Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 1, 8 mars 2017, n° 15/22520

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 5 - ch. 1, 8 mars 2017, n° 15/22520
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 15/22520
Dispositif : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Sur les parties

Texte intégral

Notification par LRAR aux parties le : RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS Pôle 5 – Chambre 1

ORDONNANCE DU 08 MARS 2017 (n° 032/2017, 12 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 15/22520

Recours à l’encontre du procès verbal de visite et saisie en date du 06 juillet 2015 dans les locaux et dépendances sis XXX

Nature de la décision : Contradictoire

Nous, L FUSARO, Conseiller à la Cour d’appel de PARIS, délégué par le Premier Président de ladite Cour pour exercer les attributions résultant de l’article L16B du Livre des procédures fiscales, modifié par l’article 164 de la loi n°2008-776 du 04 août 2008 ;

assistée de Karine ABELKALON, greffier lors des débats ;

Avons rendu l’ordonnance ci-après :

ENTRE :

Société UBER B.V.,

société de droit néerlandais,

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

XXX

XXX

1422 PAYS-BAS

Représentée et ayant pour avocats plaidants Me Jean-Fabrice BRUN, Me Bruno GIBERT, et Me Antoine LANDON, de la SELAFA CMS BUREAU I LEFEBVRE, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, toque NAN 1701

Demanderesse au recours

XXX,

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 539 454 942

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

XXX

XXX

Représentée et ayant pour avocats plaidants Me Jean-Fabrice BRUN, Me Bruno GIBERT, et Me Antoine LANDON, de la SELAFA CMS BUREAU I LEFEBVRE, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, toque NAN 1701

Intervenante volontaire

ET

DIRECTION NATIONALE D’ENQUÊTES FISCALES

XXX

XXX

Représentée et ayant pour avocat plaidant Me Jean DI FRANCESCO de la SCP URBINO ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque P137

Défenderesse au recours

***

Et après avoir entendu publiquement, à notre audience du 23 novembre 2016, les conseils des parties,

Les débats ayant été clôturés avec l’indication que l’affaire était mise en délibéré au 1er février 2017 prorogé au 08 Mars 2017 pour mise à disposition de l’ordonnance au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

***

Le 3 juillet 2015, le vice-président, juge des libertés et de la détention (ci-après JLD) de PARIS a rendu une ordonnance en application des articles L16 et L 16 B-1 du livre des procédures fiscales (ci-après LPF) à l’encontre de :

— la société de droit néerlandais UBER BV, représentée par M. Y Z, ayant pour siège VIJZELSTRAAT 68 ' 1017 HL AMSTERDAM ' PAYS BAS et pour objet « l’engagement d’accords concernant la fourniture de service de transport à la demande via des applications mobiles basées sur le Web et services liés ».

Le JLD indiquait, dans son ordonnance, que la société précitée serait présumée exercer en FRANCE une activité commerciale visant à mettre en relation le chauffeur et l’utilisateur, sans souscrire les déclarations fiscales correspondantes et ainsi omettrait de passer les écritures comptables correspondantes.

Et ainsi, serait présumée s’être soustraite et/ou se soustraire à l’établissement et au paiement des impôts sur les bénéfices et des taxes sur le chiffre d’affaires (TVA), en se livrant à des achats ou des ventes sans facture, en utilisant ou en délivrant des factures ou des documents ne se rapportant pas à des opérations réelles ou en omettant sciemment de passer ou de faire passer des écritures ou en passant ou en faisant passer sciemment des écritures inexactes ou fictives dans des documents comptables dont la tenue est imposée par le Code général des impôts.

Selon les services fiscaux, les sociétés SAS UBER FRANCE et UBER BV, sises XXX, seraient susceptibles de détenir des documents et/ou supports d’informations relatifs à la fraude présumée.

Les opérations de visite et de saisies se sont déroulées le 6 juillet 2015 dans les locaux situés XXX et le même jour dans les locaux sis XXX.

Le 13 juillet 2015, les sociétés SAS UBER FRANCE et UBER BV ont formé un appel à l’encontre de l’ordonnance du JLD et un recours contre les opérations ayant eu lieu au sein des locaux de la société UBER FRANCE et la société UBER BV a exercé un recours contre les visites et saisies effectuées au siège de la société P, sis XXX.

