de la société Soprepart. Sur ce point, il importe peu que la convention ait été rédigée par un expert-comptable.

4.2.Aux termes de leurs conclusions notifiées le 16 juin 2021, la société Charlitt et la société Soprepart, intimées et appelantes incidentes, demandent à la cour de :


-> confirmer le jugement en ce qu’il a :


- dit que M. Y a commis une faute, en sa qualité de commissaire aux comptes de la SAS Charlitt, lors du contrôle et de la certification des comptes des exercices comptables des années 2012, 2013 et 2014 ;


- condamné M. Y à payer à la SAS Charlitt la somme de 368 911 euros de dommages et intérêts au titre des conséquences financières de la rectification du 2 octobre 2015 ;


- condamné M. Y à verser à la SAS Charlitt la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,


- débouté M. Y de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,


- condamné M. Y aux entiers dépens,


- autorisé le recouvrement direct des dépens dans les conditions prévues à l’article 699 du code de procédure civile,


- ordonné l’exécution provisoire du jugement.


-> l’infirmer en ce qu’il a :


- débouté la SAS Charlitt du surplus de ses demandes de dommages et intérêts ;


- condamné la SARL Soprepart à relever et garantir M. Y des condamnations prononcées à son encontre à hauteur d’un tiers, y compris au titre des dépens et des frais irrépétibles ;


- débouté les sociétés Charlitt et Soprepart de leurs autres demandes.
et statuant à nouveau :

à titre principal, vu les articles L. 823-10 et L. 822-17 du code de commerce et 1356 du code civil,


- constater l’aveu judiciaire émis par M. Y dans le cadre de la présente instance,


- dire M. Y responsable du préjudice subi par la société Charlitt du fait de son redressement fiscal,

en conséquence,


- condamner M. Y, à verser à la société Charlitt, la somme de 265 790 euros, en réparation du préjudice subi,

à titre subsidiaire,


- limiter la garantie de la société Soprepart à un tiers des sommes mises à la charge de M. Y,

en toutes hypothèses,


- condamner M. Y, à verser à la société Charlitt, la somme de 10 000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile,


- le condamner aux entiers frais et dépens, dont distraction au profit de la SCP Processuel.


A l’appui de leurs prétentions, les sociétés Charlitt et Soprepart font valoir que :


- leurs demandes au titre des exercices 2013 et 2014 sont recevables.


- le commissaire aux comptes n’a jamais signalé l’irrégularité du montage convenu le 5 janvier 2011 et l’absence corrélative de déductibilité des honoraires versés par la filiale à sa société-mère, alors que la jurisprudence fiscale était établie sur ce point pour considérer que les prestations réalisées auraient pu être directement effectuées par M. X en sa qualité de dirigeant de la société Charlitt de sorte qu’elles étaient dépourvues de cause et ne pouvaient par conséquent être déduites fiscalement. M. Y aurait dû conseiller soit de ne pas conclure la convention litigieuse, soit de nommer la société Soprepart en qualité de présidente de la société Charlitt pour échapper à la critique formulée par l’administration fiscale.


Outre un tel manquement à son obligation de vigilance, M. Y a manqué à son obligation de contrôle et de surveillance. À cet égard, dès lors qu’il appartient au commissaire aux comptes de vérifier que les comptes annuels sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle du résultat de l’entreprise et de sa situation financière et patrimoniale, il entre dans la mission de s’assurer de la déductibilité fiscales des charges. La société Charlitt n’a en revanche pas sollicité que M. Y donne son avis sur l’utilité de la convention. Il lui appartient cependant de vérifier la légalité des conventions règlementées qui figurent dans son rapport, dès lors qu’elles ont un impact sur la présentation fidèle des comptes. M. Y a d’ailleurs passé l’aveu judiciaire devant les premiers juges qu’il entrait dans sa mission de vérifier une telle déductibilité et la régularité de la convention d’assistance.


- la circonstance que la société Charlitt soit une SAS est indifférente : à cet égard, l’argumentaire selon lequel l’article L. 227-5 du code de commerce autorise une telle société à confier sa direction générale à une société tierce par la voie d’une convention de services n’aurait pu être valablement opposé à l’administration fiscale. Une telle solution n’aurait en outre pas empêché l’irrégularité liée à l’absence de contrepartie des sommes versées à la société fournissant l’assistance.
La société Charlitt n’a ainsi commis aucune faute en ne contestant pas l’analyse du controleur fiscal devant les juridictions. Elle a en définitive suivi l’avis de son commissaire aux comptes, lui ayant indiqué dans son rapport du 27 juin 2017 que «'aucun élément d’appréciation ne [lui] permet à ce jour de prévoir une issue favorable de la procédure contentieuse'».


L’action en responsabilité à l’encontre de M. Y ne présente pas un caractère subsidiaire, de sorte qu’il est indifférent qu’elles n’aient pas agi à l’encontre de l’expert-comptable.


