Cour d'appel de Paris, 26 mars 2015, n° 12/11144

  • Travail·
  • Employeur·
  • Licenciement·
  • Harcèlement moral·
  • Papeterie·
  • Collaborateur·
  • Salariée·
  • Service·
  • Ressources humaines·
  • Demande

Chronologie de l’affaire

Commentaire1

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

CMS Bureau Francis Lefebvre · 6 mars 2023

A différentes étapes de la relation de travail, la question de l'accès à la messagerie professionnelle du salarié se pose, tant en droit social qu'en droit des données à caractère personnel. En effet, l'accès à la messagerie électronique, nécessaire aux besoins relatifs au fonctionnement de l'entreprise, s'impose comme un sujet de droit social inévitable dans le quotidien d'un employeur. Les messages envoyés ou reçus par son intermédiaire peuvent également être invoqués au soutien d'une sanction disciplinaire ou au cours d'un litige entre salarié et employeur. Par ailleurs, ces …

 
Testez Doctrine gratuitement
pendant 7 jours
Vous avez déjà un compte ?Connexion

Sur la décision

Référence :
CA Paris, 26 mars 2015, n° 12/11144
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 12/11144
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Bobigny, 13 novembre 2012, N° 11/03623

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 5

ARRÊT DU 26 Mars 2015

(n° 160 , 8 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : S 12/11144

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 Novembre 2012 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOBIGNY – Section encadrement – RG n° 11/03623

APPELANTE

Madame K D

XXX

XXX

comparante en personne, assistée de Me Jacqueline SEROUX DARMON, avocat au barreau de PARIS, toque : C0294

INTIMEE

SAS GROUPE PAPYRUS FRANCE

XXX

XXX

XXX

représentée par Me Stéphanie VERZURA, avocat au barreau de LILLE substitué par Me Stéphane MONS, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 février 2015, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Anne-Marie GRIVEL, Conseillère, chargée d’instruire l’affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame K ROY-ZENATI, Présidente

Madame Anne-Marie GRIVEL, Conseillère

Madame S T, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier : M. Franck TASSET, lors des débats

ARRÊT :

— CONTRADICTOIRE

— mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

— signé par Madame K ROY-ZENATI, Présidente et par M. Franck TASSET, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Mme K D, qui avait été engagée le 3 décembre 1973 par la société Paryrus France en qualité de secrétaire sténo-dactylo, a été promue assistante DRH puis directrice des ressources humaines en 1990. A compter du 1er juillet 2005, Mme D a également été nommée à la direction des ressources humaines de la société Papeteries de France qui avait été rachetée par le groupe auquel appartenait l’employeur et le 1er juillet 2007, les sociétés Papyrus France et Papeteries de France ayant été regroupées au sein de la SAS Groupe Papyrus France, Mme D a pris en charge la DRH de cette nouvelle entité, assurant la direction d’un service de quatre collaborateurs. Elle a été convoquée le 23 août 2011 à un entretien préalable à un licenciement avec mise à pied conservatoire, et licenciée le 9 septembre 2011 pour faute grave, au motif de harcèlement moral.

Elle a saisi la juridiction prud’homale le 16 septembre 2011 d’une demande de paiement de diverses sommes au titre de la rupture.

Par jugement du 14 novembre 2012, le Conseil de prud’hommes de Bobigny l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes et condamnée aux dépens.

Mme D a interjeté appel de cette décision le 23 novembre 2012.

A l’audience du 12 février 2015, Mme D demande à la Cour d’infirmer le jugement et de condamner la société Groupe Papyrus France à lui payer les sommes de :

—  66 672 € à titre de dommages-intérêts pour harcèlement

—  333 360 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

—  33 336 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis

—  3333 € au titre des congés payés incidents

—  210 347 € au titre de l’indemnité de licenciement conventionnelle

—  2 064,65 € au titre du salaire de la mise à pied du 25 au 31 août 2011

—  206,46 € au titre des congés payés incidents

—  3660,02 € au titre du salaire de la mise à pied du 1er au 13 septembre 2011

—  366 € au titre des congés payés incidents

—  19592,97 € de solde du bonus 2011

—  66 672 € à titre de dommages-intérêts pour désactivation de la boîte email

— et 5000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

et à lui remettre un certificat de travail du 3/12/73 au 13/12/11, en rejetant la demande reconventionnelle de l’employeur.

