Cour d'appel de Paris, 12 mai 2016, n° 15/12537

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, 12 mai 2016, n° 15/12537
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 15/12537
Décision précédente : Tribunal de commerce de Créteil, 9 juin 2015, N° 2014L01907

Texte intégral

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 9

ARRÊT DU 12 MAI 2016

(n° , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 15/12537

Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce de CRÉTEIL en date du 10 Juin 2015 – RG n° 2014L01907

APPELANTS

1) Monsieur I-J U

XXX

XXX

Représenté par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

ayant pour avocats plaidants Me Christophe INGRAIN et me NICODEAU Aurélien, du cabinet DARROIS-VILLEZ-MAILLOT-BROCHIER, avocat au barreau de PARIS, toque : R170

2) SA Y H

immatriculée au RCS de NANTERRE sous le n°642 010 045

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

ayant son siège XXX

XXX

Représenté par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

ayant pour avocats plaidants Me Christophe INGRAIN et me NICODEAU Aurélien, du cabinet DARROIS-VILLEZ-MAILLOT-BROCHIER, avocat au barreau de PARIS, toque : R170

INTIMÉS

1) Monsieur C D

XXX

XXX

2) LE PROCUREUR GENERAL – SERVICE FINANCIER ET COMMERCIAL

XXX

XXX

3) SELARL SMJ

prise en la personne de Maître P Q R, Mandataire judiciaire, es-qualité de liquidateur judiciaire de la société EUROPEENNE FOOD

ayant son siège 6Bis, boulevard I-Baptiste Oudry

XXX

Représentée par Me Thierry SERRA de l’AARPI SERRA ABOUZEID ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : E0280

4) SAS Z

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

ayant son siège XXX

XXX

XXX

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

ayant son siège XXX

XXX

6) CENTRE DE GESTION ET D’ETUDES AGS (CGEA) D’ILE DE FRANCE EST

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

ayant son siège XXX

92309 LEVALLOIS-PERRET CEDEX

XXX

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

ayant son siège XXX

XXX

Représentée par Me François TEYTAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

8) SAS SOCIETE ANONYME DES EAUX MINERALES D’EVIAN M. E.

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

XXX

XXX

Représentée par Me I-Christophe BLANCHIN, avocat au barreau de PARIS, toque : A0410

9) SAS COCA-COLA ENTREPRISE

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

ayant son siège XXX

XXX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 23 Mars 2016, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant Madame A B, Conseillère faisant fonction de président et Madame E F, Conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame A B, Conseillère faisant fonction de président

Madame E F, Conseillère

Monsieur Laurent BEDOUET, Conseiller appelé d’une autre Chambre afin de compléter la Cour

Qui en ont délibéré,

Un rapport a été présenté à l’audience par Madame A B, Conseillère, dans les conditions prévues à l’article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Pauline ROBERT

MINISTERE PUBLIC : l’affaire a été communiquée au Ministère Public.

ARRÊT :

— contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Madame A B, Conseillère faisant fonction de président et par Mme Pauline ROBERT, greffier présent lors du prononcé.

*

La société Européenne Food exerçait une activité de distribution alimentaire hors domicile. Le cabinet Y Associé a été nommé commissaire aux comptes le 26 juin 2008.

Par jugement en date du 30 octobre 2013 le tribunal de commerce de Créteil a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre de la société Européenne Food.

La Selarl SMJ a été nommée en qualité de liquidateur.

Il est apparu au cours de l’été 2013, suite à un changement de direction, que les difficultés de trésorerie rencontrées par la société Européenne Food pourraient provenir en partie de fraudes qui auraient été commises par les anciens dirigeants. Ces éléments ayant été transmis au cabinet Y H, le commissaire aux comptes a procédé à une révélation pour faits délictueux après du Procureur de la République.

Le Procureur de la République a également été saisi de plaintes contre X déposées par le liquidateur de la société Européenne Food et par des véhicules d’investissement ayant participé à l’acquisition de la société.