- le lien de causalité entre les fautes commises par M. Y et la rectification d’imposition est établie. Si ce dernier les avait alerté du risque fiscal, elles n’auraient pas conclu la convention litigieuse, de sorte qu’une perte de chance 99,99 % doit être retenue. De même, étant informée, la société Soprepart aurait pu procéder au remboursement des sommes à destination de sa filiale.


Si la convention d’assistance n’avait pas été conclue, la société Charlitt aurait pu déduire la TVA puisque la société Soprepart aurait été nommée présidente et aurait en conséquence facturé sa prestation avec de la TVA.


Seule l’hypothèse où un impôt est réellement du conduit à prendre en compte le bénéfice tiré par la société de la conservation, dans son patrimoine de l’impôt dû pour calculer le préjudice tiré des intérêts de retard.


S’agissant du réhaussement de l’impôt sur les sociétés, M. Y préjuge de l’appréciation par l’administration fiscale du caractère excessif des prestations fournies par M. X et de l’absence de travail effectif correspondant aux rémunérations versées, alors qu’aucun élément n’appuie une telle allégation.


L’administration fiscale ayant envisagé la société Charlitt comme potentielle fraudeuse, il en résulte à son encontre un préjudice d’image, étant précisé qu’un nouveau contrôle fiscal est intervenu en 2020 en raison d’un tel précédent.


- les condamnations prononcées à l’encontre de M. Y ne doivent pas être garanties par la société Soprepart. D’une part, cette dernière n’a commis aucune faute. La mission confiée à la société Soprepart ne comporte aucune vérification complète de la comptabilité aux règles en vigueur, mais seulement des consultations sur des questions fiscales ponctuelles. D’autre part, la société Soprepart ne conseillait pas encore sa filiale au moment de la conclusion de la convention litigieuse, à laquelle elle était partie. Enfin, la responsabilité du professionnel du chiffre n’est pas exclue en cas de compétences personnelles de l’une ou l’autre des parties à la convention.

M. Y ne peut solliciter la garantie intégrale des condamnations au motif que l’expert-comptable a contribué pour un tiers au préjudice et qu’il n’est pas dans la cause, alors que l’obligation à la dette est intégrale dès lors que l’expert-comptable et ce commissaire aux comptes ont concouru à ce préjudice et qu’il appartient à M. Y d’exercer un éventuel recours en contribution à l’encontre de la société Comexpert.


Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la responsabilité du commissaire aux comptes :


En vertu de l’article L. 822-17 du code de commerce, les commissaires aux comptes sont responsables, tant à l’égard de la personne ou de l’entité que des tiers, des conséquences dommageables des fautes et négligences par eux commises dans l’exercice de leurs fonctions.
En l’espèce, il résulte du rapport établi par M. Y au titre de l’exercice 2012 (pièce 13) que l’assemblée générale de la société Charlitt lui a confié une mission de contrôle des comptes sociaux annuels. Dans le cadre de sa mission légale, il procède également à l’établissement d’un rapport sur les conventions règlementées en application de l’article L. 227-10 du code de commerce.


Sa responsabilité est fondée sur l’inobservation des obligations mises à sa charge par les dispositions du code de commerce qui lui sont applicables et sur la violation des normes professionnelles.


Le commissaire étant tenu d’une obligation de moyens dans l’accomplissement de sa mission, le demandeur à l’action doit établir la faute du commissaire, le préjudice qu’il a subi et le lien de causalité.

Sur les manquements reprochés à M. Y :


L’ordonnance rendue le 15 avril 2021 par le magistrat chargé de la mise en état n’ayant été déférée à la cour dans les délais requis, elle est définitive, de sorte que seules sont recevables les demandes indemnitaires formulées par les sociétés Charlitt et Soprepart à l’encontre de M. Y au titre de la certification des exercices 2013 et 2014. Pour autant, si aucune indemnisation ne peut intervenir au titre de l’exercice 2012, la détermination d’une faute commise par M. Y implique de se référer à son comportement dans l’exercice de sa mission de certification des comptes à partir de 2011.


En vertu des dispositions de l’article L. 823-9 du code de commerce, le commissaire aux comptes est tenu de certifier que les comptes annuels sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle du résultat des opérations de l’exercice écoulé, du patrimoine de la société que de la situation financière de celle-ci.


L’article L. 822-11.II du code de commerce, dans sa version en vigueur du 9 septembre 2005 au 17 juin 2016, dispose qu'«'il est interdit au commissaire aux comptes de fournir à la personne ou à l’entité qui l’a chargé de certifier ses comptes, ou aux personnes ou entités qui la contrôlent ou qui sont contrôlées par celle-ci au sens des I et II du même article, tout conseil ou toute autre prestation de services n’entrant pas dans les diligences directement liées à la mission de commissaire aux comptes, telles qu’elles sont définies par les normes d’exercice professionnel mentionnées au sixième alinéa de l’article L. 821-1'».