Elle expose qu’elle a été licenciée pour faute grave, à l’âge de 57 ans, après 38 ans d’un parcours sans faute, à un moment où la société était en pleine restructuration. Elle indique qu’avec l’arrivée d’une nouvelle équipe dirigeante en 2011, elle a été mise à l’écart, des décisions qui concernaient son propre service n’ont pas été portées à sa connaissance, elle a dû être arrêtée pour surmenage et dépression et a finalement appris que son propre licenciement avait été provisionné. Elle souligne que ses derniers bilans de compétence font pourtant état de ses qualités de management et que sa rémunération a été régulièrement augmentée jusqu’en avril 2011, mais que les effectifs ont été en diminution depuis 2005, l’évolution se poursuivant après 2011, la société étant en constante recherche de réduction des coûts. Elle soutient donc que son licenciement s’inscrit dans la lignée de ces licenciements pour motif économique déguisés, d’autant qu’elle n’a pas été remplacée à son poste pendant deux ans. Elle fait valoir également que la procédure disciplinaire n’a pas été engagée dans un délai restreint, que l’accusation de sa collaboratrice ne remplit pas le formalisme d’une attestation et ne révèle que des problématiques personnelles, que la société ne justifie d’aucune enquête postérieurement à cette dénonciation, alors qu’elle-même se trouve dans l’impossibilité de faire témoigner en sa faveur les salariés encore dans l’entreprise, que les salariés qui ont attesté contre elle venaient tous de la société rachetée Papeteries de France et que le turn-over dans son service est à l’image de celui existant dans l’entreprise. Elle considère par ailleurs que c’est elle qui a subi une dégradation de ses conditions de travail entre octobre 2010 et septembre 2011 par les agissements de son employeur précédant son licenciement annoncé ce qui a entraîné une détérioration de son état de santé. Elle réclame en réparation de son préjudice lié à ce licenciement vexatoire une indemnité équivalente à 2,5 années de salaire sur la base d’un salaire moyen de 11 112 €, outre ses indemnités de rupture, un complément de bonus contractuel, et des dommages-intérêts spécifiques réparant le harcèlement dont elle a été victime et des dommages-intérêts pour s’être vu couper son accès à sa messagerie professionnelle sans même un délai de prévenance.

La SAS Groupe Papyrus France demande pour sa part à la Cour de débouter Mme D de l’ensemble de ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 100 000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi et celle de 10 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir que le changement de direction générale en juin 2011 a manifestement libéré la parole des salariés puisque le 10 juillet, une collaboratrice de Mme D qui était en arrêt de travail pour dépression depuis le mois de mai a révélé au nouveau directeur général les faits de harcèlement qu’elle subissait de la part de sa supérieure hiérarchique, l’amenant à procéder à une enquête auprès des salariés ayant travaillé sous la responsabilité de cette dernière. Elle considère que compte tenu des témoignages accablants recueillis contre la DRH, la faute grave est manifestement caractérisée, et que l’employeur n’avait pas d’autre faculté que de rompre immédiatement le contrat de travail malgré l’ancienneté de la salariée compte tenu de l’obligation de sécurité pesant sur lui. Elle conteste avoir supprimé le poste de DRH, la situation conjoncturelle de restructuration, bien antérieure au licenciement de Mme D, ne pouvant être utilisée par cette dernière pour prétendre que celui-ci s’inscrirait dans une politique de réduction des effectifs. Elle soutient par ailleurs que l’appelante ne justifie d’aucune dégradation de ses conditions de travail, et discute en tout état de cause tant le montant des indemnités de rupture conventionnelles réclamées que le rappel de bonus qui doit être calculé selon les règles de l’année 2011 et les dommages-intérêts sollicités, sa messagerie professionnelle lui ayant été seule bloquée pendant sa mise à pied conservatoire. Elle sollicite enfin des dommages-intérêts en réparation du préjudice que lui a causé la salariée en engageant sa responsabilité, alors même qu’elle ne pouvait ignorer la portée de ses actes.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions visées par le greffier et développées lors de l’audience des débats.