L’affaire a été audiencée pour être plaidée le 23 novembre 2016 et mise en délibéré pour être rendue le 1er février 2017 et prorogée au 08 mars 2017.

Par conclusions enregistrées au greffe de la Cour d’appel de PARIS le 2 mars 2016, la société UBER BV fait valoir :

A- la recevabilité de l’intervention volontaire de la société UBER FRANCE

La société UBER FRANCE soutient qu’elle est recevable à intervenir volontairement à la présente instance aux termes des articles 325 et 329 du code de procédure civile.

Elle excipe de son intérêt incontestable à intervenir volontairement, dans la mesure où ont notamment été saisis, lors des opérations, des courriels échangés avec ses conseils, son intervention se rattachant manifestement aux prétentions des parties, elle demande l’annulation des opérations de visite et de saisie. Elle fait valoir, au soutien de ses demandes, un droit propre, la confidentialité des échanges, qu’elle a pu avoir avec ses conseils, et demande l’annulation de l’ensemble des opérations de visite et de saisie menées au siège de la société P.

B- la violation du secret professionnel

La requérante rappelle les dispositions de l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et cite à l’appui de son argumentation des décisions de la Cour de cassation.

Elle indique que le secret professionnel des avocats ne se limite pas à l’activité de défense en justice et que la forme du document (lettre, courriel, télécopie) est parfaitement indifférente, dès lors qu’il s’agit d’une correspondance échangée entre un avocat et son client, seule compte sa teneur.

Elle mentionne également que ce secret est protégé par l’article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après CESDH) et cite des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après CEDH) et de Cour de justice de l’union européenne (ci-après CJUE) et fait valoir les dispositions de l’article L 16 B du LPF et 56 du code de procédure pénale, notamment concernant le rôle des l’officier de police judiciaire.

Elle fait valoir que plus de 130 documents couverts par le secret professionnel ont été saisis par l’administration fiscale et qu’une liste des courriels confidentiels a été annexée par un huissier de justice à son procès-verbal de constat et par ailleurs, une consultation du cabinet X & Associés était jointe à un courriel échangé entre les salariés de la société UBER et Madame A B. Elle estime que la saisie de l’ensemble de ces documents confidentiels constitue une violation de la confidentialité attachée aux échanges entre l’avocat et son client.

C- l’irrégularité du procès-verbal de visite et saisie établi par l’administration fiscale

Il est rappelé les termes des articles L16 B et L 238 du LPF relatifs aux procès verbaux de l’administration fiscale.

Les requérantes font valoir que le procès-verbal, établi par l’administration fiscale, atteste que « les données de messageries contenues dans les dossiers mentionnés ci-dessus ont fait l’objet en présence de M. C D, ainsi qu’ E F, représentant de l’Ordre et de G H, officier de police judiciaire, afin d’en extourner des correspondances d’avocat » et qu’il est patent qu’aucune correspondance d’avocat n’a été exclue par les agents de l’administration fiscale.

Il est soutenu qu’ont été saisis des courriels émanant des différents conseils des sociétés UBER France et UBER BV et qu’il semble que l’intégralité des sous-dossiers UBER des boîtes emails de M.. C D et Mme A B a été saisie.

Ainsi, aucune exclusion des correspondances d’avocat n’a donc été faite, contrairement à l’usage en matière de visite et saisies domiciliaires, au cours desquelles les agents de l’administration fiscale utilisent des mots clefs permettant de trier les documents saisis, et aux dispositions légales applicables, qui interdisent la saisie de correspondances échangées entre un avocat et son client.

Il en est déduit que le procès-verbal établi par l’administration fiscale est erroné et que sa force probante doit donc lui être déniée.

D- Sur la particulière déloyauté de l’administration fiscale

Au jour des opérations, le 6 juillet 2015, la société UBER FRANCE faisait l’objet d’un contrôle fiscal démarré le 9 juillet 2014 et la plupart des échanges confidentiels saisis ont directement trait à ce contrôle fiscal.