Le code de déontologie dans son titre II section I confirme une telle séparation de l’audit et du conseil, indiquant qu’il est interdit au commissaire aux comptes de procéder au bénéfice de l’entité dont il certifie les comptes «'à la fourniture de toute prestation de service, notamment de conseil en matière juridique, financière, fiscale ou relative aux modalités de financement'», de sorte qu’est interdite toute prestation de services n’entrant pas dans les diligences directement liées à la mission de certification.


Pour autant, le commissaire aux comptes doit avoir connaissance du cadre législatif et règlementaire dans lequel fonctionne la société pour remplir son obligation de fournir à l’entité qu’il contrôle un avis sur la régularité et la sincérité de ses comptes, étant précisé que ce cadre comprend les dispositions fiscales qui lui sont applicables.


À cet égard, il résulte notamment du rapport établi par M. Y au titre de l’exercice 2016 (pièce 15) qu’il a adressé des observations au président de la société Charlitt, portant notamment sur :


- une charge correspondant à des frais de déplacements professionnels du couple X au Japon, indiquant que «l’administration fiscale pourrait rejeter tout ou partie de cette charge'» ;


- une impossibilité de s’assurer du bien-fondé des prestations administratives facturées et de la rémunération des fonctions de président de la société Charlitt, en l’absence de communication par cette dernière des comptes de la holding Soprepart.


De même, ce commissaire aux comptes a formulé des observations à destination du président dans son rapport établi au titre de l’exercice 2013, selon lesquelles :


-la société Charlitt ne peut faire la demande de remboursement d’une partie de la TIPP sur les véhicules roulants de plus de 7,5 tonnes ;


- la société n’est plus en intégration fiscale et les avances en compte courant de la holding Soprepart ainsi que de la société Sopprimo ne sont pas rémunérées.


Plus encore, le rapport établi au titre de l’exercice 2017 approfondit les mentions sur les comptes annuels, mettant notamment en garde sur un risque de remboursement d’une subvention versée à la société Charlitt par le conseil régional.


Par conséquent, s’il n’appartient pas à M. Y de fournir des conseils à la société Charlitt en matière de procédure fiscale, ainsi qu’il l’indique dans son courrier du 31 juillet 2017 (pièce 14), les observations ainsi formulées dans ces différents rapport impliquent que ce commissaire aux comptes admet pourtant le caractère licite de telles remarques impliquant une analyse du risque comptable au regard des règles fiscales ou juridiques applicables à destination de la société contrôlée, au titre de sa seule mission acceptée de certification des comptes. En outre, par la référence à la cessation de l’intégration fiscale, M. Y admet lui-même la licéité d’une observation formulée sur les relations entre les résultats fiscaux au sein des sociétés du groupe constitué autour de la société Soprepart. Il reconnaît ainsi que ses investigations ont vocation à porter également sur les relations entre la société-mère et sa filiale, dont il assure l’audit légal, notamment au titre de prestations intra-groupe prises en charge par la société Charlitt.


Il résulte par ailleurs de l’article L. 227-10 du code de commerce, dans sa version issue de la loi n°2008-776 du 4 août 2008, qu’au sein d’une société par actions simplifiée, le commissaire aux comptes doit présenter annuellement aux associés un rapport sur les conventions intervenues directement ou par personne interposée entre la société et son président. En l’espèce, si la convention d’assistance est intervenue directement entre la société Soprepart et la société Charlitt, cette convention permet, par interposition de la société-mère, au président de la filiale de bénéficier d’une telle relation indirecte avec la société qu’il dirige. S’il ressort de l’article L. 225-40 du code de commerce, dans sa version applicable à l’espèce, qu’en droit des sociétés anonymes, le président du conseil d’administration intéressé donne avis au commissaire aux comptes des conventions autorisées et les soumet à l’approbation de l’assemblée, selon les modalités prévues par l’article R. 225-30 du code de commerce, ces dispositions ne sont toutefois pas applicable aux sociétés par actions simplifiée aux termes de l’article L. 227-1 alinéa 3 du même code. L’article 17 des statuts de la SAS Charlitt prévoit toutefois une telle communication de la convention au commissaire aux comptes dans des conditions similaires à celles prévues par l’article R. 225-30 précité.


En l’espèce, le rapport spécial sur les conventions réglementées établi le 5 juin 2013 par M. Y au titre de l’exercice 2012 (pièce 13) indique : «'il ne m’a été donné avis d’aucune convention intervenue au cours de l’exercice écoulé à soumettre à l’approbation de l’assemblée générale en application de l’article L. 227-10 du code de commerce'».


La première mention de la convention d’assistance signée le 5 janvier 2011 avec la société Soprepart figure dans le rapport spécial établi au titre de l’exercice 2014, par référence à un avenant ayant modifié à compter de 2014 le tarif des prestations de service versée par la société Charlitt à la société-mère. Dans son rapport sur les comptes sociaux au titre de l’exercice 2017, M. Y indique en revanche qu’il n’a reçu «'aucune explication ou justification économiques'» concernant les factures de prestations établies par les holdings Soprepart et Soprimmo.
Si la société Charlitt n’apporte aucun élément établissant la communication à M. Y par son président de la convention d’assistance signée le 5 janvier 2011, l’obligation de rapporter l’existence d’une convention réglementée concerne tant celles dont le commissaire aux comptes a été avisée que celles qu’il aurait découvertes à l’occasion de sa mission, ainsi que M. Y l’indique lui-même dans ses rapports spéciaux.