MOTIFS

Attendu que les termes de la lettre de licenciement fixant les limites du litige, il convient de rappeler que Mme D a été licenciée pour faute grave par lettre du 9 septembre 2011 aux motifs suivants :

'(…) Nous avons très récemment été interpellés par Mme O I, assistante aux ressources humaines depuis le 16 juillet 2001, qui a porté à notre connaissance des faits graves vous concernant. Très profondément meurtrie par le harcèlement moral que vous perpétrez à son encontre depuis plusieurs années et ne pouvant manifestement plus le supporter, Mme C nous a en effet confié que sur injonction du Dr J, médecin du travail, elle était en traitement depuis plus de deux ans dans un centre médico-psychologique spécialisé dans les faits de harcèlement. Sa détresse psychologique a atteint un tel paroxysme qu’elle a été placée en arrêt maladie le 2 mai 2011, qu’elle n’a plus repris son activité professionnelle depuis cette date et qu’elle nous a indiqué que son état psychologique ne lui permettait plus de (re)travailler sous votre emprise et que désespérée et malheureuse, elle souhaitait quitter notre société discrètement, disparaître, sans plus jamais remettre les pieds dans son service. Elle nous a également relaté de manière circonstanciée et précise les brimades, les vexations, les humiliations et l’agressivité dont vous faisiez preuve de manière récurrente à son égard, ainsi qu’à l’égard de nombreux autres salariés de votre service.

Il est vrai que votre service composé de quatre personnes a connu lors des quatre dernières années un turn-over particulièrement impressionnant avec les départs de :

— Melle G ( le 9 avril 2006)

— Mme E (le 30 septembre 2006)

— M. Z (le 31 mars 2008)

— Mme Y (le 3 mai 2008)

— Mme F (le 30 avril 2009)

— M. X (le 7 mai 2009)

— M. H ( le 7 août 2010)

— M. A (le 31 mai 2011).

Compte tenu de ce contexte et des propos très graves formulés à votre encontre, nous avons pris l’initiative d’interroger les salariés qui travaillent ou ont travaillé sous votre responsabilité. Les témoignages que nous avons recueillis ont tous confirmé de manière extrêmement circonstanciée et concordante les dires de Mme I et la réalité de votre harcèlement répété et inacceptable.

M. Z a stigmatisé une 'gestion de la terreur', 'une attitude paranoïaque', l’absence totale d’autonomie délivrée aux collaborateurs, indiquant que vous communiquiez principalement par le biais de remarques visant à dévaloriser vos collaborateurs allant jusqu’à dire que vous en aviez 'marre de travailler avec des cons’ en parlant de vos collaborateurs. M. Z a ajouté qu’il avait vu plusieurs de ses collègues pleurer à de nombreuses reprises en sortant de votre bureau. Considérant 'qu’il était devenu moralement intolérable’ pour lui de continuer à venir travailler dans ces conditions, M. Z a fini par donner sa démission.

M. X nous a, lui, indiqué que vous 'usiez et abusiez de votre pouvoir', que les dossiers ou tâches à effectuer devaient sans cesse être refaits et que vos changements permanents étaient accompagnés de réflexions désobligeantes comme 'vous êtes nuls', 'vous ne comprenez rien', réflexions qui suivant les dires de M. X 'faisaient partie du décor et du quotidien'. M. X qui pourtant n’a pas travaillé dans votre service à la même époque que M. Z a également indiqué qu’il 'n’était pas facile de voir certains collègues, des personnes proches de la retraite, fragiles ou des femmes qui s’investissaient énormément finir en larmes en pleine journée après que vous leur ayez tenu un discours virulent, déstabilisant ou humiliant'. Il nous a également indiqué que lorsque certains de nos salariés formulaient une demande qui était de votre compétence, vous lui demandiez soit d’accélérer les délais si vous appréciez le salarié qui avait formulé la demande, soit au contraire de faire traîner cette demande, si ce salarié n’avait pas votre sympathie ou que vous souhaitiez son départ. M. X a achevé son témoignage en indiquant 'Je ne suis pas de nature à me laisser déstabiliser mais lorsque sans arrêt, le travail sur lequel vous avez mis du temps et de la bonne volonté est critiqué et rejeté… J’ai préféré partir'. M. X a démissionné moins d’un an après son embauche.

Manifestement, ces faits de harcèlement totalement répréhensibles perduraient depuis quelques années puisque nous avons retrouvé la trace d’un protocole transactionnel qu’en votre qualité de directrice des ressources humaines, vous aviez négocié et régularisé directement avec Mme E le 22 septembre 2006 à la suite de son licenciement 'pour attitude négative et manquement au devoir de réserve et de discrétion’ alors que Mme E (comme le précise le protocole dont nous n’avions jamais eu connaissance) avait 'vainement tenté de dénoncer depuis plusieurs mois le harcèlement dont elle faisait l’objet au sein de la Direction des ressources humaines'…

Mme E que nous avons contactée nous a confirmé avec moults détails que vous faisiez tout votre possible pour la détruire, la faire plier, et oeuvriez en sorte qu’elle vous craigne.