L’administration fiscale ne pouvait l’ignorer car l’objet des courriers ou l’intitulé des pièces jointes y font expressément référence, à savoir:

— « UBER France – tax ' audit – 4 th meeting »

— « Privileged & confidential ' UBER France ' Draft nemo strategy »

— « UBER Tax audit »

— « UBER France call tax audit »

— « URGENT : TAX AUDIT »

— « XXX

— « tax audit recap »

— « XXX

— « XXX

— « UBER France tax audit- 4th meeting » -« XXX

— « privileged & confidential ' UBER FRANCE ' Meeting with the tax inspectors on january »

— « tax audit ' proposed strategy »

— « XXX

Par ailleurs, un mémorandum à en tête du cabinet d’avocat C’M'S Bureau I J, mentionnant en première page « privilège and confidential attorney work product draft for discussion purposes » ayant pour objet « French tax audit strategy » a également été saisi.

La requérante invoque une particulière déloyauté de l’administration notamment compte tenu du contrôle fiscal en cours, à la stratégie conseillée lors du contrôle et à l’exercice même des droits de la défense.

Il s’ensuit que la saisie de ces documents porte atteinte au droit des contribuables de se faire assister par un conseil de leur choix, en application de l’article L 47 du LPF.

Il est fait valoir que l’atteinte portée par l’administration fiscale aux droits des sociétés UBER France et UBER BV est irrémédiable.

En effet, en saisissant ces pièces, l’administration fiscale a pu prendre connaissance de la stratégie suggérée à la société UBER FRANCE par son conseil, des risques éventuels qui auraient pu être identifiés et des moyens de défense à soulever, de sorte que cette atteinte soit de nature à entraîner la nullité des opérations de saisies, au sein des locaux de la société P, la restitution des pièces confidentielles saisies ne permettra pas de réparer l’atteinte causée.

V- Sur l’annulation de l’ensemble des opérations de visite et de saisies domiciliaires menées au sein des locaux de la société P

Selon la requérante, l’annulation de l’ensemble des opérations de visite et de saisies est justifiée par le nombre de correspondances saisies, la gravité de l’atteinte portée aux droits de la défense compte tenu de l’objet et de la nature de ces correspondances, les circonstances (manifestations de taxis et graves débordements intervenus) ayant présidé à ces opérations et à leur déroulement.

— A titre subsidiaire

Il est indiqué que les fichiers saisis sont des fichiers présentant l’extension « pst », à savoir un fichier au format Outlook, un logiciel de messagerie.

Ce ne sont pas des fichiers sélectionnés qui ont été copiés sur des cd-rom de l’administration fiscale, mais un fichier informatique unique et insécable. Il est précisé que chacun des fichiers forme un tout techniquement indivisible et qu’il est impossible d’expurger a postériori ces fichiers des correspondances d’avocat tout en conservant leur intégrité et d’exclure les courriels sans lien avec le champ de l’ordonnance ayant autorisé les opérations.

Il en est déduit que la saisie massive opérée et l’impossibilité technique d’y remédier porte atteinte au secret des correspondances et au respect de la vie privée, protégé par l’article 8 de la CESDH.

En conclusion, il est demandé l’annulation de l’intégrité de l’opération de visites et de saisies, pratiquée le 6 juillet 2015 dans les locaux de la société P, ou, à tout le moins, des saisies informatiques effectuées et la destruction de toute copie, sous quelque forme que ce soit, des documents dont la saisie est annulée, à charge pour l’administration de justifier de la destruction effective de ces documents dans un délai de 8 jours, à compter de la signification de l’ordonnance à intervenir, sous astreinte de 2000 euros par jour de retard jusqu’à justification effective de ces documents ainsi qu’une somme de 15.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l’instance.

Par dernières conclusions en réponse déposées au greffe de la Cour d’appel de PARIS le 23 novembre 2016, la DGFP fait valoir :

I- Sur l’intervention volontaire de la société UBER France

La DGFP soutient que la mise en 'uvre des règles du code de procédure civile s’impose lorsque le texte de l’article L.16 B du LPF y fait formellement référence (formes de l’appel, formes du pourvoi) et, en dehors de cette hypothèse et dans le silence de l’article L.16 B, la référence aux règles du code de procédure civile ne peut être admise que si elles concordent avec l’économie du dispositif voulu par l’article L.16 B du LPF.

