Cour d'appel de Paris, 25 novembre 2013, n° 13/07779

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, 25 nov. 2013, n° 13/07779
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 13/07779
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Paris, 25 mars 2013, N° 13/50660

Sur les parties

Texte intégral

Grosses délivrées Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 1

ARRET DU 25 NOVEMBRE 2013

(n° , 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 13/07779

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 26 Mars 2013 -Tribunal de Grande Instance de PARIS – RG n° 13/50660

APPELANT

LE CHSCT DU CENTRE FINANCIER DE PARIS DE LA SA LA POSTE, agissant en la personne de son secrétaire M. H-I J et11 XXX

comparant assisté de Me Bénédicte ROLLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : C1730

INTIMEE

La Société LA POSTE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux y domiciliés

XXX

Représentée par Me Thibault MEIERS, avocat au barreau de PARIS, toque : K 0168

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 14 Octobre 2013, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Irène CARBONNIER, Président de chambre

Madame Claire MONTPIED, Conseillère

Mme F G, Conseillère

qui en ont délibéré

Mme Nora YOUSFI Greffier, lors des débats

ARRET :

— contradictoire

— rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Madame Irène CARBONNIER, président et par Mme Véronique RAYON, greffier présent lors du prononcé.

Vu l’appel enregistré le 18 avril 2013 par le CHSCT du centre financier de la SA La Poste à l’encontre de l’ordonnance rendue en la forme des référés le 26 mars 2013 ayant :

— annulé la délibération du CHSCT du 15 novembre 2012,

— condamné la société La Poste prise en la personne de ses représentants à payer au CHSCT la somme de 5.980€ TTC au titre de ses frais de procédure,

— condamné la société la Poste aux dépens ;

Vu les conclusions signifiées le 25 septembre 2013 aux termes desquelles le CHSCT du centre financier de la SA La Poste demande à la cour de :

— dire que la délibération du 15 novembre 2012 prévoyant le recours à l’expertise est régulière,

— constater l’existence d’un risque grave révélé au sein du centre financier de la société la Poste – dire bien fondé le recours à l’expertise,

— enjoindre à la société La Poste de collaborer avec l’expert désigné,

— condamner la société La Poste à prendre en charge les frais d’avocat arrêtés à la somme de 7.774,00€ et la condamner aux entiers dépens qui seront recouvrés par Me Y Casalis conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

Vu les conclusions signifiées le 3 Octobre 2013 aux termes desquelles la SA La Poste entend voir:

— constater qu’il n’existe aucun risque grave justifiant le recours à l’expertise, et en conséquence dire que la délibération du 15 novembre 2012 est nulle et abusive ;

— condamner le CHSCT aux dépens ;

Vu l’ordonnance de clôture en date du 30 septembre 2013 ;

SUR CE

Considérant, sur la procédure, que par conclusions signifiées le 3 octobre 2013 par D, la société La Poste sollicite le report de l’ordonnance de clôture au motif que le 30 septembre 2013, jour de la clôture, le D ne fonctionnait pas ; qu’un tel motif justifie le report de la clôture à la date des débats étant observé que l’appelant ne s’y est pas opposé ;

Considérant que l’établissement public industriel et commercial 'La Poste’est devenu une société anonyme le 1er mars 2010 ; qu’elle emploie 220.000 collaborateurs et déploie son activité sur quatre pôles, 'le courrier', 'le colis', 'les services financiers’ et 'les enseignes’ c’est à dire les bureaux de poste ;

Que la Banque postale a été créée le 1er janvier 2006 pour remplacer le centre de chèques postaux et la Caisse Nationale d’Epargne ;

Que le pôle 'Services Financiers’ de la Poste qui a pour activité les tâches administratives et logistiques de la Banque Postale comprend un siège et des directions à compétence nationale, cinq 'centres nationaux spécialisés’ et dix neuf "centres financiers’ dont celui de Paris ;

Que le centre financier de Paris est composé de 5 directions opérationnelles ( production, clientèle, métiers spécialisés, service gestion des entreprises grands clients, échanges et systèmes de paiement ) et 6 directions fonctionnelles (ressources humaines, financière, technique informatique et logistique, contrôle interne et de la conformité, fonctionnement des services études et projets, communication) ; qu’il comprend 1.300 collaborateurs dont 1170 fonctionnaires ;

Que le 15 septembre 2011, une collaboratrice du 'service gestion des entreprises'( SGE) du centre financier de Paris , Mme A s’est suicidée, par défenestration, sur son lieu de travail;

Qu’à la suite de ce suicide, en plus des mesures d’accompagnements mises en place à l’égard du personnel, la direction et le CHSCT ont en accord décidé de recourir à une expertise confiée à la société Isast dont le périmètre était limité au seul service auquel appartenait la salariée, le SGE ; que cette décision a été prise en vertu des dispositions du décret du 28 mai 1982 organisant les CHSCT dans la fonction publique ;