Ces faits de harcèlement sont particulièrement graves et inacceptables en premier lieu pour les personnes qui en ont été victimes, mais également pour notre société que vous représentez. En aucun cas, nous ne pouvons tolérer et accepter de tels agissements.

Compte tenu de vos compétences spécifiques et de votre niveau de responsabilité, vous étiez mieux que quiconque à même d’apprécier la portée de l’article L.1152-1 du code du travail (…)' ;

Attendu préalablement qu’il ne saurait être reproché à l’employeur d’avoir tardé à engager la procédure disciplinaire, alors qu’il est justifié que la dénonciation par Mme I des faits reprochés a été faite par lettre datée du 10 juillet 2011 et qu’elle a nécessité une enquête auprès des anciens collaborateurs de Mme D qui, pour être critiquée par l’appelante, n’est pas discutable matériellement ; que la convocation à l’entretien préalable datant du 23 août suivant, l’employeur a donc agi dans un bref délai ;

Attendu ensuite que la faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle justifie la rupture immédiate du contrat de travail ;

Attendu que, aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel; que l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité de résultat envers ses salariés en matière de protection de la santé des travailleurs, et notamment en matière de harcèlement moral ;

Or attendu qu’il résulte des pièces produites au dossier que Mme C a dénoncé au nouveau Directeur Général des faits, qui, pour s’inscrire comme le souligne l’appelante dans un contexte de surcharge de travail, vont bien au-delà de 'simples problématiques individuelles’ ; qu’elle fait état ainsi de ce que, 'malgré les heures de travail supplémentaires très importantes et (son) acharnement à bien faire, (son) travail était systématiquement discrédité’ par Mme D, et de ce qu’elle subissait régulièrement 'dénigrement, critiques injustes, agressions verbales et remarques humiliantes’ ; qu’elle invoque ainsi de façon précise le reproche personnel et répété de la disparition de documents quand bien même elle se trouvait en congé lorsque le service avait déménagé deux fois, les propos humiliants tenus sur son absence de compétence de juriste alors qu’elle est titulaire d’une maîtrise et d’un troisième cycle RH, ou de son absence de performance pour former sa nouvelle collègue, ou de l’absence d’intérêt des fiches de fonctions du service qu’elle avait faites, de ce que sa supérieure hiérarchique la coupe pendant les réunions ou lui demande fréquemment 'qui suis-je pour vous '' afin qu’elle réponde 'DRH', du reproche fait à l’occasion d’un entretien individuel de ce qu’elle ne souriait pas et était responsable de la mauvaise ambiance dans le service et de ce qu’elle donnait une mauvaise image de celui-ci, de ce qu’elle lui avait imputé devant un informaticien extérieur à l’entreprise le mauvais choix du logiciel alors que c’était la direction qui avait pris cette décision ; qu’à ces critiques et dénigrements, la salariée ajoute des mesures arbitraires et discriminatoires, comme la suppression de sa prime de transport, le refus de sa demande de prêt à taux préférentiel, la modification unilatérale de sa fiche de poste ou de ses horaires ; qu’elle indique également : 'Au fil du temps un climat de crainte collectif s’est créé, car Mme D contrôlait les faits et gestes de chacun, demandait copie de tous les échanges de mails..' et conclut : 'Toutes les actions de Mme D V, me semble-t-il, à instaurer un pouvoir de domination et de contrôle sur moi, à me discréditer, à m’isoler pour empêcher toute possibilité de m’exprimer et de communiquer sur la réalité de ses agissements’ ; que si cette assertion est, et de façon très honnête, empreinte de subjectivisme, il reste qu’elle résume l’ensemble des exemples donnés par l’intéressée ;

que par ailleurs, Mme E, ancienne salariée cadre actuellement retraitée, vient attester de ce que lors de ses derniers mois d’activité passés sous la direction de Mme D, de mai 2005 à son départ le 30 septembre 2006, venant des 'Papeteries de France', cette dernière avait commencé par lui réduire ses responsabilités en lui enlevant la responsabilité hiérarchique sur M. Z, puis lui avait modifié ses horaires ;