La Selarl SMJ a introduit le 28 mars 2013 une action en responsabilité à l’encontre du Cabinet Y H et de M. I J U devant le tribunal de grande instance de Nanterre.

Par ordonnance du 24 février 2014, qui n’a pas été notifiée au cabinet Y H, le juge-commissaire du tribunal de commerce de Créteil chargé de la liquidation de la société Européenne Food désignait le cabinet Z en qualité de technicien pour l’assister dans sa mission.

Dans une lettre du 16 avril 2014 le Cabinet Z informait le cabinet Y H de sa mission et lui demandait communication d''une copie des rapports généraux, de tout autre rapport ou note concernant les trois derniers exercices arrêtés (31/12/2010, 30/06/2011 et 31/12/2011) et de tous éléments relatifs à la mise en place de diligences au titre de l’audit des comptes au 31 décembre 2012".

Dans une lettre du 30 avril 2014, le Cabinet Y H opposait à cette demande son obligation de respect du secret professionnel.

Le liquidateur judiciaire saisissait alors le juge-commissaire par voie de requête afin qu’il délie le cabinet Y H de son secret professionnel et le mette en demeure de lui communiquer les éléments demandés par le Cabinet Z.

Par ordonnance du 16 juillet 2014 le juge commissaire déliait le cabinet Y et H du secret professionnel et lui faisait injonction de transmettre les documents suivants dans un délai de 15 jours :

— les rapports généraux, spéciaux et éventuellement tout autre rapport concernant les trois derniers exercices arrêtés ;

— tous éléments relatifs aux exercices 31 décembre 2010, 30 juin 2011, 31 décembre 2011 et 31 décembre 2012 ;

— les dossiers de travail relatif aux exercices 31 décembre 2010, 30 juin 2011, 31 décembre 2011 et 31 décembre 2012 ;

— les correspondances échangées avec la SAS européenne Food ou ses représentants dans le cadre de l’audit des comptes 2012 et d’une éventuelle procédure d’alerte ;

— tous les courriers adressés au procureur de la République

L’ordonnance précisait également que le cabinet Y pouvait être entendu par le cabinet Z dans le cadre de l’accomplissement de sa mission.

Cette ordonnance a été notifiée le 17 juillet 2014 et le Cabinet Y formait un recours contre cette ordonnance le 24 juillet 2014 devant le tribunal de commerce de Créteil sollicitant la rétractation de l’ordonnance.

Par un jugement du 10 juin 2015, le tribunal de commerce de Créteil rétractait l’ordonnance et, statuant à nouveau, déliait le cabinet Y Associé du secret professionnel et lui ordonnait de remettre au juge-commissaire les rapports généraux et spéciaux concernant les trois exercices arrêtés (31 décembre 2010, 30 juin 2011 et 31 décembre 2011) et les éléments relatifs à la procédure d’alerte de la société Européenne Food et plus généralement de remettre au juge-commissaire l’ensemble des rapports, dossiers, documents et correspondances quel qu’en soit le support, la forme et la nature, qu’ils avaient transmis ou remis à la société Européenne Food au titre de leur mission pour les exercices 2010 à 2012, sous astreinte de 500€ par jour de retard à compter du quinzième jour suivant la notification du jugement.

Le tribunal a retenu que le juge commissaire n’avait pas respecté le principe du contradictoire alors qu’il n’ignorait pas l’opposition du cabinet Y H à la communication des documents demandés. Sur le fond il a fait application de l’article L 623-2 du code de commerce en relevant que cette disposition ne distinguait pas les documents qui devaient être communiqués et il a relevé que les documents en question étaient la propriété de l’entreprise, que suite au jugement ouvrant la liquidation judiciaire les actions concernant le patrimoine de l’entreprise appartiennent au mandataire liquidateur et dès lors que ces informations doivent être communiquées.

Monsieur X et le cabinet Y H ont interjeté appel de cette décision le 19 juin 2015.