En l’espèce, la procédure de visite domiciliaire est totalement étrangère à une procédure de droit privé opposant deux parties de droit privé, pour laquelle la procédure civile a été instituée et l’intervention du juge est totalement étrangère au contexte dans lequel le juge judiciaire intervient habituellement sur le fondement des règles de procédure civile.

Ainsi, les dispositions de l’article L.16 B du LPF prévoient expressément que seuls sont titulaires du droit de recours contre les opérations de visite et de saisies l’occupant des lieux, d’une part et l’auteur présumé des agissements de fraude, d’autre part.

Ces dispositions interdisent donc toute intervention fondée sur les dispositions du code de procédure civile qui sont en contradiction avec les dispositions de l’article L.16 B du LPF, qui réservent le droit du recours à l’occupant des lieux et à l’auteur présumé d’agissements de fraude.

Selon la DGFP la société UBER FRANCE qui n’est ni l’occupante des lieux, ni l’auteur présumé d’agissements de fraude n’est donc pas recevable à intervenir volontairement.

II- Sur la procédure de vérification de comptabilité de la société UBER France

L’administration fiscale soutient que son attitude n’a pas été déloyale, dès lors que la société UBER faisait l’objet d’une vérification de comptabilité et que la mesure de visite domiciliaire ne constituait pas un détournement de procédure et cite à l’appui de son argumentation une décision de la Cour de Cassation.

III- Sur la violation du secret professionnel

L’administration fiscale soutient que les pièces contestées devaient être versées aux débats, en en expliquant les raisons pour chacune, l’absence de production rendant impossible de les identifier comme bénéficiant du secret professionnel de l’avocat.

Ainsi, il appartenait à la requérante de verser aux débats, afin qu’il puisse en être jugé, les documents, dont elle estime qu’ils n’étaient pas saisissables, au regard tant du champ de l’autorisation que du secret professionnel de l’avocat, en en expliquant les raisons.

Il est argué que le secret professionnel de l’avocat n’est pas général et que le seul fait qu’un courrier émane d’un avocat n’a pas pour effet d’en interdire la saisie.

S’agissant de la question de savoir si le secret professionnel s’étend aux correspondances échangées aux correspondances échangées entre l’avocat et l’expert comptable de ce client, la DGFP fait valoir que la Cour de cassation a répondu négativement.

Dans le cas présent, les agents intervenants on procédé à un tri dans les données des messageries afin d’en extourner des correspondances d’avocat en présence de M. C D, représentant des sociétés, du représentant de l’ordre de experts comptables et de l’officier de police judiciaire. Ce tri ne pouvait prétendre à avoir un caractère exhaustif, eu égard aux contraintes matérielles des opérations de visite et de saisies. La DGFP fait observer que M. C D et les représentants de l’Ordre, tous deux invités à faire connaître leurs observations, ont déclaré n’avoir aucune remarque à formuler.

En l’espèce, selon l’administration fiscale, il ressort de la liste de mails produite en pièce n°3 par les requérantes (annexes n°1 et n°2 du procès-verbal de constat d’huissier) et composant 260 lignes, que les mails échangés entre dirigeants ou salariés d’UBER et les avocats sont effectivement couverts par le secret professionnel à l’exclusion de ceux ou l’avocat est simplement en copie et ceux échangés entre avocat et expert comptable et après élimination des doublons.

Sur la liste des 260 pièces transmises par la requérante, l’administration fiscale retient 123 mails couverts par le secret professionnel, à savoir lignes n° 2 à 4, 6 à 23, 53 à 67, 69 à 77, 79, 81 à 88, 96 à 97, 103 à 106, 108 à 119, 136 à 144, 146 à 154, 156 à 162, 169 à 170, 175 à 176, 183, 184, 190 à 191, 194, 196 à 199, 203, 207, 211 à 212, 217, 224 à 226, 229, 233, 237 à 238, 243, 253.