qu’elle déclare que Mme D 'avait besoin d’avoir un 'bouc émissaire', un collaborateur qu’elle maltraitait moralement. Lors de son arrivée dans le service, la première à qui elle s’en était prise, sans même la connaître, était Mme F, puis ce fut mon tour et comme je ne me laissais pas faire ce fut l’escalade. Elle est devenue odieuse dans ses dires et dans son attitude avec moi’ ; qu’elle précise : 'Elle me rabaissait en permanence. Au 1er janvier 2006 je fus la seule du personnel de l’entreprise à ne bénéficier d’aucune augmentation de salaire', ajoutant que 'elle m’a menacée de me rétrograder si je ne changeais pas d’attitude, je lui ai dit que ce n’était pas un problème pour moi puisque de toute façon je n’avais plus envie de travailler dans le service et surtout pas avec les méthodes de travail qu’elle imposait… Elle m’a dit qu’il fallait bien que je comprenne que c’était elle la chef !' , et que : 'Plusieurs fois, j’ai dû sortir du bureau en pleurant tellement l’entretien avait été odieux. Dans ma carrière chez Papeteries de France j’avais eu peu d’arrêts maladie, mais sa façon de me traiter m’a mise en dépression…' ; que l’employeur produit le protocole transactionnel signé le 22 septembre 2006 par Mme D représentant l’entreprise et par Mme E, postérieurement au licenciement de cette dernière, le 30 mai 2006, pour 'refus de se soumettre aux instructions de son supérieur hiérarchique, attitude négative et dénigrement', dans lequel il est indiqué que Mme E a contesté le licenciement 'alors qu’elle avait en vain tenté de dénoncer depuis plusieurs mois le harcèlement dont elle faisait l’objet au sein de la direction des ressources humaines tout en rappelant son désaccord sur les nouvelles méthodes de travail’ ;

que M X, ancien assistant à la gestion des services généraux du 11 août 2008 au 7 septembre 2009, vient également attester 'des changements de cap permanents de Mme D, d’ordres du jour au gré de ses humeurs et de ses caprices', de ses réflexions désobligeantes, de son traitement arbitraire des demandes, de sa volonté de tout contrôler, de ses abus de pouvoirs, témoignant avoir vu 'certains de ses collègues, des personnes proches de la retraite, fragiles ou des femmes qui s’investissent énormément, finir en larmes en pleine journée, dû à un discours virulent, déstabilisant, humiliant de la part de Mme D’ ;

que W Z, que Mme D avait nommé au début de leur collaboration au sein de Papeteries de France responsable RH, témoigne que quand elle en est venue à travailler de façon permanente sur le site, 'son mode de management (si l’on peut considérer cela comme du management) s’est révélé, gérant son équipe par la terreur, l’absence totale de la moindre autonomie, et communiquant principalement par le biais de remarques visant à nous dévaloriser', citant la remarque reprise dans la lettre de licenciement comme quoi 'elle en avait marre de travailler avec des cons’ et attestant lui aussi qu’il avait vu plusieurs de ses collègues pleurer à de nombreuses reprises en sortant de son bureau, décrivant la DRH comme 'lunatique', 'violente', 'inattendue', 'paranoïaque', et expliquant son départ par ses conditions de travail ;

Qu’il ressort de ces témoignages, tous concordants, circonstanciés, précis, émanant de personnes de personnalité et d’âge très différents comme le souligne la société intimée, et n’étant plus sous le lien de subordination de l’employeur ce qui renforce leur force probante, que les faits reprochés à Mme D sont établis et caractérisent bien des agissements de harcèlement moral à l’égard de ses subordonnés ; que ce comportement était d’autant plus dangereux qu’exerçant les fonctions de DRH depuis plus de trente ans dans l’entreprise, elle pouvait assouvir sa volonté de toute puissance sans craindre le moindre contrôle, puisqu’elle était précisément celle auprès de laquelle les salariés devaient pouvoir dénoncer les faits, -ce qui est particulièrement patent dans la transaction de Mme E-, et qu’il est d’autant plus grave que, de par ses fonctions, Mme D ne pouvait ignorer les conséquences juridiques et pénales qu’elle faisaient encourir à son employeur, tenu en la matière d’une obligation de sécurité de résultat vis-à-vis de ses salariés, indépendamment de sa responsabilité personnelle ; que ces faits sont donc constitutifs d’une faute grave et justifiaient la rupture immédiate du contrat de travail sans préavis ni indemnité malgré la très grande ancienneté de la salariée ; que le jugement sera confirmé qui a rejeté les demandes au titre du licenciement ;

Attendu, s’agissant du propre harcèlement moral dont se plaint Mme D en appel, que l’article L.1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et qu’il incombe alors à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;