Que le 16 novembre 2011, le CHSCT relevant désormais des dispositions du livre IV du code du travail a fait l’objet d’une nouvelle désignation dans les conditions requises par le code du travail ;

Qu’un pré-rapport d’expertise a été présenté au CHSCT à l’occasion de sa réunion du 5 mars 2012 date à laquelle les membres du CHSCT ont décidé d’étendre l’expertise à l’ensemble des services du centre financier de Paris ;

Qu’en l’absence de lien avec l’ordre du jour et faute d’être suffisamment motivée,

cette résolution a été annulée par ordonnance du tribunal de grande instance de Paris du 5 juillet 2012 ;

Que lors de la réunion du CHSCT du 15 novembre 2012 a été votée, à la majorité de ses membres, une délibération visant à recourir à un expert à raison du risque grave révélé au sein du centre ;

Que la société La Poste a contesté cette décision et a assigné le CHSCT le 3 janvier 2013 aux fins d’annulation de la délibération votée le 15 novembre 2012 par laquelle il a été décidé d’une part, par 4 voix 'pour’ et 2 abstentions de 'recourir à une expert à raison du risque grave révélé au sein du Centre Financier La Poste sur le fondement de l’article L.4614-12 du code du travail’ ;

d’autre part, par 4 votes 'pour’ de désigner le cabinet Isast ;

Que la société La Poste soutient pour l’essentiel,

Que la délibération litigieuse est irrégulière en ce qu’elle ne répond donc pas aux exigences de l’ article L 4614-2 du code du travail renvoyant à la procédure définie à l’article 1 de l’article L 2325-18 du code du travail; qu’en effet le vote est intervenu sur une délibération dactylographiée préparée à l’avance qui n’a pas pu être prise par les membres présents au CHSCT du 15 novembre 2012 , alors qu’il aurait fallu procéder à une discussion collective préalable permettant la confrontation des différents points de vue ;

Qu’en l’espèce le recours à l’expertise, qui doit être l’ultime recours, n’est pas justifié, la collectivité de travail devant trouver en son sein les réponses aux difficultés rencontrées ;

que le risque invoqué doit être grave, impacter la collectivité de travail et non quelques individus isolés, présenter une nature professionnelle et être constaté dans le périmètre d’exercice du CHSCT au vu d’éléments objectifs démontrés ;

qu’enfin ce risque doit être actuel au moment de recourir à l’expertise et persistant au jour de l’audience ;

Qu’en l’espèce l’expertise décidée est prématurée dès lors que la première expertise confiée à l’Isast est toujours en cours, le 'pré-diagnostic’ remis au CHSCT n’étant pas un rapport définitif et que les résultats des mesures prises par l’employeur, notamment l’accord collectif sur la santé au travail du 6 juin 2011 et le plan d’actions santé et sécurité au travail pour 2012 , ainsi que le 'dispositif d’évaluation du stress professionnel- centre financier de Paris’ présenté au CHSCT du 11 octobre 2012 , n’ont pas été mesurés ;

Que l’élargissement du périmètre de l’expertise avait été jugé mal fondé ;

Qu’aucun risque grave n’est objectivement caractérisé, les attestations non manuscrites produites n’étant pas conformes aux dispositions de l’article 202 du code de procédure civile ;

Que la situation de Mme E est isolée comme celle de M. B ;

Que la situation de Mme X est postérieure à la décision de recourir à l’expertise et n’a pas à être prise en compte;

Que l’absentéisme pour maladie est en baisse et ne peut être valablement comparé à celui d’autres services ;

Qu’il n’existe aucune suppression brute de postes ; que les indicateurs relatifs à la santé et à la sécurité du travail ne sont pas en augmentation ;

*******

Considérant qu’aux termes de l’article L. 4614-12 du code du travail 'le comité d’hygiène et sécurité et des conditions de travail peut faire appel à un expert agréé lorsqu’un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle où à caractère professionnel est constaté dans l’établissement’ ;

Considérant que la délibération litigieuse a été votée à l’issue de la réunion du CHSCT du 15 novembre 2011 ; qu’il s’en déduit qu’elle est, contrairement à ce qui est soutenu, le résultat d’un échange de vues, peu important à cet égard qu’elle ait été pré- rédigée, rien n’interdisant aux membre du CHSCT d’en modifier le contenu avant de procéder au vote ;

Considérant qu’en matière de risques psychosociaux, le risque grave est un danger éventuel plus ou moins prévisible et ne saurait être confondu avec une situation dangereuse acquise ;