Par ordonnance du 23 septembre 2015 le Premier Président, saisi d’une demande d’arrêt de l’exécution provisoire du jugement attaqué, a fait droit à la demande mais seulement sur la communication générale de l’ensemble des documents adressés ou transmis par le commissaire aux comptes en considérant que 'l’injonction de communiquer délivrée par le tribunal pour les besoins d’une mission d’assistance confiée à un technicien, mission qui ne se confond pas avec une mesure d’expertise judiciaire offrant un cadre procédural plus protecteur pour un tiers dont la responsabilité est d’ores et déjà recherchée par ailleurs, doit s’inscrire strictement dans la recherche d’informations sur la situation économique, financière, sociale et patrimoniale de l’entreprise'.

***

Dans leurs dernières conclusions signifiées par voie électronique le 9 mars 2016 le cabinet Y H et monsieur I-J X demandent à la cour d’appel d’infirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Créteil du 10 juin 2015, de débouter la Selarl SMJ de l’ensemble de ses demandes et de condamner la Selarl SMJ à payer à la société Y H et à monsieur I-J X la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

***

Dans ses conclusions signifiées le 2 mars 2016 la Selarl SMJ, représentée par Maître P Q R, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Européenne Food, demande à la cour d’appel de débouter le Cabinet Y H et M. I-J X de toutes leurs demandes, confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions, liquider l’astreinte d’un montant de 40.500€ mise à la charge du Cabinet Y H et de M. X et les condamner à payer la somme de 10.000€ au titre de l’article 700 du Code de la procédure civile.

SUR CE

Le tribunal a statué ultra petita

Les appelants font valoir que l’objet du litige étant déterminé par les prétentions respectives des parties, «le juge doit se prononcer sur tout ce qui demandé et seulement sur ce qui est demandé», le non-respect de ces principes étant un motif de réformation du jugement.

En l’espèce, ils reprochent au tribunal de commerce de Créteil d’avoir ordonné au cabinet Y H de remettre l’ensemble des rapports, dossiers, documents et correspondances quel qu’en soit le support, la forme et la nature, qu’il a transmis ou remis à la société Européenne Food au titre de sa mission pour les exercice 2010 à 2012 alors que le liquidateur de la société Européenne Food ne demandait pas la communication de tels documents, ni devant le tribunal de commerce, ni dans sa requête du 16 juillet 2014. Il demandait uniquement la confirmation de l’ordonnance du juge-commissaire, c’est-à-dire la communication des documents suivants : les rapports généraux, spéciaux et éventuellement tout autre rapport concernant les trois derniers exercices, tous éléments relatifs à la mise en place de leurs diligences au titre de l’audit des comptes au 31/12/2012, les dossiers de travail relatif aux exercices 31/12/2010, 30/06/2011, 31/12/2011 et 31/12/2012, les correspondances échangées avec la SAS Européenne Food ou ses représentants dans le cadre de l’audit des comptes 2012 et d’une éventuelle procédure d’alerte, et tous les courriers adressés au Procureur de la République en application de la procédure d’alerte.

La Selarl SMJ fait valoir qu’aux termes de l’article L 623-2 du Code de commerce, le juge-commissaire peut obtenir communication par les commissaires aux comptes des renseignements de nature à lui donner une exacte information sur la situation économique, financière, sociale et patrimoniale du débiteur. Le tribunal dispose exactement des mêmes pouvoirs que le juge-commissaire pour se prononcer et n’a pas à renvoyer l’affaire devant ce dernier s’il articule un point non tranché ou non abordé par lui. C’est dans le cadre de ce pouvoir souverain, non limité par les prétentions des parties que le tribunal à statué «plus généralement».

Par conséquent, la prétention des appelants selon laquelle, le tribunal aurait statué ultra petita en allant au-delà des demandes des parties est irrecevable, puisque ce principe est inapplicable de manière dérogatoire, comme en l’espèce, dans le cadre des procédures collectives où le juge dispose de pouvoirs exorbitants du droit commun.