La norme d’exercice professionnelle (NEP) 315, homologuée par arrêté du ministre de l’économie et du budget du 19 juillet 2006, impose au commissaire aux comptes de procéder à une prise de connaissance de l’entité lui permettant de constituer un cadre de référence dans lequel il planifie son audit et exerce son jugement professionnel pour évaluer les risques d’anomalies significatives dans les comptes et répondre à ce risque tout au long de son audit. A ce titre, le commissaire aux comptes prend notamment connaissance du secteur d’activité de l’entité ou de l’organisation de celle-ci. La NEP-315 indique, au titre des techniques de contrôle utilisées pour la prise de connaissance de l’entité et l’évaluation du risque d’anomalies significatives dans les comptes, que le commissaire aux comptes collecte les informations en procédant à :


- des demandes d’informations auprès de la direction et d’autres personnes au sein de l’entité, comme le personnel de production ou les auditeurs internes qui peuvent fournir au commissaire aux comptes des perspectives différentes pour l’identification des risques ;


- des procédures analytiques qui peuvent notamment permettre au commissaire aux comptes d’identifier des opérations ou des événements inhabituels ;

et des observations physiques et des inspections qui peuvent notamment permettre au commissaire aux comptes de recueillir des informations sur l’entité, mais également de corroborer celles recueillies auprès de la direction ou d’autres personnes au sein de l’entité.


En application de la NEP 260, homologuée par arrêté du 21 juin 2011, lors de l’audit des comptes mis en 'uvre dans le cadre de la certification des comptes, le commissaire aux comptes communique, conformément aux dispositions de l’article L. 823-16 du code de commerce, avec l’organe collégial chargé de l’administration ou l’organe chargé de la direction et l’organe de surveillance, ainsi que le cas échéant, le comité spécialisé. Les communications avec les organes mentionnés à l’article L. 823-16 du code de commerce permettent au commissaire aux comptes de porter à leur connaissance les éléments importants relatifs à sa mission et à l’élaboration des comptes. Elles permettent également au commissaire aux comptes de s’entretenir avec ces organes en vue de recueillir des informations qui concourent à sa connaissance de l’entité et de son environnement.


En l’espèce, M. Y avait d’une part connaissance d’une autre convention d’assistance, conclue au profit de la société Soprimmo et intéressant M. X, étant précisé que son rapport spécial sur les conventions réglementées au titre de l’exercice 2011 visait un montant facturé en 2011 à hauteur de 99 000 euros en exécution de ce contrat.


Dans le cadre de sa mission légale de certification, M. Y a d’autre part nécessairement pris connaissance des comptes sociaux, qui faisaient ressortir, ainsi que l’a relevé l’administration fiscale, qu’en 2012, le tableaux 2058 C des bilans 2012 et 2013 faisaient ressortir en charges «'honoraires'» et «'autres comptes'» des montants particulièrement importants, notamment 460 000 euros au titre de l’exercice 2012.


Ayant ainsi connaissance du montant des honoraires versés à la seule société Soprimmo au titre d’un contrat dont il fait mention au titre de l’exercice 2011, il appartenait à M. Y de s’interroger sur la cohérence des comptes au titre de l’exercice 2012, qui faisait ressortir une soudaine augmentation des honoraires versées à des tiers.


La convention d’assistance signée le 5 janvier 2011 avec la société Soprepart ayant pris effet au 1er janvier 2012, M. Y avait ainsi vocation, par recoupement avec sa certification des comptes au titre de l’exercice précédent, à interroger la société Charlitt, pour connaître l’origine d’une telle augmentation des honoraires, qu’il devait analyser comme un risque d’anomalie significative. Les observations que M. Y a par ailleurs formulé dans ses différents rapports concernant des écritures comptables portant sur des montants très inférieurs impliquent qu’a fortiori, il lui appartenait de procéder à des investigations sur un tel montant de charges apparues en 2012.


Il en résulte qu’au regard de l’importance de ces charges déductibles, il appartenait à M. Y de procéder à des investigations auprès de la direction, dans des conditions lui permettant notamment d’accéder à la convention d’assistance signée par la société Charlitt avec sa société-mère et d’en connaître les modalités pratiques d’exécution, s’agissant notamment du bénéficiaire direct ou indirect des honoraires ainsi versés. À cet égard, alors que la découverte par le commissaire aux comptes d’une telle convention d’assistance devait intervenir au regard de l’évolution des honoraires versés par la société Charlitt à compter de 2012, l’annexe II de cette convention indiquait notamment les conditions de facturations des honoraires de la société Soprepart, en prévoyant une rémunération de M. X de 1 200 euros hors taxe par jour d’intervention et une intervention «'au minimum 4 jours par semaines sur 45 semaines de l’année'».