Considérant qu’il ressort suffisamment des pièces versées à la procédure qu’à la date de la délibération litigieuse, soit le 15 novembre 2012, un certain nombre d’alertes avaient été effectuées, notamment au travers des rapports annuels du médecin de prévention professionnelle du centre financier de Paris le Dr C, qui dès 2009 a relevé que les changements organisationnels annoncés avaient des répercussions sur la santé des agents et qui, en 2010, a observé chez les salariés des difficultés d’adaptation aux réorganisations, facteurs de risque psychosocial ;

que le schéma directeur des centres financiers confirme que 'les centres ont énormément évolué depuis 10 ans’ mais que 'des améliorations restent à mettre en oeuvre’ , notamment pour 'poursuivre les gains de productivité'; que dans cette perspective et dans la continuité des accords 'Avenirs des Métiers Bancaires[AMB] des centres financiers’ 2007-2010,un accord AMB 2011-2015, imposant des reclassements de personnels, a été signé le 29 juin 2010 ;

Que ce contexte de restructuration était donc toujours actuel à la date de la délibération litigieuse et ne concernait pas le seul service SGE ,

Considérant que le suicide d’une collaboratrice du SGE est intervenu dans un tel contexte, lequel génère, comme l’a souligné le médecin de prévention, non seulement de l’anxiété, mais aussi la mise à mal de la conscience professionnelle des agents, une surcharge de travail, l’agressivité de la clientèle ; que le bilan social de SA LA Poste , pour l’année 2011 a d’ailleurs mis en évidence une augmentation constante du taux d’absentéisme depuis 2009 ;

Considérant que par courrier du 9 mai 2012 , l’inspectrice du travail a également informé le CHSCT du rappel qu’elle avait adressé à la directrice du centre financier de Paris concernant ses obligations, notamment en matière de harcèlement moral, face à une situation de harcèlement moral dénoncée par Mme Z ; que ce courrier faisait également allusion à d’autres décès intervenus ;

Qu’enfin il ressort des témoignages de salariés, soit par le biais d’attestation (60), soit par les réponses faite à un questionnaire élaboré par un syndicat , qu’existaient au sein du centre financier de Paris une situation persistante de souffrance au travail ;

Considérant, au vu de l’ensemble des constatations ainsi énoncées, qu’existait bien au sein du Centre Financier de Paris une situation de stress au travail et de risques psycho-sociaux parfaitement identifiée ;

Considérant que si la direction consciente de cette situation a envisagé d’y remédier par diverses solutions, de telles mesures, à les supposer pertinentes, ne font pas obstacle à l’expertise sollicitée, sauf à priver le CHSCT de son droit autonome à recourir à une expert indépendant missionné pour lui apporter tous les éléments nécessaires à l’analyse et à la prévention des risques constatés étant observé que l’article L 4612 du code du travail ne pose pas comme condition que le recours à l’expertise soit subordonné à la carence de l’employeur, ni que le CHSCT ait épuisé ses propres pouvoirs d’enquête ;

Considérant que le CHSCT démontre ainsi suffisamment l’existence d’un risque psycho-social grave au sein du centre financier de Paris, contemporain de la délibération critiquée, l’autorisant à désigner un expert en vertu des dispositions précitées et ce pour l’ensemble des salariés inclus dans le périmètre du CHSCT concerné ;

Qu’en effet , le contexte professionnel de 'réorganisations successives', tel que rappelé dans le pré-rapport d’expertise de l’Isast limité au SGE , qui n’est pas limité au seul service du SGE et est toujours en cours , est de nature à engendrer des réactions anxiogènes susceptibles de mettre gravement en danger psychologique et/ou physique les salariés concernés ;

Considérant dans ces conditions que l’ordonnance déférée qui a annulé la délibération du 15 novembre 2011 sera infirmée ;

Considérant qu’il convient d’allouer, sur le fondement de l’article 4614-13 du code du travail, au CHSCT du centre financier de Paris, lequel ne dispose pas de budget propre, les frais qu’il a été amené à exposer dans le cadre de la présente instance en sus de la somme accordée par le premier juge, soit la somme de 7.774,00€ TTC en cause d’appel ;

Considérant enfin que la SA La Poste devra supporter les dépens d’appel ;

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement,

Déclare l’appel recevable,

Ordonne la révocation de l’ordonnance et fixe la clôture à la date du 14 octobre 2013,

Infirme l’ordonnance dont appel, sauf en ce qui concerne le montant des sommes allouées au titre des frais d’avocat et les dépens,

Statuant à nouveau,

Dit n’y avoir lieu à annulation de la délibération du 15 novembre 2012 du CHSCT Centre financier de Paris de la société La Poste,

Condamne la société La Poste à payer au CHSCT Centre financier de Paris de la SA La Poste , au titre de la procédure d’appel, la somme de 7.774,00€ sur le fondement de l’ article L 4614-13 du code du travail,

Condamne la SA La Poste aux dépens d’appel, dont le montant sera recouvré par Maître Y Casalis dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile .

Le greffier Le président

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Textes cités dans la décision

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  2. Code du travail
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