La cour relève que le juge commissaire était saisi d’une demande de communication par le commissaire aux comptes d’un certain nombre de pièces déterminées, destinées à l’informer sur la situation économique, financière, sociale et patrimoniale de l’entreprise sur le fondement de l’article L 623-2 du code de commerce.

Il est constant que le tribunal, après avoir rétracté l’ordonnance du juge commissaire, a ordonné au commissaire aux comptes de remettre au juge commissaire, outre les rapports généraux et spéciaux concernant les trois derniers exercices arrêtés et les éléments relatifs à la procédure d’alerte, 'l’ensemble des rapports, dossiers, documents et correspondances quel qu’en soit le support, la forme ou la nature, qu’ils ont transmis ou remis à la société Européenne Food au titre de leur mission pour les exercices 2010 à 2012' excipant de la nécessité pour le juge commissaire d’avoir accès à toutes les informations relatives à la situation économique, financière, sociale et patrimoniale de l’entreprise, celles ci ne se limitant pas aux pièces comptables.

La cour rappelle que le tribunal de commerce dispose, sur recours contre une ordonnance du juge commissaire, des mêmes pouvoirs que celui-ci de par l’effet dévolutif de ce recours.

Il était donc du pouvoir du tribunal d’ordonner la communication de toutes les pièces nécessaires à la mission du juge commissaire, ce dernier n’étant pas tenu par les demandes du liquidateur pour accéder à l’information, s’agissant d’un droit qui lui est propre pour l’accomplissement de sa mission.

Sur le secret professionnel

Les appelants font valoir que le tribunal a outrepassé le cadre du secret professionnel. Ils considèrent d’une part que la mission du commissaire aux comptes cessant dès l’ouverture ou le prononcé de la liquidation judiciaire il n’a plus de lien avec la société ni avec le liquidateur et il reste donc tenu au secret professionnel envers la Selarl SMJ et d’autre part que l’article L 623-2 code de commerce ne permet pas d’exiger la communication de documents. En effet, cet article impose aux commissaires aux comptes la communication de renseignements et non pas de documents, qui sont des notions distinctes. En l’espèce, la demande du juge-commissaire porte sur des documents et il s’agit donc bien d’une violation du secret professionnel.

Ils ajoutent que l’article L623-2 code de commerce ne permet d’exiger que des renseignements nécessaires à l’évaluation de la situation économique et financière de l’entreprise.

En l’espèce, alors que le tribunal ne pouvait ordonner que la communication de renseignements ciblés strictement nécessaires pour connaître la situation de l’entreprise, il a ordonné dans son jugement du 10 juin 2015 la communication de «'l’ensemble des rapports, dossiers, documents et correspondances quel qu’en soit le support, la forme et la nature, qu’il ont transmis ou remis à la société européenne Food au titre de leur mission pour les exercices 2010 à 2012'».

Le tribunal n’a pas justifié, selon eux, la raison pour laquelle ces documents seraient susceptibles d’être communiqués, et a ordonné la communication d’éléments indéterminés et non ciblés et dont leur utilité au regard du texte susvisé ne peut être prévisible.

Par cette décision, ils estiment que le tribunal de commerce a violé le secret professionnel continuant à couvrir les éléments qui ne sont pas strictement nécessaires à l’évaluation de la situation économique, comptable ou financière de l’entreprise.

Enfin, ils considèrent que l’article L623-2 du code de commerce ne permet pas d’exiger des renseignements relatifs aux diligences du commissaire aux comptes. La mission du technicien nommé par le juge-commissaire ne saurait inclure la recherche de la responsabilité professionnelle des tiers, tels que le commissaire aux comptes.

Sur la notion de documents / renseignements, la Selarl SMJ fait valoir que l’article précité permet au juge-commissaire d’obtenir tous «renseignements de nature à lui donner une exacte information sur la situation économique, financière, sociale et patrimoniale du débiteur». Les appelants, négligeant les termes «sociale et patrimoniale», se contentent de citer des passages de décisions qui n’avaient à connaître que de la dimension économique et financière.