Dans le cadre de sa mission légale de certification des comptes, il incombait par conséquent à M. Y de procéder en présence d’un risque d’anomalie significative à des investigations, puis d’émettre des réserves à destination de la société Charlitt sur le risque qu’une telle déduction puisse être remise en cause par l’administration fiscale et que les comptes soumis à son contrôle puissent présenter en conséquence un caractère non régulier et sincère, voire de refuser la certification des comptes ainsi affectés d’un aléas important, étant précisé que l’importance des sommes litigieuses ne pouvait échapper à ce commissaire aux comptes, même au titre d’un contrôle par sondages.

M. Y a pourtant certifié sans réserve les comptes annuels de la société Charlitt au titre des exercices 2012 à 2014, de sorte qu’est établie une faute répétée de ce commissaire aux comptes dans l’exercice de sa mission légale de certification des comptes.

Sur le préjudice et le lien de causalité :


- Sur la perte de chance de ne pas subir un redressement fiscal :


Le paiement de l’impôt à la suite d’une rectification fiscale ne constitue pas en lui-même un dommage indemnisable sauf à établir que mieux informé ou conseillé, le contribuable n’aurait pas payé l’impôt supplémentaire ou aurait payé un impôt moindre.


Lorsqu’il ne peut être tenu pour certain qu’un dommage ne serait pas advenu ou n’aurait pas présenté la même gravité en l’absence de faute, une réparation ne peut être envisagée que sur le fondement de la perte de chance de se soustraire au risque qui s’est réalisé.


La perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu’est constatée la disparition d’une éventualité favorable, dont le caractère certain doit être établi. Sa réparation ne peut être écartée que s’il peut être tenu pour certain que la faute n’a pas eu de conséquence sur une telle disparition. La perte de chance n’est réparable que si la victime ne dispose pas de la faculté de pouvoir à nouveau bénéficier de l’éventualité favorable espérée. Son indemnisation implique enfin que la chance perdue soit réelle et sérieuse, même si elle est faible.


En l’espèce, le 2 octobre 2015, l’administration fiscale a présenté à la société Charlitt une proposition de rectification, qui repose sur l’examen des montants figurant en charges «'honoraires'» et «'autres comptes'» aux tableaux 2058 C de ses bilans 2012 et 2013, et résulte d’une remise en cause de leur déductibilité sur le fondement de l’article 39 du code général des impôts.
L’absence d’observations, de réserves ou de refus de certification par M. Y dans sa mission de certification des comptes de la société Charlitt, qu’auraient du provoquer l’existence d’un risque portant sur le caractère effectivement déductibles des charges, a causé une perte de chance pour la société Charlitt de ne pas subir une telle rectification de son imposition, tant au titre de l’impôt sur les sociétés qu’au titre de la TVA.


En l’espèce, la société Charlitt a contesté la proposition de rectification, par courrier du 23 novembre 2015, pour estimer que la participation de M. X à sa direction était limitée, de sorte que les prestations que ce dernier effectuait au titre de la convention d’assistance litigieuse pour le compte de la société Soprepart ne relevait pas de la direction générale de la filiale.


Le recours exercé gracieusement par la société Charlitt ayant été rejeté, les sommes redressées ont été mises en recouvrement le 29 juillet 2016.


Il en résulte que la perte de chance subie par la société Charlitt est certaine et sérieuse.


- Sur l’indemnisation de la perte de chance :


La réparation d’une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée. L’indemnisation de la perte de chance doit nécessairement correspondre à une fraction du préjudice final. Cette notion conduit exclusivement à déterminer le taux de probabilité de survenance de l’évolution finalement constatée, en appréciant le degré de certitude du lien de causalité entre la faute et le préjudice final et en permettant de fixer la fraction indemnisable de chaque préjudice résultant de la faute elle-même.


-> Sur le taux de perte de chance :


Dans la situation contrefactuelle où M. Y aurait formulé des observations lors de la certification des comptes 2013 et 2014 sur le risque d’absence de déductibilité des sommes correspondant aux prestations effectuées par M. X (187 200 euros pour 2013 et 129 600 pour 2014), l’obligation pour la société Charlitt de s’acquitter des droits rappelés aurait été soumise à un aléa, dès lors que :


- la possibilité d’exercer un recours contentieux à l’encontre de la rectification opérée par l’administration fiscale et les chances de succès d’un tel recours sont marquées par un aléa juridictionnel. Sur ce point, si la jurisprudence citée par le contrôleur fiscal a vocation à s’appliquer à l’espèce, il demeure qu’un tel recours engageait un débat sur l’appréciation de la part des prestations exécutées par M. X au titre de la convention litigieuse et faisant double emploi avec ses fonctions de direction de la société Charlitt.