Par ailleurs, la DGFP indique la pièce jointe à l’email du //2012 ayant pour objet « TR : Plan de Stock Option » est un document à en tête « X & associés » avec pour titre « Memorandum » est effectivement une correspondance entre un avocat et son client et est donc couverte par le secret professionnel.

Enfin, sur le caractère déloyal et fautif des saisies, dont une partie concernerait des échanges relatifs au contrôle fiscal dont fait l’objet la société UBER, elle fait valoir qu’il n’est pas fondé, d’une part, du fait que la société UBER France n’est pas visée par les présomptions de fraude et d’autre part, au motif que l’administration fait droit aux demandes des requérantes concernant les courriers échangés directement entre elles et leur avocat.

La DGFP estime qu’il n’y a aucune atteinte aux droits de la défense et aucune déloyauté de sa part.

IV- Sur la régularité du procès verbal

L’administration fiscale fait observer que le procès-verbal a été signé par les parties intéressées et qu’aucune remarque n’a été faite avant signature du procès-verbal. Elle précise que le représentant de l’ordre n’a également fait aucun commentaire.

— Subsidiairement, sur la portée de l’annulation

La DGFP soutient que lorsqu’un support de documents est indivisible, l’administration est en droit d’appréhender tous les documents qui y sont contenus si certains d’entre eux se rapportent, au moins en partie, aux agissements visés par l’autorisation de visite, et qu’il appartient ensuite au demandeur au recours de préciser et produire les éléments du fichier qui seraient insaisissables et en indiquant la raison pour chacun de ces éléments.

Par ailleurs, le fait qu’un document couvert par le secret professionnel de l’avocat, ou sans rapport avec les présomptions de fraude, figure au sein des saisies effectuées n’a pas pour effet d’entraîner l’annulation de l’ensemble des opérations, seule la saisie d’une pièce qui serait irrégulière devant être annulée sans remise en cause de la validité du procès verbal établi à cette occasion. Dès lors, la présence, dans une messagerie électronique, de courriels couverts par le secret professionnel, n’a pas pour effet d’invalider la saisie des autres éléments de cette messagerie. En conclusion, la DGFP demande de déclarer la société UBER France irrecevable à intervenir volontairement et de lui donner acte de son accord pour que soit annulée la saisie des fichiers correspondant aux lignes de liste numérotée : n° 2 à 4, 6 à 23, 53 à 67, 69 à 77, 79, 81 à 88, 96 à 97, 103 à 106, 108 à 119, 136 à 144, 146 à 154, 156 à 162, 169 à 170, 175 à 176, 183, 184, 190 à 191, 194, 196 à 199, 203, 207, 211 à 212, 217, 224 à 226, 229, 233, 237 à 238, 243, 253 ainsi que du Mémorandum du 11 septembre 2012 de Me COURT à la Société UBER France, de rejeter toute autres demandes, fins et conclusions, de condamner la requérante au paiement de la somme de 2000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

SUR CE

A- Sur la recevabilité de l’intervention volontaire de la société UBER FRANCE

Comme il a été indiqué supra, le recours a été exercé le 19 octobre 2015 par la société UBER BV, société de droit néerlandais, visée par l’ordonnance du JLD de PARIS en date du 3 juillet 2015.

Il convient de rappeler que le droit fiscal est un droit dérogatoire au droit commun et que le contentieux des autorisations de visite et de saisies du juge des libertés et de la détention relève des dispositions de l’article L 16B du livre des procédures fiscales.

S’agissant du droit de recours, l’article précité prévoit que le Premier Président de la Cour d’appel connaît des recours contre le déroulement des opérations de visite ou de saisie.

Les titulaires du droit de recours, comme l’indique à bon droit la requérante, sont, à titre principal, exclusivement l’occupant des locaux visités et l’auteur présumé des agissements dont la preuve est recherchée.

La requérante soutient que la société UBER FRANCE a un intérêt incontestable à intervenir volontairement, dans la mesure où ont été notamment saisis, lors des opérations, les courriels échangés avec ses conseils et motive son argumentation sur le fondement des articles 325 et 329 du code de procédure civile.

Cependant, ces articles régissent des contentieux opposant deux parties de droit privé et la procédure instituée par l’article L 16 B du LPF énumère limitativement les parties pouvant exercer la voie du recours, à savoir l’occupant des lieux et l’auteur présumé des agissements de fraude.