Ils exposent que dès que le jugement de liquidation judiciaire et prononcé, les droits et actions concernant le patrimoine de l’entreprise sont exercés par le mandataire judiciaire, et que l’ensemble des rapports, dossiers, documents et correspondances quel qu’en soit le support, la forme et la nature, que les commissaires aux comptes ont transmis à la société Européenne Food sont des éléments corporels propriété de la société Européenne Food et donc partie intégrante de son patrimoine. Le commissaire aux comptes ne saurait donc refuser la transmission de documents qui du fait de leur transmission appartiennent désormais à la société Européenne Food. Le liquidateur n’ayant pas retrouvé ces documents, est donc en droit de demander des copies au commissaire aux comptes.

Sur la fourniture d’informations économiques, financières, sociales et patrimoniales, ils soutiennent que l’analyse des «dossiers, documents et correspondances qu’il [NB : le Cabinet Y H] ont remis à la société Européenne Food au titre de leur mission pour les exercices 2010 à 2012'» sont susceptibles de révéler des informations capitales et une analyse des commissaires aux comptes sur la «situation économique, financière, sociale et patrimoniale du débiteur». Même dans l’éventualité où l’intégralité de ces documents ne rentre pas dans le champ de la loi, le juge-commissaire sera toujours libre de ne pas les communiquer aux autres membres de la procédure, puisque selon l’article L.621-9 du Code de commerce «le juge-commissaire est chargé de (') la protection des intérêts en présence».

Pour ce qui est de la mission du technicien qui serait de rechercher des éléments engageant la responsabilité du commissaire aux comptes, la Selarl SMJ fait valoir que ce n’est pas l’ordonnance du 24 février 2014, désignant un technicien pour assister le liquidateur, mais celle du 16 juillet 2014 qui fait l’objet de la procédure, cette prétention étant donc dénué de tout intérêt, puisque la mission du technicien n’était pas d’engager la responsabilité du commissaire aux comptes mais de rechercher «tout acte ou tout fait de nature à engager d’éventuelles responsabilités des dirigeants de droit ou de fait, des actionnaires et de tout tiers». Cette formulation générale n’a jamais visée spécifiquement le cabinet Y H.

Enfin la Selarl SMJ fait valoir qu’il paraît illogique qu’un tiers, même un commissaire aux comptes puisse faire entrave au pouvoir d’enquête du juge-commissaire au motif d’informations qu’il souhaiterait dissimuler. Une telle attitude n’est pas acceptable puisqu’elle risque de compromettre de bon fonctionnement de la procédure collective.

Aux termes de l’article L 623-2 du code de commerce 'Le juge-commissaire peut, nonobstant toute disposition législative ou réglementaire contraire, obtenir communication par les commissaires aux comptes (…) des renseignements de nature à lui donner une exacte information sur la situation économique, financière, sociale et patrimoniale du débiteur'.

L’article L 623-3 précise que 'L’administrateur reçoit du juge-commissaire tous renseignements et documents utiles à l’accomplissement de sa mission et de celle des experts (…).'

Il résulte de ces textes que le juge commissaire et donc le tribunal, peut obtenir du commissaire aux comptes nonobstant toute dispositions législative ou réglementaire contraires tel le secret professionnel prévu à l’article L 822-15 du code de commerce, tout renseignement de nature à lui donner une exacte information sur la situation économique, financière, sociale et patrimoniale de l’entreprise et que l’information ainsi recueillie peut être transmise au mandataire liquidateur par le juge commissaire. Ainsi, si le secret professionnel est opposable au liquidateur il ne l’est pas au juge commissaire.

La distinction opérée par les appelants entre renseignement et document n’apparaît pas sérieuse à la cour, sauf à considérer qu’un renseignement ne peut être qu’oral. Le juge commissaire peut donc obtenir la communication des documents qu’il estime nécessaires à l’accomplissement de sa mission.

La cour constate cependant que la production des documents litigieux n’est pas demandée dans la cadre de la procédure mettant en jeu la responsabilité du commissaire aux comptes, cette action ayant été initiée devant le tribunal de grande instance de Nanterre et non devant le tribunal de commerce de Créteil.