Sur ce point, la société Charlitt a notamment insisté auprès de l’administration fiscale sur la circonstance qu’une part importante des honoraires versés à la société Soprepart ne correspondait pas à des prestations inhérentes à la qualité de dirigeant de M. X.


Dans ses observations datées du 23 novembre 2015 à destination des services fiscaux, la société Charlitt indique notamment que la direction générale par M. X «'ne prend que très peu de temps'» et que les fonctions qu’il a exercé en exécution de la convention d’assistance signée en 2011 ne relèvent pas de cette même fonction. Pour autant, les services fiscaux ont maintenu leur position dans une réponse adressée le 18 décembre 2015 à la société Charlitt, avant que la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires n’émette un avis validant intégralement les conclusions de l’administration fiscale.


Dans sa propre appréciation des risques, M. Y a également indiqué, au titre de son rapport établi le 27 juin 2017 sur l’exercice 2016, l’opinion selon laquelle «'aucun élément définitif d’appréciation ne [lui] permet à ce jour de prévoir une issue favorable de la procédure contentieuse'», indiquant ainsi qu’en cas de recours contentieux, les chances de succès ne sont pas assurés, de sorte qu’il aurait convenu de provisionner le montant des droits fixés par le redressement fiscal dans le compte de résultat ;


- La circonstance que les statuts d’une SAS puisse confier entièrement sa direction générale à une société tierce par la voie d’une convention de prestation de service conduit à considérer que la société Charlitt aurait pu confier sa direction à la société Soprepart, ainsi qu’elle l’a ultérieurement effectué à compter de juillet 2015, si des observations avaient été formulées par M. Y sur le risque de non-déductibilité des prestations réalisées par M. X au regard de sa qualité de président de la société filiale. La perspective d’un refus d’une telle direction par la société Soprepart ne repose sur aucun élément tangible.


Pour justifier l’absence de déductibilité d’une partie substantielle des prestations, l’administration fiscale souligne valablement, en réponse aux observations formulées par la société Charlitt, l’existence de doubles emplois entre l’intervention de M. X en qualité de prestataire «'tous domaines'» au titre de la convention du 5 janvier 2011, d’une part, et l’intervention d’autres personnes physiques (dans l’exécution même de la convention litigieuse, notamment au regard des 228 jours d’activité prévus par la convention au profit de Mme Z dans le domaine de la comptabilité, du contrôle des gestion et la gestion du personnel) ou morale (dans le cadre de l’exécution d’une prestation technique réalisée parallèlement par la société Soprimmo au titre d’une autre convention d’assistance signée avec la société Charlitt). En revanche, contrairement aux allégation de M. Y, l’administration fiscale ne remet pas en cause l’existence même des prestations facturées par la société Soprepart et effectuées par M. X, de sorte que le redressement fiscal concerne exclusivement la question de la non-déductibilité de ces charges pour la société Charlitt.


Dans la reconstitution de la situation dans laquelle se trouverait la victime si la faute en relation causale avec le préjudice final qu’elle a subi n’avait pas été commise, la cour estime par conséquent que le taux de perte de chance s’évalue à 50 %.


-> Sur l’assiette de l’indemnisation de la perte de chance :


Premièrement, l’assiette est limitée par la prescription de l’action indemnitaire engagée par la société Charlitt concernant les fautes de certification des comptes commises par M. Y antérieurement au 31 décembre 2012.


Deuxièmement, la certification étant le fait générateur de responsabilité et celle effectuée au titre de l’exercice 2013 étant intervenue à N+1 en juin 2014, il en résulte que si la défaillance de M. Y dans la certification des comptes 2013 est fautive, elle n’a toutefois causé un préjudice final à l’égard de la société Charlitt qu’au titre des prestations que cette dernière a versées à la société Soprepart au cours de l’année 2014, et non au titre des celles versées dans la période antérieure à la faute reprochée au commissaire aux comptes.


Troisièmement, la rectification à laquelle la société Charlitt a perdu une chance d’échapper et reposant pour partie sur le caractère non déductible des prestations réalisées par M. X au motif qu’elles étaient considérées comme étrangères à la gestion normale de cette société, a conduit l’administration fiscale à modifier les bases de calcul de son impôt sur les sociétés et sur la TVA. L’intégralité de l’impôt supplémentaire correspondant à l’exercice 2014 doit par conséquent être pris en compte.


Quatrièmement, s’il appartient au commissaire aux comptes de réparer le préjudice subi par la société du fait de ses manquements dans sa mission de certification, le calcul du préjudice tiré des intérêts de retard mis à la charge de la société doit prendre en compte le bénéfice tiré par celle-ci de la conservation, dans son patrimoine, de l’impôt dû.
En l’espèce, au titre de l’exercice 2014, le taux de 2 % correspond à un cumul du taux de 0,4 % par mois, sur une période de 5 mois, allant du 01er juin 2015 au 31 octobre 2015. Le montant des intérêts de retard s’élève à ce titre à 836 euros.