En l’espèce, la société UBER FRANCE n’est pas une partie titulaire de ce recours.

Elle n’est pas recevable à intervenir volontairement.

B- Sur la violation du secret professionnel

Il est constant que la loi du 31 décembre 1971 en son article 66-5 énonce « en toute matière, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client où destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l’avocat et ses confrères à l’exception de celles portant la mention « officielle » les notes d’entretien et, plus généralement toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel ».

Ce principe essentiel n’est nullement contesté. De même qu’il est acquis que cette protection concerne également les correspondances échangées avec un avocat étranger. Cependant, ce principe n’est pas absolu et souffre de plusieurs exceptions.

En ce qui concerne la demande d’annulation des correspondances avocat-client listées par la société requérante, à savoir plus de 130 documents, il doit être pris acte que l’administration fiscale acquiesce partiellement à cette demande, qui ne doit concerner que les pièces litigieuses et non pas l’ensemble des opérations de saisies et retient 123 mails couverts par le secret professionnel, à savoir les lignes n° 2 à 4, 6 à 23, 53 à 67, 69 à 77, 79, 81 à 88, 96 à 97, 103 à 106, 108 à 119, 136 à 144, 146 à 154, 156 à 162, 169 à 170, 175 à 176, 183, 184, 190 à 191, 194, 196 à 199, 203, 207, 211 à 212, 217, 224 à 226, 229, 233, 237 à 238, 243, 253, ainsi que le mémorandum du 11 septembre 2012 de Me COURT à la société UBER FRANCE.

Il convient de relever que seuls font l’objet du privilège légal les mails échangés entre dirigeants et salariés des sociétés visitées et les avocats. Ainsi, les courriels échangés entre les avocats et experts comptables ne bénéficient pas de la protection accordée à la confidentialité des correspondances avocat/client. De même, s’agissant de certains courriels, il ne peut pas être admis que les échanges entre deux correspondants, avec en copie jointe un avocat, puissent bénéficier de la protection légale relative à la confidentialité des échanges avocat/client, sauf à dénaturer cette protection légale. En effet, il suffirait pour une société d’échanger des mails avec une autre société avec, en copie conforme, un destinataire qui aurait la qualité d’avocat pour que tout échange puisse bénéficier de ce privilège légal.

Dès lors, il y a lieu d’annuler la saisie des pièces numérotées n° 2 à 4, 6 à 23, 53 à 67, 69 à 77, 79, 81 à 88, 96 à 97, 103 à 106, 108 à 119, 136 à 144, 146 à 154, 156 à 162, 169 à 170, 175 à 176, 183, 184, 190 à 191, 194, 196 à 199, 203, 207, 211 à 212, 217, 224 à 226, 229, 233, 237 à 238, 243, 253, ainsi que du mémorandum du 11 septembre 2012 de Me COURT à la société UBER FRANCE, comme étant couverts par la protection accordée à la confidentialité des correspondances avocat/client et d’exclure tout autre document de cette protection.

Il sera donc fait partiellement droit à ce moyen.

C- Sur l’irrégularité du procès-verbal de visite et saisie établi par l’administration fiscale

Il ressort du procès verbal de visite et de saisie dressé le 6 juillet 2015 et relatif à la visite des locaux sis XXX et susceptibles d’être occupés par les sociétés SARL P PARTNERS, K L, SARL CABINET L K, M N, SARL O P, SARL P T U, SARL P Q, SARL P R, SARL P S, que les services fiscaux se sont présentés à l’adresse sus-visée.

Ce procès verbal indique, en sa page 4, « notons que les données de messageries contenues dans les dossiers mentionnés ci-dessus ont fait l’objet d’un tri en présence C D, ainsi qu’E F, représentant de l’Ordre et G H, officier de police judiciaire, afin d’extourner des correspondances d’avocat ».