Qu’en l’espèce, Mme D se dit victime de 'pratiques délétères à l’arrivée de la nouvelle direction qui ont altéré son état de santé puisqu’elle a été arrêtée pour syndrome anxio-dépressif réactionnel à dater du 23/8/11" ; qu’elle indique ainsi avoir été mise à l’écart des décisions qui concernaient son propre service, et cite ainsi le fait qu’on ait 'poussé à la porte un de ses collaborateurs, M. A’ ; que cependant, si le Directeur Général du groupe par interim a pris en main ce dossier, c’est, comme il l’explique à Mme D dans un courriel du 14 avril 2011, en raison d’une menace de chantage de ce salarié qui la concernait personnellement ; que l’on peut d’ailleurs voir dans le ton adopté par cet ancien collaborateur dans sa réponse adressée le 29 juin 2011 à la DRH, dans laquelle il demande l’indemnisation du préjudice subi du fait de la démission qui lui a été imposée, la confirmation de cette allusion du DG, lorsqu’il souligne 'que c’est surtout sa surprise qui est surprenante', montrant ainsi qu’elle n’est nullement étrangère aux conditions de son départ ; qu’on ne peut davantage voir des agissements de harcèlement moral dans la réponse à la demande de Mme D du 17 mai 2011 au même DG de lui adresser un document présenté au comité de direction relatif au départ d’une personne aux RH pour 300K€, entraînant un refus net et une menace à peine voilée de son interlocuteur qui remet en cause une absence de la salariée pour maladie, même si l’échange révèle effectivement un changement d’attitude de l’employeur vis-à-vis de Mme D, ce qu’elle a effectivement compris dès cet instant ; que le fait qu’elle ait été arrêtée le 23 août 2011, pour 'surmenage professionnel, syndrome anxio-dépressif réactionnel', alors qu’elle venait de rentrer le 16 août d’un mois de vacances, n’est lui aussi révélateur que de l’ambiance pré-licenciement, la salariée ayant été convoquée ce jour-là à son entretien préalable ; que la salariée ne présente en conséquence pas de faits susceptibles de laisser présumer l’existence d’un harcèlement moral à son encontre et sa demande nouvelle à ce titre doit être rejetée ;

Attendu, s’agissant de la demande indemnitaire pour désactivation de sa boîte mail, que l’appelante se plaint de ce que l’accès à sa messagerie professionnelle lui a été coupée dès le premier jour de sa mise à pied conservatoire ; que cependant, le contrat de travail étant suspendu, l’employeur n’est pas en faute de lui avoir suspendu sa messagerie professionnelle Iphone, la salariée ayant conservé et son téléphone portable et l’accès à sa ligne privée, comme le lui a confirmé l’employeur précisément par courriel du 25 août 2011; que le jugement sera confirmé qui a rejeté sa demande de dommages-intérêts à ce titre;

Attendu enfin, s’agissant de la demande de complément de bonus, que l’article 5 du contrat de travail stipule que la salariée bénéficiera d’un bonus annuel d’un montant maximum de 20% de la base annuelle brute, les objectifs dudit bonus étant définis chaque année en fonction de la stratégie de l’entreprise et de sa filiale française ; que l’employeur justifie par le décompte de la 'base bonus 2011" que le mode de calcul de la somme brute de 2 281 € qui a été versée à Mme D à son départ correspond aux objectifs contractuels qu’elle avait signés pour l’année 2011 ; que la demande n’est donc pas fondée ;

Attendu, s’agissant de la demande reconventionnelle de l’employeur, que la responsabilité d’un salarié ne peut être engagée à l’égard de son employeur dans le cadre de ses fonctions qu’en cas de démonstration d’une faute lourde, laquelle suppose l’intention de nuire à l’employeur ; que l’employeur ne l’a pas retenue dans le cadre du licenciement et n’en fait pas davantage la preuve aujourd’hui ; que la demande indemnitaire à hauteur du préjudice financier subi par l’entreprise sera en conséquence rejetée ;

Attendu en revanche qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de la société intimée les frais de procédure engagés en appel ; qu’une somme de 1500 € lui sera allouée à ce titre ;

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Déboute Mme K D née Morel de sa demande indemnitaire nouvelle pour harcèlement moral ;

La condamne à payer à la SAS Groupe Papyrus France la somme de 1500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

La condamne aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Collez ici un lien vers une page Doctrine

Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code du travail
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Paris, 26 mars 2015, n° 12/11144