Ces intérêts de retard ne constituent pas un préjudice réparable car ils trouvent leur contrepartie dans l’économie de trésorerie dont a bénéficié le contribuable pendant le temps où il n’a pas payé l’impôt dû.


Il en résulte qu’en définitive, l’assiette sur laquelle s’applique le taux de perte de chance s’élève à la somme de 41 781 euros, correspondant à l’impôt supplémentaire subi par la société Charlitt au titre de l’exercice 2014.


Il convient par conséquent de condamner M. Y à payer à la société Charlitt la somme de 41 781 x 50 %, soit 20 890,50 euros à titre de dommages-intérêts.

Sur le préjudice résultant du trouble et des démarches engendrés par le redressement fiscal :


Le préjudice invoqué n’est pas en lien de causalité avec la faute commise par M. Y, dès lors que les troubles invoqués résultent de la survenance d’un contrôle fiscal, qui n’a pas été lui-même causé par le comportement du commissaire aux comptes. Il en résulte que l’activité déployée par Mme Z était en tout état de cause nécessaire pour préparer la procédure contradictoire et répondre ainsi aux éventuelles interrogations de l’administration fiscale.


Le jugement ayant débouté la société Charlitt de ce chef est confirmé.

Sur le préjudice d’image :


La société Charlitt estime qu’en raison de la faute commise par M. Y, l’administration fiscale la considère désormais comme une potentielle fraudeuse future.


La cour adopte sur ce point la motivation du premier juge, s’agissant à la fois du caractère courant d’un tel acte et de l’absence de mise en cause par l’administration fiscale de la bonne foi de la société Charlitt, qu’atteste l’absence de pénalités pour manquement délibéré.


Acte courant et n’impliquant aucune malversation, le redressement fiscal litigieux n’est pas davantage de nature à impacter l’image de la société Charlitt à l’égard de ses fournisseurs, clients ou banquiers. A l’inverse, la banque de la société Charlitt a indirectement profité jusqu’en 2016 des sommes versées sur les comptes de sa cliente, dont cette dernière aurait dû s’acquitter au titre des exercices 2012 à 2014.


Le lien entre le redressement fiscal opéré en 2015 et un nouveau contrôle fiscal survenu en 2020 n’est pas prouvé avec certitude, alors qu’aucune pièce n’établit tant son existence que les motifs d’un tel contrôle.


Le jugement est confirmé en ce qu’il a débouté la société Charlitt de sa demande de ce chef.

Sur les frais et honoraires exposés pour répondre à l’administration fiscale :


Le recours à un avocat pour répondre à l’administration fiscale constitue un choix personnel de la société Charlitt, de sorte que les frais et honoraires qui s’attachent à une telle intervention sont dépourvus de lien de causalité avec la faute commise par M. Y.

Sur la demande formée par M. Y à l’encontre de la société Soprepart :
Si M. Y est un tiers à la convention d’assistance signée le 5 janvier 2011, il dispose toutefois d’une action en responsabilité délictuelle à l’égard de la société Soprepart, dès lors qu’il démontre que cette dernière a commis une faute contractuelle et que ce manquement contractuel lui a causé un dommage.


Il s’agit par conséquent d’une action délictuelle reposant sur un préjudice personnel de M. Y, qui ne s’inscrit ni dans l’obligation à la dette à l’égard de la société Charlitt, ni dans la contribution à la dette entre des co-obligés condamnés au profit de cette même société, dès lors que la société Soprepart n’a pas été assignée en responsabilité par sa filiale.


En effet, l’obligation de chaque coauteur d’indemniser in solidum la victime pour l’intégralité de son préjudice n’existe que dans l’hypothèse où les fautes respectives ont contribué à la réalisation d’un même préjudice.


En l’espèce, M. Y invoque pourtant son propre préjudice, qui est distinct de celui invoqué par la société Charlitt.


Il appartient par conséquent à M. Y de démontrer que la faute contractuelle de la société Soprepart, qu’il a vocation à invoquer à son profit sur un plan délictuel, lui a causé un préjudice certain. Dans ce cadre, la société Soprepart a vocation à lui opposer sa propre faute en lien causal avec le préjudice qu’il subit, pour invoquer un partage de responsabilité.

Sur la faute contractuelle de la société Soprepart :


La convention d’assistance litigieuse a notamment pour objet de mettre à disposition de la société Charlitt du personnel de la société Soprepart, et notamment M. X, au titre de «'prestations de service d’ordre administratif, comptable et financier : – l’assistance et la réalisation de l’enregistrement des écritures comptables, la tenue de tous livres, journaux, registres et documents comptables (') la préparation des déclarations comptables, sociales et fiscales de toute nature et leur présentation, en projet, à l’expert-comptable de la société bénéficiaire pour validation par celui-ci'; (') le suivi administratif des dossiers juridiques et fiscaux des sociétés bénéficiaires'(') les consultations sur toutes questions relatives à la fiscalité ; la recherche des options fiscales les mieux adaptés ; l’assistance dans l’établissement et le contrôle des impôts mis à la charge de l’entreprise'».