Toutefois, le litige est né à l’occasion d’une demande de production de documents adressée par le cabinet Z, désigné en qualité de technicien pour assister le juge commissaire, au cabinet Y. Or la mission du cabinet Z telle qu’elle ressort de la décision du juge commissaire en date du 26 février 2014 est notamment, outre une mission d’analyse comptable destinée notamment à régler le sort de marchandises revendiquées ou de dévoiler la responsabilité des dirigeants dans la déconfiture de la société , de relever 'tout acte ou tout fait de nature à engager d’éventuelles responsabilités des dirigeants de droit ou de fait, des actionnaires et de tout tiers'.

Ainsi, si le commissaire aux comptes, qui est un tiers, peut être tenu de communiquer, notamment à un expert qui serait désigné, les documents demandés dans le cadre du litige en responsabilité engagé à son encontre, il ne peut être contraint à communiquer des documents pouvant mener à révéler ses éventuelles fautes dans le cadre de la procédure collective.

La décision attaquée sera donc réformée partiellement en ce qu’elle ordonne la production générale de documents. La production sera en effet limitée aux documents afférents à la situation économique, financière, sociale et patrimoniale de l’entreprise ou de ses dirigeants, étant précisé que les documents doivent être communiqués au juge commissaire lequel décidera par la suite s’il convient de les transmettre au liquidateur ou au technicien désigné pour l’assister.

Sur la liquidation de l’astreinte

Dans ses conclusions du 19 octobre 2015, l’intimé demande à la Cour de «liquider l’astreinte d’un montant de 40.500€ mise à la charge du cabinet Y H et de M. I J X'».

Ils estiment que la cour n’est pas compétente pour liquider une telle astreinte puisque dans son jugement du 10 juin 2015, le tribunal de commerce de Créteil s’est réservé la compétence exclusive pour statuer sur la liquidation de l’astreinte prononcée «Dit que l’astreinte sera libérée par le Tribunal de céans».

Ensuite, à supposer que la cour se reconnaisse compétente pour statuer sur cette demande, l’infirmation du jugement du tribunal de commerce de Créteil aura pour conséquence l’anéantissement rétroactif de l’astreinte prononcée et de sa liquidation éventuelle, pour perte de fondement juridique, l’astreinte n’étant que l’accessoire du jugement.

Enfin, le montant de l’astreinte de 500€ par jour est disproportionné, surtout au regard de l’ordonnance du Premier Président de la Cour d’appel de Paris qui a jugé légitime de suspendre l’exécution provisoire du jugement ayant prononcé l’astreinte, en raison des motifs sérieux d’appel.

Il convient également de souligner la bonne foi des appelants qui ont immédiatement communiqué au juge-commissaire les documents non concernés par la suspension (rapport généraux et spéciaux et documents de la procédure d’alerte).

La cour ayant jugé que la décision du tribunal de commerce de Créteil devait être réformée en ce qu’elle ordonne la remise générale de tous documents sans les identifier, et les autres documents ayant été communiqués par le cabinet Y, la mesure d’astreinte ordonnée par les premiers juges sera infirmée.

Sur l’article 700 du Code de procédure civile

Le cabinet Y et monsieur X sollicitent le paiement de la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

La Selarl SMJ sollicite le paiement de la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Chacune des parties succombant partiellement, il ne sera pas fait application de cette disposition.

PAR CES MOTIFS,

Infirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Créteil le 10 juin 2015 mais seulement en ce qu’il a ordonné 'plus généralement au cabinet Y H de remettre au juge-commissaire à la liquidation de la société Européenne Food l’ensemble des rapports, dossiers, documents et correspondances quel qu’en soit le support, la forme et la nature, qu’ils ont transmis ou remis à la société Européenne Food au titre de lerur mission pour les exercices 2010 à 2012 sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter du quinzième jour suivant la notification de la présente décision,'

Confirme pour le surplus,

Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du Code de procédure civile,

Partage les dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

Pauline ROBERT A B

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