Cette mention signifie que, préalablement à la saisie de données de messagerie, les agents de services fiscaux ont demandé les noms des avocats, conseils de la société visitée et, à partir de ces éléments, ils ont procédé, avant toute saisie, à l’élimination des courriels les concernant. Eu égard au nombre de saisies opérées, une marge d’erreur est toujours possible, même avec l’utilisation de logiciels discriminants (Encase…) et de mots clés. En d’autres termes, sauf à examiner les courriels un par un et déterminer s’ils relèvent de la protection légale (échanges entre avocats et confidentialité des correspondances client/avocat, étant précisé que tout courriel émanant d’un avocat ne bénéficie pas de facto de cette protection légale, comme nous l’avons indiqué supra), l’exclusion totale des courriels concernés par cette protection n’est pas possible en pratique.

Il y a lieu, par ailleurs, d’indiquer que le représentant légal de la société et le représentant de l’Ordre ont déclaré d’avoir aucune remarque à formuler. Ce moyen sera rejeté.

D- Sur la particulière déloyauté de l’administration fiscale et sur l’atteinte irrémédiable portée par l’administration fiscale aux droits des sociétés UBER France et UBER BV

S’agissant de courriels ou l’intitulé des pièces jointes feraient directement référence à un contrôle fiscal initié le 9 juillet 2014 au sein de la société UBER FRANCE, il y a lieu de constater que la société UBER FRANCE n’est pas visée par les présomptions de fraude et que pour certains de ces courriels, l’administration accepte de les restituer, pour d’autres il s’agit de courriels échangés entre salariés de la société d’expertise comptable et que, pour les derniers, l’avocat apparaît en qualité de copie conforme.

Par ailleurs, l’intitulé d’un courriel n’est pas significatif en soi et peut revêtir un contenu n’étant pas un échange entre un client et son conseil et en l’absence de la production des courriels litigieux, nous ne sommes pas en mesure d’apprécier in concreto si le ou lesdits courriels sont protégés par le secret professionnel. De même, nous ne pouvons pas apprécier si ces courriels sont relatifs à la vérification de comptabilité en cours et dans cette hypothèse, la société pourra, le cas échéant, contester la procédure diligentée en application de l’article L 47 du LPF.

Ces moyens seront écartés.

V- Sur l’annulation de l’ensemble des opérations de visite et de saisies domiciliaires menées au sein des locaux de la société P

Eu égard au rejet des moyens supra, il ne saura pas fait droit à ce moyen.

— A titre subsidiaire

Il est constant que l’annulation d’un document protégé par le secret professionnel ou hors champ de l’autorisation accordée par le JLD n’a pas pour effet d’annuler l’ensemble de la messagerie mais d’annuler le document litigieux.

Par ailleurs, il est invoqué une saisie massive et une atteinte au secret des correspondances ainsi qu’au respect de la vie privée, sans indiquer en quoi cette saisie aurait été disproportionnée et quels sont les documents ou les correspondances qui auraient porté atteinte au respect de la vie privée.

Ces moyens seront rejetés.

PAR CES MOTIFS

Statuant contradictoirement et en dernier ressort :

Déclarons irrecevable l’intervention volontaire de la société UBER FRANCE;

Donnons acte à la DGFP de la restitution des mails suivants : n° 2 à 4, 6 à 23, 53 à 67, 69 à 77, 79, 81 à 88, 96 à 97, 103 à 106, 108 à 119, 136 à 144, 146 à 154, 156 à 162, 169 à 170, 175 à 176, 183, 184, 190 à 191, 194, 196 à 199, 203, 207, 211 à 212, 217, 224 à 226, 229, 233, 237 à 238, 243, 253, ainsi que du mémorandum du 11 septembre 2012 de Me COURT à la société UBER FRANCE ;

Déclarons régulières l’ensemble des opérations de visite domiciliaire et de saisie du 6 juillet 2015, effectuées dans les locaux de l’entreprise P BUSINESS ADVISORS à l’exception des documents ou courriels énumérés supra ;

Déboutons la société UBER BV de l’ensemble de ses demandes, fins ou conclusions ; Disons n’y avoir lieu à une condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Disons que la charge des dépens sera supportée par la société requérante.

LE GREFFIER LE DÉLÉGUÉ DU PREMIER PRESIDENT

Karine ABELKALON L FUSARO

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Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 1, 8 mars 2017, n° 15/22520