Si la société Charlitt n’a pas pris l’initiative d’agir en responsabilité contractuelle à l’encontre de sa holding, il résulte toutefois de la mission confiée à la société Soprepart qu’elle revendique des compétences en matière fiscale et s’engage à fournir des prestations directement en lien avec l’établissement, puis le contrôle des déclarations fiscales établies par sa filiale.


Par définition, la responsabilité contractuelle de la société Soprepart n’est pas engagée au titre d’une faute dans la conclusion du contrat qu’elle a signé, alors qu’aucune obligation particulière d’information ou de mise en garde ne lui incombait à l’égard de sa filiale avant que cette convention d’assistance ne débute son exécution.


La circonstance que la société Soprepart aurait eu recours à un expert-comptable pour rédiger la convention litigieuse n’est ni établie, ni de nature à l’exonérer de sa propre responsabilité contractuelle, alors que seul un recours à l’encontre de ce professionnel du chiffre serait susceptible d’être envisagée si elle estimait que ce dernier avait commis une faute dans une telle rédaction.


En revanche, au titre de l’exécution de la convention d’assistance au cours de l’exercice 2014 seul concerné par le recours en garantie exercé par M. Y, il appartenait à la société Soprepart d’apporter à sa co-contractante un contrôle sur le caractère ou non déductible des prestations réalisées par M. X au profit de la société Charlitt.
N’ayant elle-même pas détecté et informé la société Charlitt sur le risque de non-déductibilité, la société Soprepart est par conséquent défaillante dans l’exécution de ses obligations contractuelles.

Sur le préjudice :


Le préjudice invoqué par M. Y est constitué par sa condamnation à indemniser la société Charlitt au titre du redressement fiscal opéré au titre de l’exercice 2014.

Sur le lien de causalité :


La part causale de la faute commise par la société Soprepart dans la réalisation du préjudice subi par M. Y s’apprécie au regard des compétences et des missions respectives et de l’influence des manquements respectifs sur la réalisation du dommage.


Si la faute contractuelle de la société Soprepart a contribué à causer l’obligation de M. Y d’indemniser la société Charlitt, la faute commise par ce commissaire aux comptes conduit en définitive à retenir un partage de responsabilité par moitié entre eux.


Il convient par conséquent de condamner la société Soprepart à payer à M. Y la moitié des sommes auxquelles il a été condamné au profit de la société Charlitt.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de l’article 700 du code de procédure civile


Il convient d’une part de confirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile, et d’autre part de condamner M. Y aux dépens d’appel, ainsi qu’à payer à la société Charlitt 1 500 euros au titre des frais irrépétibles qu’elle a pu exposer en appel.


La distraction des dépens est autorisée au profit de la SCP Processuel.


Il n’est enfin pas inéquitable de laisser à M. Y la charge des frais irrépétibles qu’il a engagés en appel au titre de son action à l’encontre de la société Soprepart.

PAR CES MOTIFS,


La cour,


Constate que l’irrecevabilité des demandes formulées au titre du contrôle et de la certification des comptes de l’exercice comptable de l’année 2012 a été définitivement prononcée par ordonnance rendue le 15 avril 2021 par le conseiller de la mise en état ;


Confirme le jugement rendu le 31 décembre 2019 par le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-mer en ce qu’il a :


- dit que M. Y a commis une faute, en sa qualité de commissaire aux comptes de la société Charlitt, lors du contrôle et de la certification des comptes des exercices comptables des années 2013 et 2014 ;


- débouté la société Charlitt du surplus de ses demandes de dommages-intérêts ;


- condamné M. Y aux dépens et à payer à la société Charlitt la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;


- débouté M. Y de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile';
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;


L’infirme en ce qu’il a :


- condamné M. Y à payer à la société Charlitt la somme de 368 911 euros de dommages-intérêts au titre des conséquences financières de la rectification du 2 octobre 2015 ;


- condamné la société Soprepart à relever et garantir M. Y des condamnations prononcées à son encontre à hauteur du tiers, y compris au titre des dépens et des frais irrépétibles ;


Et statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :


Condamne M. A Y à payer à la SAS Charlitt la somme de 20 890,50 euros à titre de dommages-intérêts, en réparation de la perte de chance de ne pas subir la mise en recouvrement d’un redressement fiscal ;


Condamne la SARL Soprepart à payer à M. A Y la somme de 10 445,25 euros à titre de dommages-intérêts ;


Condamne M. A Y aux dépens d’appel ;


Autorise la SCP Processuel à recouvrer directement contre M. Y les dépens de première instance et d’appel dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision';


Condamne M. A Y à payer à la SAS Charlitt la somme de 1 500 euros au titre de frais irrépétibles qu’elle a exposés en appel, en application de l’article 700 du code de procédure civile.


Déboute M. A Y de sa demande formée à l’encontre de la SARL Soprepart sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier Le Président

F. Dufossé G. Salomon
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Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 13 janvier 2022, n° 20/00576